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Date : 20040116

Dossier : T-2311-01

Référence : 2004 CF 71

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                          ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                          - et -

                                                                APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Par voie de requête, les demanderesses cherchent à obtenir l'annulation de l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch, datée du 5 août 2003, par laquelle elle a accordé à la défenderesse, Apotex, l'autorisation de déposer l'affidavit du Dr Bernard Sherman souscrit le 23 juillet 2003. Une monographie révisée déposée auprès du ministre de la Santé relativement aux capsules d'Apo-Oméprazole d'Apotex était jointe à l'affidavit Sherman.


Contexte

[2]                L'instance sous-jacente a été introduite par les demanderesses par un avis de demande daté du 31 décembre 2001 en réponse à un avis d'allégation daté du 16 novembre 2001, signifié par la défenderesse, Apotex.

[3]                Les demanderesses, dans le cadre de l'instance sous-jacente, sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement à ses capsules d'Apo-Oméprazole contenant 20 mg d'oméprazole destinées à être administrées par voie orale, avant l'expiration du brevet canadien no 2,133,762 (le brevet 762).

[4]                Le brevet 762 a trait à l'utilisation concomitante de l'oméprazole et d'un antibiotique et, en particulier, revendique l'utilisation de l'oméprazole pour accroître la biodisponibilité de composés antibactériens contenant de la clarithromycine.

[5]                Dans son avis d'allégation, Apotex allègue l'absence de contrefaçon du brevet 762 en se fondant sur le droit et les faits suivants :

[traduction] Les autres revendications ne concernent que l'utilisation à des fins d'accroissement de la biodisponibilité d'un composé antibactérien.

Notre produit n'emportera pas contrefaçon parce que nous ne sollicitons pas une autorisation pour cette utilisation et que cette utilisation ne figurera pas dans notre monographie de produit.


[6]                Les demanderesses ont déposé leur preuve sur le fond le 6 février 2002.

[7]                Le 8 mars 2002, Apotex a signifié un affidavit souscrit par le Dr Sherman ainsi qu'un avis de requête pour obtenir le rejet de la demande en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Des extraits de la première version de la monographie de l'Apo-Oméprazole étaient joints à l'affidavit du Dr Sherman. Le 8 mars 2002, l'affidavit Sherman a également été invoqué à l'appui de la demande d'Apotex.

[8]                Le Dr Sherman a affirmé ce qui suit aux paragraphes 10 à 24 de son affidavit du 8 mars 2002 :

[traduction] Avant le 16 novembre 2001, Apotex a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle auprès du ministre à l'égard de ses capsules d'Apo-Oméprazole contenant 20 mg d'oméprazole destinées à être administrées par voie orale. Dans le cadre de sa présentation, Apotex a déposé un projet de monographie de produit énonçant, entre autres, les utilisations qui pourraient être faites de l'Apo-Oméprazole, selon l'autorisation du ministre. Les parties pertinentes de la monographie de produit d'Apotex sont jointes comme annexe B. La raison pour laquelle je n'ai pas joint toute la monographie de produit tient au fait que celle-ci contient des données confidentielles sur l'Apo-Oméprazole qui ne sont pas pertinentes en l'espèce.

[. . .]

Les revendications 68 à 77 du brevet 762 ne concernent que l'utilisation à des fins d'accroissement de la biodisponibilité d'un composé antibactérien. Les capsules d'Apo-Oméprazole d'Apotex ne contreferont pas ces revendications puisqu'Apotex n'a pas demandé d'autorisation pour cette utilisation et que cette utilisation ne figurera pas dans sa monographie de produit.

[9]                Les témoins des parties ont été contre-interrogés en mars et avril 2002.

[10]            En contre-interrogatoire, le Dr Sherman a déclaré qu'Apotex ne fabriquerait aucun produit à l'intention des pharmaciens tant que le brevet 762, qui a trait à l'administration concomitante d'antibiotiques et d'Apo-Oméprazole, serait en vigueur.

[11]            Par lettre en date du 16 avril 2002, Apotex a déposé une monographie de produit plus complète qui faisait ainsi mention de l'administration concomitante de l'oméprazole et de la clarithromycine :

[traduction] On note un accroissement de la biodisponibilité (SSC) et de la demi-vie de l'oméprazole ainsi que de la biodisponibilité (SSC) et de la Cmax de la clarithromycine lors de leur administration concomitante à des volontaires en bonne santé.

[12]            La requête en rejet de la demande présentée par Apotex a été rejetée le 17 juillet 2002. La protonotaire, dans sa décision, a affirmé en partie ce qui suit :

[traduction] . . . Apotex fait valoir que les éléments de preuve qui seront en bout de ligne soumis au juge qui examinera le bien-fondé de la demande sous-jacente ont déjà été déposés dans le cadre de la présente requête. Cela n'aide en rien Apotex, car on ne saurait se prononcer sur les faits contestés dans le cadre d'une requête en rejet sommaire.

[13]            Le dossier de demande des demanderesses, y compris son exposé des faits et du droit, a été déposé le 13 août 2002.

[14]            Le 22 août 2002, Apotex a déposé une requête en vue d'obtenir l'autorisation de déposer l'affidavit de Kenneth Brown, souscrit le 19 août 2002. Aux paragraphes 18 à 21 de l'avis de requête, on peut lire ce qui suit :


[traduction] Dans leurs nombreuses observations écrites, les demanderesses ont expressément fait référence aux parties susmentionnées de la monographie du produit et ont fait valoir, par conséquent, que l'avis d'allégation d'Apotex et le témoignage du Dr Sherman étaient contredits par la monographie du produit elle-même. Les demanderesses ont soutenu cette position même s'il était évident que les mentions, dans la monographie du produit, d'une « administration concomitante » ou d'un « accroissement de la biodisponibilité » équivalaient à des énoncés de faits scientifiques qui visaient clairement l'oméprazole en général, et non les capsules d'Apo-Oméprazole d'Apotex.

[. . .]

En réponse aux observations des demanderesses, l'avocat d'Apotex a expliqué que ces mentions ne concernaient pas l'Apo-Oméprazole, mais plutôt l'oméprazole en général, et il a de plus affirmé que ces mentions devaient servir, en fait, de mise en garde aux lecteurs potentiels de la monographie de produit leur permettant de bien comprendre la pharmacologie et la pharmacocinétique de l'oméprazole.

[15]            Apotex a été autorisée à déposer l'affidavit Brown le 13 novembre 2002. Cet affidavit disait essentiellement que les mentions, dans la monographie de l'Apo-Oméprazole d'Apotex, d'une biodisponibilité accrue et d'une administration concomitante constituaient des énoncés scientifiques exigés par Santé Canada qui ne devraient pas, par conséquent, être attribués à la marque d'Apotex.

[16]            Les demanderesses ont demandé à déposer l'affidavit du Dr Karen Burke, souscrit le 11 décembre 2002, en réponse à l'affidavit Brown. Apotex s'est opposée à la requête des demanderesses. Par ordonnance datée du 14 février 2003, la protonotaire Aronovitch a autorisé les demanderesses à déposer l'affidavit Burke.

[17]            Le juge O'Reilly a rejeté l'appel formé à l'encontre de l'ordonnance accordant l'autorisation de déposer l'affidavit Brown, décision qui a été confirmée par la Cour d'appel le 21 mai 2003.

[18]            Par lettre datée du 9 mai 2003, Apotex a informé les demanderesses de ce qui suit :

[traduction] La monographie des capsules qui vous a été produite antérieurement a été mise à jour. Vous trouverez donc ci-joint la plus récente version de la monographie des capsules d'Apotex, telle qu'elle a été soumise au ministre par Apotex.

[19]            Le 16 juin 2003, Apotex a produit et signifié son dossier de réponse, qui contenait la lettre du 9 mai 2003 et la version révisée de la monographie de son Apo-Oméprazole. Les mentions auxquelles les demanderesses s'étaient opposées, soit celles relatives à la biodisponibilité accrue et à l'utilisation concomitante, ne figuraient pas dans la monographie de produit révisée.

[20]            Les demanderesses ont présenté une requête en vue de faire radier la lettre et la monographie de produit révisée du dossier de réponse d'Apotex. Cette requête a été accueillie le 18 juillet 2003.

[21]            Le 25 juillet 2003, Apotex a présenté une requête pour être autorisée à déposer comme élément de preuve supplémentaire l'affidavit du Dr Sherman, souscrit le 23 juillet 2003, auquel était jointe la monographie de produit révisée d'Apotex.


[22]            Par ordonnance datée du 5 août 2003, la protonotaire a autorisé Apotex à déposer l'affidavit Sherman, souscrit le 23 juillet 2003.

[23]            Il s'agit de l'appel interjeté à l'encontre de cette ordonnance.

Question en litige

[24]            L'appel interjeté à l'encontre de l'ordonnance de la protonotaire devrait-il être accueilli?

Arguments des demanderesses

[25]            Les demanderesses font valoir que la protonotaire a commis une erreur de fait et de droit en autorisant Apotex à déposer l'affidavit Sherman qui contenait une monographie de produit révisée.

[26]            Les demanderesses soutiennent que la protonotaire a omis de se prononcer sur la pertinence de l'affidavit Sherman quant à la position initiale d'Apotex et que, par conséquent, elle s'est fondée sur un mauvais principe.

[27]            Les demanderesses prétendent que la protonotaire a commis une erreur de droit en n'appliquant pas le bon critère régissant l'autorisation de déposer un élément de preuve supplémentaire.

[28]            Les demanderesses affirment que l'affidavit du Dr Sherman ne peut être admis comme élément de preuve supplémentaire parce qu'il contient des arguments sur le fond qui ne constituent pas des faits.

[29]            Les demanderesses font valoir que même si la monographie de produit révisée peut être considérée comme un fait, l'avis d'allégation n'en fait pas état au chapitre de l'énoncé détaillé des faits invoqués à l'appui de l'allégation d'absence de contrefaçon. Apotex a produit et défendu la première version de la monographie du produit, qu'il a désignée comme objet de son allégation d'absence de contrefaçon. Les demanderesses affirment qu'Apotex doit s'en tenir à sa position initiale, y compris à l'énoncé détaillé du droit et des faits contenu dans son avis d'allégation.


[30]            Les demanderesses soutiennent que la protonotaire a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu'Apotex était empêchée de se fonder sur la monographie de produit révisée du fait qu'elle avait déjà déclaré à la Cour que les mentions de la biodisponibilité accrue et de l'utilisation concomitante devaient figurer dans la première version de la monographie du produit. Les demanderesses font valoir qu'Apotex ne peut maintenant être autorisée à adopter une position contraire.

Arguments d'Apotex

[31]            Apotex fait valoir que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'appel formé à l'encontre de la décision de la protonotaire est celle énoncée dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, à la page 454 (C.A.). Apotex soutient également qu'il faut donner aux protonotaires responsables une certaine latitude aux fins de la gestion de l'instance, et qu'on ne devrait intervenir dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire « que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé » (voir Microfibres Inc. c. Annabel Canada Inc. (2001), 16 C.P.R. (4th) 12, aux pages 15 à 17 (C.F. 1re inst.)).

[32]            Apotex soutient que pendant qu'elles prétendent hardiment que la protonotaire a manifestement eu tort, les demanderesses n'appliquent pas le critère approprié, qui consiste à déterminer si la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. Apotex affirme que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon non seulement judiciaire, mais correcte.


[33]            Apotex affirme que la protonotaire, après avoir correctement pris en considération chaque élément du critère régissant le dépôt d'éléments de preuve supplémentaires, a correctement conclu que l'affidavit Sherman était pertinent quant aux questions en litige, qu'il serait utile au juge présidant l'audience et qu'il serait dans l'intérêt de la justice de le produire. Apotex invoque les articles 3, 8 et 312 et le paragraphe 84(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, à l'appui de sa position.

[34]            Apotex prétend que son avis d'allégation porte sur ce que sa monographie de produit « mentionnera » , et que la monographie de produit visée par l'avis d'allégation est la monographie de produit révisée, c.-à-d. la version finale de la monographie de produit qui sera en vigueur lorsque le produit sera autorisé.

[35]            Apotex fait valoir que le fait de soumettre la monographie de produit révisée n'équivaut pas à prendre une position différente. Après avoir affirmé que les mentions d'un « accroissement de la biodisponibilité » et d'une « administration concomitante » n'avaient aucune pertinence quant aux utilisations pour lesquelles une autorisation était demandée à l'égard de l'Apo-Oméprazole et qu'elles constituaient des énoncés scientifiques obligatoires, Apotex a supprimé ces mentions afin de dissiper tout doute quant aux utilisations du produit revendiquées. Apotex prétend que la position qu'elle a défendue dans la présente instance n'a rien de contradictoire et que les arguments des demanderesses concernant la stratégie d'instance sont sans fondement.

[36]            Apotex soutient également qu'il est dans l'intérêt de la justice que l'instance soit menée sur la foi de la preuve la plus complète et la plus récente, qui comprend la monographie de produit maintenant versée au dossier du ministre.

Analyse et décision

Norme de contrôle

[37]            La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à une décision de protonotaire est énoncée dans Aqua-Gem, précité. Le juge d'appel MacGuigan a affirmé ce qui suit, aux pages 462 à 465 :

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)              l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b)              l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


Dans Canada c. « Jala Godavari » (Le) (1991), 40 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F.), notre Cour, dans une observation incidente, a énoncé la règle contraire, en mettant l'accent sur la nécessité pour le juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire par instruction de novo, par contraste avec la vue qui avait cours à l'époque à la Section de première instance, savoir qu'il ne fallait pas toucher à la décision discrétionnaire du protonotaire sauf le cas d'erreur de droit. Il ne faut pas, à mon avis, interpréter l'arrêt Jala Godavari comme signifiant que la décision discrétionnaire du protonotaire ne doit jamais être respectée, mais qu'elle est subordonnée à l'appréciation discrétionnaire d'un juge si la question visée a une influence déterminante sur l'issue de la cause principale. (L'erreur de droit, bien entendu, est toujours un motif d'intervention du juge, et ne prête pas à controverse).

La question se pose donc de savoir quel genre d'ordonnance interlocutoire est en cause en l'espèce. L'appelante engage la Cour à suivre le précédent Stoicevski, mais n'a pas été en mesure d'expliquer que la décision du protonotaire en l'espèce ne portât pas sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Les conclusions de lord Wright comme du juge Lacourcière, J.C.A., soulignent le contraste entre « les questions de procédure courantes » (lord Wright) et la « modification sans importance des actes de procédure » (le juge Lacourciere, J.C.A.) [non mis en italique dans le texte] d'une part, et les questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause principale, c'est-à-dire sa solution, de l'autre.

La matière soumise en l'espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu'il a prononcé en faveur de l'appelante. Eût-il prononcé en faveur de l'intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; Voir P-G du Canada c. S.F. Enterprises Inc. et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l'influence déterminante sur l'issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).


En l'espèce, la protonotaire s'est prononcée sur la question de savoir s'il y avait lieu d'accorder à Apotex l'autorisation de déposer l'affidavit du Dr Sherman, auquel était joint une monographie de produit qui différait de la monographie de produit initiale mentionnée dans l'avis d'allégation d'Apotex. Apotex avait défendu la monographie de produit initiale en obtenant une ordonnance l'autorisant à déposer le témoignage par affidavit de Kenneth Brown et en s'opposant aux appels interjetés par les demanderesses à l'encontre de cette ordonnance, tant devant la Division de première instance de la Cour fédérale (tel était son nom) que devant la Cour d'appel fédérale. Puisque la décision de la protonotaire en l'espèce ne soulève aucune question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, j'estime que je ne devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début que si la protonotaire a manifestement eu tort, en ce sens qu'elle s'est fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.

[38]            Les articles 3 et 8, les paragraphes 51(1) et 84(1) et l'article 312 des Règles de la Cour fédérale (1998) sont rédigés comme suit :

3. Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3. These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.



8. (1) La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance.

(2) La requête visant la prorogation d'un délai peut être présentée avant ou après l'expiration du délai.

(3) Sauf directives contraires de la Cour, la requête visant la prorogation d'un délai qui est présentée à la Cour d'appel doit l'être selon la règle 369.

51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

84. (1) Une partie ne peut contre-interroger l'auteur d'un affidavit déposé dans le cadre d'une requête ou d'une demande à moins d'avoir signifié aux autres parties chaque affidavit qu'elle entend invoquer dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l'autorisation de la Cour.

312. Une partie peut, avec l'autorisation de la Cour :

(a) déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux règles 306 et 307;

(b) effectuer des contre-interrogatoires au sujet des affidavits en plus de ceux visés à la règle 308;

(c) déposer un dossier complémentaire

8. (1) On motion, the Court may extend or abridge a period provided by these Rules or fixed by an order.

(2) A motion for an extension of time may be brought before or after the end of the period sought to be extended.

(3) Unless the Court directs otherwise, a motion to the Court of Appeal for an extension of time shall be brought in accordance with rule 369.

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.

84. (1) A party seeking to cross-examine the deponent of an affidavit filed in a motion or application shall not do so until the party has served on all other parties every affidavit on which the party intends to rely in the motion or application, except with the consent of all other parties or with leave of the Court.

312. With leave of the Court, a party may

a) file affidavits additional to those provided for in rules 306 and 307;

b) conduct cross-examinations on affidavits additional to those provided for in rule 308; or

c) file a supplementary record.

[39]            Le juge Lemieux, membre de cette Cour, a examiné les facteurs à prendre à considération lorsqu'il s'agit d'appliquer le paragraphe 84(2) des Règles dans Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 4 C.P.R. (4th) 491 (C.F. 1re inst.), à la page 497 :

À mon avis, compte tenu de son contexte ainsi que de l'évolution des Règles antérieures, la Règle 84(2) vise à permettre de répondre aux questions qui sont soulevées au cours du contre-interrogatoire et qu'il est nécessaire d'examiner au moyen d'un affidavit supplémentaire avec l'autorisation de la Cour.


Dans les affaires portées à leur attention à ce sujet, la Cour fédérale et les tribunaux de l'Ontario ont reconnu que la pertinence de l'affidavit proposé, l'absence de préjudice pouvant être causé à la partie adverse, l'utilité pour la Cour et l'intérêt général de la justice sont des facteurs pertinents à prendre en compte pour décider s'il y a lieu de permettre le dépôt d'un affidavit supplémentaire. (Voir Hiram Walker Consumers Home Ltd. c. Consumers Distributing Company et al., dossier de la Cour T-4539-80; Gingras c. Service canadien du renseignement de sécurité et al. (1987), 19 C.P.R. (3d) 283; Bayer AG et al. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et al. (1994), 83 F.T.R. 318, et Eli Lilly et al. c. Apotex Inc. et al. (1997), 144 F.T.R. 189.)

Si j'ai bien compris la règle de droit applicable à cet égard devant la Cour, il est également nécessaire de prouver que les renseignements mentionnés dans l'affidavit proposé n'étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire; l'affidavit supplémentaire ne saurait remplacer les renseignements qui étaient disponibles avant le contre-interrogatoire. L'affidavit supplémentaire ne vise pas à corriger les réponses que l'avocat ayant dirigé le contre-interrogatoire ne souhaitait pas obtenir. De plus, les parties sont habituellement tenues de divulguer tous les renseignements dont elles disposent avant le contre-interrogatoire afin d'éviter le fractionnement de la preuve.

Cette Cour a statué que les mêmes facteurs que ceux examinés dans Salton Appliances, précité, s'appliquaient au dépôt d'affidavits complémentaires selon l'article 312 des Règles (voir Marshall c. Canada (Solliciteur général) (2002), 216 F.T.R. 85, 2002 CFPI 168).

Est-il dans l'intérêt de la justice de permettre le dépôt de l'affidavit supplémentaire Sherman?


[40]            Comme l'indique l'historique de l'affaire (exposé aux paragraphes 1 à 22 des présents motifs), Apotex s'est fondée sur la monographie de produit initiale jusqu'à ce qu'elle envoie, par lettre datée du 9 mai 2003, la monographie de produit révisée aux demanderesses. À ce stade de l'instance, les parties avaient déposé leurs affidavits et procédé aux contre-interrogatoires, et les demanderesses avaient déposé leur dossier de demande et leur exposé des faits et du droit sur la foi de la monographie de produit initiale. En fait, Apotex a obtenu l'autorisation de déposer l'affidavit de Kenneth Brown, dans lequel on pouvait lire que les mentions d'un accroissement de la biodisponibilité et d'une utilisation concomitante dans la monographie de produit initiale constituaient des renseignements scientifiques exigés par Santé Canada. À ce stade avancé de la demande, Apotex soutenait toujours son utilisation de la monographie de produit initiale. Il convient également de souligner qu'au cours de l'appel interjeté par les demanderesses à l'encontre de la décision d'autoriser Apotex à déposer l'affidavit Brown, c'est la monographie de produit initiale qui a été soumise aux tribunaux.

[41]            Je ne peux admettre qu'il soit dans l'intérêt de la justice de laisser une partie se rendre aussi loin dans une demande pour ensuite lui permettre de modifier sa stratégie. Les demandes d'interdiction fondées sur l'article 6 du Règlement sont censées être instruites avec diligence (voir A.B. Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), au paragraphe 27). Ce n'est qu'après que M. Brown et le Dr Burke eurent été contre-interrogés relativement à leur affidavit respectif qu'Apotex a décidé de soumettre la monographie de produit révisée.


[42]            Je suis donc d'avis que la protonotaire a commis une erreur flagrante en rendant sa décision, puisqu'Apotex ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir une autorisation de déposer l'affidavit supplémentaire souscrit par le Dr Sherman. Il n'est pas dans l'intérêt général de la justice qu'une autorisation de déposer cet affidavit soit accordée en raison de la méthode adoptée par Apotex, qui a consisté à se servir de la monographie de produit initiale et à la soutenir (comme je l'ai souligné au paragraphe 41) jusqu'à la veille de l'audience.

[43]            Étant donné qu'Apotex ne remplit pas au moins une des conditions requises pour obtenir l'autorisation de déposer l'affidavit supplémentaire, je n'ai pas à examiner les autres conditions d'obtention d'une telle autorisation ni les autres arguments soulevés par les demanderesses dans le présent appel.

[44]            Je suis convaincu qu'en accordant l'autorisation, la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe, entachant ainsi sa décision d'erreur flagrante.

[45]            La requête des demanderesses est accueillie et la décision de la protonotaire est annulée.

[46]            Les demanderesses auront droit à leurs dépens dans la présente requête.

ORDONNANCE

[47]            LA COUR ORDONNE que :

1.          la requête des demanderesses soit accueillie;


2.          les demanderesses aient droit à leurs dépens dans la présente requête.

                                                                            « John A. O'Keefe »              

Juge                   

Ottawa (Ontario)

Le 16 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2311-01

INTITULÉ :               ASTRAZENECA AB et

ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesses

et

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Du 3 au 5 novembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                   Le 16 janvier 2004

COMPARUTIONS :

                                   Gunars Gaikis

Yoon Kang

Pour les demanderesses

H. B. Radomski

Andrew Brodkin

Ildiko Mehes

Pour la défenderesse,

Apotex Inc.

Rick Woyiwada

Pour le défendeur,

le ministre de la Santé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                   SMART & BIGGAR

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

GOODMANS s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse,

Apotex Inc.

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur,

le ministre de la Santé


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