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Date : 20200728


Dossier : T‑1533‑19

Référence : 2020 CF 797

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 28 juillet 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

KAN PAUL LUM ET GRUN LABS, INC.

demandeurs

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision par laquelle le directeur général de la Direction générale des substances contrôlées et du cannabis de Santé Canada [le directeur général ou le directeur], agissant au nom du ministre de la Santé [le ministre], a refusé de délivrer une habilitation de sécurité au demandeur, M. Kan Paul Lum, en application du paragraphe 53(1) du Règlement sur le cannabis, DORS/2018‑144.

Le contexte

[2]  Le 10 novembre 2016, M. Lum a présenté à Santé Canada un « formulaire de demande d’habilitation de sécurité », en lien avec une « demande pour devenir un producteur autorisé en vertu du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales (RACFM) » déposé auprès de Santé Canada le 19 avril 2017 [la demande de licence de producteur]. Cette demande a été déposée par M. Lum à titre de directeur et de personne désignée comme responsable de la société demanderesse productrice de cannabis, Grun Labs, Inc. [Grun Labs].

[3]  À l’époque où M. Lum a présenté sa demande d’habilitation de sécurité, la production et la vente de cannabis au Canada étaient régies par le Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, DORS/2016‑230 [le RACFM], pris en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19. En octobre 2018, le RACFM a été abrogé et remplacé par le Règlement sur le cannabis, pris en vertu de la Loi sur le cannabis, LC 2018, c 16. Les demandes d’habilitation de sécurité fondées sur le RACFM, et à l’égard desquelles aucune décision définitive n’avait encore été rendue, ont été considérées comme maintenues sous le régime du Règlement sur le cannabis, conformément aux dispositions transitoires de la Loi sur le cannabis (art 158(10)).

[4]  Le Règlement sur le cannabis exige que les personnes identifiées, dont les dirigeants et les administrateurs d’une personne morale titulaire d’une licence de culture, de transformation ou de vente de cannabis, soient titulaires d’une habilitation de sécurité (Règlement sur le cannabis, art 50b)(i)). Avant d’accorder une telle habilitation, le ministre doit établir que le demandeur ne présente pas de risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites (Règlement sur le cannabis, art 53(1)).

[5]  Le 14 novembre 2018, la Section du filtrage sécuritaire de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] a préparé une vérification des antécédents criminels, ou un rapport de VAC, qu’elle a transmis à la Direction générale de la légalisation et de la réglementation du cannabis [la DGLRC] de Santé Canada à l’appui des exigences de cette direction générale en matière de filtrage de sécurité. Le rapport de VAC indique ce qui suit :

[traduction]
Le demandeur [M. Lum] n’a aucun casier judiciaire, mais il est inscrit en lien avec le ou les incidents suivants :

1.  Le 21 avril 2015, le Groupe fédéral contre les crimes graves et le crime organisé en Colombie‑Britannique a lancé une enquête sur le blanchiment d’argent et le trafic de drogue. Lors de cette enquête, il a été conclu à la suite de vérifications menées auprès de sources ouvertes que le demandeur est un administrateur de 1045158 BC LTD et qu’il a indiqué comme adresse de résidence le […] Vancouver. Il s’agit de la même adresse que celle fournie à Santé Canada dans la demande qu’il a présentée sur le fondement du RACFM.

2.  La codirigeante du demandeur au sein de cette entreprise, le sujet « A », a fourni au bureau d’enregistrement une adresse de résidence qui correspond en fait à celle d’un point de service UPS.

3.  Le sujet « A » est la conjointe d’une figure notoire du crime organisé asiatique de la partie sud-ouest de la C‑B, le sujet « B », qui est lié au crime organisé depuis les 20 dernières années. Le sujet « B » a été reconnu coupable au criminel de trafic de stupéfiant, de possession aux fins de trafic, de possession d’une arme à autorisation restreinte non enregistrée et d’usurpation d’identité avec intention.

[6]  Le 14 décembre 2018, le gestionnaire des opérations de sécurité de Santé Canada a fait part de sa recommandation au directeur général, dans laquelle il conseillait de rejeter la demande d’habilitation de sécurité de M. Lum. Cette recommandation faisait référence à l’alinéa 53(2)c) et à la division 53(2)b)(vii)(B) du Règlement sur le cannabis et, étant donné que M. Lum était associé à un individu qui est membre d’une organisation criminelle et qui avait été reconnu coupable d’infractions relatives au trafic de stupéfiants, il a été conclu qu’il présentait selon toute vraisemblance un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites.

[7]  Dans une lettre du 31 décembre 2018, le directeur général a fait part à M. Lum de l’intention du directeur de rejeter sa demande d’habilitation de sécurité [l’avis d’intention]. L’avis d’intention envoyé à M. Lum réitérait les trois incidents communiqués à Santé Canada dans le rapport de VAC. Le directeur général a indiqué qu’il était d’avis que, selon toute vraisemblance, M. Lum présentait un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites. Le directeur général a également affirmé que les facteurs qu’il avait pris en compte et qui l’avait principalement influencé dans sa prise de décision étaient ceux figurant à l’alinéa 53(2)c), à la division 53(2)b)(vii)(A) ainsi qu’à la division 53(2)b)(vii)(B) du Règlement sur le cannabis. Il a indiqué que M. Lum se trouvait dans une situation visée par ces dispositions. Il a fait savoir que, conformément au paragraphe 55(1) du Règlement sur le cannabis, M. Lum pouvait présenter par écrit des observations en réponse à l’avis d’intention de refuser de lui délivrer une habilitation de sécurité.

[8]  M. Lum a répondu par courriel le 29 janvier 2019. Il a déclaré qu’avant de recevoir l’avis d’intention, il ignorait que l’époux du sujet A était ou avait été lié au crime organisé ou qu’il avait été reconnu coupable d’infractions liées à la drogue. Il a indiqué qu’il a toujours su que le sujet A et, par extension, son époux, étaient des citoyens respectueux des lois et les parents de trois jeunes enfants. Cependant, les renseignements concernant l’époux du sujet A étaient fort troublants et très préoccupants. M. Lum a indiqué qu’il allait donc demander au sujet A de démissionner comme dirigeante de l’entreprise qu’ils codirigeaient. Il a ajouté que ni le sujet A ni son époux n’étaient liés d’une manière quelconque à Grun Labs, l’entreprise pour laquelle il souhaitait obtenir une licence sous le régime de la Loi sur le cannabis, et que le seul lien qu’il entretenait avec ces deux personnes était en raison de leur codirection d’une entité indépendante. M. Lum a également indiqué qu’il était diplômé de la Sauder School of Business de l’Université de la Colombie‑Britannique, qu’il était un entrepreneur intègre depuis 25 ans, qu’il avait reçu de nombreuses distinctions pour excellence dans le domaine des affaires et que, au fil des ans, il avait été le sujet de nombreux articles professionnels. De plus, il n’avait aucune intention de mettre en péril sa carrière ou sa réputation professionnelle en se livrant à des activités susceptibles de présenter un risque pour la santé ou la sécurité publiques, notamment en détournant du cannabis vers un marché illicite. Enfin, il a déclaré qu’il serait disposé à prendre toute mesure supplémentaire que suggérerait Santé Canada pour étayer davantage sa demande d’habilitation de sécurité.

[9]  Dans un courriel de réponse portant la même date, la DGLRC a confirmé qu’elle avait reçu les observations de M. Lum et a indiqué qu’elle lui ferait savoir si quoi que ce soit d’autre était nécessaire.

[10]  Dans une recommandation transmise au directeur général en date du 14 février 2019, le gestionnaire des opérations de sécurité a recommandé que, conformément au paragraphe 20(3) du Règlement sur le cannabis, il fallait demander à M. Lum de fournir une preuve que le sujet A n’était plus codirigeante de son entreprise. Dans une lettre du 28 février 2019, le directeur général a demandé à M. Lum de fournir la preuve de la démission du sujet A. En réponse, le 25 mars 2019 ou aux environs de cette date, M. Lum a fourni la lettre de démission du sujet A, la résolution unanime des actionnaires de 1045158 B.C. LTD [la société à numéro] ainsi qu’un avis des statuts des services d’enregistrement de la Colombie‑Britannique qui démontrait que M. Lum était l’unique dirigeant de cette entreprise.

[11]  Le 26 avril 2019, le Forum consultatif interministériel sur la sécurité [le FCIS], à Santé Canada, a fait part au directeur général de sa recommandation définitive sur l’habilitation de sécurité. Le FCIS était d’avis que, même si le sujet A n’était plus codirigeante, il y avait encore des motifs raisonnables de soupçonner, d’une part, que M. Lum était associé aux sujets A et B, comme il l’avait reconnu dans ses observations, et, d’autre part, que le sujet B était membre d’une organisation criminelle et avait été reconnu coupable d’infractions liées à la drogue. De ce fait, il était fort probable que M. Lum présente un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment celui que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites.

[12]  Le 21 mai 2019, M. Lum a envoyé un courriel faisant suite à ses observations écrites pour demander si la DGLRC avait besoin de plus amples renseignements de sa part. Dans un courriel de réponse daté du 22 mai 2019, la DGLRC a indiqué qu’elle n’avait pas encore terminé l’examen de son dossier et qu’une fois qu’une décision serait rendue, elle le lui ferait savoir.

[13]  Dans une lettre datée du 15 août 2019, le directeur général a informé M. Lum de sa décision définitive de rejeter la demande d’habilitation de sécurité. Ce rejet est la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

Les dispositions législatives et réglementaires applicables

[14]  Les dispositions applicables de la Loi sur le cannabis et du Règlement sur le cannabis sont reproduites à l’annexe A de la présente décision.

La décision faisant l’objet du contrôle

[15]  Dans sa lettre de décision, le directeur général a résumé les conclusions du rapport de VAC, lesquelles avaient été énoncées antérieurement dans l’avis d’intention de refuser l’habilitation de sécurité, dans la réponse de M. Lum à cet avis d’intention, dans la demande de renseignements supplémentaires du directeur ainsi que dans la réponse de M. Lum à cette demande.

[16]  Le directeur général a indiqué que la demande d’habilitation de sécurité de M. Lum avait été étudiée par le FCIS, dans le but de fournir une recommandation quant à savoir si M. Lum présentait un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment celui que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites. Le FCIS avait recommandé que la demande d’habilitation de sécurité soit rejetée.

[17]  Le directeur général a indiqué qu’aux termes du paragraphe 53(1) du Règlement sur le cannabis, avant que l’on puisse délivrer une habilitation de sécurité, il est nécessaire d’établir que le demandeur ne présente pas de risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment celui que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites. Le directeur général a ajouté qu’il avait pris en compte la recommandation du FCIS et qu’il avait passé en revue les renseignements figurant au dossier de M. Lum, dont ses observations et les résultats des vérifications effectuées. Se fondant sur l’ensemble des renseignements pertinents, le directeur général était d’avis que M. Lum présentait un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment celui que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites. De plus, il a indiqué que les facteurs qui ont principalement influencé sa décision étaient ceux énoncés à l’alinéa 53(2)c) ainsi qu’aux divisions 53(2)b)(vii)(A) et 53(2)b)(vii)(B) du Règlement sur le cannabis, qu’il a résumés comme suit :

[traduction]

  Alinéa 53(2)c) : s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que M. Lum risque d’être incité à commettre un acte — ou à aider ou à encourager toute personne à commettre un acte — qui pourrait présenter un risque pour la santé ou la sécurité publiques;

  Division 53(2)b)(vii)(A) : s’il est connu — ou s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner — que M. Lum est ou a été associé à un individu qui est connu pour sa participation ou sa contribution, ou à l’égard duquel il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution, à des activités visées aux sous‑alinéas 53(2)b)(i) à (iii) du Règlement sur le cannabis;

  Division 53(2)b)(vii)(B) : s’il est connu — ou s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner — que M. Lum est ou a été associé à un individu qui est membre d’une organisation visée aux sous‑alinéas 53(2)b)(v) ou (vi) du Règlement sur le cannabis.

[18]  Le directeur général a déclaré qu’indépendamment du fait que le sujet A avait démissionné de son poste de codirigeante de la société à numéro de M. Lum, ainsi que des observations de ce dernier quant à sa connaissance limitée des sujets A et  B, il n’en demeurait pas moins qu’il avait été associé à eux. De plus, étant donné que le sujet B était lié au crime organisé depuis les 20 dernières années, M. Lum n’avait pas dissipé les doutes du directeur général selon lesquels il était ou avait été associé à un individu qui était membre d’une organisation criminelle ou à un individu qui était connu pour sa participation à des activités qui visaient ou favorisaient des actes de violence ou des menaces de violence. De plus, étant donné que le sujet B avait été reconnu coupable de trafic de stupéfiants et de possession en vue d’en faire le trafic, M. Lum n’avait pas dissipé les doutes du directeur général selon lesquels il était ou avait été associé à un individu connu pour avoir participé ou contribué à des activités liées au sous‑alinéa 53(2)b)(ii) du Règlement sur le cannabis.

[19]  Pour ces motifs, le directeur général était d’avis que M. Lum se trouvait dans une situation visée par l’alinéa 53(2)c) et par les divisions 53(2)b)(vii)(A) et division 52(2)b)(vii)(B) du Règlement sur le cannabis.

[20]  Par conséquent, le directeur général a rejeté la demande d’habilitation de sécurité de M. Lum.

Les questions en litige

[21]  Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs soulèvent deux questions, qui peuvent être formulées comme suit :

  1. La décision était‑elle équitable sur le plan procédural?

  2. La décision était‑elle raisonnable?

La norme de contrôle applicable

[22]  Selon les demandeurs, bien que la norme de la décision correcte ait été appliquée depuis toujours aux questions d’équité procédurale, ces questions ne sont pas tranchées selon une norme de contrôle en particulier. En fait, la cour de révision doit se demander si la procédure suivie était équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances et doit être persuadée que le demandeur, dans le cadre du contrôle judiciaire, connaissait la preuve à réfuter et a été entendu (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux para 34‑56 [CCP]; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267, au para 14).

[23]  Le défendeur soutient que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (Del Vecchio c Canada (Procureur général), 2018 CAF 168, au para 4 [Del Vecchio CAF]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43 [Khosa]).

[24]  Selon moi, la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Khosa, au para 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79). Ainsi que l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Oleynic c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5, au paragraphe 39, en faisant référence à la décision qu’elle avait rendue dans l’arrêt CCP, au paragraphe 54 : « [L]e contrôle judiciaire applicable aux questions d’équité procédurale est particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte. » Pour ce qui est des questions d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire de faire preuve de déférence envers le décideur (Del Vecchio CAF, au para 4).

[25]  Les parties font valoir, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision raisonnable (CCP, au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16‑17 [Vavilov]).

[26]  Lors d’un contrôle effectué selon la norme de la décision raisonnable :

99  La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Dunsmuir aux par 47 et 74; Catalyst au par 13.

(Vavilov, au para 99)

Première question : La décision était‑elle équitable sur le plan procédural?

[27]  Les demandeurs soutiennent que la décision était inéquitable sur le plan procédural pour trois raisons :

  1. le directeur général a préjugé de l’issue de la demande de M. Lum;

  2. le directeur général n’a pas donné à M. Lum une véritable possibilité de répondre, contrairement aux attentes légitimes de ce dernier;

  3. le directeur général n’a pas vérifié adéquatement la fiabilité du rapport de VAC de la GRC.

Analyse

  i.  La nature de l’obligation d’équité

[28]  Pour la présente analyse, le point de départ consiste à déterminer la nature de l’obligation d’équité procédurale envers M. Lum.

[29]  Comme les demandeurs le font valoir, la notion d’équité procédurale est variable et sa nature est déterminée en fonction du contexte propre à chaque affaire (voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 CanLII 699 (CSC), aux para 21‑22 [Baker]; Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, au para 18 [Henri CAF]). L’arrêt Baker dresse une liste de facteurs que l’on peut prendre en considération pour établir la nature de l’obligation d’équité procédurale dans une situation donnée. Ces facteurs sont les suivants : la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir, la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit le décideur administratif, l’importance de la décision pour la ou les personnes visées, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision, de même que les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même (Baker, aux para 23‑27).

[30]  Les demandeurs soutiennent que M. Lum avait droit à un degré élevé d’équité procédurale, car le régime législatif applicable ne prévoit aucun mécanisme d’appel; la décision était importante pour M. Lum, qui est l’unique actionnaire, dirigeant et administrateur de Grun Labs, et, sans un certificat d’habilitation de sécurité, cette entreprise ne peut obtenir une licence pour produire du cannabis, alors qu’elle a investi une somme d’argent considérable dans le projet. De plus, les demandeurs font valoir que M. Lum pouvait légitimement s’attendre, d’une part, à ce qu’on lui donne une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations que le directeur général pouvait avoir même après qu’il lui ait fourni une preuve que le sujet A n’était plus sa codirigeante dans la société à numéro et, d’autre part, à ce que le directeur général vérifie le contenu du rapport de VAC.

[31]  Je signale qu’il semble s’agir en l’espèce de la première décision à examiner la nature de l’obligation d’équité procédurale dans le contexte de la délivrance d’une habilitation de sécurité en lien avec la Loi sur le cannabis et le Règlement sur le cannabis. Cependant, dans des décisions concernant d’autres domaines, comme l’aviation civile et le transport maritime, les tribunaux ont examiné la nature de l’obligation d’équité procédurale qui existe dans le contexte du refus de délivrer ou de renouveler une habilitation de sécurité ou dans le contexte de son annulation.

[32]  Dans la décision Henri c Canada (Procureur général), 2014 CF 1141 [Henri], le demandeur était un mécanicien en aéronautique qui travaillait dans des zones réglementées d’un aéroport international. L’accès à ces zones était restreint aux personnes qui détenaient une habilitation de sécurité délivrée en vertu de la Loi sur l’aéronautique. Le demandeur a fait valoir que l’annulation de son habilitation de sécurité avait eu d’importantes répercussions sur lui et sa famille parce que cette mesure mettait en cause sa capacité de conserver son emploi et qu’il avait donc droit à un degré élevé d’équité procédurale. Le juge LeBlanc a résumé les principes découlant de la jurisprudence de notre Cour dans le contexte de l’annulation d’habilitations de sécurité en matière de sécurité aérienne. Parmi ces principes, il y avait le fait que le degré d’équité procédurale se révèle légèrement plus élevé lorsqu’une habilitation existante est annulée que lorsque quelqu’un se la voit refuser pour la première fois. Néanmoins, ce degré se situe au bas de l’échelle (Henri, au para 27e), citant Pouliot c Canada (Transport), 2012 CF 347, au para 10 [Pouliot]). De plus, d’un point de vue pratique, cela signifie que les garanties procédurales liées au processus qui peut mener à l’annulation d’une habilitation de sécurité se limitent au droit de connaître les faits reprochés ainsi qu’au droit de présenter des observations sur ces faits (Pouliot, au para 10; Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au para 25 [Rivet]; DiMartino c Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, au para 36 [DiMartino]; Peles c Canada (Procureur général), 2013 CF 294, au para 15 [Peles]; Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au para 17 [Clue]).

[33]  En appel, dans l’arrêt Henri CAF, la Cour d’appel fédérale a conclu que la Cour fédérale n’avait pas commis d’erreur en déterminant le degré et la nature de l’obligation d’équité procédurale envers le demandeur. Et, bien qu’il faille reconnaître que, dans les cas où l’emploi qu’exerce une personne dépend du maintien d’une habilitation de sécurité, la décision revêt une importance énorme sur le plan personnel, il ne s’agit là que d’un des facteurs qu’il faut prendre en considération (Henri CAF, aux para 22-23). Le régime législatif conférait également au ministre un large pouvoir discrétionnaire et lui confiait l’obligation d’accorder, de refuser ou d’annuler les habilitations de sécurité. La Cour d’appel fédérale a conclu que la nature de la décision et du régime législatif militait en faveur de niveaux d’équité procédurale moindres. De plus :

[27]  Bien que je structure l’analyse d’une façon un peu différente, j’estime que le niveau d’équité procédurale établi par la Cour fédérale reflète ces facteurs dans le contexte de l’espèce. La décision est très importante autant pour les personnes visées que pour l’intérêt public relatif aux questions de sûreté et de sécurité. Le législateur a confié la décision non pas à une cour ou à un tribunal quasi judiciaire, mais au pouvoir discrétionnaire du ministre. Le ministre a choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire avec l’aide d’un organisme consultatif en vertu d’une politique qui assure que les personnes sont informées des allégations formulées contre elles et qu’elles ont la possibilité de répondre avant qu’une recommandation ne soit faite au ministre pour qu’il prenne lui‑même sa décision.

[28]  Plus précisément, la décision de la Cour fédérale selon laquelle l’équité procédurale exige qu’une personne dont l’habilitation de sécurité en vertu de la Loi pourrait être révoquée soit informée des faits qu’on lui reproche et ait la possibilité de répondre, est compatible avec les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker et avec l’objectif d’assurer une procédure équitable et ouverte.

(Voir aussi Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, au para 118.)

[34]  Le régime de réglementation du cannabis concerne également la sécurité publique. La Loi sur le cannabis a pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques et, notamment, de permettre la production licite de cannabis afin de limiter l’exercice d’activités illicites qui y sont liées et de prévenir ces activités à l’aide de sanctions et de mesures d’application appropriées (Loi sur le cannabis, art 7c) et d)).

[35]  La Loi sur le cannabis prévoit également que, sous réserve des règlements, le ministre peut accorder, refuser, suspendre ou annuler toute habilitation de sécurité. Ainsi, la Loi lui confère le pouvoir discrétionnaire important de décider s’il convient de délivrer ou non une habilitation de sécurité (Loi sur le cannabis, art 67(1)).

[36]  Aux termes du Règlement sur le cannabis, le ministre peut, en tout temps, effectuer les vérifications nécessaires afin d’établir si le demandeur d’une habilitation de sécurité ou le titulaire d’une telle habilitation présente un risque pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites. Il peut notamment vérifier le casier judiciaire du demandeur ou du titulaire, ainsi que les dossiers pertinents concernant le demandeur ou le titulaire provenant d’organismes chargés d’assurer le respect des lois, notamment des renseignements recueillis pour assurer l’observation des lois (Règlement sur le cannabis, art 52). Le Règlement exige également que le ministre, avant de délivrer une habilitation de sécurité, établisse que le demandeur ne présente pas de risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment celui que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites (Règlement sur le cannabis, art 53(1)). Le Règlement dresse également une longue liste de facteurs que le ministre peut prendre en considération, avant d’accorder une habilitation de sécurité, afin d’établir le niveau de risque que présente le demandeur (art 53(2)).

[37]  Par ailleurs, le Règlement sur le cannabis énonce la procédure à suivre lorsque le ministre a l’intention de refuser d’accorder une habilitation de sécurité. Il doit fournir au demandeur un avis motivé qui indique le délai dans lequel ce dernier peut lui présenter par écrit ses observations (Règlement sur le cannabis, art 55(1)).

[38]  À mon avis, la présente affaire est analogue à l’affaire Henri. La nature discrétionnaire de la décision, la procédure à suivre et le régime législatif militent tous en faveur d’un degré moindre d’équité procédurale (Henri CAF, au para 24).

[39]  De plus, dans d’autres contextes législatifs, la jurisprudence confirme que la délivrance d’une habilitation de sécurité est un privilège et non un droit (Henri, au para 27a); Thep‑Outhainthany c Canada (Procureur général), 2013 CF 59, au para 17 [Thep‑Outhainthany]; Sylvester c Canada (Procureur général), 2013 CF 904, au para 18; Quan c Canada (Procureur général), 2016 CF 1181, au para 32 [Quan]; Dorélas c Canada (Transports), 2019 CF 257, au para 35). Cette jurisprudence aussi commande un degré moindre d’équité procédurale.

[40]  Quant à l’importance de la décision pour la ou les personnes en cause, M. Lum a déposé un affidavit souscrit le 17 septembre 2019 à l’appui de la présente demande de contrôle [le premier affidavit de M. Lum]. Dans cet affidavit, il déclare avoir constitué Grun Labs en société en novembre 2016 et qu’il est l’unique dirigeant et actionnaire de cette entité. En décembre 2016, Grun Labs a acheté un bien immobilier afin de se livrer à la production de cannabis, à un prix d’achat d’environ 2,9 millions de dollars. Le 3 avril 2017, M. Lum a présenté une demande de licence de producteur au nom de Grun Labs. Par la suite, cette dernière a investi une somme supplémentaire d’environ 1,1 million de dollars dans le projet.

[41]  Je signale que la demande de licence de producteur indique le nom de M. Lum sous la rubrique « Responsable principal » à titre de dirigeant et responsable. Sous la rubrique « Responsable qualifié », il est également nommé comme dirigeant et responsable principal. Le Règlement sur le cannabis exige que les administrateurs d’une personne morale qui possède une licence pour la culture, la transformation ou la vente du cannabis détiennent une habilitation de sécurité (art 50b)(i)). Une habilitation de sécurité est également exigée pour la personne qui exerce ou est en mesure d’exercer un contrôle direct sur la personne morale (art 50b)(ii)). Cette dernière disposition engloberait vraisemblablement l’unique actionnaire et dirigeant d’une entreprise, ce qui est le cas de M. Lum à l’égard de Grun Labs. Suivant l’alinéa 62(7)f) de la Loi sur le cannabis, le ministre peut refuser de délivrer ou de renouveler une licence de producteur de cannabis si les habilitations de sécurité requises n’ont pas été accordées.

[42]  La décision faisant l’objet du contrôle a donc une incidence sur la capacité de M. Lum d’agir à titre de dirigeant et d’actionnaire majoritaire de Grun Labs, et, par association, sur la capacité de Grun Labs de devenir producteur autorisé (Règlement sur le cannabis, art 50b)i); Loi sur le cannabis, art 62(7)f)). En ce sens, on pourrait peut‑être considérer que la décision a une incidence sur une possibilité d’emploi pour M. Lum, dans laquelle Grun Labs a investi un montant considérable. Cela dit, une incidence sur une possibilité d’emploi, par opposition à un emploi qu’une personne exerce déjà, peut ne pas être aussi importante dans le contexte de la nature de l’obligation d’équité procédurale (voir Makavitch c Canada (Procureur général), 2019 CF 940, au para 29; Haque c Canada (Procureur général), 2018 CF 651, aux para 62‑63 [Haque]). Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que ce facteur milite en faveur d’un degré supérieur d’équité procédurale envers les demandeurs, tout comme le fait qu’aucun mécanisme d’appel législatif n’est prévu dans la Loi sur le cannabis ou le Règlement sur le cannabis en ce qui concerne l’habilitation de sécurité (Baker, au para 24).

[43]  Les demandeurs soutiennent également que M. Lum pouvait légitimement s’attendre à ce que le ministre vérifie les renseignements figurant dans le rapport de VAC fourni par la GRC et que cette attente justifie un degré plus élevé d’équité procédurale.

[44]  La Cour suprême du Canada a décrit la théorie des attentes légitimes dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [Agraira] :

[94]  La théorie des attentes légitimes constitue la facette particulière de l’équité procédurale qui nous occupe dans le présent pourvoi. Cette doctrine a trouvé de solides assises en droit administratif canadien dans Baker, où la Cour a statué qu’il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en compte pour déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale de la common law. Si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. De même, si un organisme a fait une représentation à une personne relativement à l’issue formelle d’une affaire, l’obligation de cet organisme envers cette personne quant à la procédure à suivre avant de rendre une décision en sens contraire sera plus rigoureuse.

[95]  Les conditions précises à satisfaire pour que s’applique la théorie de l’attente légitime sont résumées succinctement comme suit dans un ouvrage qui fait autorité intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[traduction] La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle‑ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites. [Je souligne.]

(D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §7:1710; voir également Centre hospitalier Mont‑Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, par. 29; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, par. 68.)

[96]  Récemment, dans l’arrêt Mavi, le juge Binnie a expliqué ce que l’on entend par des affirmations « claires, nettes et explicites » en établissant une analogie avec le droit contractuel (par. 69) :

En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution.

(Voir aussi Drabinsky c Canada (Conseil consultatif de l’Ordre), 2015 CAF 5, au para 8 [Drabinsky].)

[45]  À mon sens, M. Lum n’aurait pas pu légitimement s’attendre à ce que le ministre fasse enquête sur l’exactitude des renseignements relevés dans le rapport de VAC de la GRC ou qu’il les « vérifie ». Il en est ainsi, car il n’y a tout simplement aucune preuve que le ministre a indiqué qu’il vérifierait le rapport de VAC. Les demandeurs ne l’affirment pas non plus. Ils font plutôt valoir que le ministre aurait dû aller au‑delà du rapport de VAC afin de s’assurer que la GRC n’avait pas exagéré ni fourni des preuves peu fiables au sujet des activités criminelles du sujet B. Notamment, le ministre aurait dû effectuer des recherches juridiques sur les allégations portées contre le sujet B afin de relever toute décision judiciaire pertinente. Enfin, ils affirment que cette attente légitime était d’autant plus grande qu’on n’a pas fourni à M. Lum le rapport de VAC et qu’il n’a donc pas pu en vérifier lui‑même la fiabilité.

[46]  Les demandeurs ne tiennent tout simplement pas compte de l’exigence, nécessaire pour faire naître une attente légitime, selon laquelle le ministre aurait dû déclarer de manière claire, nette et explicite qu’il vérifierait le rapport de VAC. De plus, le fait que le dossier certifié du tribunal [le DCT ou le dossier] contient une copie du rapport de VAC dans lequel sont apposés trois « papillons adhésifs », qui supposent que le directeur général ou quelqu’un de son bureau a eu d’autres discussions avec la GRC à propos du contenu de ce rapport, ne peut être assimilé à une forme quelconque de déclaration à M. Lum. Sur ce fondement, l’allégation des demandeurs selon laquelle M. Lum avait une attente légitime ne peut être retenue et, de ce fait, ce facteur ne peut me permettre de conclure que le degré d’obligation d’équité procédurale envers M. Lum est plus élevé.

[47]  Les demandeurs affirment également que M. Lum pouvait légitimement s’attendre à ce qu’on lui donne une possibilité raisonnable de répondre aux doutes que le ministre pouvait toujours avoir après que M. Lum ait présenté ses observations écrites en réponse à l’avis d’intention. Comme je l’ai déjà dit, le Règlement sur le cannabis exige que l’on donne à un demandeur la possibilité de répondre à l’avis d’intention, ce que le ministre a fait en l’espèce. Toutefois, aucune disposition n’exige que le ministre fasse un suivi auprès d’un demandeur ou permette à celui-ci de présenter par la suite des observations écrites supplémentaires. Et, là encore, les demandeurs n’ont pas démontré que le ministre avait fait une déclaration en ce sens.

[48]  Les demandeurs soulignent un courriel du 5 juin 2019 provenant de la Direction des permis et accès à des fins médicales, Direction générale des substances contrôlées et du cannabis de Santé Canada, qui concerne la demande présentée par Grun Labs pour devenir titulaire de licence. Ce courriel indique que Santé Canada a procédé à un examen préliminaire et minutieux de la demande de licence et que, d’après les renseignements évalués, Santé Canada n’avait aucune préoccupation majeure à l’égard de la demande à l’époque. Toutefois, il s’agissait d’un examen d’une portée restreinte, et il était important de signaler qu’il ne constituait pas une approbation du site et qu’il ne fallait pas le considérer comme une indication que la demande était en tous points conforme ou qu’une licence serait délivrée ultérieurement. Le courriel indique également que les personnes ayant besoin d’une habilitation de sécurité doivent produire leur formulaire de demande avant de pouvoir présenter une demande de licence. Je fais également remarquer que la demande de licence de producteur que les demandeurs ont présentée indique que la licence ne sera pas délivrée si toutes les habilitations de sécurité particulières qui sont requises n’ont pas été accordées. Cette mention reflète l’alinéa 62(7)f) de la Loi sur le cannabis, qui prévoit que le ministre peut refuser de délivrer une licence si une habilitation de sécurité liée à cette demande a été refusée ou annulée.

[49]  Tout cela pour dire que, dans la mesure où les demandeurs font valoir que le courriel du 5 juin 2019 leur avait permis de s’attendre légitimement à ce qu’ils aient une autre possibilité de répondre aux doutes que pouvait encore avoir le ministre – ou qu’on leur délivrerait une licence de production – la lettre n’est certes pas une affirmation claire, nette et explicite à cet effet.

[50]  En conclusion, si je tiens compte des facteurs énumérés dans l’arrêt Baker dans le contexte de la présente affaire, je suis d’avis que la nature de l’obligation d’équité procédurale envers M. Lum se situe au bas de l’échelle. Il en est ainsi parce que la demande d’habilitation de sécurité n’est pas semblable à un processus judiciaire tel qu’il est décrit dans l’arrêt Baker, au paragraphe 23. De plus, la Loi sur le cannabis et le Règlement sur le cannabis confient au ministre l’obligation d’accorder des habilitations de sécurité, confèrent à ce dernier le pouvoir discrétionnaire important de décider si des demandeurs présentent un risque pour la sécurité ou la santé publiques et exigent que le ministre donne avis à un demandeur de son intention de rejeter une demande d’habilitation de sécurité ainsi qu’une possibilité de présenter des observations écrites en réponse. M. Lum ne s’attendait pas légitimement à ce qu’il reçoive une habilitation de sécurité ou qu’on lui accorde des protections procédurales autres que celles que prescrivait le régime législatif. De plus, si l’issue de la décision était importante pour M. Lum, en tant que personne touchée, elle l’était tout autant pour l’intérêt public dans la sécurité publique. En fin de compte, et malgré l’importance de la décision pour M. Lum et le fait qu’il n’existe aucun mécanisme d’appel, je suis d’avis que les facteurs militent en faveur d’un faible degré d’équité procédurale.

[51]  Par ailleurs, la procédure qui a été suivie en l’espèce – l’avis d’intention du ministre de rejeter la demande d’habilitation de sécurité et la possibilité de présenter des observations écrites en réponse – est considérée comme conforme à la nature de l’obligation d’équité procédurale dans des circonstances comparables en matière d’habilitations de sécurité (Henri, au para 27e); Pouliot, au para 10; Rivet, au para 25; DiMartino, au para 36; Peles, au para 16; Clue, au para 17 et Haque, au para 65; voir aussi Quan, au para 33). À mon avis, dans les circonstances, ce degré d’équité procédurale est justifié.

  ii.  Y a‑t‑il eu manquement aux exigences d’équité procédurale?

La thèse des demandeurs

[52]  Les demandeurs font valoir que l’on a manqué aux exigences d’équité procédurale à trois égards.

[53]  Premièrement, parce que le directeur général a préjugé de l’issue de la demande d’habilitation de sécurité de M. Lum, comme en fait foi le fait que le libellé de l’avis d’intention et de la lettre de décision est identique, que la décision ne fait pas référence à toutes les observations écrites de M. Lum qui étaient contraires au point de vue initial du ministre quant au risque présenté, et qu’il était vain de la part de M. Lum de fournir une preuve de la démission de sa codirigeante.

[54]  Subsidiairement, le directeur général s’est peut‑être fondé sur un nouveau doute, la crédibilité, qu’il n’a pas porté à la connaissance de M. Lum, manquant ainsi aux exigences d’équité procédurale. En outre, M. Lum pouvait légitimement s’attendre à ce qu’on l’informe des nouveaux doutes ou de tout doute qu’avait encore le ministre après que M. Lum ait présenté ses observations écrites.

[55]  Et enfin, étant donné que le rapport de VAC de la GRC n’a pas été fourni à M. Lum, ce dernier n’a pas eu la possibilité d’en vérifier la fiabilité ou de faire des commentaires sur la pertinence du casier judiciaire du sujet B tel qu’il est indiqué dans le rapport. Par conséquent, le directeur général était tenu de vérifier le rapport de VAC et de se renseigner sur les renseignements contraires qui étaient publiquement disponibles.

La thèse du défendeur

[56]  Le défendeur soutient que le directeur général est présumé agir de manière impartiale et en faisant preuve d’ouverture d’esprit. Il affirme également que les allégations de partialité des demandeurs n’atteignent pas le seuil élevé exigé pour établir une crainte raisonnable de partialité et qu’elles ne sont pas conformes au dossier. Plus précisément, le directeur général n’aurait pas retardé sa décision et demandé de plus amples renseignements à M. Lum s’il avait préjugé de l’issue de la demande. Le fait que le directeur général n’ait pas été influencé par les observations écrites de M. Lum n’est pas assimilable à de la partialité.

[57]  De plus, bien que M. Lum mette l’accent sur un des éléments de la décision – ses rapports professionnels avec le sujet A – le directeur général pouvait soupeser l’ensemble des points préoccupants, dont le lien de M. Lum avec le sujet B. La similitude entre l’avis d’intention et la lettre de décision définitive démontre que les préoccupations du directeur général étaient cohérentes. Le fond de la décision traitait directement de l’affirmation de M. Lum selon laquelle il n’était plus associé au sujet A et qu’il ignorait que le sujet B était impliqué dans le crime organisé. En fin de compte, le directeur général a toutefois conclu que M. Lum n’avait pas dissipé ses préoccupations selon lesquelles il était ou avait été associé à un individu connu pour sa participation ou sa contribution à des activités visées au sous‑alinéa 53(2)b)(ii) du Règlement sur le cannabis.

[58]  Le défendeur fait également valoir que le directeur général n’était pas tenu de mener des recherches indépendantes pour « vérifier » le contenu du rapport de VAC de la GRC, qui est présumé exact. M. Lum se devait de présenter ses meilleurs arguments en déposant sa demande, et le directeur général n’avait aucune obligation de recueillir ou de chercher d’autres éléments de preuve ou de faire de plus amples recherches. Les demandeurs ne pouvaient pas non plus affirmer qu’ils pouvaient légitimement s’attendre à ce que le directeur général vérifie le contenu du rapport de VAC. De plus, en règle générale, le tribunal qui procède au contrôle judiciaire ne peut prendre en considération que les renseignements qui ont été soumis à l’examen du décideur. Par conséquent, la Cour ne devrait pas prendre en considération la décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dont traitent les demandeurs dans leurs observations, laquelle, de toute façon, confirme l’historique des déclarations de culpabilité pour possession et trafic de stupéfiants concernant le sujet B cité dans la décision du directeur général.

Analyse

a.  Le directeur général n’a pas préjugé de l’issue de la décision

[59]  Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt McEvoy c Canada (Procureur général), 2014 CAF 164 [McEvoy], pour affirmer que le directeur général a préjugé de l’issue de la décision. Plus précisément, ils citent le passage suivant :

[41]  Pour établir que le comité avait préjugé leur demande de classification, les appelants devaient prouver « qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté » (voir Association des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, au paragraphe 57).

[60]  Je signale que, dans l’arrêt McEvoy, les décideurs avaient reçu de nouveaux renseignements de la part des appelants, mais avaient finalement conclu que ces renseignements ne changeaient pas leur décision. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a écrit :

[43]  Selon moi, l’affirmation selon laquelle [traduction] « [a]près un examen approfondi des éléments de preuve présentés, le comité a conclu que les nouveaux renseignements ne modifieraient pas sa décision » peut être interprétée comme signifiant qu’après avoir soupesé les nouveaux renseignements, le comité a jugé qu’ils ne l’emportaient pas sur les autres éléments de preuve versés au dossier et qui justifiaient le maintien tel quel du niveau de classification. Par conséquent, cela n’a pas « modifié la décision ». En d’autres termes, en se fondant sur son analyse de l’étude de relativité et sur les arguments des parties, le comité a jugé que la classification devrait demeurer la même et que la réponse du syndicat ne justifiait pas une autre conclusion. Cela ne prouve pas que le comité n’a pas examiné les nouveaux renseignements ou a préjugé la question en litige.

[44]  La déclaration doit être interprétée dans son contexte, l’élément important étant de savoir si le comité était disposé à considérer les nouveaux éléments de preuve présentés. En l’occurrence, rien ne prouve le contraire.

[61]  En l’espèce, la lettre de décision du directeur général indiquait clairement qu’elle était envoyée pour faire suite à l’avis d’intention, aux observations écrites transmises en réponse par M. Lum le 29 janvier 2019, à la demande ultérieure du directeur général en vue d’obtenir de plus amples renseignements, à la lettre de M. Lum fournissant la preuve que le sujet A n’était plus dirigeante de sa société à numéro, ainsi qu’à l’examen effectué par le FCIS des renseignements pertinents qui figuraient au dossier de M. Lum, dont ses deux séries d’observations.

[62]  La décision indiquait que, indépendamment des observations de M. Lum selon lesquelles il ignorait que le sujet B était lié au crime organisé ou avait été reconnu coupable d’infractions relatives à la drogue et qu’il avait toujours connu les sujets A et B comme étant des citoyens respectueux des lois, et indépendamment de la preuve selon laquelle le sujet A avait démissionné de son poste de dirigeante de la société de M. Lum, il n’en demeurait pas moins que M. Lum avait été associé aux sujets A et B. Le directeur général a déclaré qu’étant donné que le sujet B était lié au crime organisé depuis les 20 dernières années, M. Lum n’avait pas dissipé ses doutes quant au fait qu’il était ou avait été associé à un individu qui était membre d’une organisation criminelle ou à un individu qui était membre d’une organisation connue pour sa participation à des activités qui visaient ou favorisaient des actes de violence ou des menaces de violence. De plus, étant donné que le sujet B avait été reconnu coupable de trafic de stupéfiants et de possession à des fins de trafic, M. Lum n’avait pas dissipé les doutes du directeur général selon lesquels il était ou avait été associé à un individu connu pour sa participation ou sa contribution à des activités visées au sous‑alinéa 53(2)b)(ii) du Règlement sur le cannabis. Par conséquent, la situation de M. Lum correspondait à celles visées à l’alinéa 53(2)c) et aux divisions 53(2)b)(vii)(A) et (B) du Règlement sur le cannabis.

[63]  À mon avis, les demandeurs n’ont pas établi que les observations de M. Lum étaient vaines au motif que le directeur général avait préjugé de l’issue de l’affaire. Ce dernier a fait clairement référence aux deux séries d’observations, mais, pour les raisons indiquées, il a conclu que celles‑ci ne dissipaient pas ses doutes. La décision définitive du directeur général montre qu’il a soupesé l’ensemble des éléments de preuve, dont les nouveaux. Le simple fait que la décision définitive du directeur général n’a pas changé après que M. Lum eut présenté ses observations écrites ne démontre pas qu’il avait l’esprit fermé et a manqué aux exigences d’équité procédurale.

[64]  Quant à l’argument des demandeurs selon lequel la similitude entre la lettre de décision et l’avis d’intention établissait que la décision avait été rendue d’avance, je ne suis pas d’accord. Premièrement, bien que les demandeurs soutiennent que les deux lettres sont [traduction] « identiques », en fait, elles ne le sont pas. Ces lettres décrivent de manière identique le contenu du rapport de VAC de la GRC et décrivent de façon analogue les facteurs qui ont principalement influencé la décision du directeur général. Cependant, la lettre de décision définitive contient des paragraphes qui décrivent les communications et les réponses antérieures, dont les deux séries d’observations de M. Lum et son argument supplémentaire, qui décrivent également la recommandation du FCIS, et qui font état de la décision finale à la lumière des observations écrites et de l’argument supplémentaire de M. Lum. À mon sens, examiné dans le contexte de la décision définitive dans son ensemble, le fait que le directeur général a réutilisé ou répété les paragraphes qui renferment des renseignements nécessaires et pertinents quant à l’avis d’intention et à la décision définitive n’établit pas qu’il a préjugé de l’issue de l’affaire.

b.  Le nouveau doute quant à la crédibilité

[65]  Les demandeurs soutiennent ensuite que, si le directeur général n’a pas préjugé de l’issue de l’affaire, il a peut‑être rendu sa décision en se fondant sur un nouveau doute, la crédibilité, qui n’a pas été porté à la connaissance de M. Lum dans l’avis d’intention et a donc manqué aux exigences d’équité procédurale. À mon avis, rien dans le dossier n’étaye cet argument. Le dossier démontre plutôt que le directeur général, le gestionnaire qui a formulé la recommandation de refus initiale et le FCIS n’étaient préoccupés que par l’association de M. Lum avec les sujets A et B. Selon mon examen du dossier, rien ne démontre qu’un nouveau doute nouveau quant à la crédibilité n’aurait pas été porté à la connaissance de M. Lum. L’argument des demandeurs sur ce point équivaut à une simple hypothèse.

c.  La possibilité de répondre

[66]  Le dernier argument des demandeurs quant à l’équité procédurale est que le directeur général était obligé de « vérifier » les renseignements figurant dans le rapport de VAC de la GRC, car ce rapport n’a pas été remis à M. Lum et, de ce fait, celui‑ci n’a pas pu le vérifier lui‑même. Cet argument repose, en partie, sur le contenu d’un second affidavit de M. Lum, souscrit le 8 janvier 2020 [le deuxième affidavit de M. Lum]. Dans cet affidavit, M. Lum a fait remarquer que, dans son premier affidavit, il avait identifié le sujet A, la codirigeante de sa société à numéro, par son nom. Je l’appellerai WM. Dans son deuxième affidavit, M. Lum indique que l’époux de WM, le sujet B, lui avait été présenté comme étant M. Ricky Chu. Est joint en tant que pièce A au deuxième affidavit de M. Lum un article en ligne de la CBC, daté du 19 avril 2017 et intitulé « Retroactive changes to criminal pardons violate charter rights, B.C. judge rules » (Un juge de la C‑B statue que des changements rétroactifs aux réhabilitations accordées au criminel violent les droits garantis par la Charte). Est jointe en tant que pièce B une copie de la décision de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique Chu v Canada (Attorney General), 2017 BCSC 630 [Chu]. M. Lum croit que le demandeur dans la décision Chu est le sujet B, M. Chu.

[67]  Dans l’affaire Chu, la contestation constitutionnelle du demandeur concernant l’application rétroactive de modifications aux dispositions législatives régissant les réhabilitations ou les suspensions du casier judiciaire a été accueillie. Dans cette décision, M. Chu est décrit comme un individu qui a commis cinq infractions punissables par mise en accusation à l’époque où il avait entre 21 et 27 ans. Son casier judiciaire comporte des déclarations de culpabilité pour trafic de stupéfiants, deux chefs de possession d’une substance inscrite à l’annexe 1 en vue d’en faire le trafic, possession d’une arme à utilisation restreinte non enregistrée et usurpation d’identité avec intention. La décision indique que M. Chu a été remis en liberté en 2004 et que, depuis ce temps, il n’a commis aucun crime et vit dans la collectivité. Il a affirmé n’avoir commis aucune infraction pendant qu’il était sous garde, pas plus qu’il n’en a commis depuis sa mise en liberté (Chu, aux para 61‑63).

[68]  Il convient tout d’abord de signaler que la décision Chu n’a pas été mentionnée ni fournie par M. Lum dans les observations écrites du 29 janvier 2019 qu’il a présentées en réponse à l’avis d’intention du directeur général. Il n’a pas non plus expliqué lors du présent contrôle judiciaire pourquoi la décision Chu, qui date d’avant la décision du directeur général, n’aurait pas pu être fournie à ce dernier, hormis sa déclaration dans son deuxième affidavit que les informations en question avaient été portées à son attention après qu’il avait souscrit son premier affidavit. Comme l’a fait remarquer le défendeur, en contrôle judiciaire, la cour se limite généralement au dossier de preuve dont disposait le décideur administratif. Il y a des exceptions à ce principe, y compris les cas où de nouveaux éléments de preuve sont présentés à l’appui d’un manquement à l’équité procédurale pour fournir des renseignements de base généraux qui aideront le tribunal à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire ou pour démontrer l’absence totale de preuve dont disposait le décideur lorsqu’il a tiré une conclusion en particulier (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au para 20).

[69]  À mon avis, la décision Chu n’est pas admissible, parce qu’elle était disponible mais n’a pas été portée à l’attention du directeur général et parce que le demandeur tente de l’invoquer pour contester la fiabilité du rapport de VAC et le bien‑fondé des conclusions du directeur général (Thep‑Outhainthany, au para 13; Henri, aux para 21‑22; Henri CAF, aux para 3, 37‑41). Cependant, et indépendamment de la question de l’admissibilité, l’un des fondements de l’argument qu’invoquent les demandeurs sur ce point est qu’ils pouvait légitimement s’attendre à ce que le directeur général « vérifie » le rapport de VAC de la GRC et mène ses propres recherches juridiques pour trouver toute décision judiciaire en lien avec cette affaire, plus précisément la décision Chu.

[70]  Cependant, comme je l’ai déjà conclu, cet argument ne peut être retenu. Une conduite qui donne lieu à des attentes légitimes doit être « claire, nette et explicite » (Agraira, au para 95; Drabinsky, au para 8). Les demandeurs ne font référence à aucune preuve que le ministre aurait affirmé que le rapport de VAC de la GRC serait vérifié ou que le directeur général effectuerait des recherches indépendantes (voir Henri, aux para 33‑35). Ce fait est déterminant, et il y a lieu de rejeter l’argument relatif à l’équité procédurale pour cette raison.

[71]  Les demandeurs soutiennent également que M. Lum n’a jamais reçu le rapport de VAC, ou les détails précis concernant le casier judiciaire du sujet B, en particulier, les dates de ses déclarations de culpabilité. M. Lum lui‑même n’a donc pas pu vérifier ces renseignements. Il semble que, selon M. Lum, le manquement à l’équité procédurale découle du fait qu’il n’a pas été informé de la preuve pesant contre lui et que, de ce fait, on ne lui a pas donné une possibilité raisonnable d’y répondre.

[72]  Or, les trois conclusions du rapport de VAC ont été énoncées dans l’avis d’intention du directeur général. Cet avis indiquait aussi que le directeur général estimait que, comme M. Lum était associé à un individu qui était membre d’une organisation criminelle et qui avait été reconnu coupable de trafic de stupéfiants et de possession aux fins de trafic, sa situation était visée par l’alinéa 53(2)c) et les divisions 53(2)b)(vii)(A) et (B) du Règlement sur le cannabis. À mon sens, le directeur général a clairement exprimé ses doutes et a donc prévenu M. Lum de la preuve à réfuter.

[73]  Il convient aussi de signaler que M. Lum a pu identifier les sujets A et B, qu’il connaissait, selon ce qu’il a confirmé dans ses observations écrites, et qu’il était donc en mesure de recueillir les renseignements qu’il jugeait nécessaires en faisant des recherches sur ces deux sujets, en cherchant des renseignements sur eux dans le dossier public, ou en prenant d’autres mesures qu’il estimait nécessaires. Le fait qu’il a fourni, après le prononcé de la décision, une copie de la décision Chu dans son deuxième affidavit et qu’il connaissait personnellement les sujets A et B, comme il est indiqué dans son premier affidavit, en est la preuve.

[74]  Il incombait à M. Lum de répondre à l’avis d’intention à l’appui de sa thèse selon laquelle il ne présentait pas un risque pour la sécurité publique du fait de son association avec les sujets A et B (Randhawa c Canada (Transports), 2017 CF 556, au para 42 [Randhawa]). Cependant, sa réponse était peu détaillée, et on ne peut reprocher au directeur général de ne pas avoir répondu à des renseignements que M. Lum n’avait pas fournis.

[75]  Les demandeurs soutiennent également qu’étant donné que, d’une part, M. Lum s’est « conformé » en répondant à l’avis d’intention et en fournissant la preuve requise que le sujet A n’était plus codirigeante de sa société à numéro et, d’autre part, qu’il a demandé dans son courriel du 21 mai 2019 s’il devait fournir tout autre renseignement, il pouvait légitimement s’attendre à ce qu’on l’informe de [traduction] « tout doute qui pouvait subsister » et qu’on lui donne la possibilité d’y répondre.

[76]  Cet argument ne peut pas être retenu non plus. Comme nous l’avons vu plus tôt, il n’existe aucune preuve d’une affirmation claire, nette et explicite de la part du directeur général qui ferait naître une telle attente. De plus, des arguments semblables ont été rejetés dans des décisions antérieures. Par exemple, dans la décision Del Vecchio c Canada (Procureur général), 2017 CF 696 [Del Vecchio], le demandeur affirmait qu’il s’attendait à ce qu’on entre en contact avec lui et qu’on lui demande de fournir des renseignements supplémentaires s’il y avait des doutes quelconques après la présentation de ses observations écrites. Il soutenait que comme on n’avait pas communiqué avec lui avant le prononcé de la décision, on ne lui avait donc pas donné une possibilité raisonnable de répondre, ce qui était contraire aux exigences de l’équité procédurale. Notre Cour a rejeté cet argument, en précisant ce qui suit :

[26]  J’estime que M. Del Vecchio avait le droit d’être informé des faits qui lui étaient reprochés et de pouvoir répondre, et c’est bien ce qui s’est produit. Il n’y a pas eu atteinte à l’équité procédurale puisqu’il s’agissait d’une procédure juste et ouverte. La lettre du 20 août 2015 décrivait la teneur du rapport de VAC que le ministre avait obtenu de la GRC. M. Del Vecchio savait donc tout ce que le ministre savait et a été invité à fournir des observations écrites en réponse. Il a saisi cette opportunité et a répondu par sa lettre du 21 septembre 2015.

[27]  M. Del Vecchio avance qu’il aurait dû bénéficier d’autres possibilités d’offrir une réponse. Comme quelqu’un l’avait appelé, il estime que l’Organisme consultatif n’aurait pas dû aller de l’avant avant d’arriver à le joindre puisqu’il a déduit depuis que l’Organisme l’avait contacté parce qu’il avait besoin d’une précision qu’il aurait fournie, et que son habilitation de sécurité ne lui aurait pas été retirée. Cependant, l’Organisme consultatif comme le ministre ne sont nullement tenus de procéder à des vérifications plus poussées, de fournir ou de demander d’autres précisions (Lorenzen c Canada (Transports), 2014 CF 273, au paragraphe 51). M. Del Vecchio veut pouvoir réfuter des conclusions raisonnables qui sont le fait de sa conduite ou y répondre, un argument qu’a expressément rejeté la Cour (Pouliot, au paragraphe 14). J’estime qu’il n’y a pas eu d’atteinte à l’équité procédurale.

[77]  Un argument semblable a été invoqué sans succès dans l’arrêt Henri CAF. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que M. Henri avait fourni une réponse écrite et que l’organisme de consultation avait indiqué dans son compte rendu de discussion que, avant de recommander la révocation, il avait pris en considération la déclaration écrite de M. Henri, mais avait conclu que ce dernier n’avait pas fourni « suffisamment de renseignements pour dissiper les préoccupations », compte tenu des autres éléments de preuve. Dans sa décision, le ministre avait soupesé la preuve de manière semblable. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale :

[33]  Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale en l’espèce. On a présenté à M. Henri les éléments de preuve contre lui, et on l’a invité à poser des questions et à répondre. On lui a laissé suffisamment de temps pour donner une réponse, y compris des prolongations du temps alloué au départ, et sa réponse a été prise en considération par l’organisme de consultation et par le ministre.

[34]  Selon M. Henri, cela n’était pas suffisant dans son cas. Si le ministre a estimé que les renseignements étaient insuffisants, on aurait dû communiquer avec M. Henri pour la tenue d’une entrevue visant à compléter les renseignements contenus dans la lettre envoyée par son avocat. Il aurait fallu lui permettre de mieux expliquer sa relation avec son ex-beau-frère de vive voix.

[35]  Je ne partage pas ce point de vue. Ni le ministre ni l’organisme consultatif n’avaient l’obligation de tenir une entrevue avec M. Henri en raison de l’incidence d’une décision défavorable sur son gagne-pain. M. Henri connaissait l’importance de la décision pour sa carrière et il avait la responsabilité de défendre sa cause lorsqu’on lui a demandé de le faire. L’équité procédurale exige seulement que l’on permette véritablement aux personnes dans sa situation de répondre aux éléments de preuve contre elles, et que l’on prenne en considération cette réponse. C’est exactement la façon dont M. Henri a été traité.

[78]  En l’espèce, il ressort clairement du dossier que le directeur général a fait part de ses préoccupations à M. Lum, conformément au paragraphe 55(1) du Règlement sur le cannabis. L’avis d’intention décrivait les conclusions tirées dans le rapport de VAC et faisait état des préoccupations du directeur général. M. Lum a également eu une possibilité raisonnable d’y répondre. Je conviens avec le défendeur qu’il incombait à M. Lum de présenter ses meilleurs arguments dans sa réponse et que le directeur n’avait aucune obligation de se renseigner davantage auprès de lui. En résumé, comme le directeur n’a jamais affirmé que le demandeur serait informé des doutes qui pourraient subsister ou qu’il se verrait offrir la possibilité de présenter d’autres observations, il n’y a pas d’attente légitime. En outre, la procédure exposée dans le Règlement sur le cannabis a été suivie. M. Lum a reçu assez de renseignements pour lui permettre de connaître la preuve à réfuter, on lui a donné une possibilité raisonnable de répondre et le directeur général a pris sa réponse en considération.

[79]  À mon avis, pour les motifs exposés ci‑dessus, la procédure suivie en l’espèce était équitable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, dont les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. M. Lum connaissait la preuve à réfuter et il a eu pleinement et équitablement la possibilité de répondre (CCP, aux para 54, 56). Les exigences de l’obligation d’équité envers le demandeur ont été respectées et il n’y a pas eu manquement à cette obligation.

Deuxième question : La décision était‑elle raisonnable?

La thèse des demandeurs

[80]  Les demandeurs soutiennent que la décision était déraisonnable, car le directeur général n’a pas tenu compte d’importants éléments de preuve démontrant que M. Lum ne présentait pas un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques. Plus précisément, il n’a pas mentionné ni analysé les observations que M. Lum avait formulées par écrit en réponse à la lettre d’intention concernant sa propre moralité et ses propres intentions. Il n’en est pas question non plus ailleurs dans le dossier. De plus, le directeur général a fait fi des éléments de preuve de M. Lum quant à la nature de sa relation avec les sujets A et B et à l’étendue de la connaissance qu’il avait des activités criminelles du sujet B, ce qui a entraîné une lacune fondamentale dans son raisonnement.

[81]  Les demandeurs soutiennent également que le directeur général a abordé la question visée au paragraphe 53(1) en examinant si la situation de M. Lum correspondait à celles énoncées au paragraphe 53(2) et, ce faisant, a entravé son pouvoir discrétionnaire en n’analysant pas la question ultime qu’il devait trancher : à savoir si, malgré ses observations écrites contraires, M. Lum présentait un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques. En se fondant sur les facteurs discrétionnaires énumérés au paragraphe 53(2) et en les considérant comme concluants, le directeur général n’a pas fait preuve d’un jugement indépendant, car il n’a pas effectué l’analyse requise par le paragraphe 53(1) ni examiné le niveau de risque que posait M. Lum, compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 53(2) et de l’ensemble de la preuve à l’appui de la thèse de M. Lum.

[82]  Enfin, les demandeurs font valoir que le directeur général s’est déraisonnablement fondé sur l’alinéa 53(2)c) du Règlement sur le cannabis, car il ne disposait d’aucune preuve qui donnait à penser que le demandeur risquait d’être incité à commettre un acte, ou à aider ou à encourager toute personne à commettre un acte, qui pourrait présenter un risque pour la santé ou la sécurité publiques, et que ses propres observations démontraient le contraire.

La thèse du défendeur

[83]  Le défendeur soutient qu’il est bien établi en droit qu’un décideur n’est pas tenu d’aborder chaque observation ou argument soulevé par un demandeur (Vavilov, au para 128). En l’espèce, le niveau d’études de M. Lum et ses antécédents professionnels n’étaient liés qu’indirectement à la question centrale soulevée dans la demande – à savoir si M. Lum présentait un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques en raison de son association avec les sujets A et B. Même une association secondaire avec des individus qui violent la Loi réglementant certaines drogues et autres substances est un sujet de préoccupation pertinent dans le cadre du mandat du directeur général. Le directeur n’a pas non plus commis d’erreur en focalisant son analyse sur quelques facteurs prédominants.

[84]  En outre, si on lit de manière holistique et contextuelle la décision et le dossier, il est évident que les facteurs énoncés au paragraphe 53(2) ont éclairé le point de vue du directeur général au regard du paragraphe 53(1) du Règlement sur le cannabis. Le lien entre son analyse du paragraphe 53(2) et sa conclusion générale à l’égard du paragraphe 53(1) peut être établi au moyen d’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle.

[85]  Enfin, le défendeur soutient que, contrairement à l’argument des demandeurs selon lequel rien n’indique que M. Lum pourrait être incité à commettre un acte, ou à aider ou à encourager toute personne à commettre un acte, qui pourrait présenter un risque pour la santé ou la sécurité publiques, il ressort du dossier qu’à l’époque où M. Lum a présenté sa demande d’habilitation de sécurité, il entretenait une relation professionnelle étroite avec le sujet A, l’épouse d’un individu ayant de longs antécédents criminels en matière de possession et de trafic de substances contrôlées. Le FCIS et le directeur général ont eu recours à leur expertise spécialisée pour inférer que la relation de M. Lum avec le sujet B risquait de compromettre l’intégrité des activités relatives au cannabis des demandeurs et qu’elle constituait un risque pour la santé ou la sécurité publiques, une conclusion envers laquelle il convient de faire preuve de retenue.

Analyse

[86]  Pour ce qui est du premier argument des demandeurs, à savoir que le directeur général a commis une erreur en omettant de faire référence à la preuve de M. Lum au sujet de ses études et de ses activités professionnelles, je ne saurais y souscrire.

[87]  Comme il est indiqué dans la décision Basanti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1068 :

[24]  Il est bien établi que le décideur est présumé avoir apprécié et examiné tous les éléments de preuve présentés, sauf preuve contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) au para 1). L’omission de mentionner un élément de preuve particulier ne veut pas dire qu’il a été écarté (Newfoundland Nurses au para 16), et le décideur n’est pas tenu de référer à tous les éléments de preuve qui étayent ses conclusions. Ce n’est que lorsque le tribunal est muet au sujet d’éléments de preuve qui favorisent clairement une conclusion contraire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n’a pas tenu compte d’éléments de preuve contradictoires lorsqu’il a tiré sa conclusion de fait (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331 aux para 9 et 10; Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL) [Cepeda‑Gutierrez] aux para 16 et 17). Cependant, la décision Cepeda‑Gutierrez ne permet pas d’affirmer que la simple omission du tribunal de mentionner des éléments de preuve importants qui vont à l’encontre de la conclusion du tribunal a automatiquement pour effet de rendre la décision déraisonnable et d’entraîner son annulation. Bien au contraire, la décision Cepeda‑Gutierrez mentionne que ce n’est que lorsque les éléments de preuve non pris en compte sont essentiels et contredisent directement la conclusion du tribunal que la cour de révision peut en conclure que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait.

(Voir aussi Vavilov, au para 128.)

[88]  Le directeur général a déclaré qu’il avait pris en considération les observations de M. Lum. Il est vrai qu’il n’a pas explicitement mentionné que ce dernier avait indiqué qu’il détenait un diplôme en administration, qu’il s’était décrit comme un entrepreneur honnête qui avait lancé diverses entreprises, par exemple dans les communications mobiles et la création de logiciels, ou qu’il avait déclaré avoir reçu de nombreuses distinctions et avoir été mentionné dans des revues d’affaires. Il n’a pas non plus mentionné que M. Lum n’allait pas mettre sa carrière ou sa réputation en péril en se livrant à des activités susceptibles de présenter un risque pour la santé et la sécurité publiques.

[89]  Or, à mon avis, la description générale que fait M. Lum de ses études, de son expérience dans le domaine des affaires et de sa réputation favorable n’est pas une preuve cruciale qui va à l’encontre de la conclusion du directeur général, laquelle concernait les incidences que pourrait avoir l’association de M. Lum avec les sujets A et B. Par conséquent, le défaut de ne pas mentionner expressément ces éléments de preuve n’est pas une erreur susceptible de contrôle.

[90]  Lorsqu’ils ont comparu devant moi, les demandeurs ont mis principalement l’accent sur la conclusion du directeur général selon laquelle, indépendamment des observations écrites de M. Lum, il n’en demeurait pas moins qu’il entretenait des liens avec les sujets A et B. Et, étant donné que le sujet B était lié au crime organisé depuis les 20 dernières années, M. Lum n’avait pas dissipé les doutes du directeur général selon lesquels il était ou avait été [traduction] « associé à un individu qui est membre d’une organisation criminelle ou à un individu qui est membre d’une organisation connue pour sa participation à des activités » qui visaient ou favorisaient des actes de violence.

[91]  Les demandeurs soutiennent que cette conclusion, à savoir que le sujet B « est » membre d’une telle organisation, n’est pas justifiée et qu’aucune preuve digne de foi ne l’étaye.

[92]  À cet égard, les demandeurs contestent essentiellement la fiabilité du rapport de VAC. Ils font observer que ce document indique que, le 21 avril 2015, le Groupe fédéral contre les crimes graves et le crime organisé de la GRC en Colombie‑Britannique a lancé une enquête sur le blanchiment d’argent et le trafic de drogue. C’est au cours de cette enquête que des sources ouvertes ont vérifié que M. Lum était un dirigeant de la société à numéro, comme l’était le sujet A. Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion, mais ils affirment que la GRC était tenue de mettre à jour leurs enquêtes auprès de sources ouvertes et que, si elle l’avait fait, elle aurait découvert la décision Chu, qui aurait confirmé que le sujet B n’avait commis aucun crime depuis 2004. De plus, le directeur général aurait dû mener sa propre enquête pour confirmer la fiabilité du rapport de VAC.

[93]  Les demandeurs soutiennent également que le rapport de VAC indique que le sujet A est l’épouse d’une [traduction] « figure notoire du crime organisé asiatique de la partie sud‑ouest de la C‑B, le sujet « B », qui est lié au crime organisé depuis les 20 dernières années ». Toutefois, les dates et les détails de ces déclarations de culpabilité ont été expurgés. Le directeur général n’avait donc aucun moyen de savoir à quel moment les infractions avaient eu lieu et aurait dû mener ses propres recherches pour ces conclusions. S’il l’avait fait, il aurait découvert la décision Chu et aurait su que le sujet B n’avait pas commis de crimes depuis sa mise en liberté, en 2004. En se fondant sur le rapport de VAC et en n’allant pas plus loin, le directeur général a conclu à tort que M. Lum était associé au sujet B, qui est lié au crime organisé [traduction] « depuis les 20 dernières années » et qui est membre d’une organisation criminelle ou membre d’une organisation connue pour sa participation à des activités axées sur la violence.

[94]  Comme je l’ai conclu précédemment, l’obligation d’équité procédurale n’exigeait pas que le directeur aille au‑delà du rapport de VAC.

[95]  En outre, le directeur général pouvait se fonder sur le rapport de VAC et n’était pas tenu de procéder à des recherches indépendantes pour en « vérifier » le contenu. Comme il est déclaré dans la décision Del Vecchio, qui avait trait à une habilitation de sécurité dans un aéroport international visée par la Loi sur l’aéronautique :

[21]  Dans le cadre de ce processus, le ministre doit s’appuyer sur des renseignements fournis par des organismes d’exécution de la loi comme la GRC (Sidhu c Canada (Procureur général), 2016 CF 891, au paragraphe 19; Henri c Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, au paragraphe 40 [Henri CF], confirmé par 2016 CAF 38). Le ministre peut se fier aux renseignements fournis par la GRC sans enquêter sur le contenu de ces rapports ni les vérifier. Les renseignements peuvent être utilisés même s’ils constituent du ouï‑dire et qu’ils n’ont pas été contre-vérifiés (Mangat, au paragraphe 54; Henri CF, au paragraphe 40). Il incombe à celui qui veut obtenir une habilitation de sécurité de dissiper les préoccupations du ministre.

(Voir également Rossi c Canada (Procureur général), 2015 CF 961, au para 26 [Rossi]; MacDonnell c Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au para 31 [MacDonnell], citant Fontaine c Canada (Transports), 2007 CF 1160, au para 75 [Fontaine].)

[96]  Et même si la décision Chu était admissible, ce n’est pas parce qu’elle existe que le rapport de la GRC n’est pas fiable. Quand il a comparu devant moi, le défendeur a indiqué que, contrairement aux observations des demandeurs, les dates et les infractions qui ont été expurgées dans la copie du rapport de VAC figurant dans le DCT ne l’ont pas été dans la copie du rapport que le directeur général a examinée. Ce dernier était donc au courant des dates des déclarations de culpabilité du sujet B et du fait qu’aucune d’elles n’était récente, de même que de la nature des infractions en soi et de la décision rendue. Au final, la décision Chu ne fait qu’établir que, dans le cadre de la contestation constitutionnelle dont elle était saisie, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a souscrit au témoignage du sujet B selon lequel il n’avait commis aucun crime depuis 2004. À cet égard, cette conclusion ne peut servir à réfuter la déclaration formulée dans le rapport de VAC selon laquelle le sujet B est un membre du crime organisé asiatique depuis les 20 dernières années. Pour trancher la question constitutionnelle dont elle était saisie dans l’affaire Chu, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n’était pas tenue d’évaluer si M. Chu avait eu des liens criminels quelconques depuis 2004.

[97]  Cependant, je conviens avec le demandeur que le rapport de VAC ne dit pas expressément que le sujet B « est » membre d’une organisation criminelle. Il le décrit comme une figure notoire du crime organisé asiatique qui est liée au crime organisé depuis les 20 dernières années. Le rapport énumère aussi ses déclarations de culpabilité (expurgées), lesquelles, selon les demandeurs, ont eu lieu avant 2004. Le défendeur ne conteste pas ces dates. Le rapport de VAC ne permet donc pas de déterminer si le lien du sujet B avec le crime organisé est actuel ou s’il découle de ses déclarations de culpabilité antérieures.

[98]  Cet argument concerne le facteur énoncé à la division 53(2)b)(vii)(B) du Règlement sur le cannabis, qui peut servir à déterminer le niveau de risque que présente un demandeur et qui concerne la question de savoir si ce dernier « est ou a été associé » à un individu qui « est » membre d’une organisation visée aux sous‑alinéas (v) ou (vi). Dans sa décision, le directeur général a conclu que M. Lum n’avait pas dissipé les doutes du directeur général selon lesquels il est ou a été associé à un individu qui « est » un tel membre.

[99]  Le dossier indique que le directeur général ou son bureau a assuré un certain suivi auprès de la GRC. Sur une copie du rapport de VAC figurant au dossier, trois « papillons adhésifs » manuscrits y sont apposés. Le premier de ces papillons indique :

[traduction]
Nature de l’enquête

-  faisait‑il enquête sur l’entreprise

-  parce que le sujet B est lié à une organisation

Le deuxième « papillon adhésif » semble répondre à ces questions :

[traduction]
-  Pas une enquête sur une entreprise

-  Était un tuyau des États‑Unis au sujet de certains individus

-  Nous fera savoir qui faisait l’objet de l’enquête

Le troisième « papillon adhésif » indique :

[traduction]
Valeur du no 2?

Liens entre B et le demandeur autres que par l’entremise du sujet A?

-  Nous le fera savoir

-  Non

[100]  Le défendeur soutient que l’on peut déduire de ces notes manuscrites que le sujet B faisait l’objet d’une enquête. Par conséquent, il était loisible au directeur général de considérer que le rapport de VAC faisait état d’un lien actuel. Le défendeur admet toutefois que le rapport de VAC lui‑même ne confirme pas l’existence d’un lien actuel entre le sujet B et une organisation criminelle, ni que ce sujet est actuellement membre d’une telle organisation.

[101]  À mon avis, les « papillons adhésifs » soulèvent au moins autant de questions que celles auxquelles ils répondent. Et, même si le directeur général ou son bureau avait eu d’autres communications avec la GRC qui l’aurait convaincu que le lien entre le sujet B et le crime organisé était actuel ou qu’il y avait lieu de soupçonner que c’était peut‑être le cas, la décision ne l’indique pas et ne repose que sur le rapport de VAC ambigu. Par ailleurs, s’il était loisible au directeur de tirer des inférences raisonnables à partir de la preuve, le rapport de VAC relie l’enquête de la GRC de 2015 à M. Lum et au sujet A uniquement en tant que codirigeants de la société à numéro. Le rapport ne fait aucun lien direct entre M. Lum et le sujet B. De plus, il n’indique pas que le sujet B faisait l’objet de l’enquête et ne divulgue pas le résultat de l’enquête ni si cette dernière était en cours. Dans la mesure où le défendeur fait valoir que le directeur général pouvait tirer des inférences raisonnables sur la foi des papillons adhésifs, je suis d’avis que, même si ces derniers pourraient être considérés comme des éléments de preuve, ils ne sont pas suffisamment clairs pour fonder de telles inférences. Et bien que, dans le contexte de renseignements connus uniquement du directeur général, il aurait peut‑être été possible de tirer des références raisonnables, une inférence « qui flotte dans un vide factuel, sans indice ni preuve propre à l’étayer, ne répond pas aux critères de transparence et d’intelligibilité établis dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 » (Meyler c Canada (Procureur général), 2015 CF 357, aux par 41, 43).

[102]  Le facteur énoncé à la division 53(2)b)(vii)(A) peut servir à déterminer le niveau de risque que présente un demandeur et concerne la question de savoir si ce dernier « est ou a été associé à » un individu connu pour sa participation ou sa contribution, ou à l’égard duquel il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution, à des activités visées aux sous‑alinéas 53(2)b)(i) à (iii). Là encore, le contenu très restreint du rapport de VAC soulève les mêmes préoccupations.

[103]  À cet égard, il est important aussi de signaler que la jurisprudence confirmant des décisions dans lesquelles une habilitation de sécurité a été refusée fait souvent référence à des renseignements nettement plus détaillés, y compris ceux contenus dans des rapports de VAC, sur lesquels les décideurs se sont fondés.

[104]  Par exemple, dans la décision Rossi, le rapport de VAC révélait l’existence de liens entre M. Rossi et un individu impliqué dans l’importation et l’exportation de drogue à l’aéroport où M. Rossi travaillait, et il faisait état d’une association suspecte entre ce dernier et un groupe du crime organisé nommé (au para 3). Dans cette affaire, le décideur avait pris en considération des renseignements détaillés que la GRC avait recueillis lors de son enquête (au para 24). Ces renseignements révélaient l’existence d’un lien étroit entre M. Rossi et le sujet A, qui était l’une des personnes visées par l’enquête et qui était membre de l’organisation criminelle. Le sujet A avait été reconnu coupable de complot et d’importation d’une substance illégale. Il possédait également un restaurant identifié par la GRC comme un lieu de rencontre servant à discuter du trafic de stupéfiants. M. Rossi avait été vu dans ce restaurant, où il s’entretenait avec un acteur clé de l’organisation, qui faisait à ce moment l’objet d’une enquête (voir aussi Christie c Canada (Transports), 2015 CF 210, aux para 5, 8 [Christie]; Henri, aux para 10‑12).

[105]  Dans le même ordre d’idées, la décision Randhawa concernait le réexamen de la décision par laquelle le ministre avait refusé une habilitation de sécurité dans le domaine du transport maritime, au motif qu’il existait des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur se trouvait dans une situation où il risquait d’être suborné afin de commettre un acte ou d’aider ou d’inciter une personne à commettre un acte susceptible de constituer un risque pour la sûreté du transport maritime. Dans cette affaire, le rapport de VAC indiquait que le demandeur n’avait fait l’objet d’aucune déclaration de culpabilité connue, mais était identifié comme un membre actif d’un groupe du crime organisé indo‑canadien. Le rapport énumérait également la liste des démêlés que le demandeur, ou deux de ses « très proches associés », ses frères, avaient eus avec les autorités chargées de l’application de la loi. De plus, on soupçonnait qu’un de ses deux associés était membre exécutif d’un groupe criminel organisé d’origine indo‑canadienne impliqué dans la contrebande transfrontalière de stupéfiants, groupe qui avait servi à transporter de la cocaïne des États‑Unis vers le Canada. Toujours selon le rapport de VAC, des renseignements indiquaient que le groupe entretenait des liens directs et indirects avec les Hells Angels, la mafia japonaise et des criminels chinois. Par ailleurs, l’autre « très proche associé » du demandeur avait été arrêté en 2008 aux États‑Unis en possession de 107 kilogrammes de cocaïne, avait plaidé coupable à des accusations de possession de cocaïne et de complot et avait été condamné à une peine d’emprisonnement de 60 mois et à trois ans de libération supervisée.

[106]  Le Bureau de réexamen avait souscrit au rapport d’une conseillère indépendante en sécurité selon lequel il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur était un membre actif d’une organisation criminelle. Il demeurait néanmoins préoccupé par les liens que le demandeur entretenait avec ses frères et il a refusé l’habilitation de sécurité. En réponse à l’affirmation du demandeur selon laquelle des « associations innocentes » ne justifient habituellement pas le refus d’une habilitation de sécurité, le juge LeBlanc a écrit :

[30]  En effet, comme le fait remarquer le défendeur, les évaluations en vertu de l’article 509 visent non seulement à établir le caractère du demandeur, mais également à évaluer le risque que le demandeur présente pour la sûreté du transport maritime du fait d’une possible intimidation ou coercition future [je souligne]. En d’autres termes, une telle évaluation « implique la formulation d’éventualités ainsi qu’une analyse prospective » (Farwaha, au paragraphe 94). Le fait que le risque appréhendé d’intimidation ou de coercition ne se soit pas concrétisé au moment de l’évaluation n’est donc pas pertinent.

[31]  Dans de telles circonstances, j’estime que l’association du demandeur avec ses frères fournit au ministre des motifs raisonnables de soupçonner une subornation et de craindre un risque possible pour la sûreté du transport maritime compte tenu des facteurs suivants :

a)  Au cours des dix dernières années, les deux frères ont été incarcérés pour trafic de narcotiques;

b)  Leur implication alléguée au sein d’un groupe criminel organisé d’origine indo‑canadienne spécialisé dans la contrebande de cocaïne entre le Canada et les États-Unis n’est pas remise en doute;

c)  Les deux frères habitaient avec le demandeur, dans le domicile familial, avant d’être incarcérés;

d)  Bien que minimes, le demandeur maintient toujours des contacts avec son frère aîné pendant que son frère benjamin est en prison;

e)  Le demandeur s’est dit inquiet lorsque son frère aîné a été porté disparu;

f)  Son frère benjamin a continué de vivre dans le domicile familial après son arrestation, jusqu’à ce que ses parents n’acceptent plus de se porter garants pour lui en raison de son comportement alors qu’il était en liberté sous caution;

g)  Les deux frères avaient accès au véhicule du demandeur et lui‑même avait accès à leurs véhicules. Alors qu’il conduisait la voiture d’un de ses frères, en 2010, le demandeur a été arrêté par l’Unité mixte d’enquête sur le crime organisé de la Colombie-Britannique de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), une unité qui ne mène pas de simples contrôles routiers mais qui cible, fait enquête, poursuit, perturbe et démantèle les groupes criminels organisés et les personnes qui posent les plus grands risques pour la sécurité du public en raison de leur implication dans la violence des gangs.

[32]  Le dossier fait également mention des craintes exprimées par le Bureau de réexamen selon lesquelles le demandeur ignorait les détails des arrestations de ses frères. Comme l’a souligné le défendeur, une telle ignorance laisse raisonnablement croire que le demandeur a fait preuve de naïveté ou d’aveuglement volontaire, notamment au sujet de son frère aîné qui a passé 60 mois en prison aux États‑Unis pour possession de plus de 100 kilogrammes de cocaïne. En d’autres termes, le demandeur n’a peut-être pas été aussi franc qu’il le prétend au sujet des arrestations de ses frères, ce qui soulève d’autres préoccupations.

[107]  À l’inverse, dans le cas qui nous occupe, le rapport de VAC révèle peu de renseignements. Il ne fait pas de lien direct, ni même présumé, entre M. Lum et le sujet B, et il ne dit pas clairement si le sujet B est actuellement membre d’un groupe criminel organisé. De plus, le directeur général n’a pas analysé les éléments de preuve de M. Lum à propos de la nature de sa relation avec les sujets A et B. Ainsi, la décision n’explique pas pourquoi l’association entre M. Lum et le sujet B, qui serait la rupture du lien de codirection entre M. Lum et le sujet A (l’épouse du sujet B), présentait un niveau de risque qui atteignait celui d’un risque inacceptable pour le public au sens du paragraphe 53(1) du Règlement sur le cannabis.

[108]  Le défendeur soutient que même un lien secondaire avec un individu ayant des antécédents de violation de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances est important lorsqu’on le [traduction] « considère sous l’angle d’une industrie naissante régissant un produit autrefois classé sous la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ».

[109]  Je conviens que ce lien peut être important. Or, pour en arriver à la conclusion qu’un lien ou une association « secondaire » est ou n’est pas important pour déterminer le niveau de risque présenté par un demandeur dans le contexte de la délivrance d’une habilitation de sécurité (Règlement sur le cannabis, art 53(1)), le décideur doit réfléchir à la question et arriver à une décision justifiée et raisonnable :

[102]  Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. Il s’ensuit qu’un manquement à cet égard peut amener la cour de révision à conclure qu’il y a lieu d’infirmer la décision. Certes, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Pâtes & Papier Irving, par 54, citant Newfoundland Nurses, par 14. Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’«[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [. . .] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait » : Ryan, par 55; Southam, par 56. Les motifs qui « ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire » permettent rarement à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui justifie une décision, et [traduction] « ne sauraient tenir lieu d’exposé de faits, d’analyse, d’inférences ou de jugement » : R. A. Macdonald et D. Lametti, « Reasons for Decision in Administrative Law » (1990), 3 R.C.D.A.P. 123, p. 139; voir également Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 750, par 57-59.

(Vavilov, au para 102)

[110]  En l’espèce, le directeur général a décrit le rapport de VAC, les observations de M. Lum et la recommandation du FCIS, et il a mentionné les facteurs énoncés au paragraphe 53(2) du Règlement sur le cannabis qu’il considérait comme pertinents. S’appuyant sur le fait que M. Lum avait été associé aux sujets A et B, il a conclu que M. Lum se trouvait dans une situation visée par l’alinéa 53(2)c) et les divisions 53(2)b)(vii)(A) et (B) du Règlement sur le cannabis. À mon sens, il manque dans la décision une analyse de la nature de l’association et une explication de la raison pour laquelle cette association était suffisante pour confirmer que M. Lum pouvait, de ce fait, présenter un risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques (Règlement sur le cannabis, art 53(1)). Pour ainsi dire, le directeur général s’est fondé exclusivement sur l’existence de l’association entre M. Lum, par l’entremise du sujet A, et le sujet B, mais n’a pas fait le lien entre les circonstances de cette relation et le niveau de risque qui en découle.

[111]  Il ne fait aucun doute que le directeur général pouvait prendre en considération les déclarations de culpabilité du sujet B, même si elles dataient d’un certain temps (Yee Tam c Canada (Transports), 2016 CF 105, au para 16 [Yee Tam]; Christie, au para 25). De plus, le directeur général a manifestement le droit de privilégier la sécurité publique (Brown c Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au para 71 [Brown]. En outre, une participation personnelle au crime organisé n’est pas requise; une simple association suffit (Del Vecchio, au para 34, conf par 2018 CAF 168, au para 6; Fontaine, aux para 83‑84).

[112]  Cependant, il y a lieu d’établir une distinction entre ces affaires – Yee Tam, Christie, Brown, Del Vecchio et Fontaine, de même que Henri et Rossi – et le cas qui nous occupe. Dans toutes ces décisions, les demandeurs avaient une association directe, même si elles dataient d’un certain temps, avec des membres de gang ou le crime organisé, avaient fait l’objet d’accusations criminelles en lien avec des substances contrôlées ou étaient directement impliqués dans des activités relatives à la drogue ou d’autres activités criminelles, ou entretenaient un lien familial étroit ou présent avec la personne accusée ou impliquée et étaient au courant de l’activité criminelle des membres de la famille (voir aussi Randhawa, aux para 28‑32; Wu c Canada (Procureur général), 2016 CF 722, aux para 27‑36). La situation de ces demandeurs n’est pas semblable à celle de M. Lum. Ce dernier n’a fait l’objet d’aucune accusation ou déclaration de culpabilité au criminel, ainsi qu’il est indiqué dans le rapport de VAC, et a fait valoir qu’il n’entretenait qu’un lien indirect avec le sujet B en étant codirigeant avec le sujet A, qui était l’épouse du sujet B, une affirmation qui n’est pas remise en question dans le rapport de VAC.

[113]  À mon avis, étant donné que le rapport de VAC ne présente aucun renseignement donnant à penser qu’il existe une association directe ou étroite entre M. Lum et le sujet B, et compte tenu du « papillon adhésif » qui semble indiquer que M. Lum n’avait aucun lien avec le sujet B, sinon par l’entremise du sujet A, et étant donné que, dans toutes les décisions précitées, il existait une preuve d’un lien nettement plus direct ou étroit entre les demandeurs et les personnes associées qui confirmait le risque connexe pour la sécurité publique, le directeur général était tenu d’examiner la nature de la relation entre M. Lum et les sujets A et B. Comme le directeur général, ni dans ses motifs ni dans son analyse, n’a expliqué pourquoi et comment cette association donne lieu à un niveau de risque « inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques » (Règlement sur le cannabi, art. 53(1)), la décision est déraisonnable (Vavilov, au para 102).

[114]  Les demandeurs soutiennent également que le directeur général a agi de manière déraisonnable en se fondant sur l’alinéa 53(2)c) du Règlement sur le cannabis. L’article 52 énumère les facteurs que le ministre peut prendre en considération pour établir le niveau de risque que présente un demandeur. L’alinéa 53(2)c) est l’un de ces facteurs, soit le fait qu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur risque d’être incité à commettre un acte, ou à aider ou à encourager toute personne à commettre un acte, qui pourrait présenter un risque pour la santé ou la sécurité publiques. Les demandeurs soutiennent que rien n’indiquait que M. Lum se trouvait dans cette situation et que ses propres observations démontraient le contraire.

[115]  Toutefois, le directeur général n’était pas tenu de croire, selon la prépondérance des probabilités, que M. Lum commettrait un tel acte ou aiderait toute personne à en commettre un. Il lui suffisait d’être convaincu qu’il y avait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il pouvait le faire, lequel acte pourrait constituer un risque pour la sécurité ou la santé publiques (Henri, au para 27c), citant MacDonnell, au para 29; Rossi, au para 23). Le directeur a effectivement évalué le niveau de risque que M. Lum pourrait poser à l’avenir. Cette évaluation consistait, notamment, à déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve dont il disposait. En l’espèce, ces éléments de preuve étaient notamment : 1) les observations de M. Lum; 2) le rapport de VAC, qui faisait état de l’association de M. Lum, par l’entremise du sujet A, avec le sujet B, qui avait été reconnu coupable d’infractions criminelles relatives au trafic et à la possession de stupéfiants, ainsi que de possession d’une arme à autorisation restreinte non enregistrée; et 3) la recommandation du FCIS. Dans son évaluation du niveau de risque, le directeur général pouvait accorder plus de poids au rapport de VAC qu’aux observations de M. Lum selon lesquelles il ne mettrait pas en péril sa carrière ou sa réputation en se livrant à des activités qui pourraient constituer un risque pour la santé publique. Cela dit, sans une évaluation de la nature de la relation entre M. Lum et les sujets A et B, il est impossible de savoir pourquoi le directeur général était persuadé qu’il y avait des motifs raisonnables de soupçonner que M. Lum pouvait être incité à commettre un acte, ou à aider ou à encourager toute personne à commettre un acte, qui pourrait présenter un risque pour la santé ou la sécurité publiques.

[116]  Le défendeur fait valoir que la Cour devrait faire preuve d’une grande déférence envers le directeur général et le FCIS, dont le domaine d’expertise est la sécurité du personnel. Je suis d’accord et je reconnais que, selon l’arrêt Vavilov, « [l]’attention respectueuse accordée à l’expertise établie du décideur peut indiquer à une cour de révision qu’un résultat qui semble déroutant ou contre‑intuitif à première vue est néanmoins conforme aux objets et aux réalités pratiques du régime administratif en cause et témoigne d’une approche raisonnable compte tenu des conséquences et des effets concrets de la décision » (au para 93).

[117]  Cependant, la décision du directeur général est dénuée d’une analyse ou de motifs qui me permettraient de comprendre pourquoi il était raisonnable de conclure que l’association indirecte ou « secondaire », comme l’a décrit le défendeur, de M. Lum avec le sujet B a donné lieu à un niveau de risque qui mettait en cause le paragraphe 53(1). Je ne puis non plus comprendre pourquoi, vu la relation indirecte, cette association donnait des motifs raisonnables de soupçonner que M. Lum pouvait être incité à commettre un acte, ou à aider et à encourager toute personne à commettre un acte, qui pourrait constituer un risque pour la santé ou la sécurité publiques. Le directeur général a conclu que l’existence de cette association plaçait M. Lum [traduction] « dans une situation visée » à l’alinéa 53(2)c) et aux divisions 53(2)b)(vii)(A) et (B). Peut‑être bien. Mais le directeur général n’est pas allé plus loin et n’a pas expliqué pourquoi il considérait que la nature de l’association faisait en sorte que le risque présenté par M. Lum équivalait à un risque inacceptable pour la santé et la sécurité publiques. Je ne saurais non plus parvenir à cette conclusion au vu du dossier dont je dispose sans me lancer dans des hypothèses ou des conjectures et interpréter des « papillons adhésifs » sibyllins.

[118]  Cela ne veut pas dire que la décision du directeur général devait forcément être déraisonnable. En fait, elle est déraisonnable parce que le directeur général n’a pas justifié sa conclusion.


JUGEMENT dans le dossier T-1533-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision par laquelle le directeur général a refusé d’accorder une habilitation de sécurité à M. Kan Paul Lum est annulée.

  2. L’affaire est renvoyée au directeur général pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant compte des présents motifs.

  3. Les dépens sont adjugés aux demandeurs.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, traductrice


ANNEXE A

Loi sur le cannabis, LC 2018, c 16

Objet

7 La présente loi a pour objet de protéger la santé et la sécurité publiques, et notamment :

  […]

c) de permettre la production licite de cannabis afin de limiter l’exercice d’activités illicites qui sont liées au cannabis;

d) de prévenir les activités illicites liées au cannabis à l’aide de sanctions et de mesures d’application appropriées;

[…]

Pouvoir de délivrer, de renouveler ou de modifier

62 (1)   Sous réserve des arrêtés pris en vertu du paragraphe 61(1), des règlements et du paragraphe (2), le ministre peut, sur demande, délivrer, renouveler ou modifier une licence ou un permis qui autorise, selon le cas, l’importation, l’exportation, la production, l’essai, l’emballage, l’étiquetage, l’expédition, la livraison, le transport, la vente, la possession ou la disposition de cannabis ou d’une catégorie de cannabis.

[…]

Motifs du refus

(7) Le ministre peut refuser de délivrer, de renouveler ou de modifier une licence ou un permis dans les cas suivants :

a) la délivrance, le renouvellement ou la modification est susceptible d’entraîner des risques pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque de détournement du cannabis vers un marché ou pour une activité illicites;

b) il y a des motifs raisonnables de croire que des renseignements faux ou trompeurs ont été fournis dans la demande ou que des documents faux ou falsifiés ont été fournis à l’appui de celle-ci;

c) le demandeur a contrevenu, au cours des dix dernières années, à une disposition de la présente loi, de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, de la Loi sur les aliments et drogues ou de leurs règlements;

d) il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur a contrevenu, au cours des dix dernières années :

(i) soit à un arrêté pris sous le régime de la présente loi, de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou de la Loi sur les aliments et drogues,

(ii) soit à l’une des conditions d’une autre licence ou d’un autre permis qui lui a été délivré sous le régime de la présente loi ou l’une de ces lois;

e) le demandeur est :

(i) un jeune,

(ii) un individu qui ne réside pas habituellement au Canada,

(iii) une organisation qui a été constituée, formée ou organisée de toute autre façon à l’extérieur du Canada;

f) une habilitation de sécurité liée à la demande a été refusée ou annulée;

g) le ministre est d’avis qu’il est dans l’intérêt public de refuser de délivrer, de renouveler ou de modifier la licence ou le permis;

h) un autre motif prévu par règlement justifie le refus.

[…]

Habilitation de sécurité

67 (1)  Le ministre peut, sous réserve des règlements, accorder, refuser, suspendre ou annuler toute habilitation de sécurité.

Demandes — licence ou permis

158 (9) Sous réserve des règlements pris en vertu du paragraphe 161(1), toute demande visant la délivrance d’une licence au titre de l’article 35 du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales ou d’un permis au titre des articles 95 ou 103 de ce règlement à l’égard de laquelle, à la date de référence, aucune décision finale n’a été prise est réputée être une demande, selon le cas, de licence ou de permis visée à l’article 62 de la présente loi.

Demandes — habilitation de sécurité

158 (10) Sous réserve des règlements pris en vertu du paragraphe 161(1), toute demande visant la délivrance d’une habilitation de sécurité en application de l’article 110 du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales et à l’égard de laquelle, à la date de référence, aucune décision finale n’a été prise est réputée être une demande d’habilitation de sécurité visée à l’article 67 de la présente loi.

Règlement sur le cannabis, DORS/2018-144

Approbation du ministre

20(3)  Sur réception de la demande, le ministre peut exiger des renseignements supplémentaires au sujet de ceux contenus dans la demande et dont il a besoin pour l’examiner.

[…]

Habilitation de sécurité

50 Les individus ci-après doivent être titulaires d’une habilitation de sécurité :

a) l’individu qui est titulaire d’une licence de culture, de transformation ou de vente;

b) si le titulaire d’une licence de culture, de transformation ou de vente est une personne morale :

(i) les dirigeants et administrateurs de celle-ci,

(ii) tout individu qui en exerce ou est en mesure d’en exercer directement le contrôle,

(iii) les dirigeants et administrateurs de toute personne morale ou coopérative qui en exerce ou est en mesure d’en exercer directement le contrôle,

(iv) dans le cas où une société de personnes en exerce ou est en mesure d’en exercer directement le contrôle, les individus qui sont des associés de celle-ci,

(v) dans le cas où une société de personnes en exerce ou est en mesure d’en exercer directement le contrôle et où l’un des associés de celle-ci est une personne morale, les dirigeants et administrateurs de cette personne morale;

[…]

51 Seuls les individus ci-après peuvent présenter une demande d’habilitation de sécurité :

a) ceux qui sont tenus d’être titulaires d’une habilitation de sécurité;

b) ceux qui seront tenus d’être titulaires d’une habilitation de sécurité si une demande de licence, de renouvellement ou de modification déposée auprès du ministre est accordée;

c) ceux qui seront tenus d’être titulaires d’une habilitation de sécurité si une transaction commerciale en cours se réalise;

d) ceux qui ont été sélectionnés pour occuper un poste visé à l’un des alinéas 50e) à h) ou qui seront leurs suppléants;

e) ceux qui ont été sélectionnés pour occuper un poste que le ministre a précisé en vertu du paragraphe 67(2) de la Loi ou qui ont été avisés que le ministre a l’intention de préciser, en vertu de ce paragraphe, leur nom ou le poste qu’ils occupent.

Vérifications

52 Le ministre peut, en tout temps, effectuer les vérifications nécessaires afin d’établir si le demandeur d’une habilitation de sécurité ou le titulaire d’une telle habilitation présente un risque pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites; il peut notamment effectuer une vérification :

a) du casier judiciaire du demandeur ou du titulaire;

b) des dossiers pertinents — concernant le demandeur ou le titulaire — des organismes chargés d’assurer le respect des lois, notamment des renseignements recueillis pour assurer l’observation des lois.

Délivrance de l’habilitation

53(1)  Avant de délivrer une habilitation de sécurité, le ministre doit établir, en tenant compte de toute condition dont il assortit la licence en vertu du paragraphe 62(10) de la Loi, que le demandeur ne présente pas de risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites.

Facteurs

(2) Afin d’établir le niveau de risque que présente le demandeur, il peut notamment prendre en considération les facteurs suivants :

a) les circonstances, la gravité, le nombre et la fréquence de tout événement ou de toute condamnation pertinents, la date du dernier événement ou de la dernière condamnation, ainsi que toute peine et décision;

b) la question de savoir s’il est connu — ou s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner — que le demandeur, selon le cas :

(i) participe ou contribue, ou a participé ou contribué, à des activités qui sont interdites par la section 1 de la partie 1 de la Loi ou qui contreviennent à l’une de ses dispositions, à l’exclusion des alinéas 8(1)a) à e), ou qui sont interdites par la sous-section E de la section 2 de la partie 1 de la Loi ou qui contreviennent à l’une de ses dispositions,

(ii) participe ou contribue, ou a participé ou contribué, à des activités qui sont interdites par la partie I de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou qui contreviennent à l’une de ses dispositions, à l’exclusion du paragraphe 4(1), ou qui sont interdites par les paragraphes 32(1) ou (2) de cette loi ou qui y contreviennent,

(iii) participe ou contribue, ou a participé ou contribué, à des activités qui sont interdites par les dispositions du Code criminel relatives à la fraude, à la corruption de fonctionnaires, au financement du terrorisme, à la contrefaçon ou au recyclage des produits de la criminalité ou qui y contreviennent,

(iv) participe ou contribue, ou a participé ou contribué, à la perpétration d’une infraction impliquant des actes de violence ou des menaces de violence,

(v) est ou a été membre d’une organisation criminelle au sens du paragraphe 467.1(1) du Code criminel ou participe ou contribue, ou a participé ou contribué, aux activités d’une telle organisation,

(vi) est ou a été membre d’une organisation connue pour sa participation ou sa contribution, ou à l’égard de laquelle il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution, à des activités qui visent ou favorisent des actes de violence ou des menaces de violence, ou participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, aux activités d’une telle organisation,

(vii) est ou a été associé à un individu qui, selon le cas :

(A) est connu pour sa participation ou sa contribution, ou à l’égard duquel il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution, à des activités visées aux sous-alinéas (i) à (iii),

(B) est membre d’une organisation visée aux sous-alinéas (v) ou (vi),

(viii) a comploté en vue de commettre :

(A) une infraction à l’une des dispositions du Code criminel visées au sous-alinéa (iii),

(B) une infraction visée au sous-alinéa (iv),

(C) une infraction prévue à l’un des articles 467.11 à 467.13 du Code criminel;

c) la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur risque d’être incité à commettre un acte — ou à aider ou à encourager toute personne à commettre un acte — qui pourrait présenter un risque pour la santé ou la sécurité publiques;

d) la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que les activités du demandeur, notamment les activités financières, présentent un risque pour l’intégrité du contrôle de la production et de la distribution du cannabis sous le régime de la Loi;

e) la question de savoir si le demandeur a déjà été titulaire d’une habilitation de sécurité qui a été suspendue ou annulée;

f) la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur a fourni au ministre, à un moment quelconque, des renseignements faux ou trompeurs ou des documents faux ou falsifiés;

g) la question de savoir si une entité a refusé de délivrer une habilitation de sécurité au demandeur ou a suspendu ou annulé son habilitation, ainsi que les motifs de la décision.

[…]

Refus de délivrer l’habilitation

55 (1)  S’il a l’intention de refuser de délivrer l’habilitation de sécurité, le ministre en informe le demandeur par avis motivé qui indique le délai dans lequel ce dernier peut lui présenter par écrit ses observations. Le délai commence à courir à la date à laquelle l’avis est fourni et ne peut être inférieur à vingt jours.

Avis de refus

(2) En cas de refus, le ministre en informe par avis écrit le demandeur ainsi que tout titulaire de licence ou demandeur de licence touché par cette décision.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1533-19

 

INTITULÉ :

KAN PAUL LUM ET GRUN LABS, INC. c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE SUR Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUILLET 2020

 

MotifS de jugement et jugement :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 JUILLET 2020

COMPARUTIONS :

Claire E. Hunter, c.r.

Julia E. Roos

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Arnav Patel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hunter Litigation Chambers

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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