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Date : 20040901

 

Dossier : IMM-3230-02

 

Référence : 2004 CF 1203

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2004

 

En présence de monsieur le juge Mosley 

 

 

ENTRE :

 

  MILENKO SUBOTIC ET ROSA SUBOTIC

 

  demandeurs

 

 

  et

 

 

 

 

  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

  défendeur

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

  • [1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 28 février 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission ») a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, conformément à l’ancienne Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. I-2.

  • [2] Je souligne pour commencer que M. Subotic est décédé le 31 octobre 2003, après l’accueil de la demande d’autorisation par ordonnance de la Cour en date du 27 mars 2003. Il souffrait de la maladie d’Alzheimer. Mme Subotic est âgée de 72 ans. L’audition de la présente demande a été ajournée à quatre reprises en 2003-2004 : premièrement, en raison du demandeur et pour donner l’occasion à la demanderesse de retenir les services d’un avocat ou pour se préparer à se représenter elle-même et à représenter son mari à l’audience; deuxièmement, du fait qu’aucun interprète n’était disponible à l’audition pour traduire pour le fils des demandeurs qui a comparu au nom de ses parents et troisièmement, en raison d’une maladie soudaine de la demanderesse.

  • [3] J’ai entendu la présente cause pour la première fois le 5 août 2004, date à laquelle le fils de la demanderesse a comparu. Il a indiqué que des efforts étaient faits pour retenir les services d’un avocat, un en particulier a été cité comme étant prêt à défendre leur cause. Cela étant, j’ai accepté d’ajourner l’audience de nouveau et une date a été prévue pour tenir l’audition. Personne n’a comparu le jour de l’audition des demandeurs et le personnel de la Cour m’a informé que l’avocat cité a indiqué que ses services n’avaient pas été retenus et que les efforts qui avaient été faits pour communiquer avec la demanderesse et son fils ont échoué. Le défendeur opposant avec justesse tout autre ajournement, j’ai procédé à l’audition.

  • [4] Rosa Subotic est une Serbe bosniaque de Bosnie-Herzégovine et elle a allégué avoir une crainte fondée d’être persécutée en raison de son ethnicité. Elle et son mari étaient originaires de la ville de Breza en Bosnie-Herzégovine. En 1992, la Bosnie est devenue une nation indépendante et leur ville est devenue divisée selon des lignes ethniques. Breza est tombée sous le contrôle musulman et il y avait de la haine et du harcèlement contre les Serbes et du vandalisme contre les biens serbes.

  • [5] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 4 avril 2000 et ils ont présenté une demande d’asile environ une semaine plus tard. Leur audience devant la Commission a eu lieu le 16 janvier 2002. Le fils et la fille cadets des demandeurs habitent au Canada, toutefois, leur fils aîné vit toujours à Bjeljina et n’est pas en mesure de prendre soin d’eux.

  • [6] La Commission a conclu que le demandeur était incompétent à témoigner pour son propre compte et par conséquent la demanderesse a fait office de représentante désignée pour lui. La Commission a accepté que les demandeurs étaient des Serbes bosniaques et a par ailleurs conclu que la demanderesse était un témoin crédible.

  • [7] La Commission a affirmé que, même si l’État de la Bosnie-Herzégovine tentait de mettre fin aux violations des droits de la personne, il existait encore de « graves problèmes ». La Commission a conclu toutefois que les demandeurs avaient subi de la discrimination plutôt que de la persécution. La Commission a également conclu que les demandeurs n’étaient pas traités comme des déserteurs. Pour ces motifs, la Commission a rejeté leurs demandes d’asile aux termes de la Convention.

 

 

 


 

 

 


QUESTIONS EN LITIGE

 

  • [8] 1. La Commission a-t-elle privé les demandeurs de l’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas permis au demandeur de témoigner?

2. La Commission a-t-elle erré en ne reconnaissant pas que les demandeurs étaient persécutés?

3. La Commission a-t-elle erré en ne tenant pas compte de l’absence de protection de l’État?

 

ANALYSE

 

La Commission a-t-elle privé les demandeurs de l’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas permis au demandeur de témoigner?

 

  • [9] La demanderesse affirme qu’elle et son mari ont été privés de l’équité procédurale par la Commission lorsqu’elle n’a pas permis à M. Subotic de témoigner. Le défendeur soutient que la Commission n’a pas manqué à l’équité procédurale puisque la demanderesse a donné un long témoignage au cours de l’audience et qu’aucune objection n’a été formulée par l’avocat des demandeurs à l’audience sur la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas apte à témoigner.

  • [10] Ayant examiné la transcription de l’audience devant la Commission, il n’y a rien pour motiver l’affirmation de la demanderesse selon laquelle un principe d’équité procédurale n’a pas été respecté. Lors de l’audience, l’avocat de Mme Subotic a demandé si elle était d’accord que son mari n’était pas en mesure de répondre à des questions et si elle serait à l’aise d’agir comme son porte-parole. Elle a répondu oui aux deux questions (dossier du Tribunal, aux pp. 206 et 207). Ayant conclu que M. Subotic n’était pas apte à témoigner, la Commission s’est assurée que Mme Subotic avait compris sa conclusion et qu’elle acceptait d’être son porte-parole (dossier du Tribunal, à la p. 208).La Commission et l’avocat des demandeurs semblaient mettre tout en œuvre pour s’assurer que Mme Subotic avait tout compris et qu’elle acceptait d’être la représentante désignée. Dans les circonstances, il n’y a pas eu de manquement à l’obligation d’équité en ne permettant pas à M. Subotic de témoigner.

 


 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne subiraient pas de persécution s’ils retournaient en Bosnie-Herzégovine?

 

  • [11] Dans ses observations écrites, la demanderesse affirme que le tribunal n’a fourni aucun élément de preuve appuyant sa conclusion voulant qu’elle et son mari ne subissent aucun préjudice corporel s’ils retournaient en Bosnie-Herzégovine.

  • [12] Même si les éléments de preuve documentaire cités par la Commission et par les demandeurs énoncent que les policiers maltraitent les personnes en détention, rien n’indique que la demanderesse sera détenue si elle retourne. La décision Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 RCF 3 [1re inst.] ne s’applique pas en l’espèce.

 

 

La Commission a-t-elle erré en ne tenant pas compte de l’absence de protection de l’État?

 

  • [13] La demanderesse soutient que la Commission n’avait pas tenu compte de l’absence de protection de l’État à leur égard, ayant accepté que les Subotic fussent victimes de violence verbale. Toutefois, d’après mon examen du dossier, la Commission s’est posé la question à savoir s’il y avait absence de protection de l’État. Elle a mentionné que les éléments de preuve documentaires indiquaient qu’il y avait encore plusieurs problèmes en Bosnie-Herzégovine, toutefois, il semble que la Commission n’ait émis aucune conclusion sur cette question parce qu’elle avait conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à de la persécution, mais seulement à de la discrimination. La question de la protection de l’État était, par conséquent, non pertinente et elle n’était pas une question que la Commission devait analyser.

 


La Commission a-t-elle erré en ne tenant pas compte de l’absence de protection de l’État?

 

  • [14] La demanderesse soutient que la Commission n’avait pas tenu compte de l’absence de protection de l’État à leur égard, ayant accepté que les Subotic fussent victimes de violence verbale. Toutefois, d’après mon examen du dossier, la Commission s’est posé la question à savoir s’il y avait absence de protection de l’État. Elle a mentionné que les éléments de preuve documentaires indiquaient qu’il y avait encore plusieurs problèmes en Bosnie-Herzégovine, toutefois, il semble que la Commission n’ait émis aucune conclusion sur cette question parce qu’elle avait conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à de la persécution, mais seulement à de la discrimination. La question de la protection de l’État était, par conséquent, non pertinente et elle n’était pas une question que la Commission devait analyser.

 

La Commission a-t-elle erré en ne reconnaissant pas que les demandeurs étaient persécutés?

 


  • [15] Dans ses observations écrites, la demanderesse affirme : [traduction] « Le tribunal affirme que les demandeurs eux-mêmes n’ont pas été traités comme des déserteurs. Le tribunal a omis de prendre les valeurs culturelles [sic] en l’espèce et a omis de préciser que les demandeurs sont traités dans leur pays d’origine comme étant coupables par association. » Il semble, en l’espèce, que la demanderesse dit que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas reconnu qu’elle et son mari étaient considérés comme étant des déserteurs. Toutefois, elle se fonde sur la décision Bhatti c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 84 F.T.R. 145, une décision qui traite du concept de persécution indirecte. La décision Bhatti a expressément été infirmée par la Cour d’appel fédérale par l’arrêt Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1997), 215 N.R. 174, qui a conclu que la persécution indirecte n’est pas un principe qui devrait être reconnu par le droit canadien en matière de réfugiés : l’observation de la demanderesse sur ce point doit donc être rejetée. Par ailleurs, la Commission n’a pas tiré de conclusion sur la question de la persécution de membre de la famille des demandeurs, elle a plutôt déterminé qu’ils avaient été victimes de discrimination et de harcèlement au lieu de persécution.

  • [16] Le défendeur affirme qu’en soutenant qu’elle avait été victime de persécution et non seulement de discrimination, la demanderesse demande à la Cour de réexaminer la preuve. La norme de contrôle applicable au réexamen de la preuve est la norme de la décision manifestement déraisonnable, et en l’espèce, la demanderesse n’a pas donné de raison expliquant que la conclusion de la Commission est manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 319 (C.A.F.).

  • [17] Faisant référence à l’arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.), le défendeur affirme que la « persécution » a été définie par la Cour d’appel fédérale comme étant le fait d’infliger sans relâche des traitements cruels ou une succession de mesures prises systématiquement pour punir en raison d’un motif prévu à la Convention. Le simple harcèlement ou la simple discrimination n’est pas suffisant. Le défendeur soutient que la Commission a conclu que les demandeurs avaient été victimes d’un harcèlement verbal, qui s’élevait à de la discrimination et non à de la persécution. S’il existait des éléments de preuve documentaires démontrant que la demanderesse serait victime de persécution à son retour, alors il incombe à la demanderesse de les présenter. Le défendeur cite l’arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1989) 57 D.L.R. (4th) 153 (C.A.F.) au soutien de son observation.

  • [18] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 1 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a énoncé au paragraphe 83 :

 

 

 

En second lieu, les opinions politiques imputées au demandeur et pour lesquelles celui‑ci craint d’être persécuté n’ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes. Les circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c’est ce qui est déterminant lorsqu’il s’agit d’inciter à la persécution.

 

 

 

  • [19] On peut en dire autant d’autres croyances imputées. La demanderesse affirme que la Commission n’a pas examiné si elle et son mari étaient traités comme étant « coupables par association » comme l’exige la Cour suprême, étant considérés comme des déserteurs. Toutefois, à mon avis, la Commission a examiné cette question aux pages 10 et 11 de sa décision. Elle ne croyait pas que les demandeurs étaient traités comme des déserteurs d’après une comparaison entre la façon dont les déserteurs et les non-déserteurs sont traités en Serbie, comme il est indiqué dans la preuve documentaire.

  • [20] Le raisonnement de la Commission n’est pas exempt d’erreur, car elle fonde sa décision en partie sur le fait que les demandeurs n’étaient pas autorisés à voyager librement entre la Bosnie et la Serbie. L’élément de preuve documentaire cité par la Commission ne dit pas toutefois que les déserteurs sont confrontés à des restrictions en matière de déplacement. Cette erreur, par contre, n’invalide pas la décision de la Commission, car elle a également conclu que les demandeurs n’étaient pas traités comme des déserteurs puisqu’ils avaient accès à un logement. Ce fait apparaît effectivement dans la preuve documentaire, à savoir que les déserteurs n’ont pas accès au logement.

  • [21] En conclusion, il est évident que Mme Subotic a souffert d’énormes traumatismes en Bosnie-Herzégovine et qu’elle a pris soin de son fils et sa fille et les a supportés ici au Canada. Par ailleurs, la Commission a jugé qu’elle était un témoin crédible. De tels facteurs, comme l’avocat du défendeur l’a justement souligné dans son plaidoyer final, indiquent qu’elle serait une bonne candidate pour une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

 


 

  ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

    « Richard G. Mosley » 

  J.C.F.  

 

 

 


  COUR FÉDÉRALE

 

  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  IMM-3230-02

 

INTITULÉ :  MILENKO SUBOTIC ET ROSA SUBOTIC

  demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

  défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 1er SEPTEMBRE 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :  LE 1er SEPTEMBRE 2004

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

 

Aucune comparution 

 

POUR LES DEMANDEURS

(pour leur propre compte)

 

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Rosa Subotic

Hamilton (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

(pour leur propre compte)

 

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 


 

  COUR FÉDÉRALE

 

 

 

Date : 20040901

 

Dossier : IMM-3230-02

 

 

 

ENTRE :

 

MILENKO SUBOTIC ET ROSA SUBOTIC

 

  demandeurs

 

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

  défendeur

 

 

 

 

   

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

   

 

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