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Dossier : IMM‑4503‑19

Référence : 2020 CF 355

[TRADUCTION FRANÇAISE] 

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ARAZ MOHAMMED MAMDOH ALBRIFCANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas (l’agent) de la Section des visas de l’ambassade du Canada à Ankara, en Turquie, qui a rejeté la demande de permis de travail du demandeur, au motif que ce dernier était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, puisque la décision n’est pas justifiée ni intelligible.

Contexte

[3]  Le demandeur, Araz Mohammed Mamdoh Albrifcani, est un citoyen de l’Irak. En 2018, il a présenté une demande de permis travail fondée sur une étude d’impact sur le marché du travail favorable. Le demandeur a joint à sa demande, quoiqu’il n’ait pas été tenu de le faire, ses résultats de l’International English Language Testing System (l’IELTS) datés du 24 janvier 2018.

[4]  Le demandeur a reçu une lettre d’équité procédurale datée du 12 février 2019, l’informant que l’agent craignait que l’IELTS, que le demandeur avait soumis, soit frauduleux. Le demandeur a répondu par une lettre datée du 13 février 2019. Il a expliqué comment il en était venu à entendre parler du cours d’anglais de huit semaines offert par Modern Up à Duhok, qu’il avait payé et auquel il avait assisté, qu’il avait subi l’examen le 12 janvier 2018 et qu’il avait par la suite obtenu ses résultats de l’IELTS de Modern Up le 25 janvier 2018. Le demandeur a déclaré qu’il n’imaginait pas que les résultats n’étaient pas authentiques. Il a indiqué qu’après avoir reçu la lettre d’équité procédurale, il avait tenté de communiquer avec Modern Up et d’obtenir des précisions, mais que la ligne téléphonique était hors service et que, lorsque son épouse s’était rendue en personne pour poser des questions, elle avait découvert que l’installation était fermée. Il a proposé de passer à nouveau un examen d’anglais dans une installation sûre lorsqu’il serait au Canada.

Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  La lettre du 28 mai 2019 indiquait que l’agent avait conclu que la demande de permis de travail présentée par le demandeur ne respectait pas les exigences de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, et avait été rejetée parce que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Par conséquent, en application de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR, le demandeur était interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans à compter de la date de la lettre.

[6]  D’autres raisons figurent dans les notes consignées au Système mondial de gestion des cas (les notes versées au SMGC). Dans une entrée faite le 12 février 2019, l’agent a noté qu’à la suite d’une procédure [traduction« d’AQ », il avait été découvert que les résultats de l’IELTS étaient frauduleux, et qu’une lettre d’équité procédurale avait donc été envoyée au demandeur. Une entrée faite le 13 mai 2019 indique que, dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, le demandeur [traduction« a déclaré qu’il avait subi un examen à un centre Modern Up en Irak. Il a déclaré que, lorsque nous avions envoyé la lettre d’équité procédurale, son épouse et lui avaient tenté de communiquer avec le centre, mais qu’il n’existait plus. Le client ne semble pas nier que l’IELTS était frauduleux. Je recommande l’interdiction de territoire pour fausses déclarations ». Une entrée faite le 28 mai 2019, par un autre agent, indique que le demandeur a répondu à la lettre d’équité procédurale, mais qu’il [traduction« [n’a pas répondu] à nos préoccupations quant à la raison pour laquelle il a présenté des résultats frauduleux d’IELTS au soutien de la demande », et il a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations.

[7]  Au moyen d’une lettre datée du 28 mai 2019, l’agent a communiqué une décision défavorable au demandeur, l’informant qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations. C’est cette décision défavorable qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

Questions en litige et la norme de contrôle

[8]  Dans ses observations écrites, le demandeur a mentionné deux questions soulevées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :

  1. Le délégué du ministre a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité en n’indiquant pas pourquoi et comment il a conclu que l’IELTS était frauduleux, ne donnant pas ainsi au demandeur une occasion véritable de répondre aux préoccupations?
  2. L’agent a‑t‑il fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve?

[9]  Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a soulevé une nouvelle question, non abordée dans son avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ou ses observations écrites, soit que l’agent n’avait pas le pouvoir de rendre la décision. Le fondement de cette observation est l’article 44 de la LIPR, qui indique que, s’il estime que l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport qu’il transmet au ministre. S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête (LIPR, art 44(2)). En l’espèce, le demandeur détenait un permis de travail valide et il était employé légalement au Canada lorsque la décision a été rendue, mais le processus de l’article 44 n’a pas été suivi. Le demandeur a sollicité l’autorisation de présenter d’autres observations écrites sur ce point.

[10]  Le défendeur a soutenu que la seule question en litige était de savoir si l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle. Il n’était pas en mesure de répondre à la nouvelle question du demandeur, étant donné qu’il n’en avait pas eu de préavis.

[11]  Quant à la demande de permettre d’autres observations écrites abordant un nouveau motif de contrôle, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire doit indiquer et aborder les motifs que l’on souhaite invoquer, y compris la mention de tout texte de loi (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, alinéa 5(1)f)). En outre, la Cour a conclu qu’elle ne traiterait que des motifs de contrôle soulevés dans le dossier d’avis de demande (voir, par exemple, Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au para 227). Par conséquent, je rejette la demande présentée à la dernière minute par le demandeur. De plus, en tout état de cause, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs énoncés ci‑dessous, ce qui rend cette demande théorique.

[12]  Je vais reformuler ainsi les questions présentées par le demandeur :

[13]  Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), lorsqu’elle a établi la décision raisonnable comme norme présumée pour la majorité des questions dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour suprême du Canada se préoccupait de situations « en cas de contestation qui porte sur le fond d’une décision administrative », et elle a indiqué qu’une contestation sur le fond ne portait pas sur la justice naturelle ou l’obligation d’équité procédurale (Vavilov aux para 16, 23). Par conséquent, la jurisprudence antérieure établissant la décision correcte comme norme de contrôle pour les questions liées à l’équité procédurale fait toujours autorité.

[14]  Je suis aussi d’accord avec les parties pour dire que les questions de savoir si l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur avait fait de fausses déclarations importantes et s’il a raisonnablement rejeté la demande de permis de travail du demandeur sont des questions visées par un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Comme il a été mentionné ci‑dessus, Vavilov a établi une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable était la norme pour le contrôle judiciaire. Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations. La première est lorsque le législateur a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou a prévu un mécanisme d’appel d’une décision administrative devant une cour. La deuxième situation est celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas pour certaines catégories de question, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs, ou toute autre catégorie qui pourrait ultérieurement être reconnue comme exceptionnelle et appelant également un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov aux para 17, 69). Toutefois, en l’espèce, il n’existe aucune des circonstances qui pourraient réfuter cette présomption.

[15]  La Cour suprême a aussi conclu dans Vavilov qu’« [a]fin de remplir la promesse formulée dans l’arrêt Dunsmuir d’assurer “la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue”, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable [devait] comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : par. 28 » (Vavilov au para 12). La cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov au para 15). Ainsi, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable signifie que la Cour doit décider si la décision sous‑jacente est justifiée, intelligible et transparente et « si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99).

Analyse

[16]  Je reconnais que le demandeur a formulé un certain nombre d’observations pour tenter de faire valoir que la décision de l’agent manquait à l’obligation d’équité procédurale à son égard. Toutefois, à mon avis, cette question peut être tranchée de façon décisive sur la base des observations du demandeur concernant le caractère raisonnable de la décision de l’agent.

La position du demandeur

[17]  Le demandeur soutient que les notes versées au SMGC indiquent que l’agent a fondé la conclusion de fausses déclarations sur deux facteurs. D’abord, la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale ne rejoignait pas les préoccupations quant à la raison pour laquelle il avait présenté des résultats frauduleux de l’IELTS et, ensuite, il ne semblait pas nier que les résultats de l’IELTS étaient frauduleux.

[18]  Le demandeur soutient, sur le premier point, que l’agent n’a pas fourni de détails sur la préoccupation à laquelle le demandeur aurait pu véritablement répondre. Quant au deuxième fondement du refus, les motifs de l’agent démontrent que la décision a été prise sans égard à la preuve. Bien que l’agent ait déclaré que le demandeur ne semblait pas nier que les résultats étaient frauduleux, le demandeur a clairement affirmé qu’il croyait que les résultats étaient authentiques et qu’il avait l’impression qu’ils étaient légitimes. Comme la conclusion énoncée de l’agent était le seul fondement fourni pour la décision, cela va au cœur de la décision et ne représente pas un résultat pouvant se justifier.

[19]  Le demandeur soutient aussi que rien dans le dossier ne démontre comment l’agent a conclu que les résultats d’IELTS du demandeur étaient frauduleux, en dehors de ses notes versées au SMGC qui font mention d’une [traduction« AQ ». À défaut de toute preuve pour appuyer la conclusion de l’agent, cette dernière n’est pas justifiée et elle est déraisonnable (Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183, aux para 37, 40 (Kong)). En outre, en se concentrant uniquement sur l’AQ, l’agent a omis d’examiner l’explication du demandeur fournie en réponse à la lettre d’équité procédurale (Kong aux para 37, 40).

La position du défendeur

[20]  Le défendeur semble qualifier cette question de problème d’équité procédurale, parce qu’il est d’avis que le demandeur fait essentiellement valoir que l’agent a omis de fournir des motifs.

[21]  Le défendeur soutient que l’agent des visas n’avait pas à donner de motifs détaillés, que les lacunes peuvent être comblées par la Cour en s’appuyant sur des inférences logiques, virtuellement comprises dans le résultat, mais non expressément énoncées, et qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard du décideur (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115 au para 24 (Singh); Gechuashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 365 au para 22; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54).

[22]  En outre, lorsque les notes versées au SMGC sont lues par rapport au dossier dans son ensemble, elles comprennent suffisamment de détails pour permettre à une cour de révision de conclure que la décision de l’agent était raisonnable. Les notes versées au SMGA indiquent que l’agent a conclu au moyen d’une AQ que les résultats de l’IELTS pouvaient être frauduleux. L’agent a utilisé un langage dans la lettre d’équité procédurale qui, selon la jurisprudence, avise un demandeur qu’un agent est d’avis que l’authenticité de tout le document est problématique (Akpoduado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 103 au para 26; Kong au para 26). En outre, le demandeur a omis de fournir des éléments de preuve pour appuyer sa croyance quant à la légitimité des résultats de l’examen IELTS. Par conséquent, l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que les résultats de l’examen étaient exacts et authentiques. Ce raisonnement et cette conclusion peuvent être déduits des notes de l’agent versées au SMGC, lesquelles indiquent que le demandeur n’a pas abordé la préoccupation quant à la raison pour laquelle il avait présenté des résultats frauduleux de l’IELTS. De plus, les entrées au SMGC datées du 13 mai 2019 et du 28 mai 2019 indiquent que l’agent a examiné la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale. L’entrée du 13 mai 2019 examine la réponse et celle du 28 mai 2019 y fait allusion. Selon le défendeur, rien dans la preuve au dossier ne permet de prouver que l’agent n’a pas examiné en entier la réponse à la lettre d’équité procédurale.

Analyse

[23]  À titre d’observation préliminaire, je note que le 13 décembre 2019, l’avocat du demandeur a envoyé une lettre à la Cour pour indiquer que les notes de l’agent versées au SMGA mentionnent une [traduction« AQ » qui démontre que le demandeur a fait de fausses déclarations. L’avocat a déclaré qu’il n’y avait aucun document d’AQ au dossier et qu’il était essentiel de divulguer ces documents dans le cadre du DCT. L’avocate du défendeur a répondu par lettre le 3 janvier 2020 pour déclarer que le défendeur pouvait indiquer qu’il ne manquait aucun document dans le DCT. Le défendeur a indiqué que l’AQ ou [traduction« assurance de la qualité » effectuée par l’agent avait été faite au moyen d’un portail en ligne qui vérifiait les résultats de l’IELTS du demandeur selon un numéro de rapport de test. Le portail n’a pas donné de résultats, et aucun document n’a été produit quant au résultat du processus de vérification. Le 3 janvier 2020, la protonotaire Ring a ordonné le rejet de la demande de divulgation du demandeur, et cela, parce que la demande avait été présentée sous forme d’une demande informelle en redressement interlocutoire et l’une des exigences pour l’octroi de ce type de redressement est que les parties consentent, ou ne s’opposent pas, à la demande. En l’espèce, le défendeur s’est opposé au redressement demandé.

[24]  Au bout du compte, rien dans le dossier n’explique l’entrée suivante dans les notes versées au SMGC du 12 février 2019 : [traduction« Après une AQ, il a été découvert que le client avait présenté un IELTS frauduleux. » Rien dans la preuve dont je dispose n’indique ce qu’est une [traduction« AQ », qui l’a effectuée, comment elle l’a été ou pourquoi l’agent semble s’appuyer sur [traduction] l’« AQ » mentionnée pour étayer la proposition selon laquelle le demandeur avait présenté des résultats frauduleux de l’IELTS. Bien que l’avocate du défendeur ait offert une explication dans sa lettre à la Cour, il ne s’agit pas d’une preuve. L’agent n’a pas présenté d’affidavit pour expliquer pourquoi il n’y avait pas de détails quant à la conduite de la vérification mentionnée dans le dossier. De plus, la lettre de l’avocate à la Cour mentionnait que le défendeur pouvait indiquer qu’il ne manquait pas de documents dans le DCT, mais, en fait, ce dernier ne contient pas de copie de la lettre d’équité procédurale, laquelle a été clairement envoyée et reçue. Ces points soulèvent des préoccupations quant au caractère complet du DCT.

[25]  Quant au fond de l’affaire, je ne souscris pas au point de vue du défendeur selon lequel le demandeur fait valoir que l’agent a omis de fournir des motifs et qu’il s’agit donc d’un problème d’équité procédurale. L’observation du demandeur indique plutôt clairement qu’à son avis, les motifs de l’agent ne tiennent pas compte de la preuve dont il disposait, soit sa réponse à la lettre d’équité procédurale, dans laquelle il a déclaré qu’il croyait que les résultats étaient authentiques. Bien que le demandeur ait effectivement soutenu que l’agent avait omis de fournir des [traduction« motifs substantiels », interprétée dans son contexte, je comprends que cette observation renvoie au fait que l’agent n’a pas fourni de détail sur la nature de la préoccupation dans la lettre d’équité procédurale, et non pas qu’il ait omis de fournir des motifs au soutien de la décision. Selon le demandeur, la décision de l’agent n’était pas intelligible ou justifiée, ce qui renvoie au caractère raisonnable de sa décision (voir Vavilov au para 99). En effet, le défendeur soutient aussi qu’il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’agent. La retenue s’applique uniquement aux appréciations relatives au caractère raisonnable d’une décision, et non aux manquements à l’équité procédurale qui appellent la norme de contrôle de la décision correcte.

[26]  Je suis aussi d’accord avec le demandeur pour dire que rien dans la preuve au dossier n’appuie une conclusion selon laquelle les résultats de l’IELTS étaient frauduleux. La seule explication au dossier est l’entrée dans les notes versées au SMGC qui mentionne ceci : [traduction« Après une AQ, il a été découvert que le client avait présenté un IELTS frauduleux. » Comme il a été mentionné ci‑dessus, le dossier ne contient aucune explication ni preuve par affidavit provenant du défendeur quant à savoir ce qu’est une AQ, comment elle a été menée en l’espèce, pourquoi il n’y a pas de trace du processus de vérification au dossier ou pourquoi les résultats appuyaient la conclusion selon laquelle l’IELTS soumis était frauduleux.

[27]  Bien que de petits caractères au bas du formulaire de l’IELTS expliquent comment valider les résultats au moyen d’un site Web, l’entrée dans les notes versées au SMGC n’indique pas si l’agent a utilisé ce portail en ligne ou un autre portail ni quels résultats ont été obtenus, le cas échéant.

[28]  Il convient de souligner à cet égard la décision de la juge Kane dans Kong, où elle a conclu ce qui suit :

[39]  Quant aux doutes de l’agent sur les relevés bancaires de la Banque de Chine; celui‑ci s’est fié à un système de vérification en ligne en libre‑service, plutôt que sur les renseignements d’un agent de la banque, qui auraient peut‑être pu dissiper la confusion quant au timbre ou au code bancaire. Les documents et les explications supplémentaires fournis par la demanderesse en réponse à la lettre d’équité procédurale, quoique plutôt alambiqués, devaient être examinés plus attentivement par l’agent. Les explications n’ont pas fait l’objet d’une analyse suffisante; ou, du moins, aucune analyse de la sorte ne peut être repérée dans les notes très cryptiques figurant au SMGC. Par ailleurs, l’agent n’a pas tenté de communiquer avec la banque pour confirmer les renseignements obtenus ou, en contrepartie, confirmer ses doutes issus du service en ligne. Je remarque également que les premiers relevés bancaires soumis, bien qu’en chinois, auraient pu éclaircir la question des codes de validation.

[40]  Bien qu’on ne s’attende pas à ce que les motifs d’une décision quant à une demande de visa soient très étoffés, se limitant le plus souvent aux notes tirées du SMGC; dans l’espèce, ils ne permettent pas à notre Cour de conclure que la décision visée est « justifiable au regard des faits et du droit ». Étant donné l’ensemble des renseignements fournis par la demanderesse, tant au moment de la soumission de sa demande que dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, l’agent a commis une erreur en se concentrant uniquement sur un seul ensemble de relevés bancaires. Je peux seulement conclure que l’agent a omis d’examiner tous les autres documents soumis à l’appui de la demande ainsi que les explications fournies en réponse à la lettre d’équité procédurale. Par conséquent, la décision n’est ni justifiable ni intelligible.

[29]  En l’espèce, l’agent peut très bien avoir eu le droit de vérifier les résultats de l’IELTS en utilisant un portail en ligne, étant donné les instructions figurant sur le formulaire des résultats de l’IELTS. Toutefois, rien dans le dossier ne confirme que l’agent l’a fait ou n’explique comment cela l’a amené à croire que le demandeur avait soumis des résultats frauduleux. Par exemple, si l’agent avait fourni les résultats de la confirmation et fait remarquer qu’ils différaient des résultats soumis par le demandeur ou indiqué que le lien de vérification ne fonctionnait pas et qu’un suivi avait confirmé que l’activité n’était pas légitime, cela aurait permis de justifier la conclusion selon laquelle les résultats du demandeur à l’IELTS étaient frauduleux. Toutefois, on ne peut même pas percevoir des notes versées au SMGC ce qu’implique [traduction« AQ ». Bien que je sois d’accord avec le défendeur pour dire que les agents des visas n’ont pas à donner de motifs détaillés (Singh au para 24), l’absence de détails dans les motifs de l’agent dans les circonstances de la présente affaire rend la décision injustifiée.

[30]  Cela est par ailleurs démontré par Kong. Dans cette affaire, une brève entrée dans les notes versées au SMGC expliquait la préoccupation de l’agent quant à l’authenticité d’un relevé bancaire :

[6]  Les notes de l’agent et de ses supérieurs issues du Système mondial de gestion des cas (SMGC) figurent également parmi les motifs de la décision. Les notes tirées du SMGC sont succinctes. Les entrées du 1er, du 2 et du 4 octobre 2016 indiquent que la demanderesse prévoyait de rendre visite à son fils et à sa belle‑fille à une certaine adresse au Canada. L’entrée du 13 octobre 2016, quant à la vérification des documents bancaires soumis par la demanderesse, indique que l’agent a communiqué avec l’institution financière de celle‑ci. Il écrit [traduction] « [s]elon le service de vérification de comptes en ligne, le numéro à 16 chiffres figurant sur le timbre officiel ne peut être repéré dans le système ». L’agent a conclu que [traduction] « les relevés bancaires de la DP étaient faux ». Une lettre d’équité procédurale lui a donc été envoyée le 13 octobre 2016.

[31]  Malgré la brièveté de ces motifs, ils fournissent une explication de la façon dont le processus de vérification a été mené et le fondement de la conclusion selon laquelle le document visé n’était pas authentique. À l’inverse, en l’espèce, rien dans le dossier n’explique quels résultats de l’AQ ont miné l’authenticité des résultats du demandeur à l’IELTS. Vu l’absence de la moindre explication justifiant la conclusion de l’agent, la décision est déraisonnable.

[32]  Je suis aussi d’accord avec le demandeur pour dire que le traitement par l’agent de la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale était déraisonnable. L’agent a formulé deux conclusions, à savoir : que le demandeur ne semblait pas nier que les résultats de l’IELTS étaient frauduleux et qu’il n’avait pas expliqué pourquoi il avait présenté des résultats frauduleux de l’IELTS.

[33]  Toutefois, dans sa réponse la lettre d’équité procédurale, le demandeur a expliqué comment il avait entendu parler du cours d’anglais de huit semaines offert par Modern Up, qu’il avait versé 2 260 $ pour suivre le cours et subir l’examen, qu’il avait reçu son certificat et qu’il était [traduction« très heureux de [ses] résultats et qu’en aucun cas, il aurait imaginé qu’ils n’étaient pas authentiques ». En outre, il a déclaré qu’il [traduction« [avait] l’impression que cet IELTS [était] légitime, puisque d’autres étudiants qui [avaient] suivi le même cours et passé les mêmes examens l’[avaient] utilisé faire une maîtrise à l’étranger ». Le demandeur a aussi parlé de son incapacité à vérifier les résultats avec l’installation, parce que cette dernière avait fermé, et il a exprimé le souhait d’obtenir plus de renseignements pour empêcher l’institution de [traduction] « faire la même chose à d’autres personnes ».

[34]  À mon avis, par ses commentaires, le demandeur n’admet pas que ses résultats étaient frauduleux. Ils doivent plutôt être examinés dans le contexte de ce qui lui a été présenté dans la lettre d’équité procédurale. En particulier, au sujet du fait que l’agent avait [traduction« des préoccupations quant au fait que l’IELTS, que vous avez fourni au soutien de votre demande, soit frauduleux ». Le demandeur n’avait pas de moyen de savoir si la préoccupation était que les résultats ne reflétaient pas sa note réelle — c’est‑à‑dire que Modern Up avait fourni une note inexacte — ou si on laissait entendre qu’il avait fourni un document qu’il savait frauduleux, ou autre chose. Les commentaires du demandeur donnent à penser qu’il tentait de vérifier le fondement de la préoccupation de l’agent et, puisque Modern Up n’a pas répondu à ses demandes de renseignements, il a supposé que l’agent craignait que l’installation puisse ne pas avoir été légitime. Dans ce contexte, il est difficile de comprendre le commentaire de l’agent selon lequel le demandeur ne [traduction« semblait pas nier » que l’IELTS était frauduleux. Le demandeur a clairement indiqué qu’il croyait que l’IELTS était légitime et il a expliqué sa croyance. Tout doute dans son esprit a découlé de ses efforts subséquents pour demander à Modern Up de vérifier ses résultats en réponse à la lettre d’équité procédurale.

[35]  De plus, bien que le défendeur soutienne que la conclusion de l’agent concernait réellement l’omission du demandeur de s’acquitter de son fardeau de fournir une preuve à l’appui pour établir que ses résultats étaient authentiques, l’agent n’a pas tiré cette conclusion. L’agent ne dit pas que le demandeur a omis de fournir la preuve que ses résultats étaient authentiques. Il affirme simplement que le demandeur ne semblait pas nier que ses résultats étaient frauduleux. Je ne suis pas non plus d’accord pour dire que les notes versées au SMGC donnent à penser que l’agent tirait une conclusion fondée sur l’omission du demandeur de fournir une preuve suffisante pour établir l’authenticité de l’IELTS qu’il avait soumis.

[36]  Quant à la deuxième conclusion de l’agent, soit que le demandeur [traduction« [n’avait pas répondu] à nos préoccupations quant à la raison pour laquelle il [avait] présenté des résultats frauduleux d’IELTS », elle est inintelligible. Le demandeur a expliqué qu’il avait subi le test, parce qu’il avait toujours voulu apprendre l’anglais et que, lorsqu’il avait décidé de demander un permis de travail, il était heureux de pouvoir partager ses résultats au test d’anglais, malgré le fait qu’ils n’étaient pas requis. Le demandeur n’a pas reconnu, dans son explication, que l’examen était frauduleux, mais, comme il a déjà été mentionné, il a expliqué comment il avait obtenu les résultats, et il a déclaré qu’il croyait que les résultats étaient authentiques lorsqu’il les avait présentés. Il était déraisonnable pour l’agent, compte tenu de cette explication, de conclure que le demandeur n’avait pas répondu à la préoccupation [traduction« quant à la raison pour laquelle il [avait] présenté des résultats frauduleux d’IELTS ». Le demandeur a pleinement répondu à la préoccupation, au regard de l’explication limitée du fondement de la préoccupation de l’agent, et il a déclaré pourquoi il croyait que les résultats étaient authentiques. Les motifs de l’agent ne démontrent pas qu’il a correctement examiné la réponse du demandeur, et la décision est donc inintelligible (Kong au para 40).

[37]  Le défendeur soutient que l’agent a en fait déclaré que le demandeur n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour confirmer que les résultats de l’IELTS étaient authentiques. Toutefois, je suis encore une fois en désaccord. Ce n’est pas ce que l’agent a dit. L’agent a dit que le demandeur n’avait pas répondu à ses préoccupations quant à la raison pour laquelle il avait présenté des résultats frauduleux de l’IELTS. Il s’agit d’un commentaire inintelligible pour les raisons susmentionnées.

[38]  Bref, les motifs de l’agent n’étaient pas justifiés par l’information figurant dans le dossier et ils étaient inintelligibles, compte tenu de la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale. Après avoir examiné les motifs de l’agent conjointement avec le dossier, je ne suis pas convaincue que son raisonnement était solide ni que la décision était justifiée par les faits dont il disposait. La décision ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99).

[39]  Bien que j’aie tranché la présente affaire selon le caractère raisonnable de la décision, et malgré le fait que cela ne soit pas abordé dans les observations écrites du demandeur, je suis aussi d’accord avec lui pour dire que l’agent peut avoir préjugé l’issue en l’espèce. Cela s’explique par le fait que la lettre d’équité procédurale a non seulement informé le demandeur que l’agent craignait que l’IELTS soit frauduleux, mais elle indiquait également ce qui suit : [traduction« Par conséquent, le visa et le permis de travail qui vous ont été délivrés ont été annulés, et vous n’êtes plus autorisé à entrer ou demeurer au Canada en utilisant ces documents » (en italique dans l’original). Les annulations ont pris effet avant que l’agent reçoive et examine la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale.

 




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