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Date : 20020508

Dossier : IMM-454-01

Référence neutre : 2002 CFPI 523

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2002

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

ENTRE :

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                 Demandeur

                                                                                        et

LAURA PATRICIA ASCENCIO GALVAN, CHRISTIAN EMMANUEL RIVAS

ASCENCIO (ALIAS CHRISTIAN EMMAN RIVAS ASCENCIO) ET

DANIEL MICHAEL RIVAS GALVAN

                                                                                                                                                                 Défendeurs

                                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]         Le ministre présente la demande de contrôle judiciaire de la décision du 16 janvier 2001 de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) qui a conclu que les défendeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS


[2]         Les défendeurs sont une mère et ses deux enfants mineurs. La défenderesse adulte a écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que, alors qu'elle était employée dans son pays d'origine, elle a été mise au courant relativement à la corruption dont bénéficiaient un certain nombre de gens puissants dans son pays, y compris le chef d'État. Elle a déposé une plainte auprès d'un organisme gouvernemental au sujet de la corruption et on lui a dit qu'il y aurait une enquête sur sa plainte. Dix jours plus tard, son mari a disparu. Après que la police lui a dit qu'elle devait attendre 72 heures avant de porter plainte pour la disparition de son mari, la défenderesse adulte s'est enfuie au Canada avec ses enfants. Deux mois après qu'on leur a accordé un statut de visiteur au Canada, les défendeurs ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.

LA DÉCISION DE LA SSR

[3]         La SSR, dans des motifs prononcés à l'audience et ensuite confirmés par écrit, a conclu que la défenderesse adulte était crédible, franche, coopérative et cohérente dans son témoignage de vive voix et par écrit. La SSR a appliqué le critère en trois volets établi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2000] 3 C.F. 327, pour conclure qu'il y avait un lien entre la crainte de la défenderesse adulte et un motif de la Convention en raison des opinions politiques perçues. La SSR a également conclu que les deux défendeurs mineurs pouvaient être utilisés afin d'exercer des pressions sur la défenderesse adulte ou de l'intimider, par exemple par des menaces d'enlèvement, et ils tombent ainsi dans les limites de la Convention. Le président de l'audience de la SSR a ensuite déclaré ce qui suit :

[traduction]

Tout ce que je puis dire, personnellement, c'est que j'ai été impressionné par votre témoignage, madame. Vous êtes une personne honnête qui, dans des circonstances très difficiles, a essayé de faire ce qui était juste et vous avez payé très cher votre geste.

Je vais donc décider qu'il existe une possibilité sérieuse que vous subissiez un préjudice pour un motif en application de la Convention. Par conséquent, je décide que [la défenderesse adulte] est une réfugiée au sens de la Convention et que vos deux fils ... sont également des réfugiés au sens de la Convention.


[4]         Le président de l'audience a ensuite demandé, au deuxième membre du tribunal, ses commentaires, en particulier concernant les questions de possibilité de refuge intérieur et de protection offerte par l'État, malgré la décision antérieure du président de l'audience de déclarer que les défendeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention.

[5]         Le deuxième membre du tribunal a ensuite déclaré que, étant donné la position de pouvoir occupée par les agents de persécution, en particulier par le chef d'État et étant donné que la police n'avait pas agi suite à la plainte de la défenderesse adulte, le membre ne croyait pas qu'il était raisonnable de s'attendre à ce que les défendeurs reçoivent la protection de l'État dans leur pays d'origine. Quant à la question d'une possibilité de refuge intérieur, on a dit que l'importance des agents de persécution était telle qu'il n'y avait aucune possibilité de refuge intérieur.

[6]         Le président de l'audience a ensuite indiqué qu'il était d'accord avec ces motifs et il a réitéré que les défendeurs constituaient des réfugiés au sens de la Convention.

[7]         Tout au long de ses motifs, la SSR n'a aucunement fait mention du bien-fondé d'une crainte de persécution.

LA QUESTION EN LITIGE

[8]         La question déterminante dans la présente demande, à mon avis, consiste à savoir si la SSR a erré en omettant d'examiner correctement le bien-fondé de la crainte de persécution des défendeurs.


ANALYSE

[9]         La Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, définit « réfugié au sens de la Convention » de la façon suivante :


« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act.


[10]       L'expression « craignant avec raison » telle qu'elle apparaît dans cette définition exige qu'un revendicateur établisse tant une crainte de persécution ressentie subjectivement par le revendicateur que le bien-fondé de la crainte lorsqu'elle est examinée objectivement.

(i) Crainte subjective


[11]       La SSR a conclu que la défenderesse adulte était crédible lors de son témoignage, établissant ainsi l'élément subjectif de la crainte bien fondée. Le ministre fait remarquer que la SSR n'a fait aucunement mention du retard des défendeurs à formuler une demande de statut de réfugié dès leur arrivée au Canada et qu'elle n'a pas examiné la raison pour laquelle les défendeurs ont fait défaut de chercher refuge dans l'un des pays contigus à leur pays d'origine.

[12]       Bien qu'on se soit attendu à ce que la SSR ait examiné ces facteurs dans son appréciation de la crainte subjective des défendeurs, cette appréciation est essentiellement une question de crédibilité. Comme on le dit souvent, la SSR est dans une meilleure position pour décider des questions de crédibilité et il ne faut pas intervenir dans les conclusions relativement à la crédibilité à moins qu'elles n'aient été tirées avec mauvaise foi, de façon arbitraire ou sans tenir compte des documents qui ont été présentés à la SSR.

[13]       Étant donné que la SSR a examiné le témoignage de la défenderesse adulte et qu'elle a conclu qu'il était cohérent, franc et plausible, je ne suis pas convaincue que la SSR a commis une erreur susceptible de révision en appréciant la crainte subjective de persécution des défendeurs simplement parce qu'elle n'a pas fait référence, dans ses motifs, au retard et au défaut de formuler une revendication ailleurs.

(ii) Crainte objective

[14]       Afin de satisfaire à la partie objective du critère, un revendicateur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, des « motifs valables » , une « possibilité raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » de persécution.


[15]       L'idée maîtresse de l'observation du ministre consiste en ce que, en l'espèce, la SSR a fait défaut de procéder à une analyse rationnelle de la preuve qui lui a été présentée afin de décider s'il y avait un fondement valable à la crainte des défendeurs. Après avoir conclu que la défenderesse adulte était un témoin crédible, la SSR a ensuite poursuivi en discutant de la question de savoir si la crainte des défendeurs était due à l'un des motifs contenus dans la définition de réfugié au sens de la Convention. La SSR a conclu qu'il y avait un lien avec un motif de la Convention en se convainquant que les trois conditions de l'arrêt Klinko, précité, étaient remplies. En ce faisant, la SSR n'a donné aucune indication, dans ses motifs, qu'elle se soit attardée à la question de savoir s'il y avait ou non un fondement objectif à la crainte exprimée par la défenderesse adulte.

[16]       Bien que je sois d'accord avec l'observation des défendeurs que, en droit, la preuve documentaire ne soit pas nécessaire pour corroborer le témoignage d'un témoin crédible, la SSR a commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte d'un élément essentiel de la définition de réfugié au sens de la Convention.

[17]       En raison du défaut de la SSR de mentionner, dans ses motifs, la question du bien-fondé de la crainte et de son défaut de même faire référence dans les documents qui lui ont été présentés, à la situation dans le pays en cause et aux droits de la personne, on m'a convaincue que la SSR n'a pas correctement dirigé son attention sur le fondement objectif de la crainte de persécution des défendeurs.

[18]       Bien qu'il était loisible à la SSR de le faire, en tirant sa conclusion finale, en faisant défaut de diriger correctement son attention sur le fondement objectif de la crainte de persécution des défendeurs, la SSR a erré d'une manière susceptible de révision.

[19]       La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

[20]       Les avocats n'ont posé aucune question pour certification et aucune question n'est certifiée.


ORDONNANCE

[21]       IL EST, PAR LES PRÉSENTES, ORDONNÉ :

1.          que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) datée du 16 janvier 2001 soit, par les présentes, annulée;

que cette affaire soit renvoyée pour un nouvel examen par un tribunal de la SSR différemment constitué;

2.          qu'aucune question ne soit certifiée.

« Eleanor R. Dawson »

ligne

                                                                                                                                                                             Juge                        

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-454-01

INTITULÉ :                                           M.C.I. c. Laura Patricia Ascencio Galvan et autres

                                                                                        

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le mardi 11 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE

MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                        Le 8 mai 2002

COMPARUTIONS :

Leena Jaakkimainen                                                           POUR LE DEMANDEUR

Paul VanderVennen                                                           POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Paul VanderVennen                                                          POUR LES DÉFENDERESSES

Toronto (Ontario)

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