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Date : 20200804


Dossier : IMM-5627-19

Référence : 2020 CF 809

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2020

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

SWARANJIT KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  La demanderesse est citoyenne et résidente de l’Inde. Vers la fin de mai 2019, elle a présenté une demande de visa de résident temporaire [VRT] à la Section de la migration du Consulat général du Canada à Chandigarh, en Inde, afin de pouvoir visiter sa fille au Canada. Dans une décision datée du 16 août 2019, un agent des visas a rejeté la demande parce que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé et parce qu’elle avait fourni de faux renseignements dans sa demande de VRT. En raison de la conclusion de fausses déclarations, la demanderesse est interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de cette décision au motif qu’elle a été rendue contrairement aux exigences en matière d’équité procédurale.

[3]  La demanderesse demandait initialement que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision à l’égard de la demande de VRT. Cependant, la période proposée pour le voyage de la demanderesse au Canada est déjà passée. À l’audience relative à la présente demande, l’avocat de la demanderesse a reconnu que la principale préoccupation était les fausses déclarations et la période d’interdiction de territoire de cinq ans qu’elles entraînent.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la décision a été rendue contrairement aux exigences en matière d’équité procédurale. La présente demande sera donc accueillie et la décision datée du 16 août 2019 (y compris la conclusion de fausses déclarations) sera annulée. Aucune autre réparation n’est demandée ou nécessaire.

II.  CONTEXTE

[5]  La demanderesse a présenté une demande de VRT vers la fin de mai 2019 afin de pouvoir rendre visite à sa fille au Canada entre le 15 et le 30 juin 2019. La fille de la demanderesse est une résidente permanente du Canada qui vit à Saint-Laurent, au Québec. La mère de la demanderesse (qui est également citoyenne de l’Inde) souhaitait également faire le voyage et a été incluse dans la demande de VRT.

[6]  Le 28 juin 2019, la Section de la migration du Consulat général du Canada à Chandigarh a envoyé un courriel à l’adresse courriel de la fille de la demanderesse. (Cette adresse avait été fournie comme courriel de contact de la demanderesse dans la demande de VRT.) La ligne de l’objet du courriel indiquait [traduction] « LEP – Swaranjit Kaur » (« LEP » est un acronyme couramment utilisé pour désigner la « lettre d’équité procédurale »). Le corps du courriel indiquait ce qui suit : [traduction] « Une communication importante (ci-jointe) concernant votre demande vous est envoyée ».

[7]  Le dossier certifié du tribunal [le DCT], qui a été préparé par le Consulat général du Canada à Chandigarh dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, ne comprend aucune copie de la lettre d’équité procédurale datée du 28 juin 2019 ni aucune note du Système mondial de gestion des cas [le SMGC] concernant cette lettre. Les notes du SMGC indiquent simplement que, le 28 juin 2019, une lettre d’équité procédurale a été envoyée à l’adresse courriel de la fille de la demanderesse.

[8]  À un moment donné (la date n’est pas indiquée dans le dossier de la présente demande), la fille de la demanderesse a communiqué avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], indiquant qu’elle avait reçu le courriel du 28 juin 2019 de la Section de la migration, mais qu’aucun document n’y était joint. Il semble que ce message à IRCC ait été transmis au Consulat général du Canada à Chandigarh le 25 juillet 2019.

[9]  Les notes du SMGC indiquent que la lettre d’équité procédurale a été [traduction] « renvoyée » le 25 juillet 2019. Une lettre portant cette date est versée au dossier.

[10]  Dans cette lettre, un agent non identifié fait remarquer qu’aux termes du paragraphe 16(1) de la LIPR, une personne qui présente une demande « doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis ». L’agent formule ensuite des préoccupations concernant :

[traduction]

[...] l’authenticité des points suivants, que vous avez fournis à l’appui de votre demande :

Dans le formulaire de demande actuel, vous n’avez pas déclaré avoir séjourné illégalement aux États-Unis pendant 365 jours ou plus au cours des 10 dernières années. D’après les renseignements figurant dans nos dossiers, vous avez séjourné illégalement aux États-Unis pendant 365 jours ou plus au cours des 10 dernières années.

[11]  Ces « renseignements » concernant le prétendu séjour illégal de la demanderesse aux États-Unis ne sont pas précisés dans la lettre. Rien dans le DCT n’indique ce qui a donné lieu à cette allégation.

[12]  L’agent a invité la demanderesse à répondre à la lettre du 25 juillet 2019. Si aucune réponse n’était reçue avant la date limite précisée dans la lettre (le 9 août 2019), la demande de VRT serait rejetée.

[13]  L’agent a également fait remarquer que, s’il était conclu que la demanderesse [traduction] « a[vait] fait de fausses déclarations » dans sa demande de VRT, elle pourrait être déclarée interdite de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Une telle conclusion la rendrait interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans.

[14]  Avec l’aide de sa fille, la demanderesse a retenu les services d’une avocate canadienne à Montréal (pas M. Chalk) pour la représenter dans le cadre de sa réponse à la lettre du 25 juillet 2019.

[15]  Le 5 août 2019, l’avocate a envoyé un courriel à la Section de la migration pour lui expliquer que ses services n’avaient été que récemment retenus et qu’elle demandait la prolongation du délai pour répondre à la lettre du 25 juillet 2019.

[16]  Le 6 août 2019, un agent de la Section de la migration a répondu par courriel et a accordé une prolongation de sept jours (c.-à-d. jusqu’au 13 août 2019) pour fournir une réponse. L’agent a également indiqué les points suivants dans le courriel, probablement pour expliquer pourquoi la prolongation accordée était relativement courte :

[traduction]

  La demanderesse a eu amplement le temps de répondre à nos préoccupations.

  La demanderesse a fourni une adresse courriel, que nous avons utilisée [...]; rien ne justifie, donc, que la demanderesse n’ait pas été au courant de nos préoccupations et qu’elle n’ait pas été en mesure d’y répondre en temps opportun. Nous avons renvoyé la lettre le 25 juillet, accordant à la demanderesse 10 jours pour y répondre.

  Les faits sont clairs en ce qui concerne ce qui n’a pas été divulgué dans la demande initiale. Dans la demande, la question suivante est posée : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire ». La demanderesse a répondu NON, ce qui n’était pas vrai.

[17]  Bien que l’agent ne l’indique pas expressément, il ne fait aucun doute que la question précise à laquelle l’agent renvoie au dernier point correspond à la question 2b) de la section « Antécédents » du formulaire Demande de visa de visiteur (visa de résident temporaire), c’est-à-dire : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » Comme l’agent l’a fait remarquer, la demanderesse a répondu « Non » à cette question dans sa demande de VRT initiale.

[18]  Le 12 août 2019, l’avocate de la demanderesse a envoyé une lettre et des documents justificatifs au consulat canadien.

[19]  En réponse à l’allégation particulière énoncée dans la lettre du 25 juillet 2019 concernant le fait que la demanderesse n’a pas divulgué avoir séjourné illégalement aux États-Unis, l’avocate de la demanderesse a écrit qu’elle [traduction] « peut confirmer que [la demanderesse] n’a ni séjourné ni prolongé son séjour aux États-Unis au cours des 10 dernières années ».

[20]  Cependant, l’avocate de la demanderesse a ensuite admis que la demande de VRT comprenait trois [traduction] « erreurs ». Ces erreurs ont été commises parce qu’un représentant « non autorisé » en Inde avait préparé la demande de VRT pour la demanderesse; la demanderesse avait répondu véridiquement à toutes les questions que le représentant lui avait posées, mais celui-ci n’avait pas traduit correctement certaines des questions du formulaire de demande.

[21]  L’avocate de la demanderesse a décrit les erreurs contenues dans la demande de VRT comme suit.

[22]  Premièrement, en réponse à la question « Avez-vous déjà été marié ou en union de fait? », la demanderesse a répondu « Oui » et a fourni le nom de son mari, qui est décédé en 2008. L’avocate a écrit que la bonne réponse est « Non » parce que la demanderesse n’avait été mariée qu’une seule fois, à son défunt mari. (En réponse à la question qui précède immédiatement et qui lui demandait son état matrimonial actuel, la demanderesse avait déclaré qu’elle était veuve.)

[23]  Deuxièmement, en réponse à la question « Pouvez-vous communiquer en français, en anglais, ou dans les deux langues? », la demanderesse a répondu « Anglais », alors que la bonne réponse était « Aucune ». (La demanderesse avait déclaré dans sa demande que sa langue maternelle était le pendjabi.)

[24]  Troisièmement, en réponse à la question « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? », la demanderesse a répondu « Non », alors que la bonne réponse était « Oui ». L’avocate a expliqué cette erreur comme suit [traduit tel que reproduit dans la version anglaise] :

[traduction]

Bien qu’on n’ait jamais refusé l’entrée ou demandé à Mme Swaranjit Kaur de quitter le Canada ou tout autre pays, elle s’est vu refuser un visa pour les États-Unis en 2018 parce que, alors qu’elle séjournait aux États-Unis entre 2006 et 2008, elle a perdu son passeport indien, puis a quitté les États-Unis sans l’avoir retrouvé, ce qui lui a causé un retard de plus de six mois aux États-Unis pour obtenir un autre document de voyage indien (un remplacement moindre) (document attestant l’octroi d’un droit d’établissement en Inde) lui permettant de monter à bord d’un avion pour retourner en Inde en juin 2008. [Ici, l’avocate renvoie au document ci-joint. Selon la liste des pièces jointes fournie avec la lettre, il semblerait qu’il s’agisse d’une « déclaration de perte de passeport ». Pour une raison quelconque, ce document n’a pas été inclus dans le dossier de la présente demande de contrôle judiciaire.]

La raison pour laquelle la demanderesse a répondu « Non » à cette question, c’est que le représentant non autorisé lui a dit que la question ne portait que sur le Canada : « si on a déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada » au cours des 10 dernières années, sans traduire « ou tout autre pays ou territoire ». Pourtant, elle lui a dit qu’on lui avait refusé un visa de visiteur aux États-Unis en 2018, mais il lui a dit que la question ne concernait que le Canada.

[25]  L’avocate de la demanderesse a ensuite soutenu que la demanderesse n’avait pas sciemment fourni de faux renseignements dans sa demande. Elle a plutôt commis des erreurs de bonne foi. L’avocate a attribué les erreurs contenues dans la demande à l’omission du représentant de traduire correctement les questions posées dans la demande, à l’incapacité de la demanderesse à lire et à comprendre le formulaire de demande qui avait été rempli en anglais, à l’âge de la demanderesse (elle est née en 1959), à la santé de la demanderesse (elle souffrait d’un problème de santé précis qui lui causait de la douleur et de la fatigue) et au passage de plus de 11 ans [traduction] « depuis l’événement ». (Il n’est pas tout à fait clair à quel événement l’avocate fait référence, mais il semble qu’il s’agisse du départ de la demanderesse des États-Unis en juin 2008.)

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[26]  Comme il est indiqué dans la lettre de décision datée du 16 août 2019, la demande de VRT a été rejetée pour deux motifs.

[27]  Premièrement, l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire, comme l’exige l’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Cette conclusion était fondée sur :

  • les liens familiaux de la demanderesse au Canada et en Inde;

  • l’objet de la visite de la demanderesse au Canada;

  • les biens personnels et la situation financière de la demanderesse.

[28]  Deuxièmement, l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse avait répondu véridiquement à toutes les questions du formulaire de demande de VRT, comme l’exige le paragraphe 16(1) de la LIPR. L’agent a écrit ce qui suit :

[traduction]

Plus précisément, je ne suis pas convaincu que les renseignements suivants sont véridiques : Vous avez fait une présentation erronée des refus antérieurs des États-Unis, ce qui aurait pu entraîner une erreur dans [l’]application de la Loi, en ce sens que vous auriez pu obtenir un VRT. La demande est claire : « Vous a-t-on DÉJÀ refusé [...] [dans] tout autre pays » [en majuscules dans l’original].

[29]  La lettre de décision ne mentionne pas l’allégation selon laquelle la demanderesse aurait omis de mentionner qu’elle avait séjourné illégalement aux États-Unis, tel qu’il est énoncé dans la lettre d’équité procédurale du 25 juillet 2019.

[30]  L’agent conclut la lettre de décision en déclarant que la demanderesse a été jugée interdite de territoire au Canada, en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Conformément à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR, la demanderesse est interdite de territoire pour une période de cinq ans à compter de la date de la lettre.

[31]  Les notes consignées par l’agent dans le SMGC ont jeté plus de lumière sur le fondement de la conclusion de fausses déclarations qu’il a tirée.

[32]  Selon l’agent, [traduction] « les questions posées [dans la demande de VRT] sont claires; la demanderesse a signé la demande de VRT, indiquant ainsi que les renseignements fournis sont exacts et véridiques; et non seulement la demanderesse n’a pas divulgué les refus des États-Unis de lui accorder un visa et les problèmes rencontrés aux États-Unis en 2008, mais elle n’a pas non plus divulgué [son état de santé]. Étant donné qu’elle avait déjà eu tant de problèmes aux États-Unis, il est raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse se soit assurée que le formulaire soit bien rempli pour éviter d’autres problèmes — OU — de penser qu’elle ait omis intentionnellement de divulguer les refus qui pourraient influer sur la présente demande » [en majuscules dans l’original]. De plus, la demanderesse est responsable des conséquences du fait d’avoir choisi d’être aidée par un représentant non autorisé.

[33]  L’agent n’a pas été convaincu par les explications fournies par l’avocate de la demanderesse au sujet des raisons pour lesquelles des renseignements inexacts avaient été inclus dans la demande de VRT. L’agent n’a pas accepté que la demanderesse ne savait pas ce qu’elle signait ou qu’elle ne comprenait pas bien la demande. L’agent a donc conclu que la demanderesse était interdite de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR en raison de fausses déclarations concernant les refus des États-Unis de lui accorder un visa; par conséquent, il a rejeté la demande.

[34]  Il faut noter que, bien que l’agent fasse allusion aux [traduction] « problèmes » de la demanderesse aux États-Unis en 2008 (c’est-à-dire le retard à quitter le pays en raison de la perte de son passeport indien), il n’y a aucune conclusion précise dans les notes du SMGC en ce qui concerne la préoccupation qui avait été exprimée dans la lettre du 25 juillet 2019 – à savoir que la demanderesse avait séjourné illégalement aux États-Unis pendant 365 jours ou plus au cours des dix dernières années, et qu’elle n’avait pas divulgué ce fait.

IV.  NORME DE CONTRÔLE

[35]  En l’espèce, nul de conteste la façon dont une cour de révision devrait déterminer s’il y a eu violation des exigences en matière d’équité procédurale. La cour doit procéder à sa propre analyse et fournir ce qu’elle juge être la bonne réponse à la question de savoir si le processus suivi par l’agent satisfaisait aux critères d’équité que dictaient les circonstances. En pratique, il s’agit de la même chose que d’appliquer la norme de contrôle de la décision correcte (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 34 et 50; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 54; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 33 à 56; et Elson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 27 au para 31).

V.  ANALYSE

[36]  Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], la Cour suprême du Canada a statué (au para 22) que « les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur ». De plus, les valeurs qui sous-tendent l’obligation d’équité « relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » (au para 28).

[37]  L’obligation d’équité procédurale en common law est « souple et variable » (Baker, au para 22). Plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour déterminer les exigences dans le contexte particulier d’une affaire donnée : (1) la nature de la décision rendue; (2) la nature du régime législatif dans le cadre duquel la décision a été rendue; (3) l’importance de la décision pour la ou les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) les procédures que le décideur a lui-même suivies ainsi que ses contraintes institutionnelles (Baker, aux para 21 à 28).

[38]  En appliquant toutes ces considérations, les tribunaux ont systématiquement conclu que, dans le cas des demandes de visa, les exigences en matière d’équité procédurale se situent à l’extrémité inférieure du spectre (Sepehri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1217 au para 3; Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006 au para 23). L’agent des visas est tenu de faire preuve d’équité procédurale envers le demandeur, mais ce qui est exigé pour assurer l’équité de la procédure est atténué par le fait que la question généralement en litige est celle de savoir si le demandeur sera autorisé à visiter, à étudier ou à s’installer au Canada, des privilèges accordés aux ressortissants étrangers par la LIPR et le règlement connexe dans des circonstances précises.

[39]  Malgré cela, l’équité procédurale exige qu’une personne qui demande un visa ait la possibilité de participer de façon utile à l’instruction de la demande. Par conséquent, l’obligation d’équité procédurale peut exiger qu’un demandeur ait la possibilité de répondre aux préoccupations d’un décideur lorsque ces préoccupations vont au-delà de la simple question de savoir si la loi ou les exigences connexes sont respectées au regard de la demande (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 au para 24). Lorsque, par exemple, le demandeur n’est pas au courant de l’existence ou du motif des préoccupations, l’équité procédurale peut exiger qu’un avis préalable des préoccupations soit donné avant qu’une décision ne soit rendue afin de donner au demandeur l’occasion de dissiper les préoccupations de l’agent. Voir Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25 au para 21; Mohammed c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 326 aux para 25 et 26; et Bui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 440 au para 27. Bien que toutes ces affaires concernent des demandes de visas de résident permanent, à mon avis, les principes qui y sont énoncés s’appliquent également aux demandes de visas de résident temporaire (voir Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183 aux para 22 à 27). Lorsque les préoccupations sont liées à une fausse déclaration, l’importance d’avoir une véritable possibilité de les dissiper est encore plus évidente compte tenu des conséquences possibles d’une conclusion de fausse déclaration : voir Toki c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 606 au para 17 [Toki] et Ntaisi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 73079 (CF) au para 10 [Ntaisi].

[40]  En l’espèce, la demanderesse soulève deux arguments principaux. Premièrement, les communications relatives à l’équité procédurale qu’elle a reçues, soit la lettre du 25 juillet 2019 et le courriel du 6 août 2019, étaient insuffisantes parce qu’elles ne l’ont pas informée des préoccupations particulières de l’agent. Deuxièmement, puisque la réponse de la demanderesse à ces communications a manifestement soulevé d’autres préoccupations pour l’agent, ce dernier était tenu d’informer la demanderesse de ces nouvelles préoccupations dans une nouvelle lettre d’équité procédurale avant de rendre une décision.

[41]  Je souscris au premier argument de la demanderesse. Cela étant suffisant en soi pour trancher la présente demande, il n’est pas nécessaire que j’examine son deuxième argument.

[42]  Il découle des principes susmentionnés que, lorsqu’une lettre d’équité procédurale est envoyée, il faut adopter une approche fonctionnelle pour évaluer son caractère adéquat. L’objet d’une lettre d’équité procédurale [traduction] « est de fournir suffisamment de renseignements à un demandeur pour qu’une réponse pertinente puisse être fournie » (Ntaisi, au para 6). Par conséquent, la question est la suivante : la lettre informe-t-elle la partie touchée des préoccupations du décideur? À cette fin, la lettre doit indiquer plus que des préoccupations générales. Elle doit indiquer les préoccupations du décideur de façon suffisamment claire et détaillée pour que la partie touchée ait une véritable possibilité d’y répondre. Voir AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 134 aux para 53 et 54, et Toki, au para 25.

[43]  La lettre du 25 juillet 2019 indique que l’agent qui l’a écrite s’inquiétait de [traduction] « l’authenticité » de certains renseignements que la demanderesse avait fournis dans sa demande de VRT, plus précisément ce qui suit :

[traduction]

Dans le formulaire de demande actuel, vous n’avez pas déclaré avoir séjourné illégalement aux États-Unis pendant 365 jours ou plus au cours des 10 dernières années. D’après les renseignements figurant dans nos dossiers, vous avez séjourné illégalement aux États-Unis pendant 365 jours ou plus au cours des 10 dernières années.

[44]  Quelle que soit la préoccupation qui a donné lieu à la lettre du 25 juillet 2019, elle est exprimée, au mieux, de façon confuse. Il n’est pas du tout clair pourquoi il s’agit d’une préoccupation quant à [traduction] « l’authenticité », ni ce que la demanderesse aurait dû déclarer ou à quel endroit elle aurait dû déclarer ces renseignements dans sa demande de VRT. De plus, la lettre est ambiguë. Est-il question de la période de dix ans précédant la demande de VRT (comme la demanderesse et son avocate l’ont manifestement pensé) ou d’une autre période de dix ans? S’il s’agit d’une autre période de dix ans, quelle est cette période de dix ans? Selon la demanderesse, les événements relatifs à la perte de son passeport indien alors qu’elle séjournait aux États-Unis se sont produits plus de dix ans plus tôt, et l’allégation visée par la lettre du 25 juillet 2019 (telle qu’elle l’avait comprise) était donc erronée. Il n’y a aucun moyen de savoir si la lettre du 25 juillet 2019 fait référence à ces événements ou à quelque chose d’autre.

[45]  Bien qu’il s’agisse de problèmes graves, il n’est pas nécessaire de se prononcer définitivement sur le caractère adéquat de la lettre du 25 juillet 2019, et ce, parce que, après avoir lu la lettre de décision et les notes versées au SMGC par l’agent, j’ai remarqué que cette prétendue non-divulgation n’est que peu, voire aucunement, mentionnée dans la décision finale. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, l’agent qui a rendu la décision ne tire aucune conclusion d’une façon ou d’une autre au sujet de ce à quoi la lettre faisait référence. En fait, la principale préoccupation était que la demanderesse s’était vu refuser un visa américain à deux reprises en 2010 et qu’elle n’avait pas divulgué cette information dans sa réponse à la question 2b).

[46]  Par souci de commodité, je reproduis de nouveau le courriel du 6 août 2019 qui exprimait la préoccupation suivante :

[traduction]

Les faits sont clairs en ce qui concerne ce qui n’a pas été divulgué dans la demande initiale. Dans la demande, la question suivante est posée : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire ». La demanderesse a répondu NON, ce qui n’était pas vrai.

[47]  À première vue et à la lumière de la décision finale, ce courriel semble exprimer une préoccupation différente de celle exprimée dans la lettre du 25 juillet 2019. Pour déterminer si les exigences en matière d’équité procédurale ont été respectées ou non, il faut donc trancher la question de savoir si le courriel a informé la demanderesse des préoccupations de l’agent, qui a finalement décidé de rejeter la demande de VRT et de déclarer la demanderesse interdite de territoire pour fausses déclarations.

[48]  Dans un contexte plus détaillé, il ressort des notes du SMGC que l’agent qui a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle a envoyé le courriel du 6 août 2019, mais que c’est un autre agent qui avait préparé la lettre du 25 juillet 2019. 

[49]  Le défendeur soutient qu’il suffisait que l’agent informe simplement la demanderesse qu’il doutait de la véracité de sa réponse à la question 2b) du formulaire de demande. Étant donné que la demanderesse connaît ses propres antécédents de voyage, elle savait à quoi l’agent faisait allusion dans le courriel. Peu importe ce qui pourrait avoir donné lieu à la première lettre d’équité procédurale, il ressort clairement de la décision que l’agent était préoccupé par le fait que la demanderesse n’avait pas divulgué les précédents refus des États-Unis de lui accorder un visa. Étant donné que la demanderesse devait être au courant de ces refus, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale, malgré le fait que l’agent n’a pas mentionné expressément les refus dans le courriel.

[50]  Je ne suis pas d’accord.

[51]  Même en présumant que la demanderesse se souvient parfaitement de ses antécédents de voyage, l’argument du défendeur présume que les renseignements sur lesquels s’appuyait l’agent sont exacts. Cependant, il peut s’agir là du point en litige lorsqu’une préoccupation au sujet de fausses déclarations est soulevée. On ne peut pas reprocher à quelqu’un d’avoir omis de divulguer quelque chose qui n’est pas, en fait, véridique.

[52]  L’agent qui a rendu la décision finale a manifestement cru que la demanderesse s’était vu refuser un visa américain à deux reprises en 2010. Les motifs de cette croyance ne figurent pas au dossier. Je ne dispose de rien qui laisserait entendre que l’agent n’aurait pas pu informer la demanderesse de cette préoccupation particulière dans le courriel du 6 août 2019 et solliciter une réponse. Étant donné que l’agent ne l’a pas fait, l’agent et la demanderesse ont fini par agir à contre-courant.

[53]  Dans la réponse préparée par son avocate, la demanderesse a révélé qu’on lui avait refusé un visa américain en 2018 et a expliqué pourquoi elle ne l’avait pas mentionné dans sa demande de VRT : la demanderesse en avait parlé à son représentant, mais ce dernier a affirmé que la question ne concernait que les refus de visa canadien. Rien dans le dossier n’indique que l’agent était même au courant de ce refus avant que la demanderesse ne l’indique dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale. De plus, il n’est pas clair comment – le cas échéant – cette omission particulière dans la demande de VRT a motivé la conclusion de fausses déclarations de l’agent. Bien que la demanderesse ait reconnu qu’un visa américain lui avait été refusé une fois (en 2018), ce refus ne peut pas constituer le fondement de la conclusion de fausses déclarations, puisque, dans la lettre de décision et les notes du SMGC, l’agent mentionne systématiquement les refus de visa – c’est-à-dire plus d’un – lorsqu’il décrit les fausses déclarations de la demanderesse.

[54]  D’un autre côté, il est clair que les deux visas qui auraient été refusés en 2010 ont motivé de façon importante la décision. L’agent les mentionne expressément dans la lettre de décision et les notes du SMGC. Cependant, la demanderesse n’a pas eu la possibilité de répondre à cette allégation parce qu’on ne lui a jamais indiqué ce qui avait amené l’agent à avoir des préoccupations au sujet des fausses déclarations au départ.

[55]  En résumé, je ne suis pas convaincu que le courriel du 6 août 2019 ait communiqué les préoccupations de l’agent au sujet des fausses déclarations de façon suffisamment claire et détaillée pour donner à la demanderesse une possibilité valable d’y répondre. Par conséquent, la décision relative à la demande de VRT a été rendue contrairement aux exigences en matière d’équité procédurale.

VI.  CONCLUSION

[56]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la demanderesse ne demande pas le réexamen de sa demande de VRT. L’annulation de la décision datée du 16 août 2019 (et de la conclusion de fausses déclarations) la satisfait. C’est donc ce que j’ordonnerai.

[57]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5627-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision datée du 16 août 2019 est annulée.

  3. Aucune question de portée générale n’est formulée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5627-19

 

INTITULÉ :

SWARANJIT KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 7 JUILLET 2020 À OTTAWA (ONTARIO) (COUR) ET MONTRÉAL (QUÉBEC) (PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 août 2020

 

COMPARUTIONS :

David Chalk

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jocelyne Murphy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chalk Immigration

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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