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Date : 20020809

Dossier : IMM-315-02

Référence neutre : 2002 CFPI 850

Ottawa (Ontario), le 9 août 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                               MUGWAGWA BRIAN KANYAI

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 4 janvier 2002, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention visé au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration.


[2]                 Le demandeur est un citoyen du Zimbabwé qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de ses opinions politiques. Il a allégué être membre du parti connu sous le nom de Mouvement pour un changement démocratique (le MDC) et craindre d'être persécuté par l'Union nationale africaine du Zimbabwé-Front patriotique qui est au pouvoir, la ZANU-PF.

[3]                 La Commission a conclu que la revendication du demandeur n'était pas crédible. Elle a conclu que le témoignage du demandeur n'était ni crédible ni digne de foi. Elle a également conclu que le demandeur n'était pas membre du MDC.

Faits allégués

[4]                 En l'espèce, le demandeur allègue avoir joint le MDC au mois d'octobre 1999 et affirme avoir organisé des réunions et rassemblements à l'encontre du parti au pouvoir.

[5]                 Le demandeur a allégué que, pendant l'un des rassemblements qu'il avait organisés, des jeunes de la ZANU-PF avaient commencé à le harceler et à l'accuser de mobiliser les gens contre le gouvernement. Au début, le demandeur n'a pas pris ces menaces au sérieux, mais l'attitude des jeunes de la ZANU-PF a rapidement changé. À un moment donné, ces jeunes sont venus voir le demandeur et lui ont dit qu'il devait cesser de [TRADUCTION] « faire de la politique » s'il voulait continuer à vivre.


[6]                 Le demandeur a également allégué qu'au mois de septembre 2000, quatre hommes qui le cherchaient s'étaient présentés chez lui et avaient cassé les vitres de la maison. En outre, selon la lettre du père du demandeur qui a été mise à la disposition de la Commission, les parents du demandeur avaient été attaqués par les gens qui étaient venus chercher le demandeur au mois de septembre 2000.

[7]                 Le demandeur a raconté à son père ce qui lui était arrivé, et ce dernier lui a conseillé de signaler l'événement à la police. Le demandeur allègue l'avoir fait, mais il dit que la police l'a alors accusé d'être un voleur et d'être en fait celui qui s'était introduit par effraction dans des maisons du voisinage.

[8]                 Le demandeur s'est enfui dans les montagnes. Il a allégué que le 11 janvier 2001, l'Organisme central de renseignements (l'OCR) l'avait néanmoins trouvé et l'avait battu. Il a finalement quitté le Zimbabwé le 16 janvier 2001 et est arrivé au Canada le 17 janvier 2001, où il a revendiqué le statut de réfugié le même jour.

Conclusions relatives à la crédibilité


[9]                 La Commission a toute l'expertise voulue pour apprécier la crédibilité et la crainte subjective d'un demandeur qui témoigne à l'audience. Il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle dispose (voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragraphe 14 et les motifs de révision énoncés à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale).

[10]            Normalement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n'est pas crédible à cause d'invraisemblances figurant dans la preuve qu'il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et où les motifs sont énoncés en « termes clairs et explicites » : voir Hilo c. MEI, 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.); Aguebor c. MEI (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); etZhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.).

[11]            En outre, la Commission peut à bon droit tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, sur le bon sens et sur la raison (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, au paragraphe 2 (C.A.F.); et Aguebor, précité, paragraphe 4). La Commission peut rejeter des preuves non réfutées si elles ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve (voir Akinlolu, précité, au paragraphe 13).

[12]            La Commission n'a pas cru le demandeur.


[13]            Dans sa décision, la Commission a expliqué en termes clairs et explicites, pourquoi la preuve présentée par le demandeur n'était pas crédible. Ce faisant, elle a donné des motifs détaillés en mentionnant, dans la preuve présentée par le demandeur, des invraisemblances et des incohérences concernant certains aspects cruciaux de la revendication. La Commission a d'abord tenu compte du fait que le demandeur n'avait pas signalé, dans son FRP, l'événement au cours duquel ses parents avaient été battus par des membres de la ZANU-PF. Le demandeur a essayé d'expliquer cette omission en alléguant qu'il n'était pas au courant de ce qui était arrivé, qu'il n'était pas à la maison lorsque ces événements s'étaient produits et que son père ne voulait pas l'inquiéter en lui faisant part de l'événement. La Commission a également tenu compte du fait que, dans la lettre qu'il avait envoyée à la Commission (dossier du tribunal, aux pages 63 et 64), le père du demandeur avait signalé ce qui était arrivé à lui et à sa conjointe, mais qu'il n'avait pas corroboré les événements qui s'étaient produits au mois de septembre 2000 pendant qu'il était de fait à la maison. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer cette omission, le demandeur a répondu qu'il [TRADUCTION] « ne savai[t] pas trop » pourquoi son père n'avait pas parlé de cet événement (dossier du tribunal, transcription du tribunal, à la page 114 du dossier). Je suis donc convaincu que les conclusions relatives à la crédibilité étaient fondées sur la preuve et que les inférences que la Commission a faites étaient raisonnables.

Preuve de l'appartenance


[14]            Le demandeur a présenté la preuve relative à son appartenance au MDC sous la forme d'une carte de membre et d'une lettre apparemment signée par un représentant du MDC. La Commission se posait des questions sérieuses au sujet de l'exactitude des renseignements figurant dans ces documents (en particulier, les références fournies par le Parti) et n'a pas pu obtenir de preuves indépendantes. La lettre n'était pas datée et ne précisait pas à quel moment le demandeur était devenu membre du MDC. La lettre appuie fortement la demande d'asile, mais il n'y est pas fait mention des problèmes et du risque couru par le demandeur. En outre, cette lettre était signée par un représentant au niveau du district. Toutefois, selon la preuve documentaire dont disposait la Commission, les lettres du Parti sont habituellement signées par les membres de la direction du Parti.

[15]            La Commission était prête à essayer de vérifier directement les documents du demandeur auprès du MDC au Zimbabwé. Toutefois, l'ancien avocat du demandeur a fait savoir que pareille tentative serait futile étant donné que, selon la politique du MDC, les demandes d'asile ne sont pas parrainées. Puisqu'elle ne pouvait pas vérifier l'exactitude des renseignements figurant dans ces documents, la Commission a décidé de se fonder sur d'autres aspects de la preuve présentée par le demandeur afin de n'accorder aucune importance à la carte de membre et aux références.

[16]            Dans la décision Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Nadon a expliqué comme suit au paragraphe 20 le fondement de la nature spéciale des règles de la preuve dans les procédures concernant les réfugiés :


[...] Il faut cependant se souvenir que les procédures devant la Commission du statut de réfugié sont de nature particulière en ce sens que la seule preuve soumise en effet devant la Commission est celle du requérant qui témoigne des événements qui sont survenus dans un pays étranger. Il n'y a pas de partie adverse dans ces procédures et, par conséquent, personne ne conteste la véracité de l'histoire du requérant et des documents que le requérant soumet à la Commission. [...]

   

[17]            Au paragraphe 21, le juge Nadon a également dit qu'il doit exister une certaine corroboration ou preuve indépendante lorsque la Commission se pose des questions au sujet de la crédibilité :

[...] Lorsqu'une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n'est pas crédible, dans la plupart des cas, il s'ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu'ils sont véritablement authentiques. En l'espèce, la preuve du requérant n'a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n'est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d'affirmer qu'il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

   

[18]            Dans sa décision, malgré la preuve relative à la qualité de membre présentée à l'audience, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas membre du MDC :

[TRADUCTION] Le récit de l'intéressé en ce qui concerne les événements dont il a été victime et les renseignements fournis par son père étaient fondés sur la présumée appartenance de l'intéressé au MDC. Étant donné les conclusions défavorables que j'ai tirées au sujet de la crédibilité et puisque le MDC n'est pas prêt à attester que l'intéressé est membre du parti, je conclus selon la prépondérance des probabilités que l'intéressé n'est pas membre du MDC.


[19]            Je conclus donc que la Commission avait toute l'expertise voulue pour déterminer la valeur probante à attribuer à la carte de membre et aux références. Je conclus également qu'il n'était pas déraisonnable pour la Commission de refuser d'accorder de l'importance à ces documents étant donné l'absence de corroboration ou de preuve indépendante de la part des autorités responsables du MDC et compte tenu des conclusions défavorables qu'elle avait tirées au sujet de la crédibilité du demandeur.

Absence de preuve subjective

[20]            La Commission a également conclu que le demandeur n'avait pas de crainte subjective :

[TRADUCTION] C'est le fait que l'intéressé veut présenter au tribunal des éléments de preuve non dignes de foi qui amène celui-ci à conclure qu'il a inventé une histoire fondée sur la preuve objective bien connue selon laquelle les partisans du MDC sont parfois attaqués par les partisans de la ZANU-PF. Étant donné que j'ai conclu selon la prépondérance des probabilités que les présumés malencontreux événements ne se sont pas produits, je conclus également que l'intéressé n'avait aucune crainte subjective lorsqu'il a quitté son pays.

[21]            Comme l'a dit Madame le juge Tremblay-Lamer dans la décision Maqdassy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 182 (aux paragraphes 10 et 11) :

Comme je l'ai souligné plus récemment dans Tabet-Zatla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1778, au paragraphe 6, l'absence de preuve relative à l'élément subjectif de la revendication suffit en soi pour que la demande soit rejetée :

L'absence de preuve quant à l'élément subjectif de la revendication constitue une lacune fatale qui justifie à elle seule le rejet de la revendication puisque les deux éléments de la définition de réfugié, subjectif et objectif, doivent être rencontrés.

Ces observations ont été citées avec approbation dans Vallipuram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1519, et Fernandov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1129.


[22]            Je conclus donc que la Commission n'a pas commis d'erreur en rejetant la revendication compte tenu des conclusions défavorables qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité et de l'absence de crainte subjective.

  

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     

                                   « Luc Martineau »                      

            Juge                                  

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                               IMM-315-02

INTITULÉ :                                                              Mugwagwa Brian Kanyai

c.

MCI

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                   le 7 août 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                        Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                                            le 8 août 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Mugwagwa Brian Kanyai                                    POUR LE DEMANDEUR

M. Tamrat Gebeyehu                                                  POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

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