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Date : 20010621

Dossier : IMM-4612-00

                                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 685

ENTRE :

                                                    BALKAR SINGH SIDHU

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM :

[1]         À l'audience, les arguments oraux ont été présentés en français, mais puisque le demandeur, dans cette demande de contrôle judiciaire, ne comprend pas et ne parle pas le français et, sur consentement de son avocat, les motifs de l'ordonnance et l'ordonnance sont rendus en anglais.


[2]                 Le demandeur, Balkar Singh Sidhu, conteste par voie de contrôle judiciaire la décision que la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a rendue le 1er août 2000. L'avis de décision est daté, tel qu'il est signé, du 11 août 2000. Selon la décision, le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention visé au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi).

Les faits

[3]                 La décision de la SSR permet de constater les faits, qui sont ci-après énoncés.

[4]                 Le demandeur, Balkar Singh Sidhu, est un citoyen de l'Inde âgé de 34 ans. Sa revendication est fondée sur son appartenance à un groupe social, à savoir les sikhs, ainsi que sur ses opinions politiques.

[5]                 Avant de venir au Canada, le demandeur habitait dans le village de Khusropur Dona, district de Kapurthala, au Pendjab. Il habitait dans une ferme avec sa conjointe, ses parents et un frère.


[6]                 Au mois de novembre 1995, des agents de police ont arrêté le frère du demandeur et deux de ses amis, dont l'un était un présumé militant. Le frère du demandeur a de nouveau été arrêté en 1996, en 1997 et au mois de mars 1998. Le demandeur affirme qu'après l'arrestation qui a eu lieu en 1998, il a demandé à son frère de cesser de rencontrer ses amis dans la résidence familiale et de cesser d'assister aux réunions.

[7]                 Au mois de mai 1998, le cousin du demandeur a été arrêté et il aurait été tué. Le demandeur affirme que le mois suivant, soit en juin 1998, son frère s'est caché et qu'on ne l'a pas vu ou qu'on n'a pas eu de ses nouvelles depuis lors.

[8]                 Au mois d'octobre 1998, un indicateur de police a censément été tué dans un village voisin. Cela a donné lieu à des descentes de la police, et le demandeur et son père ont été arrêtés. Le demandeur allègue avoir été torturé pendant qu'il était détenu. Toutefois, il a été relâché après que le conseil de son village fut intervenu et qu'un pot-de-vin eut été payé.

[9]                 Le demandeur a encore une fois été arrêté au mois d'avril 1999. Les agents de police alléguaient qu'ils avaient trouvé des explosifs dans son champ de canne à sucre et que le demandeur avait des liens avec des militants. Le demandeur affirme avoir été battu par les agents de police. Toutefois, il a encore une fois été libéré sur paiement d'un pot-de-vin grâce à l'intervention du conseil de son village.

[10]            La police a convoqué le demandeur aux mois de juin et d'août 1999 afin d'obtenir des renseignements au sujet des militants, mais le demandeur déclare qu'il n'a pas pu fournir de renseignements. Il affirme avoir encore une fois été battu par les agents de police.


[11]            Le demandeur allègue avoir porté plainte, au mois de septembre 1999, au Comité d'action de Khalra et avoir dénoncé la brutalité de la police. Peu de temps après, des agents de police ont fait une descente chez lui. La conjointe et le père du demandeur ont été battus, et le père a été arrêté. On n'a pas vu le père du demandeur depuis lors.

[12]            Le demandeur, qui craignait pour sa sécurité, s'est rendu dans l'Uttar Pradesh où il est resté chez un oncle. Deux mois plus tard, des agents de police de l'Uttar Pradesh ont procédé à une perquisition chez l'oncle; ils ont arrêté le demandeur après qu'il eut menti au sujet de l'endroit d'où il venait. Le demandeur a obtenu sa mise en liberté en payant un pot-de-vin; il a quitté le pays pour venir au Canada.

La décision de la Commission

[13]            La Commission a reconnu que le demandeur est un jeune homme sikh du Pendjab, en Inde. Elle a ajouté que « ce n'est pas suffisant en soi pour accorder le statut de réfugié pour un motif de la Convention » . Bien sûr, cet énoncé est exact.

[14]            La Commission s'est reportée à la preuve documentaire, selon laquelle les jeunes hommes sikhs ne constituent pas un groupe persécuté au Pendjab; elle a statué que la revendication du demandeur ne pouvait pas être fondée sur son appartenance à un groupe social.


[15]            En ce qui concerne l'allégation fondée sur les opinions politiques, la Commission a noté que le frère du demandeur était impliqué avec le Shiromani Akali Dal depuis 1994; toutefois, le demandeur n'a jamais été actif en politique ou ne s'est jamais mêlé de politique.

[16]            À la page 2 de sa décision, la Commission dit ce qui suit :

En ce qui concerne l'argument de l'appartenance du revendicateur à un groupe social particulier, soit d'un jeune homme sikh en Inde, la preuve documentaire indique ce qui suit :

[TRADUCTION] « Présentement les sikhs ne constituent pas un groupe persécuté, et les membres de la base des groupes qui étaient ciblés à un moment donné sont, en termes généraux, maintenant en sécurité. »

D'autres experts corroborent aussi la déclaration précitée, car les conditions se sont améliorées considérablement depuis le milieu des années 80 alors que le militantisme et l'agressivité de la police étaient marqués. Le Dr Cynthia Mahmood déclare:

[TRADUCTION] « [...] les conditions au Pendjab se sont grandement améliorées depuis les pires jours du début des années 90, et ce n'est plus juste d'affirmer que tout sikh est menacé de persécution simplement à cause de sa religion. »

Le Dr Mahmood poursuit en décrivant trois catégories encore à risque; les jeunes hommes sikhs du Pendjab ne sont pas considérés une catégorie à risque en soi. Des témoignages plus récents venant de sources vivant en Inde corroborent également la déclaration selon laquelle les jeunes hommes sikhs du Pendjab ne constituent pas une catégorie qui doit être considérée à risque en Inde.

La preuve ne suggère pas que les jeunes hommes sikhs sont un groupe persécuté particulier en Inde. Par conséquent, les arguments concernant l'octroi du statut de réfugié sur la base que le revendicateur était persécuté parce qu'il appartenait à un groupe social particulier, ne peuvent être considérés comme vérifiés et ne sont pas crédibles étant donné la preuve reçue.

[17]            À la page 3 de sa décision, la Commission dit également ce qui suit : « En ce qui concerne les autres raisons de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention , c'est-à-dire les opinions politiques imputées, le revendicateur a témoigné qu'il n'était pas lui-même actif en politique, mais que son frère était impliqué avec le Shiromani Akali Dal depuis 1994. »


[18]            La Commission a remis en question la véracité des événements et, en particulier, le fait que le demandeur avait attendu jusqu'en 1998 pour demander à son frère de quitter la politique et de ne plus s'associer aux gens qu'il rencontrait. En réponse à cette préoccupation, le demandeur a dit qu'il parlait uniquement de questions liées à la ferme avec son frère [voir la transcription du dossier certifié du Tribunal, page 583]. La Commission a statué que cela n'était pas raisonnable.

[19]            Dans sa décision, la Commission a dit que « le revendicateur a[vait] écrit dans son témoignage oral qu'il s'[était] présenté au Comité d'action de Khalra en septembre 1998 » [dossier certifié du Tribunal, page 6]. Il est à supposer que par « témoignage oral » , on entend le Formulaire de renseignements personnels du demandeur (le FRP). Toutefois, dans son FRP, le demandeur dit clairement qu'il s'est rendu aux bureaux du Comité d'action de Khalra au mois de septembre 1999 [dossier certifié du Tribunal, page 21]. Dans son témoignage, le demandeur déclare s'être rendu aux bureaux du Comité afin de déposer la plainte au mois de septembre 1999 [dossier certifié du Tribunal, page 589]. Toutefois, en réponse à la question qui lui a de nouveau été posée, il a également dit ce qui suit : [Traduction] « Nous y sommes allés en 1998. Nous y étions allés en 1998 » [page 590]. La question lui a été posée encore une fois; il a répondu qu'il avait mal compris, et il a encore déclaré s'être rendu aux bureaux du Comité au mois de septembre 1999.


[20]            Dans sa décision, la Commission a déclaré qu'elle n'acceptait pas l'explication du demandeur, à savoir qu'il n'avait pas compris la question, puisqu'on la lui avait posée à plusieurs reprises et que jusqu'alors, rien ne montrait qu'il y ait eu des problèmes de traduction.

[21]            Le demandeur avait obtenu une lettre du Comité d'action de Khalra, attestant sa visite et les motifs y afférents. Toutefois, la lettre précisait que le frère du demandeur s'était caché au mois de juin 1999 plutôt qu'au mois de juin 1998, comme l'avait mentionné le demandeur.

[22]            La Commission se demandait pourquoi le demandeur aurait attendu plus d'un an pour porter plainte au sujet de la brutalité de la police et de la disparition de son frère. Elle ne jugeait pas raisonnable l'explication du demandeur selon laquelle il ne savait pas où se trouvaient les bureaux du Comité.

[23]            La Commission a également noté que le départ du frère était suspect. Le demandeur affirmait que son frère était parti de son propre chef, alors que selon la lettre du Comité d'action de Khalra, il était disparu à la suite d'une arrestation.


[24]            La Commission remettait également en question l'authenticité de la lettre. En effet, la lettre contenait des contradictions intrinsèques; elle précisait d'abord que le demandeur et sa famille avaient signé un affidavit; elle disait ensuite qu'ils n'avaient pas remis d'affidavit.

[25]            Le demandeur a soumis une deuxième lettre à l'appui de sa revendication. Cette lettre provenait du parti Akali Dal Amristar. La Commission doutait également de l'authenticité de cette lettre. L'en-tête de la lettre était libellé au nom du « Shromini Akali Dal » , alors qu'au bas de la lettre figurait l'inscription « Shiromani » [il est à noter que la Commission a par erreur mentionné l'orthographe erronée, à savoir « Shromani » ]. La Commission a noté que, selon la preuve documentaire et les journaux, la bonne orthographe était « Shiromani » .

[26]            La Commission a également noté que le demandeur avait parlé des ennuis qu'il avait eus avec la police avant 1995; toutefois, son FRP n'indiquait rien à ce sujet.

[27]            Enfin, la Commission a statué que le rapport psychologique soumis par le demandeur ne pouvait pas être considéré comme déterminant en ce qui concerne sa crédibilité, puisque cette tâche incombe à la Commission. La Commission avait également des doutes au sujet de la question de savoir si le diagnostic de syndrome de stress post-traumatique était fondé.

ANALYSE


[28]            Je commencerai l'analyse de la demande en citant les remarques que Monsieur le juge Dubé a faites au sujet de la question de la crédibilité à la page 3 de la décision Farhan Sharif et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration qui vient d'être rendue le 29 mai 2001, IMM-1816-00, 2001 CFPI 542 :

La Cour a de façon constante affirmé que la Commission possède un pouvoir discrétionnaire pour tirer des conclusions quant à la crédibilité et que lorsque de telles conclusions sont tirées, la Cour ne devrait pas intervenir hâtivement [Aguebor c. MEI (1993), 160 N.R. 315 (F.C.A.)]. La Cour ne devrait pas intervenir quant à une décision de la Commission fondée sur des éléments de preuve qui, dans leur ensemble, peuvent appuyer une conclusion défavorable quant à la crédibilité [Larue c. MEI [1993] A.C.F. no 484]. Il n'appartient pas à la Cour de se substituer à la Commission quant à l'appréciation de la crédibilité, même si la Cour aurait pu conclure autrement.

[29]            Je ne puis faire mieux que de citer le paragraphe 6 de la décision susmentionnée puisque je suis convaincu qu'il s'applique en l'espèce :

La décision de la Commission apparaît être raisonnable dans les circonstances. À l'appui de sa conclusion défavorable quant à la crédibilité, la Commission a énoncé les motifs sur lesquels elle s'est fondée, entre autres, les nombreux problèmes et incohérences résultant du témoignage du demandeur. Le fait que la Commission aurait pu préciser davantage les motifs pour lesquels elle a accordé si peu d'importance à la preuve documentaire ne constitue pas en soi une erreur susceptible de contrôle.

[30]            Dans son « Mémoire » , en présentant ses arguments dans le cadre de la demande d'autorisation, l'avocat du demandeur a préparé une excellente argumentation. Il a analysé presque toutes les déclarations que la Commission avait faites dans sa décision.

[31]            Je n'ai pas l'intention de faire la même chose. Je retiens les paroles que Monsieur le juge Joyal a prononcées dans la décision Miranda c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1993] 63 F.T.R. 81, paragraphes 3, 4 et 5, où il est dit ce qui suit :

Je suis toutefois d'avis qu'aux fins d'un contrôle judiciaire, les décisions de la Commission doivent être prises dans leur ensemble. Certes, on pourrait les découper au bistouri, les regarder à la loupe ou encore, en disséquer certaines phrases pour en découvrir le sens. Mais je crois qu'en général, ces décisions doivent être analysées dans le contexte de la preuve elle-même. J'estime qu'il s'agit d'une manière efficace de déterminer si les conclusions tirées étaient raisonnables ou manifestement déraisonnables.


J'ai lu les notes sténographiques des dépositions des témoins devant la Commission et j'ai entendu les arguments des deux avocats. Bien qu'il soit possible d'isoler un commentaire dans la décision de la Commission et de conclure que celle-ci s'est trompée, l'erreur doit néanmoins être pertinente à la décision rendue. Et, à mon avis, aucune erreur de ce genre n'a été commise.

S'il est vrai que des plaideurs habiles peuvent découvrir quantité d'erreurs lorsqu'ils examinent des décisions de tribunaux administratifs, nous devons toujours nous rappeler ce qu'a dit la Cour suprême du Canada lorsqu'elle a été saisie d'un pourvoi en matière criminelle où les motifs invoqués étaient quelque douze erreurs commises par le juge dans ses directives au jury. En rendant son jugement, la Cour a déclaré qu'elle avait trouvé dix-huit erreurs dans les directives du juge mais que, en l'absence de tout déni de justice, elle ne pouvait accueillir le pourvoi.

[32]            J'ai lu la décision de la Commission; en ce qui concerne les remarques que les membres ont faites au sujet de la question de la crédibilité et de la question des incohérences et, à mon avis, il y en avait un bon nombre, il est clairement précisé pourquoi la Commission était d'avis que la preuve présentée par le demandeur était telle qu'elle ne pouvait pas accepter ce que celui-ci disait (voir les pages 3 et 4).

[33]            La Commission a fait des remarques au sujet d'une incohérence à la page 4 de sa décision :

La disparition du frère présente aussi un problème d'incohérence. Le revendicateur a signalé que le frère était parti de chez lui de son propre chef et n'a dit à personne où il était. Pourtant, la lettre du Shiromani Akali Dal Amritsar allègue que le frère a été porté disparu à cause des arrestations par la police. Nous avons encore une incohérence inexpliquée qui ne rehausse pas la crédibilité du revendicateur.

[34]            Avec égards, je ne puis constater aucune incohérence. L'arrestation du frère par la police n'est pas compatible avec le fait que le frère a quitté la maison « de son propre chef et n'a dit à personne où il était » .


[35]            Cette erreur possible dans l'appréciation des nombreuses incohérences n'est pas importante.

[36]            On trouve des explications au sujet des diverses incohérences à presque toutes les pages de la décision de la Commission.

CONCLUSION

[37]            Comme j'en ai ci-dessus fait mention, malgré l'analyse fort minutieuse que l'avocat du demandeur a faite, je suis tout à fait convaincu qu'il n'y a pas lieu pour la Cour de modifier la décision motivée de la Commission.

[38]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[39]            Ni l'une ni l'autre partie n'a soumis une question à certifier.

                   « Max M. Teitelbaum »                  

         Juge

Calgary (Alberta)

le 21 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20010621

Dossier : IMM-4612-00

CALGARY (ALBERTA), LE JEUDI 21 JUIN 2001.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

                                                    BALKAR SINGH SIDHU

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                              ORDONNANCE

Pour les raisons énoncées dans les motifs de l'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                   « Max M. Teitelbaum »                  

         Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-4612-00

INTITULÉ :                                           BALKAR SINGH SIDHU

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 30 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Teitelbaum

DATE DES MOTIFS :                       le 21 juin 2001

COMPARUTIONS :

M. Michel Le Brun                                              POUR LE DEMANDEUR

Mme Thi My Dung Tran                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Michel Le Brun                   

Montréal (Québec)                                              POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg             

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR

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