Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050607

Dossier : T-454-05

Référence : 2005 CF 815

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL                         

                                                                             

ENTRE :                                                                                

                                                     AVENTIS PHARMA S.A. et

AVENTIS PHARMA INC.

                                                                                                                              demanderesses

                                                                            et

NOVOPHARM LIMITED

                                                                                                                                  défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

A.         INTRODUCTION

[1]                L'action en contrefaçon de brevet qui sous-tend la présente requête porte sur le brevet canadien numéro 2,045,433 (brevet 433) des demanderesses pour une invention intitulée « Mélanges de polysaccharides de bas poids moléculaires; procédé de préparation et utilisation » . De manière générale, l'invention révélée et revendiquée dans le brevet 433 a trait à de nouvelles compositions utilisées comme anticoagulants pour le traitement de maladies graves et potentiellement mortelles, notamment les caillots sanguins.

[2]                Les demanderesses vendent au Canada depuis 1993 un produit de ce brevet sous la marque nominale LOVENOX (énoxaparine sodique), qui est une haparine de bas poids moléculaire (HBPM).

[3]                Le 28 février 2005, Novopharm a obtenu un avis de conformitépour une version générique de LOVENOX (Novo-énoxaparine). Novopharm a annoncé en mars 2005 son intention de commencer la vente de la Novo-énoxaparine au Canada dès juin ou juillet 2005. Les demanderesses allèguent que la Novo-énoxaparine constitue une contrefaçon du produit, du procédéet de l'utilisation revendiqués dans le brevet 433. Novopharm rétorque que toutes les revendications du brevet 433 sont et ont toujours été invalides.

B.         LA PRÉSENTE REQUÊTE

[4]                La présente requête vise notamment à obtenir une injonction interlocutoire ou provisoire afin, en attendant l'issue du procès, d'empêcher Novopharm de fabriquer de la Novo-énoxaparine ou d'en importer, exporter, utiliser, offrir en vente ou vendre pour être utilisée.

[5]                Les demanderesses soutiennent qu'une injonction devrait être accordée pour les raisons suivantes :

a)          Novopharm a admis que la Novo-énoxaparine est visée par les revendications 1 et 2 du brevet 433.

b)          Sur la requête, Novopharm ne présente aucune preuve substantielle à l'appui de sa demande reconventionnelle pour invalidité.


c)          LOVENOX est disponible depuis 1993 au Canada. La Novo-énoxaparine n'a pas encore été introduite sur le marché canadien et Novopharm ne subira aucun préjudice irréparable si cette introduction est retardée en attendant l'issue du procès.                               

d)          Les demanderesses subiront un préjudice irréparable dès la mise en marché du médicament générique Novo-énoxaparine. Elles subiront notamment une atteinte grave et irréparable à leur réputation, la perte d'une part de marché, la perte de débouchés et la réduction permanente du prix de LOVENOX.

e)          Le procédé de fabrication de LOVENOX utilisé par les demanderesses n'est pas accessible au public et Novopharm ne le connaît pas. Celle-ci plaide, dans sa défense, que son procédé ne viole pas les revendications de procédés. De plus, Novopharm n'a présenté aucune preuve directe de son procédé. Il faut donc en inférer que la Novo-énoxaparine ne sera pas produite par un procédé identique ou équivalent à celui utilisé pour la fabrication de LOVENOX.

On reconnaît généralement que les produits HBPM fabriqués au moyen de procédés non identiques ou non équivalents n'ont pas le même profil pharmacologique d'innocuité ou d'efficacité. Pour cette raison, on reconnaît que les produits HBPM génériques qui ne sont pas fabriqués au moyen d'un procédé identique ou équivalent à celui du médicament de marque nominale soulèvent des questions de santé et d'innocuité graves. La Novo-énoxaparine est le premier et seul produit générique HBPM approuvé au Canada. Aucun produit générique HBPM n'est présentement en vente aux États-Unis.

[6]                Dans une instance parallèle devant la Cour, les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de Santé Canada d'accorder un avis de conformité à Novopharm, notamment parce que cette décision soulèverait des préoccupations de santé et d'innocuité.


C.         LES DROITS DES DEMANDERESSES

[7]                La demanderesse Aventis Pharma S.A. est propriétaire du brevet 433, lequel a été accordé le 30 juillet 2002 et expire le 25 juin 2011.

[8]                L'invention décrite et revendiquée dans le brevet 433 porte généralement sur de nouveaux mélanges de polysaccharides de bas poids moléculaires et leurs procédés de préparation et d'utilisation, y compris certains composés HBPM.

D.         LE PRODUIT LOVENOX DES DEMANDERESSES

[9]                La demanderesse Aventis Pharma Inc. vend au Canada, avec le consentement de la demanderesse Aventis Pharma S.A., sous la marque nominale LOVENOX, une composition thérapeutique HBPM visée par les revendications du brevet 433. L'appellation chimique courante et approuvée du produit est l'énoxaparine sodique. Les produits HBPM présentement disponibles au Canada, dont le LOVENOX, sont administrés par voie sous-cutanée et servent d'anticoagulants pour le traitement de diverses maladies graves et potentiellement mortelles.

[10]            LOVENOX se vend au Canada depuis 1993. Premier produit HBPM disponible au Canada, LOVENOX est le seul produit d'énoxaparine sodique jamais vendu au pays. LOVENOX jouit d'une bonne réputation auprès des médecins pour sa fiabilité, son innocuité et son efficacité.


[11]            Trois autres produits HBPM font présentement compétion à LOVENOX, soit FRAGMIN (danéparine sodique); FRAXIPARINE (nadroparine de calcium); et INNOHEP (tinzaparine sodique). L'héparine non fractionnée (HNF) (dont il est question ci-dessous) est également utilisé comme anticoagulant injectable.

[12]            LOVENOX est présentement le chef de file sur le marché grandissant des produits HBPM.

[13]            Il n'existe actuellement aucun générique de LOVENOX ou de tout autre produit HBPM disponible au Canada ou aux États-Unis.

E.          LES PRODUITS HNF ET HBPM

[14]            L'héparine non fractionnée (HNF) est une combinaison très complexe de molécules, d'origine naturelle, composé de chaînes linéaires de polysaccharides (glycosaminogrycan) de structures chimiques variées. Généralement, on l'extrait des tissus intestinaux du porc.

[15]            Malgré leur utilisation comme anticoagulants depuis des années, les produits HNF comportent certains inconvénients, notamment leur courte demi-vie (qui requiert des infusions intraveineuses continues) et des réactions imprévisibles aux anticoagulants (de sorte que les patients qui en reçoivent doivent être étroitement surveillés dans un contexte hospitalier).

[16]            Ces inconvénients ont suscité la mise au point des produits HBPM qui présentent certains avantages relativement aux produits HNF.

[17]            Les produits HBPM sont produits par dépolymérisation (fractionnement) des longues chaînes de polysaccharides des HNF. Le poids moléculaire moyen des HBPM est d'environ le tiers de celui des HNF.

[18]            Selon les demanderesses, c'est le procédé spécifique utilisé pour dépolymériser les HNF qui détermine la structure chimique, et donc l'action anticoagulante ainsi que le profil pharmacologique d'efficacité et d'innocuité du produit HBPM résultant. Les demanderesses soutiennent également que, selon ce qui est généralement accepté, les modifications des paramètres d'un procédé de fabrication donnent lieu à un produit de structure chimique différente et qui, en conséquence, présente un profil pharmacologique d'innocuité et d'efficacité différent.

[19]            Chacun des fabricants des quatre produits HBPM au Canada utilise un procédé de dépolymérisation différent.

[20]            Dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques canadien (CPS), qui constitue un texte de référence couramment utilisé par les médecins et pharmaciens, chacune des monographies abrégées des quatre produits HBPM disponibles au Canada avertit que les produits ne sont pas interchangeables. Quoique les indications thérapeutiques se recoupent quelque peu, les quatre produits HBPM n'ont pas été comparés un à un pour les différentes indications et ne sont pas formellement approuvés pour toutes les mêmes indications. LOVENOX est le produit HBPM par excellence pour le traitement du syndrome coronaire aigu.

[21]            Pour les indications qui se recoupent, les quatre produits HBPM sont administrés selon des posologies différentes. Les demanderesses soutiennent que les produits HBPM ne sont pas interchangeables, c'est-à-dire qu'on ne peut échanger une dose pour l'autre ou un produit pour l'autre.


F.          LE PROCÉDÉ DE FABRICATION DE LOVENOX

[22]            Le LOVENOX est fabriqué à partir de HNF (héparine non fractionnée) par un procédé de salification, un procédé d'estérification et un procédé de dépolymérisation avec élimination en 3 d'esters benzyliques d'acides uroniques par des milieux alcalins. Ces réactions interviennent sous l'effet de certains paramètres spéciaux rigoureusement contrôlés, notamment la température, la durée de la réaction et la concentration de la base.

[23]            Les demanderesses déclarent que les paramètres de leur procédé de fabrication sont hautement confidentiels et non disponibles pour le public. Elles déclarent également que leur procédé entraîne des modifications structurelles spécifiques, dépendant du procédé, à la structure chimique de l'énoxaparine sodique produit. Les demanderesses allèguent qu'elles ont découvert plusieurs de ces modifications, ou empreintes, notamment les suivantes :

a)          Contrairement aux chaînes de polysaccharide qui caractérisent généralement les produits de type HBPM (héparine de bas poids moléculaire) (qui renferment principalement des chaînes à nombre pair), le procédé d'Aventis donne un produit qui contient des chaînes de polysaccharides à nombre impair;

b)          Le procédé d'Aventis entraîne la formation de fractions d'acide galacturonique dans les séquences de polysaccharides;

c)          Le procédé d'Aventis entraîne la formation d'une structure 1,6-anhydrocyclique (bicyclique) à l'extrémité réductrice de tous les oligosaccharides portant des groupes 6-O-sulfo sur la fraction glucosamine.

[24]            Les demanderesses soutiennent que les signatures distinctes de LOVENOX résultent directement des paramètres de leurs procédés de fabrication. Elles prétendent que ces signatures structurelles conduisent directement au profil pharmacologique d'innocuité et d'efficacité de LOVENOX.

G.         LES ACTIVITÉS DES DÉFENDERESSES

[25]            Novopharm est un fabricant, importateur, distributeur et vendeur de produits pharmaceutiques génériques au Canada. Le premier mars 2005, Novopharm a annoncé aux hôpitaux et aux pharmaciens en Ontario qu'elle avait reçu un avis de conformité du ministre de la Santé pour son médicament générique Novo-énoxaparine et qu'elle espérait lancer le produit au Canada dès le mois de juin ou juillet 2005. L'avis de conformité avait été délivré sur la base des présentations abrégées de drogue nouvelle (PADN) de Novopharm dans lesquelles celle-ci alléguait que le produit Novo-énoxaparine était un médicament équivalent à LOVENOX.

[26]            Les demanderesses disent qu'il est très improbable que la Novo-énoxaparine soit fabriquée au Canada au moyen d'un procédé identique ou équivalent à celui utilisé pour la fabrication de LOVENOX. Comme cela est expliqué ci-dessus, les paramètres du procédé d'Aventis sont très secrets et Novopharm a nié qu'elle violait les revendications du procédé du brevet 433. En conséquence, les demanderesses plaident que la Novo-énoxaparine présentera une structure chimique et un profil pharmacologique d'innocuité et d'efficacité différents de LOVENOX.


[27]            Les demanderesses soutiennent aussi que les différences dans le profil pharmacologique d'innocuité et d'efficacité de la Novo-énoxaparine pourraient provoquer plus de saignement chez les patients et ainsi augmenter le risque d'hémorragie ou pourraient ne pas prévenir la thrombose aussi bien que LOVENOX, ce qui entraînerait une baisse de l'efficacité. Dans l'un et l'autre cas, les demanderesses plaident que les patients pourraient encourir le risque d'effets secondaires graves, y compris l'apoplexie ou la mort, si la Novo-énoxaparine était utilisée comme produit pharmaceutique équivalent à LOVENOX.

H.         LE PROCESSUS D'OBTENTION D'UN AVIS DE CONFORMITÉ

[28]            Les demanderesses allèguent qu'il est reconnu au Canada que l'utilisation d'une PADN pour obtenir un avis de conformité pour un produit HBPM est gravement préoccupante. M. Christian Viskov, témoin expert pour les demanderesses, a soutenu qu'il est difficile de comprendre pourquoi Santé Canada a délivré un avis de conformité pour un produit générique énoxaparine sodique au vu des préoccupations avérées sur les produits génériques HBPM. Aux États-Unis, les demanderesses ont fait part de préoccupations semblables à la FDA à propos de l'utilisation d'une « demande abrégée de nouvelle drogue » , soit l'équivalent des PADN au Canada. À ce jour, aucun produit générique HBPM n'a été approuvé aux États-Unis.

I.           PRODUITS BIOLOGIQUES

[29]            Les demanderesses soulignent également que les produits HBPM sont analogues aux produits biologiques dont la fabrication comporte la purification de sources biologiques, par exemple des tissus animaux ou humains ou des fluides corporels (la HNF est extraite des tissus intestinaux du porc). Les produits biologiques sont des combinaisons complexes qu'il n'est pas facile d'identifier ou de caractériser. En conséquence, les demanderesses font valoir que la politique de Santé Canada est de ne pas délivrer d'avis de conformité pour des produits biologiques sur la base d'une PADN.


J.          LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE CONNEXE

[30]            Aventis Pharma Inc. a fait une demande de contrôle judiciaire et sollicite une ordonnance pour notamment annuler la décision du ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l'égard de la Novo-énoxaparine. La demande se fonde en partie sur la prétention que la Novo-énoxaparine n'est pas un produit pharmaceutique équivalent à LOVENOX, ainsi que sur des préoccupations de santé et d'innocuité.

K.         LE MARCHÉ CANADIEN DE L'ANTICOAGULANT INJECTABLE

[31]            Le marché canadien de l'anticoagulant injectable comprend surtout les produits HNF et les quatre produits HBPM susmentionnés. Les demanderesses sont d'avis que le marché des produits HBPM est très différent de celui des produits pharmaceutiques typiques. Ceci s'explique, en partie, par le fait que la grande majorité des ventes de produits HNF et HBPM se font à des hôpitaux et non à des pharmacies.

[32]            Les demanderesses résument ainsi les éléments de preuve touchant le marché canadien de l'anticoagulant injectable :

a)          Les produits HNF domine le marché en ce qui a trait au nombre d'unités vendues.

b)          Un tiers du marché porte sur le traitement de troubles artériels et les deux autres tiers, sur le traitement de troubles veineux.

c)          Pour l'essentiel, les ventes au détail portent toutes sur le traitement des troubles veineux. Les patients souffrant de troubles artériels sont traités presque seulement dans des contextes hospitaliers.


d)          Pour ce qui est des troubles artériels, LOVENOX domine nettement, avec environ 95 pour 100 des ventes, malgré son prix plus élevé que ceux de FRAGMIN et INNOHEP.

e)          Pour ce qui est des troubles veineux, FRAGMIN domine, avec environ 75 pour 100 du marché.

[33]            Les demanderesses soulignent également que le marché canadien de l'anticoagulant injectable est très dynamique. Par cela, ils veulent dire que plusieurs variables entrent en jeu dans toute tentative d'évaluer la réaction du marché à la commercialisation de la Novo-énoxaparine de Novopharm. Ces variables comprennent selon eux les éléments suivants :

a)          Le potentiel actuel de croissance du marché des HBPM pouvant résulter de l'accroissement des parts de marché des produits HNF. Les fabricants des HBPM s'efforcent présentement de ravir de nouvelles parts de marché aux produits HNF.

b)          La concurrence actuelle entre les produits HBPM. Aventis s'efforce d'accroître sa part des ventes au détail en faisant la promotion de l'utilisation de LOVENOX plutôt que celle de FRAGMIN pour les traitement des troubles veineux. Aventis procède actuellement à quatre essais cliniques, qui doivent se terminer en septembre 2005, dans le but d'augmenter les ventes de LOVENOX relativement à celles de FRAGMIN. Les résultats de ces études pourraient transformer significativement le marché actuel.


c)          Il existe un lien entre le marché hospitalier et celui de la vente au détail. Un patient souffrant d'un trouble veineux est d'abord traité grâce à un produit HBPM quand il est à l'hôpital. Lorsqu'il reçoit son congé, le médecin lui prescrira généralement le même produit en soins ambulatoires. Par conséquent, les ventes d'hôpitaux déterminent souvent le marché de la vente au détail. Les gains ou les pertes sur le marché hospitalier se traduisent souvent par des gains ou des pertes sur le marché de la vente au détail. Par conséquent, la disponibilité d'un produit HBPM sur le marché de la vente au détail peut influencer les ventes au détail.

d)          Le prix des produits HNF et HBPM baisseront dès la mise en marché de la Novo-énoxaparine de Novopharm. Dès la fin de la première année de mise en marché, on prévoit qu'Aventis devra réduire le prix de LOVENOX de 35 pour 100. On prévoit aussi que les fabricants de HNF et des autres produits HBPM devront également réduire leurs prix en conséquence.

e)          La réaction de Novopharm, y compris de nouvelles réductions de prix, des offres groupées etc.

L.          INCIDENCE SUR LES DEMANDERESSES

[34]            Les demanderesses prétendent que l'introduction de la Novo-énoxaparine sur le marché canadien leur causera aussitôt les préjudices irréparables suivants :

i)           Perte permanente de parts du marché de la vente au détail des produits HBPM et de l'opportunité d'augmenter leurs parts de ce marché

[35]       En raison de son prix plus bas, la Novo-énoxaparine de Novopharm s'accaparera essentiellement tout le marché de la vente au détail de LOVENOX au Canada. Toute réduction de prix par Aventis (et par les autres fabricants de produits HBPM) sera rapidement égalée par Novopharm qui fera toujours en sorte d'offrir aux pharmacies le produit HBPM au prix le plus bas.


[36]            Non seulement Aventis perdra toute sa part actuelle du marché de la vente au détail, mais ses efforts pour augmenter sa part de marché de la vente au détail relativement à FRAGMIN seront complètement anéantis. Étant donné la nature dynamique du marché des HBPM ainsi que les variables multiples qui influent décisivement sur la part de marché relative des produits HBPM, il est impossible de calculer ce que la part du marché au détail de LOVENOX aurait été si la Novo-énoxaparine n'avait jamais été commercialisée.

ii)          Perte permanente de parts du marché institutionnel (les hôpitaux) des produits HBPM et perte de l'opportunité d'augmenter leurs parts de ce marché

[37]            Il est probable qu'un hôpital n'achète qu'un produit à la fois d'énoxaparine et les acheteurs pour les hôpitaux sont très sensibles aux prix. Il est pour ainsi dire certain que presque tous les hôpitaux se mettront rapidement à acheter le produit générique moins cher, Novo-énoxaparine, dès sa mise en marché si le prix actuel de LOVENOX demeure le même. En conséquence, il est probable que les ventes de LOVENOX sur le marché institutionnel décroîtront de 90 pour 100 dès la première année de la mise en marché de la Novo-énoxaparine.

[38]            Dans un effort pour conserver quelques-unes de ses parts du marché hospitalier pour son produit LOVENOX, Aventis devra réagir à la mise en marché de la Novo-énoxaparine en réduisant de manière importante le prix de LOVENOX pour les hôpitaux. Dans l'ensemble, dès la fin de la première année de la mise en marché de la Novo-énoxaparine, il est probable qu'Aventis aura réduit le prix de LOVENOX d'environ 35 pour 100. Aventis subira néanmoins une perte permanente et importante de ses parts du marché, au profit de la Novo-énoxaparine.

[39]            De plus, les fabricants de HNF et des autres produits HBPM devront aussi réagir à la mise en marché du produit générique Novo-énoxaparine en réduisant leurs prix aux hôpitaux.

[40]            Au fur et à mesure des réductions de prix de tous les produits HBPM et HNF, il se produira une redistribution des parts de marché de chacun des produits concurrents. Et, une fois encore, en raison de la nature dynamique du marché de l'anticoagulant injectable, il sera impossible de calculer la perte précise de la part de marché de LOVENOX attribuable seulement à la mise en marché de la Novo-énoxaparine.

iii)         Perte de l'opportunité d'augmenter leurs parts de marché relativement au produits HNF

[41]            Si le produit Novo-énoxaparine est mis en marché, les tentatives d'Aventis pour augmenter la part de marché de LOVENOX au détriment du marché actuel des produits HNF seront anéantis. Et à nouveau, vu la dynamique du marché, il ne sera pas possible de calculer la perte de cette opportunité qui sera attribuable à la Novo-énoxaparine.

iv)         Réduction permanente du prix de LOVENOX

[42]            Une fois que le prix de LOVENOX aura été réduit comme il est mentionné ci-dessus, il ne sera plus possible à Aventis d'élever le prix jusqu'à son niveau antérieur à la mise en marché de la Novo-énoxaparine. LOVENOX est un médicament breveté dont le prix est contrôlé par le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB); or le CEPMB limite généralement les augmentations de prix à l'indice des prix à la consommation (IPC). De plus, les clients institutionnels réagiront négativement à des augmentations importantes de LOVENOX, étant donné la nouvelle réalité des prix plus bas sur le marché entraînés par l'introduction de la Novo-énoxaparine, pour les autres produits HBPM et HNF.


(v)         Perte d'une force de vente expérimentée et compétente

[43]            Aventis ne continuera nullement à promouvoir LOVENOX au degré où elle le fait actuellement après la mise en marché de la Novo-énoxaparine. Car une telle promotion bénéficierait surtout à Novopharm qui se serait emparé de la plus grande partie du marché hospitalier et de la vente au détail. Par conséquent, le personnel de vente d'Aventis qui est de dix-sept sera réduit à trois ou quatre en 2005 et sera complètement éliminé ainsi que deux postes de direction dès 2006. Ces représentants de commerce, qui ont reçu une formation spéciale, sont très expérimentés et compétents. Au total, le temps nécessaire pour former de tels représentants est de deux ou trois ans. La perte de ces préposés aux ventes expérimentés et compétents aura un impact négatif sur la capacité d'Aventis de commercialiser sa prochaine génération de produits HBPM, qui devrait être disponible au Canada en 2008. Ceci fera véritablement obstacle au lancement du nouveau produit et entraînera une nouvelle perte de débouché. Encore une fois, il est impossible d'évaluer cette perte.

(vi)        Préjudice permanent à sa cote d'estime et à sa réputation au Canada et aux États-Unis en raison de la vente d'un produit générique moins efficace


[44]            Si l'innocuité et l'efficacité du produit Novo-énoxaparine devaient être moindres que celles de LOVENOX, il est probable que les médecins canadiens décideront d'utiliser un autre anticoagulant injectable que l'énoxaparine sodique, tel qu'un produit HNF ou un produit HBPM différent. Ceci est particulièrement vrai dans les contextes hospitaliers, dans lesquels un chirurgien pourrait ne pas savoir qu'un produit générique a été substitué à LOVENOX et attribuerait ainsi l'effet indésirable à LOVENOX. Par ailleurs, même s'il était au courant de cette substitution par un produit générique, le chirurgien pourrait attribuer l'effet indésirable à l'ingrédient actif du produit (plutôt qu'à la marque), sans savoir que le profil pharmacologique d'innocuité et d'efficacité du produit générique est différent de celui de LOVENOX. Si un médecin ou un chirurgien canadien décide ne plus utiliser une drogue comme l'énoxaparine sodique, il est peu probable qu'il l'utilisera par la suite.

[45]            Dans les deux scénarios esquissés ci-dessus, les demanderesses subiront un préjudice permanent et irréparable ainsi qu'un préjudice à leur cote d'estime et à leur réputation à cause du produit générique Novo-énoxaparine. Cependant, ce préjudice ne peut être mesuré, puisque les demanderesses ne peuvent pas déterminer la mesure dans laquelle les médecins abandonneront l'utilisation de l'énoxaparine sodique pour la remplacer par d'autres anticoagulants en raison de leur mauvaise expérience avec celle-ci.

vii)        Perte de parts du marché aux États-Unis et de l'opportunité d'y augmenter ces parts de marché

[46]            LOVENOX s'est bâti une solide réputation parmi les médecins d'ordonnance aux États-Unis pour sa fiabilité, son innocuité et son efficacité. LOVENOX domine le marché aux États-Unis en termes de parts du marché des anticoagulants injectables, avec plus de 89 pour 100 du marché.

[47]            Le potentiel de croissance du marché des États-Unis est énorme. Les produits HNF dominent présentement largement le marché en termes de ventes d'unités (avec environ 71 pour 100 du marché) et le marché d'ensemble pour les anticoagulants injectables est croissant. La demanderesse Aventis Pharma S.A. a récemment fait des efforts considérables aux États-Unis pour renseigner les médecins sur les bienfaits de LOVENOX, afin d'augmenter l'utilisation des produits HBPM en général et de convertir le marché des HNF à LOVENOX. En 2003, les ventes de LOVENOX ont augmenté aux États-Unis de 22 pour 100 et en 2004, de 24 pour 100.


[48]            Dès l'introduction de la Novo-énoxaparine sur le marché canadien, on prévoit que le produit sera vendu aux Américains par l'entremise des pharmacies canadiennes sur Internet, même si Novopharm n'a pas obtenu l'approbation de commercialisation aux États-Unis. L'estimation prudente des ventes totales actuelles de drogues, du Canada aux États-Unis, par l'entremise de pharmacies sur Internet est de plus d'un milliard de dollars.

[49]            On prévoit que le prix offert aux Américains pour la Novo-énoxaparine par l'entremise des pharmacies canadiennes sur Internet sera d'au moins 30 pour 100 inférieur au prix de LOVENOX aux États-Unis. Ceci aura une incidence négative sur les ventes de LOVENOX aux États-Unis. Cependant, aucun dispositif n'est actuellement en place pour mesurer l'étendue des ventes aux États-Unis de la Novo-énoxaparine par l'entremise des pharmacies canadiennes sur Internet. Par conséquent, il n'existe aucune manière de déterminer l'étendue de la perte des ventes de LOVENOX aux États-Unis qui serait attribuable à l'introduction de la Novo-énoxaparine sur le marché canadien.

M.        QUESTIONS EN LITIGE

[50]            La seule question en litige en l'espèce est de savoir si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder une injonction interlocutoire.

N.         L'ÉTAT DU DROIT SUR LES INJONCTIONS

[51]            Un juge de la Cour fédérale a compétence pour accorder une injonction interlocutoire en vertu de l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale et du paragraphe 373(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), que voici :



44. Indépendamment de toute autre forme de réparation qu'elle peut accorder, la Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d'exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu'elle juge équitables.

44. In addition to any other relief that the Federal Court of Appeal or the Federal Court may grant or award, a mandamus, an injunction or an order for specific performance may be granted or a receiver appointed by that court in all cases in which it appears to the court to be just or convenient to do so. The order may be made either unconditionally or on any terms and conditions that the court considers just.

373. (1) Un juge peut accorder une injonction interlocutoire sur requête.

373. (1) On motion, a judge may grant an interlocutory injunction.


[52]            L'habituel critère en trois volets que la Cour doit appliquer pour déterminer s'il y a lieu d'accorder une injonction interlocutoire est bien connu et a été énoncé dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, p. 334, 54 C.P.R. (3d) 114. Les éléments du critère sont les suivants :

a)          Y-a-t-il une question sérieuse à juger?

b)          Le demandeur subira-t-il un préjudice irréparable si l'injonction ne lui est pas accordée?

c)          Laquelle des parties subirait le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse l'injonction en attendant une décision sur le fond (la prépondérance des inconvénients)?

[53]            Pour voir leur requête accueillie, les demanderesses doivent satisfaire à toutes les exigences du critère de RJR-MacDonald.

O.         ANALYSE

Question sérieuse


[54]            Le seuil permettant de déterminer s'il y a une question sérieuse à juger est généralement considéré comme bas. À ce stade, il n'est pas nécessaire que la Cour procède à un examen au fond détaillé. Voir Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451, 24 C.P.R. (3d) 1, à la p. 14 (C.A.F.); Pfizer Ireland Pharmaceuticals et al. C. Lily ICOS LLC et al. (2003), 30 C.P.R. (4th) 317, à la p. 326.

[55]            Nonobstant la contestation de la validité du brevet 433 par Novopharm, je suis convaincu que l'action en contrefaçon de brevet des demanderesses soulève une question sérieuse à trancher.

[56]            Les demanderesses ont également prié la Cour de considérer qu'il y a une forte preuve prima facie de violation de brevet dans la présente affaire et que les allégations d'invalidité de Novopharm sont faibles. L'injonction est un recours flexible en ce qu'elle est assujettie au pouvoir discrétionnaire de la Cour. Les demanderesses soutiennent que Novopharm a choisi de contrefaire le brevet 433 avec les yeux grand ouvert et que ceci devrait constituer un solide facteur dans la présente requête eu égard à toutes les autres questions.

[57]            Il est difficile pour la Cour d'évaluer à ce stade la solidité des allégations d'invalidité de Novopharm. Celles-ci semblent soulever une question sérieuse et il est impossible de ne pas en tenir compte comme le souhaitent les demanderesses.

[58]            La Cour est toutefois d'avis que la présente requête repose sur la question du préjudice irréparable des demanderesses et, quoiqu'elle ait à l'esprit la flexibilité d'un redressement par voie d'injonction et la nécessité d'analyser tous les facteurs de la cause, il lui semble que, dans cette analyse, l'importance du préjudice irréparable est la question décisive en l'espèce.


Préjudice irréparable

[59]            Comme le juge Kelen l'a fait remarquer au paragraphe 25 de la décision Pfizer Ireland Pharmaceuticals, il est de jurisprudence constante qu'une injonction interlocutoire ou une injonction provisoire ne peut être accordée que dans les cas où l'existence d'un préjudice irréparable a été établie au moyen de preuve claires. Les demanderesses doivent présenter une preuve « claire et non spéculative » démontrant qu'elles subiront un préjudice irréparable en raison de l'introduction de la Novo-énoxaparine de Novopharm sur le marché.

[60]            Il est également bien entendu que le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. Comme la Cour suprême l'a fait observer, dans RJR-MacDonald, c'est un « préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre » (p. 341)

[61]            De plus, la difficulté à calculer précisément les dommages ne constitue pas un préjudice irréparable, pourvu qu'il existe une manière raisonnablement exacte de mesurer ces dommages. Voir Merck & Co. c. Nu-Pharm Inc (2000), 4 C.P.R. (4th) de 464, à la p. 476, par. 32 (C.F. 1re inst.).

[62]            Dans la présente requête, les demanderesses ont fait valoir différents éléments qui, selon elles, conduisent à un préjudice irréparable parce que l'incidence de la commercialisation de la Novo-énoxaparine sur les pertes des demanderesses ne pourra pas être quantifiée d'une manière raisonnablement exacte.


viii)       Perte permanente de parts du marché des HBPM et de l'opportunité de les augmenter

[63]            Les demanderesses soutiennent que la Novo-énoxaparine s'emparera rapidement du marché de la vente au détail de LOVENOX au Canada et anéantira les efforts d'Aventis pour augmenter sa part du marché de la vente au détail relativement à FRAGMIN. La perte résultante ne pourra pas être quantifiée à cause de la nature dynamique du marché des HBPM et des nombreuses variables qui influent significativement sur les parts relatives des produits HBPM. Il s'ensuit qu'il est impossible de calculer ce que serait la part du marché de la vente au détail de LOVENOX si la Novo-énoxaparine n'était pas introduite sur le marché.

[64]            Le témoignage de M. Ghadiali, le directeur des ventes spécialisées, de l'hématologie et de l'endocrinologie pour Aventis Pharma Inc., fait état de la probabilité qu'Aventis perde le marché pharmaceutique de la vente au détail des HBPM au Canada ainsi que de l'opportunité d'augmenter sa part du marché de la vente au détail pour LOVENOX.

[65]            M. Tom Brogan, président de Brogan Inc., une société d'experts-conseils qui fournit des services pour le marché pharmaceutique, dit que Novopharm acquerra plus de 60 pour 100 du marché de la vente au détail dans la première année de la mise en marché.


[66]            La preuve de la demanderesse porte sur les parts de marché. Aucune preuve n'a été présentée quant à la question de savoir ce qu'une modification de part du marché signifierait pour les demanderesses en termes de dommages ou de pertes. Les demanderesses ont choisi de ne présenter aucune preuve sur la question des profits ou de la perte de profits. La Cour ne peut que spéculer sur ce qu'une modification de la part de marché et la perte de l'opportunité de l'augmenter pourraient signifier pour Aventis. Il ne s'agit pas là d'une preuve claire de préjudice pour Aventis, encore moins de préjudice irréparable.

[67]            Par ailleurs, la preuve d'Aventis est que la dynamique du marché et le grand nombre des variables rendent le calcul impossible et donc le dommage irréparable. Mais les témoignages de M. Ghadiali et de M. Brogan ne permettent guère d'élucider cette question. Aucune raison ou comparaison n'est présentée pour expliquer pourquoi ce marché particulier et les variables impliquées dans la présente affaire rendraient le calcul des dommages tellement épineux. La complexité théorique des calculs ne constitue pas en soi une preuve claire que les dommages ne peuvent être raisonnablement quantifiés.

[68]            Sur ce point, le témoin de Novopharm, Mme Suzanne Loomer de Cole Valuation Partners Limited, à qui il a été demandé d'examiner et de commenter la preuve des demanderesses, dit que [traduction] « toutes les pertes subies par Aventis, occasionnées par le refus de la Cour d'accorder une injonction interlocutoire dans l'éventualité où les demanderesses auraient gain de cause au procès, qui sont attribuables à Novopharm, peuvent être quantifiées en termes monétaires » . Elle dit aussi que [traduction] « les pertes comprennent la perte des profits potentiels d'Aventis Canada pour la vente de LOVENOX et d'autres composants... » .

[69]            Mme Loomer ne peut pas démontrer, de manière un peu précise, comment calculer ces pertes. Mais ceci s'explique par le fait que [traduction] « Aventis Canada n'a pas fourni toute l'information qui serait nécessaire pour quantifier précisément toute perte à tout moment et certains renseignements pourraient n'être disponibles qu'au moment du procès » .


[70]            Grâce à l'information dont elle dispose de sources publiques et en appliquant une approche généralement acceptée en matière de quantification des pertes, Mme Loomer démontre comment elle estimerait [traduction] « le seuil supérieur de la fourchette des pertes, du moment présent jusqu'à la fin prévue du procès » .

[71]            Mme Loomer, dont l'analyse est bien sûr nécessairement incomplète à plusieurs égards, ne présente pas d'explication complète ou de calcul des pertes qu'Aventis subirait réellement en raison de la perte de parts sur le marché de la vente au détail des HBPM et de la perte de l'opportunité d'augmenter ces parts. Mais elle explique clairement pourquoi elle ne peut pas le faire à partir de l'information dont elle dispose présentement; la méthodologie présentée ne vise qu'à démontrer ce qu'il serait possible de faire en se fondant sur différentes suppositions et variables dont certaines pourraient ne pas l'emporter au moment concret où les pertes réelles devront être démontrées par Aventis devant le juge présidant le procès.

[72]            L'analyse de Mme Loomer peut être critiquée et, bien sûr, Aventis a attiré l'attention de la Cour sur différentes failles.

[73]            Mais Mme Loomer est gênée par l'information dont elle dispose et par le fait qu'elle ne peut que spéculer sur les facteurs qu'Aventis a décidé de ne pas divulguer pour le moment. À partir de ce qu'elle a vu, tout ce qu'elle peut dire, c'est qu'il existe des manières de quantifier les pertes de marché comme celles qu'Aventis allègue relativement à LOVENOX.


[74]            Dans le contexte de la présente requête, il n'incombe pas à Mme Loomer et à Novopharm de démontrer à la Cour ce que seraient les pertes réelles des demanderesses. Mme Loomer ne peut utiliser que les informations que les demanderesses ont choisi de lui révéler ou qui sont disponibles de sources publiques. Ce sont les demanderesses qui doivent fournir à la Cour une preuve claire qu'elles subiront réellement des dommages relativement à des pertes de part de marché et d'opportunités et que ces dommages sont irréparables parce qu'ils ne peuvent pas être calculés en termes monétaires avec un degré acceptable d'exactitude.

[75]            Les demanderesses ne l'ont pas fait. Elles ont choisi d'alléguer qu'une perte de parts de marché se produira probablement et que des augmentations possibles de parts de marché seront anéanties. Mais elles laissent la Cour spéculer sur la signification réelle de ceci en termes de dommages pécuniaires et sur la raison pour laquelle le marché et les variables sont tellement inusuels que les méthodologies de quantification reconnues ne peuvent pas donner une quantification acceptable de la perte financière. Le témoignage de Mme Loomer, quoiqu'elle ne parvienne à aucune conclusion quant à une quantification réelle, fait ressortir les failles de la preuve des demanderesses quant à la conclusion que des dommages irréparables se produiront si une injonction n'est pas accordée. Pour justifier un redressement par voie d'injonction, les demanderesses doivent démontrer à la Cour pourquoi la dynamique du marché des HBPM et des HNF est tellement différente de celle d'autres marchés de référence que les méthodologies disponibles de quantification des dommages ne peuvent donner de résultat acceptable et pourquoi les variables spécifiques en jeu sont également problématiques.

[76]            Dans la présente affaire, la Cour ne dispose que des affirmations de M. Ghadiali et de M. Brogan selon lesquelles la dynamique et les fluctuations du marché combinées avec les variables rendent la quantification impossible. À cela, Mme Loomer réplique que la quantification est possible, même si tous les renseignements requis ne sont pas présentement disponibles pour le démontrer de manière précise.

[77]            En dernière analyse, la Cour ne peut que spéculer sur les dommages réels des demanderesses, et rien n'indique clairement qu'un préjudice irréparable se produira si l'injonction n'est pas accordée.


[78]            Les demanderesses allèguent que des essais cliniques sont en cours et qu'il n'est pas possible de prévoir les changements des parts de marché qui pourraient se produire à l'annonce des résultats de ces essais.

[79]            Mais tout ce que les demanderesses peuvent démontrer, c'est que différentes variables, dont les résultats des essais cliniques, peuvent rendre plus problématique la question de la quantification. À mon avis, ceci ne prouve pas qu'une quantification raisonnable ne sera pas possible quand tous les facteurs seront connus et que les résultats seront publiés; or, Mme Loomer dit que cela le sera. L'incidence de ces questions de quantification demeure spéculative à ce stade et ne constitue pas une preuve claire et convaincante qu'un préjudice irréparable se produira si une injonction n'est pas accordée.

ix)         Perte permanente de parts du marché institutionnel (les hôpitaux) des HBPM et perte de l'opportunité de les augmenter

[80]            La préoccupation est à nouveau que l'introduction de la Novo-énoxaparine n'entraîne la perte permanente du marché hospitalier pour LOVENOX. Au fur et à mesure des réductions de prix des produits HBPM et HNF, une redistribution des parts de marché aura également lieu parmi les produits concurrents. Selon les défenderesses, il en résultera un préjudice irréparable parce que [traduction] « en raison de la nature dynamique du marché des anticoagulants injectables, il sera impossible de calculer la perte précise de la part de marché de LOVENOX attribuable seulement à la mise en marché de la Novo-énoxaparine » .

[81]            M. Ghadiali définit les différentes variables qui auront une incidence sur la part de marché relative des produits HBPM comme étant [traduction] « le prix, les indications, la réputation, le marché d'ensemble, la croissance » .

[82]            De nouveau, Mme Loomer fait remarquer qu'elle ne dispose pas de tous les renseignements requis pour procéder à une quantification précise de cette perte, mais que la réplique d'Aventis à la Novo-énoxaparine sera connue au moment du procès et que l'incidence sur la perte serait donc calculable à ce moment-là.

[83]            Avec l'information qu'elle a, Mme Loomer construit des modèles et établit de possibles extrapolations afin de calculer les pertes réelles en termes pécuniaires, mais cela dépend en grande partie de ce qu'Aventis décide de faire et de l'information qu'elle décide de divulguer. Le message de Mme Loomer est que, nonobstant les affirmations générales des demanderesses sur la nature de ce marché et sur les nombreuses variables qui entrent en jeu, il y a plusieurs manières de quantifier en termes pécuniaires les pertes réelles dans ce contexte.

[84]            En dernière analyse, la Cour ne peut que spéculer sur les significations et les conséquences possibles des complexités de marché et des variables interdépendantes mentionnées par les demanderesses. Les demanderesses n'ont pas présenté suffisamment d'éléments de preuve à la Cour pour la convaincre qu'un préjudice non quantifiable et réel se produira; Mme Loomer soutient que des méthodologies existent pour mettre en question et réfuter les prétentions de M. Ghadiali et de M. Brogan.


[85]            Bien sûr, il est loisible aux demanderesses de décider quelles informations présenter à la Cour pour étayer leurs allégations générales de préjudice irréparable. Les pertes et les difficultés dont il est fait état dans la requête restent d'ordre spéculatif et ne brossent pas un tableau de préjudice irréparable suffisamment clair pour justifier le redressement sollicité.

(x)         Perte de l'opportunité d'augmenter leur part de marché relativement au marché des HNF

[86]            Les demanderesses utilisent une justification et une approche semblables pour alléguer un préjudice irréparable sous cette rubrique et soutiennent que [traduction] « de nouveau, en raison de la dynamique du marché, il est impossible de calculer la perte de cette opportunité consécutive au produit Novo-énoxaparine » .

[87]            M. Ghadiali décrit le problème ainsi :

[traduction] Comme cela est indiqué ci-dessus, en termes d'unités, les chefs de file du marché pour les anticoagulants injectables sont les produits HNF. Pour cette raison, tous les fabricants de produits HBPM s'efforcent présentement activement de faire basculer le marché, des produits HNF aux produits HBPM, et c'est pourquoi le potentiel de croissance du marché des HBPM est à l'heure actuelle énorme. Cependant, si la Novo-énoxaparine est commercialisée, les efforts actuels d'Aventis pour augmenter la part de marché de LOVENOX relativement au marché existant des HNF seront anéantis. De plus, si la Novo-énoxaparine était par la suite retirée du marché, la dynamique du marché et les circonstances auront entre-temps changé significativement, de telle sorte qu'Aventis n'aura plus, à ce moment-là, l'opportunité qui est présentement la sienne d'augmenter la taille du marché des HBPM.


[88]            Encore une fois, aucune information claire n'est vraiment présentée à la Cour pour lui permettre de voir quels sont les efforts actuels d'Aventis, quelle perte pécuniaire est prévue ou pourquoi les méthodologies de quantification de perte disponibles ne peuvent pas rendre compte des conditions de ce marché particulier. Des éléments contraires donnent à penser que les efforts d'Aventis des quatre dernières années ne se sont pas soldées par une augmentation de sa part de marché relativement aux produits HNF, que la part de marché des HNF est demeurée constante au cours des deux dernières années et qu'Aventis a déjà procédé à une coupe sombre dans son personnel de vente. Lorsque l'on recoupe tout cela avec la réponse de Mme Loomer selon laquelle une telle perte peut être quantifiée, quoique de manière nécessairement incomplète, la Cour ne perçoit aucun tableau clair de préjudice irréparable permettant de justifier un redressement par voie d'injonction. La perte alléguée est simplement trop spéculative.

(xi)        Réduction permanente du prix de LOVENOX

[89]            Selon les allégations des demanderesses, comme LOVENOX est un médicament breveté dont le prix est contrôlé par Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, une fois ce prix réduit, Aventis ne pourra plus par la suite l'élever à son niveau antérieur à la mise en marché de la Novo-énoxaparine. Les demanderesses affirment aussi que les clients institutionnels réagiront défavorablement à l'égard de LOVENOX, FRAGMIN ou INNOHEP, ce qui empêchera toute augmentation future significative du prix de ces médicaments.

[90]            Aucun motif ou élément de preuve n'a été présenté pour expliquer comment un tel facteur pourrait donner lieu à un préjudice qui serait irréparable. Si l'on suppose qu'Aventis abaisse son prix, rien ne permet de penser que sa perte momentanée ne pourrait pas être calculée, pourvu que les données nécessaires soient divulguées. Aventis a choisi de ne pas divulguer ses données concernant l'établissement des prix et ce que les études cliniques pourraient révéler.

[91]            Cette perte possible reste trop spéculative pour justifier un redressement par voie d'injonction fondé sur un préjudice irréparable.


xii)        Perte de savoir-faire et d'une équipe de vente expérimentée

[92]            Les demanderesses soutiennent que la perte d'une équipe de vente expérimentée et compétente (l'équipe de vente devra être réduite si la Novo-énoxaparine s'empare d'une portion importante du marché de LOVENOX) nuira à la capacité d'Aventis de commercialiser la prochaine génération de ses produits HBPM, qui devrait être disponible au Canada en 2008. Ceci contrecarrera le lancement du nouveau produit et provoquera une nouvelle perte de débouché. Les demanderesses allèguent que [traduction] « là encore, il est impossible de calculer cette perte » .

[93]            Sur cette question, la preuve réelle est qu'Aventis a déjà, avant même la commercialisation de la Novo-énoxaparine, réduit son équipe de vente aux hôpitaux, de 17,5 employés à temps plein à 3 ou 4, 10 employés ayant reçu leur congé de la compagnie.

[94]            Il est par conséquent difficile d'associer quelque préjudice significatif, qui découlerait de la réduction de l'équipe de vente, au refus de la Cour d'accorder une injonction.

[95]            En outre, aucune preuve ou explication claire n'a été présentée sur la nature d'un quelconque produit HBPM de prochaine génération, sur son pronostic réglementaire ou sur son incidence sur le marché. La Cour ne peut à nouveau que spéculer sur des possibilités théoriques et sur l'impossibilité de les quantifier.


[96]            Mme Loomer indique que, même avec l'information limitée présentement disponible, une expertise visant à évaluer et à quantifier la perte découlant de ce facteur est possible et que cette catégorie de perte est spéculative car, d'après la preuve, Aventis ne dispose pas encore de ce produit et est encore moins prête à le lancer. Elle ajoute aussi qu'Aventis pourrait éviter toute perte de cette nature.

[97]            Par conséquent, la Cour doit à nouveau conclure que ce motif de possible préjudice est beaucoup trop spéculatif pour présentement justifier un redressement par voie d'injonction.

xiii)       Dommages permanents à la cote d'estime et à la réputation au Canada et aux États-Unis en raison de la vente d'un produit générique moins efficace

[98]            L'allégation est que [traduction] « si l'innocuité et l'efficacité du produit Novo-énoxaparine étaient moindres que celles de LOVENOX » , les médecins choisiraient un autre anticoagulant injectable, tels que les HNF ou un produit HBPM différent et cesseraient d'utiliser l'énoxaparine sodique. Une fois qu'ils l'auront fait, il est peu probable qu'ils recommenceront à l'utiliser. Ceci, disent les demanderesses, leur causera un préjudice irréparable parce qu'elles subiront des dommages permanents à leur cote d'estime et à leur réputation. De plus, soutiennent-elles, la gravité de ces dommages ne pourrait pas être mesurée parce que [traduction] « les demanderesses ne pourront pas déterminer dans quelle mesure les médecins auront cessé d'utiliser l'énoxaparine sodique pour la remplacer par d'autres anticoagulants à la suite de leur mauvaise expérience avec la Novo-énoxaparine » .

[99]            Même si les demanderesses contestent la pertinence de l'avis de conformité en ce qui a trait à l'efficacité et à l'innocuité du produit générique, l'approbation donnée par Santé Canada donne à ce préjudice un caractère très spéculatif. On ne peut fonder un redressement par voie d'injonction sur ce motif. Voir LifeScan, Inc. C. Novopharm Ltd. (2000), 10 C.P.R. (4th) 500, à la p. 529, par. 98 (C.F. 1re inst.); Merck & Co. Inc. v. Apotex Inc. (1993), 51 C.P.R. (3d) 170, à la p. 183 (C.F. 1re inst.)


[100]        Dans leur demande connexe de contrôle judiciaire, les demanderesses contestent la décision de Santé Canada d'accorder un avis de conformité à l'égard de la Novo-énoxaparine. Les questions d'équivalence, d'efficacité, de santé et d'innocuité seront dûment prises en considération dans le cadre de cette demande. Si la Cour tentait à ce stade de réévaluer la décision de Santé Canada pour fonder le préjudice irréparable à la cote d'estime et à la réputation, elle se livrerait à un exercice spéculatif qui, selon la jurisprudence, ne serait pas indiqué s'agissant d'une demande de redressement par voie d'injonction comme en l'espèce.

xiv) Perte de parts du marché aux États-Unis et de l'opportunité de les augmenter

[101]        Aux États-Unis, LOVENOX est le chef de file du marché des anticoagulants injectables en termes de parts de marché. Les demanderesses prétendent que le potentiel de croissance est énorme sur le marché américain, dans lequel les produits HNF dominent en termes du nombre d'unités vendues.

[102]        Les demanderesses prétendent également qu'elles ont fait récemment des efforts considérables aux États-Unis pour renseigner les médecins sur les bienfaits de LOVENOX afin d'accroître l'utilisation des produits HBPM généralement et de convertir le marché des HNF à LOVENOX.

[103]        Elles soutiennent que l'introduction de la Novo-énoxaparine sur le marché canadien aura une incidence nuisible sur le marché américain parce que le produit générique y sera vendu par l'entremise de pharmacies canadiennes sur Internet, même si la Novo-énoxaparine de Novopharm n'est pas approuvée aux États-Unis.

[104]        Les demanderesses plaident qu'il en résultera un préjudice irréparable parce qu'il n'existe présentement aucun dispositif permettant de mesurer avec exactitude l'étendue des ventes de la Novo-énoxaparine aux États-Unis par le truchement de pharmacies canadiennes sur Internet. Il n'y a donc aucune manière de déterminer l'étendue de la perte des ventes de LOVENOX aux États-Unis attribuables à l'introduction de la Novo-énoxaparine sur le marché canadien.

[105]        La réponse de Novopharm à cette allégation est la suivante :

a)          Novopharm s'est engagée à faire tous les efforts raisonnables pour restreindre les ventes de la Novo-énoxaparine aux États-Unis par l'entremise de pharmacies canadiennes sur Internet.

b)          Novopharm n'a pas l'intention de sciemment commercialiser ou de vendre à des pharmacies canadiennes sur Internet et n'a pas intérêt à vendre sur le marché américain. La compagnie soeur de Novopharm, Teva USA, a sollicité l'autorisation de commercialiser le même produit aux États-Unis et prévoit de recevoir cette autorisation au moment opportun.

c)          Comme, historiquement au Canada, la majorité des ventes d'énoxaparine se font au marché hospitalier, Novopharm a l'intention d'y vendre la Novo-énoxaparine surtout aux hôpitaux. Novopharm la vendra également aux pharmacies canadiennes.

d)          Novopharm prévoit être en concurrence pour conquérir une part du marché de l'énoxaparine injectable vendue en seringues préremplies. La plus grande partie des ventes prévues de Novopharm, soit de 70 à 75 pour 100, se fera aux hôpitaux, lesquels risquent fort peu de fournir des pharmacies sur Internet.


e)          Novopharm s'est engagée, pour la durée de l'action, à prendre toutes les mesures raisonnables pour s'assurer que la Novo-énoxaparine ne soit pas vendue par le truchement de pharmacies sur Internet. Novopharm est disposée à envisager toute suggestion raisonnable d'Aventis pour empêcher de telles ventes. Aventis n'a fait aucune suggestion à ce jour.

f)           De plus, comme la Novo-énoxaparine est un médicament injectable, il est peu probable qu'elle soit vendue par Internet, car les pharmacies sur Internet commercialisent surtout des produits pour soins chroniques, disponibles en forme posologique solide, de vente au détail.

g)          Il n'y a pas de preuve que la Novo-énoxaparine sera vendue aux États-Unis par l'entremise de pharmacies canadiennes sur Internet. En réalité, il n'y a pas de preuve que LOVENOX a été vendu du Canada aux États-Unis. Aventis n'a présenté aucun témoignage d'expert sur la nature du marché américain ou sur l'importation de produits pharmaceutiques aux États-Unis.

h)          De plus, rien ne prouve que l'une ou l'autre des demanderesses est une personne morale autorisée à demander des dommages-intérêts en raison de ventes sur le marché des États-Unis.

[106]        Les demanderesses allèguent que les ventes par Internet sur le marché américain produiront un effet « tremplin » et que, comme Novopharm a mis en oeuvre son plan d'action « en ayant ses yeux grand ouverts » sur le fait qu'elle allait provoquer un litige, ce facteur devrait peser en faveur de l'octroi d'une injonction. Voir Allergan Pharmaceuticals Inc. et al. c. Bausch & Lomb Inc. et al. (1985), 7 C.P.R. (3d) 209, à la p. 217 (C.F. 1re inst.); China Ceramics Proppant Ltd. c. Carbo Ceramics Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 431 (C.A.F.).

[107]        Les deux décisions Allergan et China Ceramics ont traité de l'effet « tremplin » ainsi que d'autres facteurs dans le contexte de la question de la « prépondérance des inconvénients » .

[108]        Dans Allergan, avant d'aborder l'effet « tremplin » , la Cour avait déjà conclu que les dommages qui seraient subis par le demandeur sans l'injonction « ne seraient pas seulement impossibles à mesurer, mais pourraient aussi être irréparables » (à la page 216).

[109]        L'injonction a été accordée dans Allergan malgré l'observation de la Cour que [traduction] « [l]a jurisprudence récente semble indiquer qu'il n'est pas habituel d'accorder une injonction interlocutoire dans des affaires de brevet, pour la raison principale que dans la plupart des cas les dommages-intérêts constituent une mesure adéquate » (à la page 214).

[110]        Dans la présente affaire, quoique j'accepte l'argument des demanderesses selon lequel je devrais tenir compte de la solidité respective des moyens des parties, j'ai aussi indiqué que, vu les faits en l'espèce, la principale difficulté pour les demanderesses est d'établir un préjudice irréparable et de renverse le principe qui semble être admis dans la jurisprudence, à savoir que les dommages-intérêts constituent un redressement adéquat dans la plupart des cas de contrefaçon de brevet.

[111]        Par conséquent, sur ce chef de dommages, la Cour doit décider si la preuve d'un effet « tremplin » est suffisante et si les demanderesses subiront des dommages irréparables en raison de la vente de la Novo-énoxaparine sur le marché américain par l'entremise de pharmacies sur Internet.


[112]        Compte tenu de la faiblesse de la preuve sur la vente, du Canada aux États-Unis, de LOVENOX et à plus forte raison de la Novo-énoxaparine, ainsi que du fait que la Novo-énoxaparine est un médicament injectable et que la plus grande partie des ventes prévues de Novopharm se fera à des hôpitaux au Canada, et compte tenu également de l'engagement de Novopharm de collaborer avec les demanderesses pour s'assurer que la Novo-énoxaparine n'est pas vendue par l'entremise de pharmacies sur Internet, la Cour ne peut pas conclure que les demanderesses se sont acquittées du fardeau d'établir clairement qu'elles subiront un préjudice irréparable de cette manière.

xv)        Conclusions sur le préjudice irréparable

[113]        Il ressort de la preuve que les demanderesses n'ont pas établir clairement qu'elles subiront un préjudice irréparable si l'injonction n'est pas accordée, Leurs prétentions quant au caractère irréparable d'un préjudice éventuel manquent de clarté, n'ont pas été étayées et demeurent spéculatives et théoriques. Devant l'information que les demanderesses ont choisi de ne pas divulguer et leur tendance générale à complexifier la question des dommages au lieu de présenter une preuve claire de préjudice et de perte, Mme Loomer soutient qu'aucune des catégories de perte alléguées par les demanderesses n'est au-delà du domaine de la quantification [traduction] « ou ne sort du champ de la compétence ordinaire des tribunaux » . Par conséquent, rien ne justifie une injonction.

Conclusions générales

[114]        À mon avis, les demanderesses n'ont pas démontré qu'elles subiraient un préjudice irréparable si une injonction ne leur est pas accordée en attendant l'issue du procès et advenant la confirmation de leurs prétentions. Ceci étant établi, il est inutile de traiter de la question de la prépondérance des inconvénients suivant le critère en trois volets énoncé dans l'arrêt RJR-MacDonald.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête en injonction des demanderesses est rejetée.

2.          Il est loisible aux parties de se faire entendre par la Cour sur la question des dépens.

« James Russell »        

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  T-454-05

INTITULÉ :                                 AVENTIS PHARMA S.A. et

AVENTIS PHARMA INC.

c.

NOVOPHARM LTÉE

LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         1ER JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                7 JUIN 2005

COMPARUTIONS:

M. GUNARS A. GAIKIS POUR LES DEMANDERESSES

M. STEVEN B. GARLAND

M. JONATHAN STAINSBYPOUR LA DÉFENDERESSE

M. GARY D.D. MORRISON

M. WILLIAM P. MAYO

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

SMART & BIGGAR POUR LES DEMANDERESSES

OTTAWA (ONTARIO)

HEENAN BLAIKIE SRL POUR LA DÉFENDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.