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Date : 20200723


Dossier : T‑940‑19

Référence : 2020 CF 786

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2020

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

COALDALE (VILLE DE)

Demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

ET LE PRÉSIDENT DU

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  En 2012, la Ville de Coaldale, en Alberta, a entrepris un examen des modèles de services de police à sa disposition. Coaldale a décidé de conclure une entente avec le gouvernement du Canada au titre de laquelle le Canada lui fournirait des services de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC]. Ces ententes sont appelées « ententes sur les services municipaux de police ».

[2]  De 2012 à 2016, lorsque Coaldale et le Canada ont conclu une entente sur les services municipaux de police [l’entente de 2016], Coaldale a cherché à conclure une entente de partage du coût avec le Canada. Au titre de l’entente de partage du coût, Coaldale paierait 70 pour cent des coûts de la GRC et le Canada paierait les 30 pour cent restants.

[3]  Coaldale croit qu’elle a droit à l’entente de partage du coût. Elle appuie ce point de vue sur des documents publiés par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada : la politique sur les nouveaux participants aux ententes sur les services de police municipaux et les lignes directrices relatives aux nouveaux participants [ensemble, les lignes directrices]. Sous le régime des lignes directrices, les municipalités pour lesquelles la GRC a assuré la prestation des services de police sur leurs territoires bénéficient d’une entente de partage du coût de 70‑30; les municipalités qui sont de « nouvelles participantes », c’est‑à‑dire celles qui n’ont jamais fait appel à la GRC pour leur fournir des services de police, n’en bénéficient pas.

[4]  Dans les échanges épistolaires qui ont précédé la finalisation de l’entente de 2016, Coaldale a affirmé qu’elle n’était pas une « nouvelle participante », parce qu’elle avait déjà reçu des services de la GRC. Le Canada n’est pas de cet avis. Il a continuellement maintenu que Coaldale est une « nouvelle participante » parce que, même si la GRC a toujours procuré certains services à cette municipalité, ces deux entités n’ont jamais conclu d’ententes sur les services municipaux de police.

[5]  Le Canada a finalement refusé de conclure l’entente de partage du coût avec Coaldale. Ainsi, au titre de l’entente de 2016, le Canada croit que Coaldale doit payer la totalité du coût des services que la GRC lui fournit.

[6]  Depuis 2016, Coaldale a poursuivi ses efforts afin de conclure une entente de partage du coût.

[7]  À cette fin, le député responsable et le ministre de la Justice de l’Alberta ont écrit au ministre fédéral de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] au nom de Coaldale, pour demander au Canada de réexaminer son point de vue. Dans les deux cas, le gouvernement du Canada a répondu qu’il ne reviendrait pas sur l’entente financière déjà conclue.

[8]  Le 22 mars 2019, le maire de Coaldale a écrit au premier ministre pour lui demander d’intervenir afin d’aider Coaldale à bénéficier de l’entente de partage du coût. Dans une lettre datée du 6 mai 2019, le ministre a répondu au nom du premier ministre, en refusant la demande. Coaldale demande maintenant le contrôle judiciaire de la lettre du ministre. Elle fait valoir que le ministre a violé son droit à l’équité procédurale et que la décision est déraisonnable.

[9]  Les défendeurs soutiennent que la lettre du ministre ne soulève pas une question justiciable, mais qu’elle reflète simplement les modalités de l’entente de 2016.

[10]  Je suis d’avis que le contrôle judiciaire de la lettre du ministre n’est pas un recours possible pour Coaldale. Par conséquent, je n’ai pas examiné les arguments de Coaldale concernant l’équité et le caractère raisonnable. La demande est rejetée, pour les motifs exposés ci‑dessous.

II.  Analyse

[11]  Lorsqu’il se penche sur une demande de contrôle judiciaire, un tribunal doit d’abord déterminer si la décision qu’il doit examiner peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Une décision qui n’affecte aucun droit, n’impose aucune obligation ou ne cause aucun effet préjudiciable ne fera pas l’objet d’un contrôle judiciaire, comme l’explique le juge Stratas dans l’arrêt Air Canada c Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347, aux paragraphes 28 à 30.

[28]  La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[29]  Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, (2009), 86 Admin. L.R. (4th) 149.

De nombreuses décisions illustrent ce type de situation : p. ex., 1099065 Ontario Inc. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 47, 375 N.R. 368 (lettre d’un fonctionnaire proposant des dates de réunion); Philipps c. Canada (Bibliothécaire et Archiviste), 2006 CF 1378, [2007] 4 R.C.F. 11 (lettre de politesse envoyée en réponse à une demande de révision); Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Ministre du Revenu national, [1998] 2 C.T.C. 176, 148 F.T.R. 3 (1re inst.) (une décision anticipée ne constitue qu’une opinion ne liant pas son auteur). [Non souligné dans l’original.]

[12]  En l’espèce, la question à trancher consiste à savoir si la lettre du ministre touche les droits de Coaldale découlant de la loi, impose des obligations juridiques ou cause des effets préjudiciables. À mon avis, elle ne le fait pas.

[13]  La lettre du ministre mentionne notamment ce qui suit :

[traduction]

Comme vous le savez, le modèle de recouvrement du coût pour l’entente sur les services municipaux de police de Coaldale a été mis en place conformément aux lignes directrices fédérales du Conseil du Trésor du Canada pour les nouveaux participants aux ententes sur les services de police municipaux. Ces lignes directrices, adoptées pour la première fois en 1981 à des fins dissuasives, visent à limiter la croissance du nouveau programme des services de police contractuels, compte tenu des préoccupations au sujet de la capacité de la GRC de pourvoir les postes vacants existants et d’atténuer la hausse des coûts. Toute municipalité qui passe d’un service de police indépendant à la GRC, peu importe ses relations antérieures avec la GRC, est assujettie aux lignes directrices.

Le gouvernement n’envisage aucun changement aux lignes directrices pour le moment, car les conditions menant à leur établissement (p. ex., nombre élevé de postes à pourvoir) existent toujours. Il n’est toujours pas possible de changer la proportion de partage du coût des services de la GRC.

[14]  La lettre du ministre expose les raisons pour lesquelles le Canada a adopté les lignes directrices : dissuader les municipalités de conclure des ententes de services de police municipaux. Elle précise également que cette justification s’applique toujours, et que le Canada n’envisage donc pas de modifier la [traduction« proportion du partage du coût des services de la GRC », autrement dit qu’il ne révisera pas les conditions d’admissibilité à une entente de partage du coût. La lettre elle‑même n’établit pas le ratio de partage du coût. Elle n’impose pas non plus à Coaldale l’obligation que cette ville conteste ici, soit la nécessité de payer la totalité des coûts des services de la GRC.

[15]  La lettre ne fait qu’affirmer les droits, les obligations et les effets découlant de l’entente de 2016. Cela ne témoigne pas d’un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire. Il s’agit d’une lettre de courtoisie en réponse à la lettre que le maire de Coaldale a adressée au premier ministre. Une lettre de courtoisie n’est pas une décision ou une ordonnance au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7. Par conséquent, elle ne peut pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire (Philipps c Bibliothécaire et archiviste du Canada, 2006 CF 1378, au par. 32, citant Dhaliwal c Canada (MCI), [1995] ACF nº 982; Moresby Explorers Ltd c Directeur de la réserve du Parc national de Gwaii Haanas, [2000] ACF nº 1944; Hughes c Canada, 2004 CF 1055, au par. 6).

[16]  En fin de compte, Coaldale conteste les modalités de l’entente qu’elle a conclue en 2016. Coaldale ne laisse pas entendre qu’elle ignorait les modalités de l’entente de 2016 au moment de la conclure, ou que l’entente de 2016 est autrement viciée. Même si la Cour déclarait illégale la lettre du ministre, cette mesure n’aurait aucune incidence sur l’entente de 2016, et ne modifierait donc pas les obligations de Coaldale au titre de l’entente.

[17]  Pour ces motifs, la lettre du ministre n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. La demande est rejetée.

III.  Dépens

[18]  Dans leurs observations orales, les parties ont convenu d’assumer leurs propres dépens, peu importe l’issue de l’affaire.


JUGEMENT dans le dossier T‑940‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune ordonnance n’est rendue concernant les dépens.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour d’août 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑940‑19

 

INTITULÉ :

VILLE DE COALDALE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE PRÉSIDENT DU CONSEIL DU TRÉSOR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS:

LE 23 JUILLET 2020

 

COMPARUTIONS :

Robert Reynolds, c.r.

 

Pour la demanderesse

 

Robert Drummond

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat de l’Alberta

Edmonton (Alberta)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour les défendeurs

 

 

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