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Date : 20060517

Dossier : T-1710-05

Référence : 2006 CF 608

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

JOSHUA K. COHEN, B.A., M.A.

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Joshua Cohen, est un homme intelligent et instruit qui est atteint d’une déficience auditive. Il s’est porté candidat à un poste de formation en gestion (PFG) au gouvernement fédéral, mais sa candidature n’a pas été retenue. Le demandeur croit que la chose était attribuable à un acte discriminatoire, eu égard à sa déficience, et il a déposé une plainte devant la Commission des droits de la personne, qui a rejeté la plainte. Une quinzaine de mois plus tard, la Commission a reçu du demandeur une autre plainte découlant encore une fois du fait qu’il n’avait pas obtenu le poste; la plainte a été rejetée parce qu’elle avait été déposée en dehors du délai prévu, et aucune prorogation du délai n’a été accordée. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette dernière décision et demande que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour qu’une personne différente l’examine. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je rejette la demande, mais sans adjuger les dépens.

 

[2]               Il convient au départ d’exposer la suite chronologique des événements.

 

1.                  Les événements qui se sont produits entre le 14 janvier et le 6 février 2004 sont ceux qui ont donné lieu aux plaintes. Ces événements ne sont que brièvement mentionnés dans le dossier, mais ils semblent se rapporter à la tentative infructueuse que le demandeur a faite pour obtenir un poste de formation en gestion. Le demandeur croit que son manque de succès était attribuable à l’omission de prendre en compte de la façon appropriée sa déficience auditive et peut‑être à une partialité fondée sur des motifs d’ordre religieux.

 

2.                  Le 14 février 2004, le demandeur a communiqué avec la Commission canadienne des droits de la personne et, le 25 mars 2004, il a soumis un formulaire de plainte. Ce formulaire a été révisé et complété à l’aide d’un autre formulaire soumis le 6 avril 2004.

 

3.                  Le 5 juillet 2004, la Commission a envoyé au demandeur une lettre l’informant du rejet de sa plainte; il y était entre autres choses dit ce qui suit : [traduction] « J’ai minutieusement examiné votre document et je dois vous informer que la Commission canadienne des droits de la personne ne peut pas vous venir en aide dans cette affaire. » L’auteur de la lettre renvoyait le demandeur au Programme de contestation judiciaire, qui pourrait l’aider à l’égard des questions qu’il voulait soulever.

 

4.                  Au mois d’octobre 2004, le demandeur a présenté une demande dans le cadre du Programme de contestation judiciaire. On a refusé de l’aider dans une lettre datée du 16 décembre 2004, en disant qu’[traduction] « on ne peut pas fournir de financement pour aider les gens qui déposent des plaintes en matière de droits de la personne ».

 

5.                  Par une lettre datée du 22 avril 2005 adressée à la Commission, le demandeur se renseignait sur la question de savoir s’il était possible d’interjeter appel au sein de la Commission. Le demandeur a été informé qu’aucun appel n’était prévu.

 

6.                  À la suite de ce qui semble être au moins deux conversations téléphoniques, le demandeur a déposé une autre plainte devant la Commission le 9 mai 2005. Le fondement de cette plainte est énoncé dans une note de service pour le dossier, en date du 3 mai 2005, dans laquelle Hannya Rizk, de la Commission, consigne sa version des conversations téléphoniques qu’elle a eues avec le demandeur. Le demandeur a lui‑même pris de brèves notes au sujet de ces conversations. Le demandeur voulait essentiellement soumettre des renseignements statistiques au sujet du manque de possibilités d’emploi pour les personnes qui sont atteintes d’une déficience auditive. Le demandeur croyait que Mme Rizk avait dit que les données ne seraient pas prises en considération. Mme Rizk déclare de son côté avoir dit que de telles données ne pouvaient pas servir de fondement à l’égard d’une plainte, mais qu’elles pouvaient étayer une plainte.

 

Quoi qu’il en soit, le demandeur a soumis ces documents statistiques avec la plainte qu’il a déposée le 9 mai 2005. La plainte était fondée sur le même événement, à savoir l’omission du demandeur d’obtenir un PFG.

 

7.                  Le 15 juin 2005, la Commission a écrit au demandeur ainsi qu’à la Commission de la fonction publique du Canada, en disant qu’il serait recommandé de ne pas examiner la plainte étant donné que plus d’une année s’était écoulée entre la date de l’événement et le dépôt de la plainte, le 9 mai 2005. On demandait d’autres commentaires.

 

8.                  Le 4 juillet 2005, et encore une fois le 27 juillet 2005, le demandeur a soumis une réponse détaillée dans laquelle il expliquait pourquoi la plainte devait être entendue. Dans une lettre datée du 5 juillet 2005, la Commission de la fonction publique prenait la position selon laquelle elle ne devait pas examiner la plainte du 9 mai 2005.

 

9.                  Dans une lettre datée du 2 septembre 2005, la Commission informait le demandeur qu’elle n’examinerait pas sa plainte étant donné qu’il s’était écoulé plus d’un an depuis que l’événement sur lequel la plainte était fondée s’était produit. Le présent examen porte sur cette décision.

 

[3]               Le demandeur affirme avoir droit à une obligation d’équité, avoir droit à une audience, de façon qu’il soit possible d’entendre sa version des faits. Il se fonde sur la décision Tiedeman c. Commission canadienne des droits de la personne (1993) 66 F.T.R. 15, et en particulier sur une remarque faite par la juge McGillis au paragraphe 11 :

Lorsque la Commission a rejeté la plainte de discrimination pour le motif qu’il y avait prescription, elle a omis de tenir compte des observations de M. Tiedeman en date du 26 avril 1990 portant sur ce point précis. Ce faisant, la Commission a violé un principe fondamental d’équité procédurale et a agi de façon inéquitable. Demander les observations d’une partie pour ensuite les ignorer rend vaine la règle consacrée du droit d’être entendu. La Commission a donc commis une erreur de droit lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 41e) de la Loi et, ce faisant, a commis une erreur susceptible de révision.

 

 

[4]               Le demandeur déclare que dans la plainte qu’il a déposée le 9 mai 2005, il révisait simplement la demande qu’il avait déposée le 6 avril 2004. Sur ce point, il se fonde sur les paragraphes 32 et 33 de la décision Tiwana c. Commission canadienne des droits de la personne (2001), 197 F.T.R. 282, rendue par le juge Pelletier (tel était alors sont titre) :

Il est vrai qu’il n’y a aucune reconnaissance légale expresse du droit de modifier une plainte, mais la Cour d’appel fédérale a jugé dans Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113, paragraphe 45, que dans le domaine des droits de la personne, les plaintes peuvent et doivent être modifiées dans certains cas :

 

Il s’ensuit donc que lorsqu’un enquêteur recueille, au cours de son enquête, une preuve qui ne provient pas de lui et selon laquelle il y aurait un motif de discrimination que la plainte, telle que rédigée, pourrait ne pas avoir englobé, il est de son devoir d’analyser cette preuve [...] et, même, de suggérer la modification de la plainte. Il ne serait d’aucune utilité d’exiger que l’enquêteur, dans un tel cas, recommande le rejet de la plainte en raison de vices et exige le dépôt d’une nouvelle plainte. [...] Cela reviendrait à ériger, dans la législation sur les droits de la personne, le genre de barrières procédurales contre lesquelles la Cour suprême du Canada s’est prononcée.

 

Par la même logique et en l’absence de toute interdiction légale, rien n’interdit de modifier la plainte à la demande du plaignant.

 

 

[5]               Le demandeur déclare qu’il a simplement modifié sa plainte antérieure et que la plainte n’aurait pas dû être rejetée pour le motif qu’elle avait été déposée en dehors des délais, mais qu’elle devait être examinée au fond. Par conséquent, le demandeur soutient que, comme dans la décision Arnold c. Commission canadienne des droits de la personne (1996), 119 F.T.R. 241, il existe une obligation d’accommoder les personnes atteintes d’une déficience et que l’affaire devrait être renvoyée pour nouvelle décision.

 

[6]               L’argument invoqué par le demandeur est vicié étant donné qu’il ne tient pas compte du fait que la plainte initiale avait été rejetée au fond, comme il en est fait mention dans la lettre du 5 juillet 2004 de la Commission. À ce moment‑là, le dossier était clos.

 

[7]               Le demandeur a eu recours au Programme de contestation judiciaire pour voir s’il y avait une autre voie de recours; cependant, il n’y en avait pas. Au mois d’avril 2005, le demandeur s’est renseigné auprès de la Commission sur la question de savoir s’il y avait une voie d’appel, mais il n’y en avait pas. Au mois de mai 2005, le demandeur a déposé une autre plainte, qu’il a qualifiée de plainte révisée, en fournissant des renseignements en sus de ceux qu’il avait soumis dans sa plainte initiale, la plainte étant toutefois fondée sur le même événement. Ces éléments additionnels étaient essentiellement composés de statistiques au sujet des pertes d’emploi subies par les personnes atteintes d’une déficience auditive. La Commission a accepté ces documents pour dépôt, mais elle a averti le demandeur que ces documents feraient l’objet d’un examen et qu’ils seraient rejetés s’il était décidé qu’il n’existait aucun fondement permettant d’accorder une prorogation de délai.

 

[8]               La Commission a amplement donné au demandeur la possibilité de soumettre des observations au sujet de la raison pour laquelle une prorogation de délai devait être accordée. Le demandeur a soumis ces observations et la Commission, après les avoir reçues, a refusé d’accorder la prorogation. Par conséquent, l’affaire, qui avait déjà été tranchée à l’encontre du demandeur plus d’un an plus tôt, n’a pas fait l’objet d’un examen plus poussé, pour le motif que la « révision » ou la « nouvelle affaire » avait été soumise en dehors des délais.

 

[9]               La Commission, lorsqu’elle prend des décisions de ce genre, a droit à énormément de retenue de la part de la Cour. Comme la juge Snider l’a dit dans la décision Johnston c. Société canadienne d’hypothèques et de logement, [2004] A.C.F. no 1121, 2004 CF 918, une décision qui relève directement du pouvoir discrétionnaire de la Commission ne doit être modifiée que si elle est manifestement déraisonnable. La Commission a rejeté la plainte initiale du demandeur. Elle a également rejeté la demande que le demandeur avait faite pour compléter ou réviser la plainte, pour le motif que cette demande avait été faite en dehors des délais. Elle l’a fait en donnant au demandeur la possibilité de soumettre des observations, ce qu’il a fait. Il n’était pas manifestement déraisonnable de rejeter la plainte « révisée ».

 

[10]           Je ne doute pas des bonnes intentions du demandeur, lorsqu’il tente d’obtenir un redressement par suite de ce qui constitue, selon lui, un préjudice fondé sur sa déficience auditive, mais ces tentatives étaient mal avisées et désordonnées. Le demandeur ne semble pas avoir reçu, ou s’il en a reçu il ne semble pas avoir suivi, de conseils juridiques sensés. Il s’est plutôt dans une certaine mesure fié aux efforts bien intentionnés de la Commission, qui a tout fait pour l’aider ou du moins pour lui proposer des solutions à envisager. Toutefois, toute affaire doit aboutir. Le demandeur a eu à deux reprises la possibilité de faire valoir sa cause; la Commission lui a amplement donné la possibilité de faire valoir sa cause et elle a tenu compte de ce qu’il avait à offrir. Les décisions que la Commission a prises étaient appropriées et elles ne peuvent pas être annulées.

 

[11]           En l’espèce, il conviendrait d’adjuger les dépens à la Commission, mais j’éprouve une certaine compassion pour le demandeur compte tenu des efforts, en bonne partie mal avisés, qu’il a faits en exerçant ce qu’il estimait être les recours auxquels il avait droit. Aucuns dépens ne seront adjugés.

 

 

JUGEMENT

 

UNE DEMANDE ayant été présentée le lundi 15 mai 2006 en vue du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne en date du 2 septembre 2005;

 

Les dossiers déposés en l’espèce ayant été examinés et le demandeur en personne ainsi que l’avocat du défendeur ayant été entendus;

 

POUR les motifs ici prononcés;

 

LA COUR STATUE :

1.      Que la demande est rejetée;

2.      Qu’aucune ordonnance n’est rendue à l’égard des dépens.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS I NSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1710-05

 

INTITULÉ :                                       JOSHUA K. COHEN

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 MAI 1006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joshua K. Cohen

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Alexander Gay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joshua K. Cohen

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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