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Dossier : IMM‑5324‑19

Référence : 2020 CF 791

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 24 juillet 2020

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

MD MOSTAQUE AHMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur MD Mostaque Ahmed (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision d’un agent principal de l’immigration (l’agent) employé par le Bureau de réduction de l’arriéré d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, à Vancouver. Dans cette décision, en date du 19 août 2019, l’agent a conclu que le demandeur est interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration de la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en raison de son appartenance au Parti nationaliste du Bangladesh (le PNB).

[2]  Le demandeur a déposé deux affidavits à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Le premier a été souscrit le 24 septembre 2019 et le deuxième a été souscrit le 20 février 2020.

[3]  En réponse, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (collectivement, les défendeurs) ont déposé deux affidavits. L’affidavit de Mme Kylee Gauthier, une adjointe juridique du ministère de la Justice, souscrit le 25 octobre 2019, et auquel est joint en tant que pièces, des copies du formulaire de fondement de la demande d’asile et des motifs de l’agent.

[4]  Les défendeurs ont également déposé l’affidavit de l’agent, M. Anthony Maekawa, souscrit le 27 février 2020. Dans son affidavit, l’agent a décrit son processus décisionnel et a corrigé une erreur figurant dans l’affidavit de Mme Gauthier. L’erreur avait trait à la date à laquelle les motifs ont été fournis au demandeur.

[5]  Les détails et les faits ci‑après sont tirés du dossier certifié du tribunal (le DCT) et des affidavits déposés par les parties.

[6]  Le demandeur est un citoyen du Bangladesh. Il est arrivé au Canada en 2016 et a demandé l’asile à titre de réfugié au sens de la Convention, en vertu de l’article 96 de la Loi. Il a fondé son affirmation sur la crainte de persécution découlant de son opinion politique en tant que membre du Parti libéral‑démocrate au Bangladesh. Sa demande a été acceptée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans une décision datée du 3 novembre 2017.

[7]  En novembre 2017, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada, à titre de « personne protégée », au titre du paragraphe 21(1) de la Loi.

[8]  Selon le formulaire de fondement de sa demande d’asile et l’« Annexe A : Antécédents/Déclaration », le demandeur est devenu membre du Bangladesh Chatradal (R.‑U.) et a été le secrétaire des Affaires étudiantes, entre 2005 et 2009, alors qu’il était étudiant au Shakespeare College au Royaume‑Uni.

[9]  Un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs employé par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a soulevé des préoccupations en matière d’interdiction de territoire découlant de la participation du demandeur au Bangladesh Chatradal (R.‑U.), au motif que ce groupe est un volet étudiant du PNB.

[10]  L’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs a préparé un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi, dans lequel il a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi pour avoir été « membre » de Jatiyatabadi Chhatra Dal (le JCD), qui est une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme ou d’actes de subversion.

[11]  Le demandeur devait comparaître devant la Commission, Section de l’immigration (la SI) le 27 juillet 2018. Selon les documents figurant dans le DCT, l’avocat du ministre de la Santé publique et de la Protection civile a demandé l’autorisation de retirer la demande de procéder à une enquête. La demande figurant dans le DCT concernant ce retrait énonce, en partie, ce qui suit :

[traduction]

[…]

Par la présente, le ministre retire la demande de procéder à une enquête en vertu du paragraphe 5(2) des Règles de la Section de l’immigration, étant qu’aucun élément de preuve de fond n’a été déposé dans le cadre de l’affaire.

[…]

[12]  Le demandeur a reçu une lettre portant sur l’équité procédurale datée du 9 juillet 2019 de l’agent, l’informant qu’il existait une préoccupation selon laquelle il était interdit de territoire en raison de son appartenance au PNB. Il a eu l’occasion de présenter des observations supplémentaires.

[13]  Au moyen d’une lettre en date du 19 juillet 2019, Me Washim Ahmed, un avocat, a répondu au nom du demandeur.

[14]  Dans sa réponse, l’avocat du demandeur s’est dit préoccupé par le fait que la question d’interdiction de territoire avait été soulevée de nouveau. Il a estimé que la question avait déjà été soulevée par l’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs, encore une fois lorsque l’affaire a été renvoyée à la SI afin de procéder à une enquête et, encore une fois, lorsque la demande de procéder à cette enquête a été retirée.

[15]  Le 19 août 2019, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur. La décision a été communiquée dans une lettre d’une page. De longs motifs de cette décision ont ensuite été fournis au demandeur.

[16]  Dans la décision, l’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi en raison du fait qu’il était un membre du PNB. L’agent a conclu que le JCD, également connu sous le nom de Bangladesh Chatradal, est le volet étudiant du PNB et est activement contrôlé par le PNB. Il a conclu qu’il existait un lien direct entre le JCD et le PNB.

[17]  L’agent a déterminé que le JCD fait partie du PNB. Il a effectué une recherche dans Internet des expressions « Jatiyabadi Chhatra Dal », [traduction« actes terroristes du Parti nationaliste du Bangladesh », et [traduction« Histoire du Hartal ». Étant donné que le public a accès à ces renseignements, il ne les a pas divulgués au demandeur.

[18]  L’agent a examiné d’autres documents, y compris les Réponses à la demande d’information (les RDI) de la Commission, la Constitution du PNB et un rapport de 1997 sur la situation des droits de la personne au Bangladesh, avant de conclure que le JCD est un volet étudiant du PNB.

[19]  L’agent a conclu que l’appartenance du demandeur au JCD au Royaume‑Uni, plutôt qu’au Bangladesh, n’était pas déterminante. Il a indiqué qu’il [traduction« ne dispos[ait] que de peu d’éléments de preuve qui indiqu[ait] que le bureau du R.‑U. ne faisait pas partie d’un réseau plus vaste du PNB à l’extérieur du Bangladesh ou d’une entité distincte du JCD au Bangladesh ».

[20]  L’agent a également conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le PNB est, a été ou sera l’auteur d’un acte terroriste en raison de son rôle dans l’organisation de grèves. Il a conclu que la violence découlant des grèves planifiées par le PNB était intentionnelle et ciblée. L’agent a conclu en outre que le PNB s’était livré à la subversion.

[21]  L’agent a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’exiger des éléments de preuve indiquant que le demandeur avait participé à des activités qui constitueraient du terrorisme ou de la subversion, au motif que sa simple appartenance au JCD le rendait interdit de territoire.

[22]  Le demandeur conteste la décision à la fois au motif de l’équité procédurale et de la décision raisonnable.

[23]  Les défendeurs soulèvent une objection préliminaire concernant certaines parties du deuxième affidavit déposé par le demandeur, à savoir l’affidavit qui a été souscrit le 20 février 2020. Ils soutiennent que cet affidavit contient un argument inadmissible et qu’il comprend, à titre de pièce, des éléments de preuve dont l’agent n’était pas saisi, à savoir une lettre datée du 10 juin 2018.

[24]  Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.

[25]  La décision, en soi, est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable; voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[26]  Selon l’arrêt Dusmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[27]  J’aborderai d’abord l’objection soulevée par les défendeurs concernant le deuxième affidavit du demandeur.

[28]  Selon la règle générale, les éléments de preuve dont le décideur n’était pas saisi ne devraient pas être examinés dans une demande de contrôle judiciaire.

[29]  Le demandeur soutient que l’agent n’était pas autorisé de prendre une décision concernant l’interdiction de territoire puisque la question avait déjà été décidée, d’abord lorsque la SPR avait accepté sa demande d’asile dans sa décision rendue le 16 août 2017 et encore une fois lorsque la demande de procéder à une enquête devant la SI a été retirée par l’agent d’audience de l’ASFC le 26 juillet 2018.

[30]  Le demandeur a ensuite soutenu que les actes de l’agent, lorsqu’il a procédé à trancher la question concernant l’interdiction de territoire, étaient tellement déraisonnables qu’ils constituaient un abus de procédure. À cet égard, il a invoqué la décision rendue dans l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307.

[31]  Le demandeur fait également valoir que l’agent a violé ses droits à l’équité procédurale lorsqu’il a omis de donner un préavis suffisant de ses préoccupations concernant l’interdiction de territoire, a omis de divulguer les éléments de preuve pertinents et n’a pas tenu compte de la réponse qu’il a fournie à la lettre portant sur l’équité procédurale.

[32]  En outre, le demandeur soutient que l’agent n’a pas suivi les lignes directrices « IP 10 Refus des cas de sécurité nationale/Traitement des demandes en vertu de l’intérêt national » (les lignes directrices) et allègue que l’agent s’est montré partial, en raison de son statut d’employé du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[33]  En ce qui concerne la décision en soi, le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve présentés et a transféré le fardeau de preuve, au sujet de son interdiction de territoire, des défendeurs à lui.

[34]  Pour leur part, les défendeurs soutiennent que la doctrine de la chose jugée ne s’applique pas, qu’il n’y a eu aucune violation de l’équité procédurale ou de partialité de la part de l’agent et que la décision est conforme à la norme de la décision raisonnable applicable, en ce qui concerne les éléments de preuve dont était saisi l’agent.

[35]  Les observations du demandeur peuvent être décrites de manière générale comme une question d’équité procédurale et une contestation du caractère raisonnable de la décision.

[36]  Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la doctrine de la chose jugée ne s’applique pas à la présente instance.

[37]  Selon l’arrêt Angle c Ministre du Revenu national, [1975] 2 RCS 248, la doctrine de la chose jugée exige qu’une partie établisse trois éléments comme suit :

1.  que la même question ait été décidée;

2.  que la décision soit finale;

3.  que les parties aux deux instances soient les mêmes.

[38]  Le demandeur n’établit pas et ne peut pas établir le premier élément.

[39]  En premier lieu, les questions dont la SPR était saisie, concernant la demande d’asile du demandeur, ne sont pas les mêmes que celles soulevées dans la demande de résidence permanente du demandeur.

[40]  La Commission, par l’entremise de la SPR, a le mandat d’examiner les questions de risque, telles que mentionnées dans la Loi, lorsqu’elle examine une demande d’asile. La Commission, par l’entremise de la SI, a le mandant d’examiner d’autres facteurs, encore une fois énoncés dans la Loi, lorsqu’elle décide d’une demande de résidence permanente.

[41]  Selon la décision Ratnasingam c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 1096, une conclusion par la SPR, concernant le statut de réfugié au sens de la Convention, ne lie pas le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration lorsqu’il rend une décision concernant une demande de résidence permanente.

[42]  Le paragraphe 34(1) de la Loi dispose ce qui suit :

Sécurité

Security

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

(a) engaging in an act of espionage that is against Canada or that is contrary to Canada’s interests;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

(b.1) engaging in an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

(d) being a danger to the security of Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

[43]  Le paragraphe 21(2) de la Loi est pertinent et dispose ce qui suit :

Personne protégée

Protected Person

21 (2) Sous réserve d’un accord fédéro‑provincial visé au paragraphe 9(1), devient résident permanent la personne à laquelle la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger a été reconnue en dernier ressort par la Commission ou celle dont la demande de protection a été acceptée par le ministre — sauf dans le cas d’une personne visée au paragraphe 112(3) ou qui fait partie d’une catégorie réglementaire — dont l’agent constate qu’elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu’elle n’est pas interdite de territoire pour l’un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38.

21 (2) Except in the case of a person described in subsection 112(3) or a person who is a member of a prescribed class of persons, a person whose application for protection has been finally determined by the Board to be a Convention refugee or to be a person in need of protection, or a person whose application for protection has been allowed by the Minister, becomes, subject to any federal‑provincial agreement referred to in subsection 9(1), a permanent resident if the officer is satisfied that they have made their application in accordance with the regulations and that they are not inadmissible on any ground referred to in section 34 or 35, subsection 36(1) or section 37 or 38

[44]  À mon avis, selon le sens clair du paragraphe 21(2) de la Loi, une conclusion concernant le statut de « personne protégée » par la SPR n’empêche pas une autre section de la Commission ou un délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’examiner la question d’interdiction de territoire, au titre du paragraphe 34(1) de la Loi.

[45]  Quoi qu’il en soit, la « décision » de l’agent d’audience de l’ASFC de retirer la demande de procéder à une enquête ne constitue pas une « décision finale ».

[46]  Je fais référence aux paragraphes 5(1) et 6(1) des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229, qui disposent ce qui suit :

Abus de procédure

Abuse of process

5 (1) Il y a abus de procédure si le retrait de la demande du ministre de procéder à une enquête aurait vraisemblablement un effet néfaste sur l’intégrité de la Section. Il n’y a pas abus de procédure si aucun élément de preuve de fond n’a été accepté dans le cadre de l’affaire.

5 (1) Withdrawal of a request for an admissibility hearing is an abuse of process if withdrawal would likely have a negative effect on the integrity of the Division. If no substantive evidence has been accepted in the proceedings, withdrawal of a request is not an abuse of process.

Demande de rétablissement d’une demande d’enquête retirée

Application for reinstatement of withdrawn request

6 (1) Le ministre peut demander par écrit à la Section de rétablir la demande de procéder à une enquête qu’il a faite et ensuite retirée.

6 (1) The Minister may make a written application to the Division to reinstate a request for an admissibility hearing that was withdrawn.

[47]  Selon le dossier dont je suis saisi, aucun élément de preuve de fond n’a été déposé devant la SI et avant que la demande de procéder à une enquête n’a été présentée et acceptée. Les observations du demandeur à l’égard de la doctrine de la chose jugée ne sont fondées ni en fait ni en droit.

[48]  Les observations du demandeur au sujet de l’abus de procédure découlent de ses arguments concernant la chose jugée. Elles sont tout aussi mal fondées.

[49]  Le processus suivi par l’agent ne comportait aucun abus. le demandeur a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention le 16 août 2017. Il a présenté sa demande de résidence permanente le 17 novembre 2017. Cette demande a été refusée dans une décision datée du 19 août 2019.

[50]  Moins de deux ans se sont écoulés depuis que le demandeur a présenté sa demande et qu’il a reçu une décision. À mon avis, il ne s’agissait pas d’une période démesurée.

[51]  Le demandeur soutient que l’agent a violé ses droits à l’équité procédurale lorsqu’il a omis de donner un préavis suffisant de ses préoccupations, a omis de tenir compte de sa réponse à la lettre portant sur l’équité procédurale et a omis de divulguer les éléments de preuve pertinents.

[52]  Aucun de ces arguments n’est convaincant.

[53]  La lettre portant sur l’équité procédurale du 9 juillet 2019 énonce clairement le fondement des préoccupations de l’agent. En voici un extrait :

[traduction]

Selon les renseignements disponibles, le CIC devra possiblement rejeter votre demande de résidence permanente, car il semble que vous pourriez être interdit de territoire au Canada au sens du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cette décision découle de votre appartenance, que vous avez admise vous‑même, au Bangladesh Chatradal, le volet étudiant du Parti nationaliste du Bangladesh (PNB), selon votre demande d’asile.

[54]  Dans sa réponse du 19 juillet 2019 à cette lettre au nom du demandeur, l’avocat n’a pas répondu aux préoccupations soulevées par l’agent, mais a plutôt présenté un argument selon lequel la question d’interdiction de territoire avait déjà été décidée et il a soulevé des préoccupations concernant les retards dans le traitement de la demande du demandeur.

[55]  La thèse énoncée par l’avocat ne répond pas aux préoccupations exprimées par l’agent. L’agent n’est pas responsable de l’omission du demandeur, soit lui‑même ou avec l’aide d’un avocat, de fournir à l’agent des renseignements et des observations supplémentaires. Il n’y a eu aucune violation de l’équité procédurale à cet égard.

[56]  Aucune violation de l’équité procédurale ne découle de l’omission de l’agent d’informer le demandeur des documents qu’il consultait, étant donné que les documents mentionnés dans sa décision étaient à la disposition du public.

[57]  Le demandeur soutient que l’agent n’avait pas suivi les lignes directrices pertinentes pour décider la question concernant l’interdiction de territoire, surtout lorsqu’il a omis de tenir une entrevue.

[58]  À mon avis, les lignes directrices n’exigent pas la tenue d’une entrevue dans tous les cas. Selon les lignes directrices, lorsqu’aucune entrevue n’est tenue, un agent doit fournir une divulgation écrite des éléments de preuve extrinsèques. Il n’y a aucune violation de l’équité procédurale à cet égard, comme l’a allégué le demandeur.

[59]  Le demandeur a également allégué que l’agent a fait preuve de partialité en raison de son emploi auprès du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[60]  Le critère à l’égard de la partialité a récemment été examiné par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Oleynik c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5, au paragraphe 56, en se fondant sur la l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369. Ce critère est le suivant :

[À] quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[61]  Au paragraphe 57 de sa décision dans l’arrêt Oleynik, précitée, la Cour d’appel fédéral a indiqué ce qui suit :

En énonçant ce critère dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty, à la page 395, le juge de Grandpré a pris soin de préciser que les motifs de la crainte doivent être « sérieux ». Il a également convenu que le critère – ce que penserait une personne raisonnable et bien renseignée – ne peut être celui « d’une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ». En d’autres termes, le seuil à franchir pour conclure à une crainte raisonnable de partialité est élevé, et le fardeau de la partie qui cherche à établir l’existence d’une crainte raisonnable est donc élevé : voir Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282, aux paragraphes 25 et 26.

[62]  À mon avis, le demandeur n’a pas établi un fondement quelconque de l’allégation de partialité de la part de l’agent, découlant de son emploi par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[63]  Je tiens à souligner qu’une allégation de partialité à l’égard d’un fonctionnaire est très sérieuse et ne devrait pas être faite en l’absence d’éléments de preuve importants. De tels éléments de preuve n’ont pas été présentés en l’espèce.

[64]  Le demandeur a également présenté des observations orales au sujet de motifs insuffisants. Il a fait valoir que le document d’une page daté du 19 août 2019 contenait des motifs [traduction« de formule type ». Il a laissé entendre que l’agent avait décidé sa demande au préalable et a laissé entendre en outre que les longs motifs ont été rédigés après coup.

[65]  Je fais remarquer que dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur a dit qu’il avait déjà reçu les motifs. Le paragraphe 9(1) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, dispose ce qui suit :

Production de la décision du tribunal administratif et des motifs y afférents

Obtaining Tribunal’s Decision and Reasons

9 (1) Dans le cas où le demandeur indique dans sa demande d’autorisation qu’il n’a pas reçu les motifs écrits du tribunal administratif, le greffe envoie immédiatement à ce dernier une demande écrite à cet effet selon la formule IR‑3 figurant à l’annexe.

9 (1) Where an application for leave

sets out that the applicant has not received the written reasons of the tribunal, the Registry shall forthwith send the tribunal a written request in Form IR‑3 as set out in the schedule.

[66]  À mon avis, le fait d’omettre une étape qui est traitée dans les Règles pertinentes et de l’utiliser comme fondement d’un argument constitue une bien piètre défense.

[67]  Il ne ressort aucunement de la preuve que les motifs ont été rédigés après coup. Rien ne permet de conclure qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale eu égard à ce motif.

[68]  Selon le paragraphe 11(1) de la Loi, il incombe au demandeur d’établir qu’il n’est pas interdit de territoire; voir la décision Kumarasekaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1311.

[69]  Le demandeur soutient également que la décision est viciée aux motifs que l’agent a indûment inversé le fardeau de preuve en exigeant qu’il démontre qu’il n’était pas interdit de territoire, plutôt que d’exiger que les défendeurs établissent son interdiction de territoire. À cet égard, le demandeur invoque l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2013] 2 RCS 678, au paragraphe 29, où la Cour suprême du Canada dit ce qui suit :

[29] Pour les motifs qui suivent, nous concluons qu’une personne est inadmissible à la protection des réfugiés suivant l’art. 1Fa) pour cause de complicité dans la perpétration de crimes internationaux lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle a volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel du groupe qui les aurait commis. Le fardeau de preuve incombe à la partie qui requiert l’exclusion, à savoir le Ministre : Ramirez, p. 314.

[70]  Cette question, à savoir l’inversion du fardeau de preuve, soulève une question de droit soumise à la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 17.

[71]  Je ne suis pas d’accord avec le demandeur sur ce point.

[72]  Dans l’arrêt Ezokola, précité, la Cour traitait de l’application de l’Article 1F de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 6. En l’espèce, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente, en tant que personne protégée, après que la SPR eut accepté sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention.

[73]  Dans ses circonstances, le demandeur est assujetti au principe général énoncé au paragraphe 11(1) de la Loi, qui dispose ce qui suit :

[74]  Cette disposition signifie que le demandeur doit satisfaire aux exigences législatives; autrement dit, il lui incombe d’établir qu’il n’est pas interdit de territoire.

[75]  La seule question qui se pose maintenant est celle de savoir si la décision respecte la norme de la décision raisonnable. Est‑elle « justifiable, transparente et intelligible » eu regard des faits et du droit?

[76]  Le demandeur se plaint que l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve selon lequel le Bangladesh Chatradal (R.‑U.) à Londres, dont il est membre, est lié au JCD au Bangladesh. L’agent a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve indiquant que le Bangladesh Chatradal (R.‑U.), l’organisation à l’égard de laquelle le demandeur a admis être membre, ne faisait pas partie du JCD ou du PNB.

[77]  Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur tente de présenter une lettre qui démontrerait prétendument que le Bangladesh Chatradal (R.‑U.) à Londres est indépendant du JCD au Bangladesh. La lettre, datée du 10 juin 2018, est mentionnée dans l’autre affidavit du demandeur, souscrit le 20 février 2020. Le paragraphe 7 de cet affidavit contient, entre autres, le passage suivant :

[traduction]

Par la suite, j’ai retenu les services de Me Amed pour me représenter à l’audition de ma demande de résidence permanente et à l’enquête.

[…]

Par la suite, mon avocat, Me Ahmed, a communiqué avec l’avocat du ministre et lui a fourni une copie de la lettre du président du Bangladesh Chatradal au R.‑U., soit Abdus Salam, précisant que l’organisation n’est pas une organisation politique et n’a aucun lien avec le Parti nationaliste du Bangladesh ou avec un de ses volets. Une copie de ladite lettre est ci‑jointe en tant que pièce 6. […]

[Caractère gras dans l’original.]

[78]  La lettre se lit comme suit :

[traduction]

La présente vise à certifier que le Bangladesh Chatradal (BCD) est une organisation volontaire à Londres, au Royaume‑Uni (R.‑U.) et est fondée uniquement par des étudiants du R.‑U. La tâche principale de cette institution consistait à de transporter les étudiants de l’aéroport, de prendre les dispositions nécessaires aux fins de leur logement et de les informer des mesures à prendre s’ils devaient changer de collège dans la ville de Londres.

Veuillez noter que le Bangladesh Chatradal (BCD) est une organisation indépendante à Londres, le Royaume‑Uni n’a rien à voir avec le Bangladesh Jatiotabadi Chatra Dal (JCD) au Bangladesh. Les deux organisations sont entièrement distinctes les unes des autres. [sic]

[79]  Cette lettre n’est pas acceptée dans le cadre des éléments de preuve du demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire. Elle n’est mentionnée qu’à titre d’exemple que s’il s’agissait d’éléments de preuve pertinents à l’appui de la demande de résidence permanente du demandeur, il aurait dû la produire le plus tôt possible.

[80]  Le demandeur a eu l’occasion de présenter cette lettre à l’agent, en réponse à la lettre concernant l’équité procédurale. Il ne l’a pas fait.

[81]  Par conséquent, je suis convaincue qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale, y compris la partialité de la part de l’agent. D’après les faits et le droit, la décision est raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


 

[82]  Le demandeur a proposé que les deux questions suivantes soient certifiées :

[TRADUCTION]

1)  Dans le cadre d’une enquête au cours de laquelle le ministre n’a pas demandé un certificat de sécurité en vertu de l’article 77 de la LIPR ou n’a invoqué aucun privilège fondé sur la sécurité nationale, la question de savoir si la collecte de la preuve documentaire de l’agent d’immigration à l’aide de termes de recherche uniques connus uniquement par l’agent constitue‑t‑elle une preuve extrinsèque et si elle n’est pas communiquée à la personne concernée, s’agit‑il d’une violation du droit d’une personne à l’équité procédurale, étant donné que le manuel de politique du tribunal lui‑même exige la communication de ladite preuve?

2)  Si le retrait des allégations d’interdiction de territoire formulées par le ministre, qui est représenté par un avocat à une enquête contre une personne concernée qui a présenté une demande de résidence permanente constitue un règlement définitif de la question concernant l’interdiction de territoire en faveur de la personne concernée et empêchant le ministre de soulever davantage les allégations d’interdiction de territoire dans le cadre de la même instance, pour les mêmes motifs et concernant les mêmes parties?

[83]  Après examen de ces questions, les défendeurs s’opposent à la certification.

[84]  Le critère pour la certification d’une question est établi dans l’arrêt Zazai c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, et il a été récemment confirmé dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 RCF 674. Le critère de la certification nécessite une question ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et qui est déterminante quant à l’issue de l’appel.

[85]  À mon avis, les questions proposées ne répondent pas au critère de certification et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5324‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour d’août 2020.

Claude Leclerc, traducteur



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