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Dossier : IMM‑4422‑19

Référence : 2020 CF 740

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

JULIET CARIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Juliet Carin, est une citoyenne des Philippines qui travaille aux Émirats arabes unis [les ÉAU] depuis janvier 2013. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 15 juillet 2019, par laquelle un agent des visas [l’agent] de l’ambassade du Canada à Abou Dhabi a refusé sa demande de permis d’études. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de la période de séjour en raison de l’objet de sa visite, des perspectives d’emploi limitées dans son pays de résidence, de sa situation d’emploi actuelle, ainsi que ses biens personnels et sa situation financière.

[2]  La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable parce que les motifs exposés par l’agent ne fournissent pas un fondement rationnel quant au doute qu’elle soit véritablement une étudiante et quant à la conclusion selon laquelle ses liens à l’extérieur du Canada ne suffisent pas pour la contraindre à quitter le Canada après ses études.

[3]  Je suis d’accord.

[4]  L’examen des faits liés à la demande de permis d’études qu’a mené un agent des visas et la croyance de cet agent selon laquelle la demanderesse ne quittera pas le Canada à la fin de son séjour sont soumis à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 16 et 17 [Vavilov]; Mekhissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 230, aux par. 11 à 13; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080, au par. 11; Emesiobi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 90, au par. 11). Même s’il n’est pas nécessaire d’exposer des motifs complets ou parfaits pour que la décision soit considérée comme raisonnable, cette dernière doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au par. 85). Elle doit aussi posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au par. 99).

[5]  Les notes du Système mondial de gestion des cas, qui font partie de la décision, indiquent que l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse était véritablement une étudiante qui ferait ses études au Canada. Selon l’agent [traduction] « les avantages énumérés liés aux études envisagées par [la demanderesse] ne semblent pas justifier les coûts et les difficultés que supposent le fait d’étudier à l’étranger ». L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse [traduction] « s’inscrira à un EED [établissement d’enseignement désigné] et qu’il [sic] poursuivra ses études comme l’exige le paragraphe 220.1(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le Règlement] ou quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable comme l’exige l’alinéa 216(1)b) du Règlement ».

[6]  Laissant de côté le fait que l’agent renvoie à la demanderesse au masculin, il n’aborde aucunement les motivations exposées par celle‑ci dans la lettre jointe à sa demande.

[7]  La demanderesse a expliqué qu’elle est titulaire d’un baccalauréat en administration des affaires aux Philippines et qu’elle a déménagé au Moyen‑Orient afin de faire carrière dans le domaine des ressources humaines et de l’administration. Elle l’a fait en vue d’amasser suffisamment d’argent pour poursuivre ses études étant donné que les diplômés universitaires aux Philippines ne gagnent qu’une fraction de ce qu’ils gagnent aux ÉAU. Afin de se démarquer des autres candidats à l’emploi aux Philippines, et sachant que les employeurs dans son pays ont une haute estime des titres de compétence canadiens, elle a décidé d’obtenir un diplôme en travail social à un collège précis au Canada. Elle a expliqué que le fait de mener des études au Canada lui permettra de se trouver un emploi stable, mieux rémunéré et plus gratifiant que ce que ses études et son expérience de travail actuelles lui permettraient d’obtenir. Ces études l’aideront aussi à réaliser son rêve de trouver un emploi au ministère du Bien‑être social et du Développement aux Philippines. Elle explique aussi que les cours de formation en travail social aux Philippines durent quatre (4) ans, par opposition aux cours intensifs de deux ans qu’elle entend suivre au Canada. Le programme d’étude qu’elle a choisi lui permettra de faire progresser sa carrière aux Philippines, en plus de l’aider à rejoindre son mari et ses deux (2) filles, toujours aux Philippines. Elle a déjà terminé le cours d’introduction en ligne au collège.

[8]  Malgré les explications fournies par la demanderesse dans sa lettre de motivation, l’agent n’a aucunement expliqué pourquoi il doutait que la demanderesse veuille véritablement poursuivre des études au Canada ou pourquoi les coûts et les difficultés que supposent les études à l’étranger l’emporteraient sur l’avantage indiqué par la demanderesse dans sa lettre de motivation. Les motifs n’indiquent pas clairement à quelles difficultés l’agent renvoie et pourquoi les coûts liés au programme sont injustifiés. En plus de sa lettre de motivation, la demande présentée par la demanderesse comprenait une preuve de son admissible au cours de deux ans au collège, ainsi qu’une preuve de paiement des deux premiers versements de ses frais de scolarité. Elle a également présenté une preuve de titres de propriété aux Philippines et des relevés de banques des ÉAU, des Philippines et du Canada, lesquels indiquent que ses économies sont supérieures aux montants requis pour être admissibles à la délivrance d’un permis d’études.

[9]  Étant donné que la demanderesse a prouvé qu’elle était en mesure d’engager cette dépense et qu’elle a justifié son choix de programme en exposant des raisons précises, je conclus que la simple déclaration de l’agent selon laquelle [traduction] « les avantages liés aux études envisagées ne semblent pas justifier les coûts et les difficultés que supposent les études à l’étranger » ne satisfait pas à la norme relative au caractère raisonnable.

[10]  Je conclus également que les motifs exposés par l’agent ne fournissent pas un fondement rationnel à la conclusion selon laquelle les liens de la demanderesse à l’extérieur du Canada ne suffisent pas pour la contraindre à quitter le Canada après ses études. Son mari et ses deux (2) filles habitent aux Philippines et ils n’accompagneront pas la demanderesse pendant ses études. La mère de celle‑ci habite également aux Philippines. La demanderesse possède des biens aux Philippines. En comparaison, la demanderesse n’a aucun lien familial au Canada et aucune preuve de titres de propriété au Canada n’existe. Qui plus est, la demanderesse a également montré qu’elle avait déjà respecté les exigences étrangères en matière d’immigration en produisant des timbres apposés dans son passeport, lesquels indiquaient qu’elle avait voyagé dans divers pays et qu’elle avait toujours quitté le pays avant la fin de sa période de séjour autorisée.

[11]  Je suis consciente qu’il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard d’un agent des visas qui accorde ou refuse des permis d’études et qu’il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve au dossier et de substituer ses propres conclusions à celles de l’agent des visas. Je conclus toutefois que, même lorsqu’on lit la décision dans son ensemble, les critères de la décision raisonnable n’ont pas été respectés en l’espèce, puisque je n’arrive pas à comprendre le raisonnement ayant mené à la conclusion de l’agent (Vavilov, au par. 96).

[12]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.




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