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Date : 20200722


Dossier : T‑448‑19

Référence : 2020 CF 775

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2020

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

CN CONSTRUCTION NETWORKS LTD

ET LUCA MARIO CICIARELLI

(ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE LUCA CICARELLI)

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente ordonnance et les présents motifs répondent à une demande présentée par le ministre du Revenu national (le ministre) au titre des paragraphes 231.7(1) et (3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) (la LIR), en vue d’obtenir une ordonnance obligeant les défendeurs, CN Construction Networks Ltd. (CCNL) et M. Ciciarelli, à fournir des renseignements et des documents à un agent autorisé de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), aux bureaux de Toronto, en Ontario. Le ministre a déposé sa demande auprès de la Cour le 12 mars 2019. Les documents en question sont énoncés à l’annexe A de la présente ordonnance. L’ARC les a exigés en se fondant sur une demande de renseignements du 14 décembre 2017, émise en vertu de l’article 231.2 de la LIR.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci‑dessous, j’accueillerai la présente demande, parce que le ministre a satisfait aux exigences du paragraphe 231.7(1) de la LIR. De plus, c’est à juste titre que le ministre a demandé que les défendeurs déposent les renseignements et les documents en question au bureau de l’ARC à Toronto, compte tenu des nombreux antécédents de M. Ciciarelli en matière de non‑respect des obligations que lui impose la LIR. En vertu du paragraphe 231.7(3), la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la remise des documents demandés plutôt que d’ordonner de simplement en fournir l’accès. Bien qu’en septembre 2019, M. Ciciarelli ait remis certains documents à l’ARC, ceux‑ci ne répondaient pas à la demande de renseignements.

II.  Le contexte

[3]  Le 16 février 2011, CCNL a été constituée en société en Ontario. L’ARC croit que CCNL est une entreprise de construction qui a succédé à une entreprise à propriétaire unique exploitée par M. Ciciarelli. Jusqu’en juin 2019, CCNL n’avait produit aucune déclaration de revenus, sous le régime de la LIR. Le 10 mars 2020, lors de l’audition de la présente demande, M. Ciciarelli a déclaré que, jusqu’à ce jour‑là, il avait produit toutes les déclarations de revenus requises, mais il n’a présenté aucune preuve à cet égard.

[4]  M. Ciciarelli est un administrateur et l’actionnaire unique de CCNL. Entre 2000 et juin 2019, M. Ciciarelli n’a pas produit de déclaration de revenus des particuliers sous le régime de la LIR. En 2014, en vertu du paragraphe 152(7) de la LIR, le ministre a établi une cotisation à M. Ciciarelli pour les années d’imposition de 2008 à 2012 et a émis des avis de cotisation qui définissaient une dette fiscale de plus de 6 000 000 $. M. Ciciarelli n’a pas déposé d’avis d’opposition à ces cotisations.

[5]  Parmi ses mesures de recouvrement de la dette fiscale impayée de M. Ciciarelli, l’ARC a délivré la demande de renseignements à CCNL et à M. Ciciarelli, en vue d’obtenir des renseignements et des documents (la documentation). La documentation indiquée par le ministre comprenait des renseignements sur les activités commerciales de CCNL, le rôle joué par M. Ciciarelli au sein de la société, des renseignements sur la paie et les employés, ainsi que des renseignements sur les paiements versés par CCNL à M. Ciciarelli et à d’autres personnes.

[6]  La demande de renseignements a été remise en mains propres à l’avocat de M. Ciciarelli le 15 décembre 2017. Les défendeurs étaient tenus de présenter la documentation à M. Tobar, un agent de recouvrement de l’ARC, au bureau central de l’ARC à Toronto, en Ontario, dans un délai de 60 jours.

[7]  M. Ciciarelli a répondu à la demande de renseignements dans une lettre datée du 19 janvier 2018. La lettre comportait une série de questions sur le statut de contribuable de M. Ciciarelli, sous le régime de la LIR, et sur ses obligations en tant qu’entité contribuable. Bien que M. Ciciarelli en conteste la désignation, l’ARC considère les mots, les phrases et les expressions contenus dans la lettre comme du langage utilisé par un « contestataire du fisc ». L’ARC décrit les contestataires du fisc comme des personnes qui avancent qu’elles n’ont pas à payer d’impôt sur le revenu qu’elles gagnent.

[8]  Les défendeurs n’ont pas fourni la documentation, malgré le suivi de l’ARC à ce sujet. Par une lettre du ministère de la Justice du 23 octobre 2018, les défendeurs ont été informés de l’intention de l’ARC d’introduire la présente demande.

[9]  Une correspondance s’ensuivit entre les parties, de novembre 2018 à janvier 2019. Les défendeurs ont informé l’ARC de leur intention de mettre la documentation à la disposition des agents de l’ARC à une adresse à Burlington, en Ontario (l’adresse de Burlington). Toutefois, compte tenu des antécédents de M. Ciciarelli, dans la présente affaire et dans d’autres affaires avec le ministre, l’ARC a refusé que ses agents se rendent à l’adresse de Burlington. L’ARC a proposé de faire ramasser la documentation à Burlington par un messager, pour qu’elle soit examinée à ses bureaux de Toronto.

[10]  Les défendeurs ont maintenu leur position selon laquelle l’ARC pouvait avoir accès à la documentation à l’adresse de Burlington. Dans une lettre du 24 janvier 2019, les défendeurs ont demandé à l’ARC si elle acceptait que ses agents se rendent aux bureaux des comptables des défendeurs, à Toronto, pour examiner et inspecter la documentation.

[11]  À la fin de juillet 2019, la Cour a fixé la date de l’audition de la demande du ministre au 12 septembre 2019. Dans une lettre datée du 21 août 2019, l’avocat des défendeurs a écrit à Me Apostle, l’avocate du ministre, pour l’informer que les défendeurs ne voulaient plus débattre de cette affaire en justice et qu’ils remettraient la documentation à l’ARC au plus tard le 30 septembre 2019. Le ministre a consenti à un ajournement de l’audience jusqu’en octobre 2019.

[12]  Le 30 septembre 2019, M. Ciciarelli a remis une boîte contenant des renseignements et des documents aux bureaux de l’ARC à Toronto. Il déclare avoir remis toute la documentation en sa possession. Selon le ministre, la documentation qui lui a été remise ne répondait pas à la demande de renseignements. Le déposant du ministre, M. Tobar, déclare que les documents soumis ne répondaient que partiellement à six des vingt‑quatre éléments énumérés dans la demande de renseignements.

III.  Les autres affaires concernant M. Ciciarelli

[13]  M. Ciciarelli a été partie dans plusieurs instances antérieures devant la Cour pour avoir omis de transmettre des renseignements et des documents à l’ARC, au nom d’autres entités dans lesquelles il a ou avait un rôle. Ces instances et les ordonnances rendues à l’endroit de M. Ciciarelli et ses entités connexes donnent une idée de son rapport avec l’ARC dans le passé et des préoccupations de celle‑ci au sujet de l’inobservation de la demande de renseignements qui fait l’objet de la présente demande.

[14]  En 2016, le ministre a présenté une demande, au titre de l’article 231.7 de la LIR, à l’encontre de M. Ciciarelli et de sa société, 1585677 Ontario Ltd. Le 9 août 2016, la Cour a ordonné à M. Ciciarelli et à sa société de fournir aux agents de l’ARC certains livres, dossiers, documents et renseignements (l’ordonnance de communication). M. Ciciarelli et son entreprise ne se sont pas conformés à l’ordonnance de communication. Le 19 avril 2018, le juge Phelan a déclaré M. Ciciarelli et son entreprise coupables d’outrage pour défaut de se conformer à l’ordonnance de communication et, le 3 juillet 2018, il leur a imposé une peine pour outrage au tribunal.

[15]  Le ministre a ensuite présenté une requête visant à modifier l’ordonnance de communication par l’ajout d’une condition : que les renseignements et les documents mentionnés dans la demande de renseignements de 2016 soient remis au bureau de l’ARC à Toronto. Le 8 juillet 2019, la Cour a accueilli la requête en raison des longs antécédents de non‑conformité et de l’insuccès du processus de vérification (Canada (Revenu national) c Montana, 2019 CF 900, au par. 44 (Montana)).

IV.  Les questions en litige

[16]  À l’origine, dans présente demande, la Cour devait se pencher sur deux questions connexes, que voici :

  1. Les défendeurs, en mettant la documentation à la disposition de l’ARC aux fins d’examen et d’inspection à l’adresse de Burlington, ont‑ils respecté l’article 231.2 de la LIR?

  2. Le ministre a‑t‑il le droit d’obtenir une ordonnance, au titre des paragraphes 231.7(1) et (3) de la LIR, qui enjoindrait aux défendeurs de remettre la documentation au bureau de l’ARC à Toronto, en Ontario?

[17]  Comme il est mentionné ci‑dessus, M. Ciciarelli a fourni une partie de la documentation requise à l’ARC le 30 septembre 2019. Il fait valoir qu’il s’est conformé à la demande de renseignements et que la demande du ministre n’est pas nécessaire. J’aborderai également cette troisième question dans mon analyse.

V.  L’audition de la demande du ministre

[18]  Le juge Boswell a instruit la demande le 10 mars 2020 et a mis l’affaire en délibéré. Le juge en chef m’a confié le mandat d’instruire à nouveau la demande, en vertu de l’article 39 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles des Cours fédérales). Le 28 juin 2020, lors d’une séance spéciale de la Cour tenue par vidéoconférence, j’ai informé l’avocate du ministre, Me Apostle, et M. Ciciarelli que j’avais examiné tous les documents déposés et que j’avais écouté l’enregistrement des observations orales présentées à l’audience du 10 mars 2020. J’ai informé les parties que, si elles étaient d’accord, j’étais prête à rendre une décision en me fondant sur les documents déposés et leurs observations orales antérieures.

[19]  Me Apostle a répondu qu’elle était prête à procéder en s’appuyant sur ses observations écrites et orales antérieures. M. Ciciarelli a présenté de brèves observations au sujet d’un affidavit d’un représentant de l’ARC, M. Tobar, déposé à l’audience du 10 mars 2020 (l’affidavit de M. Tobar de 2020). M. Ciciarelli a également déclaré qu’en réponse à la demande de renseignements, il avait remis en mains propres toute la documentation en sa possession.

[20]  En réplique, Me Apostle a mis l’accent sur les antécédents de retard de M. Ciciarelli et a demandé la permission de déposer de brèves observations écrites. J’ai autorisé les deux parties à déposer des observations. Le 29 juin 2020, j’ai reçu les observations et les documents à l’appui de la part de Me Apostle. M. Ciciarelli n’a pas présenté d’autres observations écrites.

VI.  Les observations des parties

[21]   Le ministre soutient que les défendeurs étaient tenus de fournir la documentation conformément à la demande de renseignements et qu’ils ont fait défaut de le faire, malgré le fait qu’ils avaient bénéficié d’un délai raisonnable pour se conformer. Le ministre fait valoir que, compte tenu des antécédents de M. Ciciarelli en matière de non‑respect de ses obligations fiscales et du mépris dont il a fait montre à l’égard des ordonnances antérieures de la Cour, la Cour devrait ordonner aux défendeurs de remettre la documentation aux bureaux de l’ARC à Toronto. Le ministre déclare qu’il ne croit pas que les défendeurs permettront aux agents de l’ARC d’examiner, d’une manière suffisante et satisfaisante, la documentation à l’adresse de Burlington.

[22]  Le ministre soutient également qu’il a satisfait aux conditions qui sont énoncées au paragraphe 231.7(1) de la LIR pour obtenir une ordonnance de communication de la Cour. Le ministre fait valoir que la Cour peut imposer, à l’égard de cette ordonnance, les conditions qu’elle estime indiquées, y compris la remise de la documentation à l’ARC (paragraphe 231.7(3) de la LIR).

[23]  Enfin, le ministre fait valoir que les renseignements et les documents délivrés par M. Ciciarelli le 30 septembre 2019 étaient nettement insuffisants, et qu’entre 75 et 85 p. 100 de la documentation énumérée dans la demande de renseignements manque toujours. De plus, les documents fournis à l’ARC ne constituaient que des réponses partielles et avaient été considérablement caviardés.

[24]  Dans leurs observations écrites, les défendeurs insistent sur le fait que M. Ciciarelli est disposé à donner accès à ses renseignements et documents à l’ARC à l’adresse de Burlington et qu’il a aussi proposé une autre adresse à Toronto. Les défendeurs soutiennent que la demande du ministre était prématurée et injustifiée, puisque l’ARC n’a pas tenté de se rendre à l’adresse de Burlington pour examiner et inspecter leurs livres et leurs dossiers. Ils soutiennent également que la Cour ne devrait pas ordonner la remise de la documentation à l’ARC, car une vérification a habituellement lieu dans les locaux du contribuable et que M. Ciciarelli n’a pas refusé à l’ARC l’accès à la documentation (voir, p. ex., Ministre du Revenu national c Keytech Water Management Ltd et al, dossier de la Cour T‑213‑12 (onglet 5B du dossier de requête du ministre)).

[25]  Au cours de l’audition de la présente demande, le 10 mars 2020, M. Ciciarelli a déclaré qu’en fait, CCNL n’avait jamais exploité d’entreprise et qu’il y avait peu de documents qui correspondaient aux renseignements et aux documents décrits dans la demande de renseignements. Il déclare également qu’il a remis en mains propres toute la documentation existante le 30 septembre 2020 au bureau de l’ARC à Toronto. Il fait valoir qu’il s’est conformé à la demande de renseignements et qu’il n’est pas censé fournir des renseignements et des documents qu’il ne possède pas.

VII.  Analyse

[26]  Les paragraphes 231.7(1) et (3) de la LIR sont ainsi libellés :

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor‑client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

 

[…]

[…]

(3) Le juge peut imposer, à l’égard de l’ordonnance, les conditions qu’il estime indiquées.

(3) A judge making an order under subsection (1) may impose any conditions in respect of the order that the judge considers appropriate.

[Je souligne]

[Emphasis added]

[27]  Sur demande présentée au titre du paragraphe 231.7(1), la Cour doit être convaincue que :

  1. la personne visée par l’ordonnance demandée était tenue, par les articles 231.1 ou 231.2, de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents demandés par le ministre;

  2. bien que la personne ait été tenue de fournir les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir, elle ne l’a pas fait;

  3. le privilège des communications entre client et avocat ne peut être invoqué à l’égard des documents et des renseignements demandés.

[28]  Les défendeurs n’avancent aucun argument au sujet de la première et de la troisième condition du paragraphe 231.7(1), et je conclus que le ministre a satisfait à ces conditions : (1) les défendeurs devaient fournir la documentation selon la demande de renseignements émise le 14 décembre 2019, conformément à l’article 231.2 de la LIR; (2) Il n’y a aucune preuve donnant à penser que la documentation est protégée par le privilège des communications entre client et avocat.

[29]  Au départ, les défendeurs ont soutenu qu’ils s’étaient conformés à la demande de renseignements, la deuxième condition relative à une ordonnance au titre de l’article 231.7 de la LIR, en mettant la documentation à la disposition de l’ARC, à l’adresse de Burlington. Ils ont déclaré qu’ils n’avaient pas entravé l’ARC dans l’exécution de ses obligations légales et qu’ils n’étaient pas tenus de remettre la documentation à l’ARC.

[30]  Bien que les défendeurs n’aient pas poursuivi cet argument, je conclus que le défaut significatif, de la part de M. Ciciarelli, de se conformer à la LIR ainsi qu’aux ordonnances que la Cour a rendues en lien avec les vérifications de l’ARC de ses autres intérêts commerciaux justifie une ordonnance exigeant la remise de la documentation à l’ARC. La récente décision rendue dans l’affaire Montana comporte une analyse approfondie des circonstances dans lesquelles la Cour peut imposer l’obligation de remettre à l’ARC des renseignements et des documents qu’elle demande. D’ailleurs, il s’agit d’une autre affaire dont M. Ciciarelli est partie et qui concerne son refus de collaborer avec l’ARC dans le cadre du processus de vérification. L’analyse du juge Diner est directement pertinente à l’égard de la présente demande.

[31]  Le mot « fournir » n’est pas défini dans la LIR, mais il ne se limite pas uniquement à la fourniture de l’accès. Aux termes du paragraphe 231.7(1), un contribuable est tenu de fournir « l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents » demandés par le ministre. L’obligation de fournir des renseignements et des documents peut aussi comprendre les mesures raisonnables pour aider l’ARC à compléter la vérification. Le juge Diner a examiné l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Revenu national) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67, lequel donne une certaine orientation quant à la portée et à la conduite d’une vérification, et il a déclaré ce qui suit (Montana, aux par. 34 et 35) :

[34]  Le demandeur souligne à juste titre qu’en règle générale, les vérifications sont habituellement menées dans les locaux du contribuable. Toutefois, comme en fait foi l’historique de la présente affaire, cette dernière ne peut être considérée comme une affaire ordinaire. Cinq ans se sont maintenant écoulés depuis que l’ARC a tenté de commencer les vérifications, et il a été conclu que les contribuables ne respectaient pas la LIR, ce qui a donné lieu à l’ordonnance de communication délivrée par le juge Brown, puis en situation de non‑respect persistant de cette ordonnance, au moyen des ordonnances subséquentes pour outrage au tribunal et de détermination de la peine rendues par le juge Phelan.

[35]  Malgré l’issue de Cameco en faveur du contribuable, je suis néanmoins d’accord avec le demandeur pour dire que certains facteurs soulevés dans cette décision concernant la [traduction] « portée et les modalités » d’une vérification s’appliquent à l’affaire en l’espèce. Le juge Rennie, s’exprimant pour la majorité, a déclaré ce qui suit au paragraphe 43 :

[traduction]

Le ministre a le droit de déterminer la portée et les modalités d’une vérification, son déroulement et son orientation. Comme il a été constaté dans BP Canada, au paragraphe 82 : « les vérificateurs doivent procéder à une foule de contrôles et ne peuvent compter essentiellement que sur leur propre initiative lorsqu’ils vérifient les sommes déclarées par le contribuable ». Les vérificateurs ne sont pas assujettis aux restrictions des actes de procédure ou de la pertinence. Le déroulement d’une vérification est dicté par une multitude de facteurs, notamment l’expérience des vérificateurs, leur formation, l’état des dossiers, les antécédents fiscaux du contribuable ainsi que des facteurs extérieurs à ce dernier.

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Les antécédents fiscaux de M. Ciciarelli penchent fortement en faveur de l’ARC et du ministre. Par conséquent, je tire les conclusions suivantes à l’égard des questions initiales dans la présente demande, telles qu’elles sont formulées au paragraphe 16 ci‑dessus : (1) le ministre a satisfait aux trois conditions du paragraphe 231.7(1) de la LIR pour l’obtention d’une ordonnance de communication; (2) compte tenu des circonstances particulières de l’affaire et des antécédents fiscaux de M. Ciciarelli, en mettant simplement la documentation à la disposition de l’ARC pour examen et inspection à l’adresse de Burlington, les défendeurs ne se sont pas conformés à l’article 231.2 de la LIR; (3) le ministre a le droit d’obtenir une ordonnance obligeant les défendeurs à remettre la documentation aux bureaux de l’ARC à Toronto, en Ontario, à l’exception de la documentation remise par M. Ciciarelli en septembre 2020 (à supposer que cette documentation est toujours en la possession de l’ARC). Autrement dit, je suis d’avis de régler les deux questions susmentionnées en faveur du ministre.

[33]  Enfin, M. Ciciarelli fait valoir qu’il a fourni à l’ARC toute la documentation existante qu’il avait en sa possession. Il l’a remise en mains propres aux bureaux de l’ARC, sur la rue Front à Toronto, en Ontario, le 30 septembre 2020. Il déclare qu’on ne peut s’attendre à ce qu’il fournisse des renseignements et des documents qu’il ne possède pas.

[34]  J’ai examiné les observations que Me Apostle a présentées à cet égard ainsi que l’affidavit de M. Tobar de 2020. Il ressort clairement de la pièce K de l’affidavit que la documentation fournie par M. Ciciarelli ne répond pas à la demande de renseignements. M. Ciciarelli n’a présenté aucun élément de preuve à la Cour pour démontrer que CCNL n’a pas exploité d’entreprise, qu’il n’est plus en retard dans la production des déclarations de revenus et dans les versements fiscaux pour CCNL, ou que de tenter à nouveau de le forcer à se conformer à la demande de renseignements serait futile.

VIII.  Conclusion

[35]  La demande du ministre est accueillie, et une ordonnance de communication sera rendue relativement à la demande de renseignements.

[36]  Le ministre a demandé 2 000,00 $ à titre de dépens, tout compris, à l’égard de la présente demande. Après examen de la demande du ministre, ayant considéré les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, j’adjugerai des dépens au ministre pour cette somme.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑448‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. conformément aux paragraphes 231.7(1) et 231.7(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les défendeurs fourniront, par service de messagerie aux frais du demandeur, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, à M. Victor Tobar, agent de recouvrement de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), au Bureau des services fiscaux de Toronto‑Centre (situé au 1, rue Front, Toronto, Ontario, M5J 2X6), ou à tout autre agent qui pourrait être affecté à cette affaire, aux bureaux de l’ARC, les renseignements et les documents qui leur sont demandés (la documentation), selon ce qui est énoncé dans la demande de renseignements délivrée au titre de l’article 231.2 de la LIR et datée du 14 décembre 2017, c’est‑à‑dire la documentation énoncée à l’annexe A de la présente ordonnance et des présents motifs, sauf dans la mesure où la documentation a été remise à l’ARC et demeure en la possession de cette dernière;

  2. le demandeur est autorisé à signifier la présente ordonnance aux défendeurs, conformément à l’article 139 des Règles des Cours fédérales;

  3. les dépens dans la présente demande sont adjugés au montant forfaitaire de 2 000 $ (y compris les débours et les taxes, le cas échéant) que les défendeurs doivent payer au demandeur.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour d’août 2020

Christian Laroche, LL.B, juriste‑traducteur


Annexe A

Demande de renseignements adressée à Luca Mario Ciciarelli (également connu sous le nom de Luca Cicarelli) ainsi qu’à CN Construction Networks Ltd, et datée du 14 décembre 2017.

1)  l’organigramme de CN Construction Networks Ltd.;

2)  une description des activités commerciales et de ses contrôles internes;

3)  les grands livres et les journaux généraux;

4)  le journal des salaires (manuel ou informatisé);

5)  les documents concernant les choix relatifs à la TPS/TVH et provenant de vos employés ou entrepreneurs et déposés auprès de votre société;

6)  une déclaration décrivant les travaux en cours, y compris les contrats en attente et les factures émises;

7)  une déclaration dressant la liste des lieux de travail actuels où Luca Ciciarelli (également connu sous le nom de Luca Cicarelli) occupe une fonction quelconque, ainsi qu’une description de la fonction;

8)  les grands livres et les journaux des comptes débiteurs et créditeurs;

9)  le sommaire des paiements contractuels;

10)  le livret de dépôts bancaires;

11)  les relevés bancaires;

12)  des copies des chèques oblitérés correspondant aux relevés bancaires;

13)  le registre des chèques;

14)  le journal des décaissements;

15)  le journal des encaissements;

16)  un relevé des opérations du compte de la petite caisse;

17)  les états financiers courants, y compris le bilan et l’état des résultats au 31 décembre 2016;

18)  le registre des procès‑verbaux et/ou le registre des actions;

19)  une déclaration présentant un sommaire de la rémunération gagnée ou versée à tout employé, tout entrepreneur ou toute autre partie, y compris celle de Luca Ciciarelli (également connu sous le nom de Luca Cicarelli);

20)  une déclaration présentant un sommaire des pensions ou rentes de retraite et d’autres revenus gagnés par tout employé ou toute autre partie, y compris par Luca Ciciarelli (également connu sous le nom de Luca Cicarelli) et versés à ceux‑ci;

21)  tous les formulaires TD1, Déclaration des crédits d’impôt personnels, produits par vos employés;

22)  tous les formulaires TD1X, État du revenu et des dépenses de commissions aux fins des retenues sur la paie, produits par vos employés;

23)  tous les paiements versés à Luca Ciciarelli (également connu sous le nom de Luca Cicarelli), pour son compte ou en son nom;

24)  une copie de tout document de correspondance, sur papier ou support électronique, y compris une déclaration écrite de toutes les instructions que vous avez données concernant la disposition, la réponse et/ou les mesures à prendre concernant la demande formelle de paiement adressée à Luca Ciciarelli qui a été envoyée à CN CONSTRUCTION NETWORKS LTD le ou vers le 15 décembre 2017.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑448‑19

 

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c CN CONSTRUCTION NETWORKS LTD ET LUCA MARIO CICIARELLI (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE LUCA CICARELLI)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 juin 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

Le 22 juillet 2020

COMPARUTIONS :

Alisa Apostle

Brendan Tait

 

Pour le demandeur

 

Luca Mario Ciciarelli

 

Pour les défendeurs

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

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