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Date : 20050927

Dossier : IMM-377-05

Référence : 2005 CF 1317

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

JOSE EPIFANIO RENEDO PEREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande d'autorisation et de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, vise une décision datée du 19 janvier 2005 par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (l'agent) a refusé la demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) du demandeur et a conclu que la mesure de renvoi prise à son endroit était valide.

[2]                Le demandeur est un citoyen du Mexique âgé de 46 ans. Il est arrivé au Canada en mars 1991 après avoir passé plusieurs mois aux États-Unis. Il a présenté une demande de statut de réfugié en Colombie-Britannique. En octobre 1991, il a poignardé un homme à mort au Vancouver International Writer's Festival.

[3]                Le demandeur ne connaissait pas la victime et il n'y avait pas eu d'incident déclencheur. On a plus tard diagnostiqué qu'au moment du meurtre, le demandeur était atteint de schizophrénie et souffrait de psychose et de délire paranoïde. Il croyait que la victime était un agent du gouvernement mexicain qui le cherchait lui et sa famille.

[4]                En 1993, le demandeur a été déclaré non responsable criminellement du meurtre au premier degré, en raison de sa maladie mentale. La détermination de la peine a été confiée à la commission d'examen de la Colombie-Britannique (la commission d'examen) qui, dans une décision rendue le 20 juillet 1993 en application du paragraphe 672.81(1) du Code criminel, a ordonné son maintien en détention dans une institution de soins de psychiatrie médico-légale.

[5]                En 1996, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne, Kasandra De Bayou, qui avait déjà été soignée au même complexe hospitalier pour une maladie mentale semblable.

[6]                Sa demande visant à le faire classer dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada a été refusée en juin 1998 et sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, parrainée par son épouse, a été rejetée en août 2000. Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de cette dernière décision, mais elle a été rejetée par la juge Heneghan le 24 juillet 2001 (Perez c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2001 CFPI 826).

[7]                Dans sa dernière décision en date du 24 juin 2004, la commission d'examen a autorisé que le demandeur soit relâché dans la société à certaines conditions. Le demandeur parle de [traduction] « libération conditionnelle » à cet égard. La question soulevée dans la présente demande découle de cette libération conditionnelle.

[8]                Dans les conditions de libération qu'elle a prévues dans sa décision, la commission d'examen exige que le demandeur continue d'être encadré par le même directeur, qu'il s'établisse à un endroit de la Colombie-Britannique approuvé par le directeur, qu'il ne déménage pas sans avoir obtenu l'autorisation du directeur, qu'il se présente régulièrement à la clinique de soins de psychiatrie médico-légale pour adultes, qu'il retourne à l'hôpital lorsque le directeur est d'avis qu'une nouvelle évaluation est nécessaire et, finalement, qu'il se présente devant la commission d'examen si elle lui en fait la demande.

[9]                Le demandeur a présenté une demande d'ERAR le 10 août 2004, puisqu'il avait apparemment été encouragé à le faire suivant les modalités qu'il aurait convenues avec CIC. Le 19 janvier 2005, CIC a pris une autre mesure de renvoi à la suite d'une décision défavorable quant à l'ERAR.

[10]            La décision concernant l'ERAR fait l'objet de la présente demande. Le demandeur allègue que l'agent a conclu à tort que la mesure de renvoi était valide.

[11]            Le demandeur prétend que les conditions de sa libération emportent un sursis automatique à l'expulsion, en vertu de l'alinéa 50a) de LIPR, et que CIC n'a donc pas compétence pour le renvoyer au Mexique.

[12]            L'alinéa 50a) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Sursis

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants:

a) une décision judiciaire a pour effet direct d'en empêcher l'exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l'instance [...]

Stay

50. A removal order is stayed

(a) if a decision that was made in a judicial proceeding C at which the Minister shall be given the opportunity to make submissions C would be directly contravened by the enforcement of the removal order;...

[13]            La décision défavorable quant à l'ERAR a été rendue verbalement, avec des notes manuscrites sur moins d'une demi-page qui ont été présentées à la Cour séparément du dossier du tribunal à la suite d'une demande fondée sur la règle 9. La déclaration contenue dans les notes qui exposent les motifs de l'agent est rédigée en ces termes :

           

[traduction] Contrôle judiciaire de la décision de l'agent de renvoi de procéder au renvoi malgré la décision du FPI B libération conditionnelle B en date d'aujourd'hui B ma décision est le renvoi.

[14]            Le demandeur soutient que la libération conditionnelle accordée par la commission d'examen constitue une « décision judiciaire » au sens de l'alinéa 50a) de la LIPR et, par conséquent, qu'elle emporte un sursis automatique à l'expulsion. Le défendeur reconnaît que la décision de la commission d'examen constitue une « décision judiciaire » . Mais, malgré cette admission, d'autres éléments doivent être prises en considération pour faire une analyse complète de l'alinéa 50a).

[15]            Dans une décision récente de la Cour fédérale, Alexander c. Canada (Solliciteur général) 2005 CF 1147, la juge Dawson a certifié une question concernant la validité du renvoi d'une personne visée par une ordonnance d'un tribunal de la famille en vertu de l'alinéa 50a) de la LIPR. Il n'y a rien en l'espèce qui concerne cette question certifiée mais, comme l'affaire se rapportait à l'ordonnance d'un tribunal de la famille, la juge Dawson a énoncé les facteurs suivants qui servent de lignes directrices dans une analyse fondée sur l'alinéa 50a) de la LIPR; elle dit ce qui suit aux paragraphes 31 à 37 de sa décision :

[31] En premier lieu, une fois accordée la garde parentale à Mme Alexander, les ordonnances prévoyaient ensuite que [traduction] « les enfants de Mme Alexander ne doivent pas être renvoyés de la province de l'Ontario » . En appliquant le sens grammatical et ordinaire du membre de phrase « n'a pas pour effet direct d'empêcher » , qui figure à l'alinéa 50a) de la Loi, je conclus que la seule chose que les ordonnances ont pour effet direct d'empêcher, c'est que l'un ou l'autre des enfants de Mme Alexander soit renvoyé de l'Ontario. La mesure de renvoi s'applique seulement à Mme Alexander, car ses deux enfants sont des citoyens canadiens qui jouissent du droit absolu de demeurer au Canada. Par conséquent, la mesure de renvoi n'a aucun effet sur le lieu matériel où se trouvent les enfants de Mme Alexander. Confrontée au renvoi, Mme Alexander pourrait (comme elle l'avait auparavant envisagé en cas d'échec de sa demande de sursis) s'adresser à la Cour de justice de l'Ontario pour obtenir une modification de son ordonnance ou prendre des dispositions pour laisser ses enfants au Canada. Aucune de ces options n'irait à l'encontre de l'exécution de l'ordonnance provisoire ou de l'ordonnance définitive.

[32] En deuxième lieu, l'alinéa 50a) de la Loi est fondamentalement semblable à l'alinéa 50(1)a) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, maintenant abrogée (reproduit à l'annexe D des présents motifs). À la lumière des similitudes entre les deux dispositions, la jurisprudence relative à l'interprétation de l'alinéa 50(1)a) de l'ancienne Loi aide à interpréter la disposition actuelle.

[33] Dans la décision Mobtagha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 53 F.T.R. 249 (1re inst.), mon collègue le juge Rouleau a examiné si une mesure d'expulsion faisait l'objet d'un sursis dans le cas où la personne visée par l'ordonnance avait été déclarée non coupable d'une infraction criminelle pour cause d'aliénation mentale et avait de ce fait été placée en détention sur ordonnance du lieutenant-gouverneur du Québec. Au moment prévu pour le renvoi, l'exigence d'incarcération avait été annulée, sous réserve que la personne visée vive dans un endroit approuvé, respecte ses rendez-vous chez son médecin ou son thérapeute, prenne ses médicaments et ne trouble pas l'ordre public. Le juge Rouleau a passé en revue la jurisprudence antérieure de la Cour pour conclure que la loi accordait un sursis dans le seul cas où la personne était visée par une ordonnance judiciaire renfermant des dispositions précises dont l'exécution de la mesure d'expulsion entraînerait la violation. Le juge Rouleau a conclu qu'il n'y avait pas matière à sursis dans l'affaire dont il était saisi du fait qu'une ordonnance du lieutenant-gouverneur du Québec ne constituait pas une ordonnance d'un organe judiciaire et qu'aucune des conditions n'exigeait que la personne visée comparaisse devant un tribunal à un moment ou dans un lieu précis.

[34] Cette jurisprudence appuie l'interprétation de l'alinéa 50a) de la Loi selon laquelle, pour qu'il y ait contravention directe à une ordonnance judiciaire, il faut qu'une disposition expresse de l'ordonnance soit incompatible ou inconciliable avec le renvoi de la personne visée.

[35] En troisième lieu, les dispositions législatives doivent s'interpréter en harmonie avec l'esprit et l'objet de la Loi ainsi qu'avec l'intention du législateur. Dans l'arrêt Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 3, la Cour d'appel fédérale a examiné la question de savoir si l'exécution d'une mesure de renvoi à l'encontre d'une personne visée par une ordonnance de probation renfermant l'obligation de se présenter devant un agent de probation sur une base périodique précise irait directement à l'encontre de l'ordonnance de probation et permettrait ainsi d'invoquer le sursis prévu à l'alinéa 50(1)a) de l'ancienne Loi. La Cour d'appel a reconnu que l'obligation de la personne visée de se présenter régulièrement devant son agent de probation exigeait la présence au Canada. Néanmoins, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'alinéa 50(1)a) ne pouvait être interprété de manière littérale sans prendre dûment en considération l'esprit général de l'ancienne Loi. Aux paragraphes 25 et 26, le juge Létourneau a écrit au nom de la Cour :

[25] À mon avis, l'interprétation large que l'on a donnée aux exceptions précises prévues à l'article 50, en particulier à l'alinéa 50(1)a), mène à des conséquences injustes et déraisonnables que le législateur fédéral n'a pu vouloir produire. J'estime qu'il convient, dans les circonstances de l'espèce, [traduction] « où il semble que les conséquences de l'adoption d'une interprétation seraient absurdes [... ] de la rejeter en faveur d'une solution de rechange plausible qui évite l'absurdité » : voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., 1994, Toronto: Butterworths, à la page 79. La solution de rechange consiste, selon moi, à considérer que les ordonnances de probation n'étaient pas destinées à surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi valable et à empêcher le ministre de remplir l'obligation que lui impose l'article 48 de la Loi d'agir de façon diligente et expéditive.

[26] Accepter l'interprétation que le juge saisi en révision a donnée à l'alinéa 50(1)a) va à l'encontre de l'objectif de la partie III de la Loi, qui, répétons-le, est l'expulsion rapide du Canada des individus non admissibles, et compromet l'efficacité de la Loi dans son ensemble.

[36] Sur ce fondement, la Cour a conclu que l'exécution de la mesure de renvoi n'irait pas directement à l'encontre de l'ordonnance de probation de façon à entraîner le sursis prévu par la Loi.

[37] En l'espèce, je conclus que la Loi comprend un régime global qui autorise l'immigration au Canada de ressortissants étrangers et assure la protection de ceux qui ont besoin de la protection de substitution du Canada. Les aspects fondamentaux de ce régime, dans la perspective de la présente procédure, sont les suivants :

1.               Les non-citoyens n'ont pas un droit absolu d'entrer au Canada ou d'y demeurer (voir l'arrêt                              Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, à la                                    page 733).

2.               Dans le cas où un national étranger est visé par une mesure de renvoi exécutoire, il est tenu                               de quitter le Canada immédiatement et le ministre est tenu de faire exécuter la mesure de                                      renvoi dès que les circonstances le permettent (voir le paragraphe 48(2) de la Loi).

3.               La Cour fédérale a compétence exclusive pour accorder une réparation extraordinaire,                          notamment une réparation provisoire, en vertu de la Loi.

[16]            Les trois facteurs pris en considération par la juge Dawson dans la décision Alexander, précitée, se résument comme suit :

(i)                   Une analyse fondée sur l'alinéa 50a) doit avoir une portée restreinte et, par conséquent, les mots « a pour effet direct d'en empêcher » doivent être interprétés restrictivement dans l'évaluation d'une décision judiciaire.

(ii)                 La jurisprudence se rapportant à l'alinéa 50(1)a) de l'ancienne Loi sur l'immigration doit se voir accorder toute l'importance voulue puisque la disposition actuelle est semblable à l'ancienne.

(iii)                Les dispositions législatives doivent être interprétées en harmonie avec l'esprit et l'objet de la Loi ainsi qu'avec l'intention du législateur, compte tenu notamment que les non-citoyens n'ont pas un droit absolu d'entrer au Canada ou d'y demeurer et qu'une mesure d'expulsion valide doit être exécutée dès que les circonstances le permettent.

[17]            Les trois facteurs énoncés par la juge Dawson et résumés ci-dessus ne constituent pas une liste exhaustive des facteurs à prendre en considération dans l'analyse faite en vertu de l'alinéa 50a), mais ils constituent plutôt une liste exemplative. Chaque cas doit être considéré sur le fond et les faits, et les facteurs décrits constituent un ensemble de principes directeurs exemplatifs auxquels se référer dans pareille analyse. De plus, ces facteurs ne sont pas nécessairement cumulatifs. Chaque cas doit être examiné sur le fond et celui à qui revient la décision doit décider de l'importance à accorder à chaque facteur eu égard aux circonstances particulières. Compte tenu des trois facteurs énoncés par la juge Dawson, la présente affaire peut faire l'objet d'un examen.

[18]            Le premier facteur consiste à donner une interprétation restrictive à l'alinéa 50a) de la LIPR et à examiner les conditions qui, selon le demandeur, ne seraient pas respectées si la mesure de renvoi était exécutée. En l'espèce, il n'y a, dans les conditions prévues par la commission d'examen, aucune disposition expresse précisant que le demandeur ne peut être expulsé au moyen d'une mesure de renvoi valide prise par CIC. Les conditions imposées par la commission d'examen exigent notamment que le demandeur continue d'être encadré par le même directeur, qu'il s'établisse à un endroit de la Colombie-Britannique approuvé par le directeur, qu'il ne déménage pas sans avoir obtenu l'autorisation du directeur, qu'il se présente régulièrement à la clinique de soins de psychiatrie médico-légale pour adultes, qu'il retourne à l'hôpital lorsque le directeur est d'avis qu'une nouvelle évaluation est nécessaire et qu'il se présente devant la commission d'examen si elle lui en fait la demande. Aucune des conditions énumérées ne proscrit directement l'exécution d'une mesure de renvoi valide prise à l'endroit d'une personne qui est interdite de territoire au Canada. Comme le libellé de l'alinéa 50a) doit être interprété de manière restrictive, l'exécution d'une mesure d'expulsion valide n'irait pas directement à l'encontre des conditions.

[19]            À mon avis, les conditions imposées par la commission d'examen n'auraient pas pour effet direct d'empêcher l'exécution d'une mesure de renvoi valide. Pour que le principe de l'effet direct s'applique, il faudrait employer dans la décision judiciaire des termes explicites prohibant l'expulsion d'une personne interdite de territoire au Canada.

[20]            Même si des termes explicites sont employés dans une décision judiciaire, il reste à examiner les autres facteurs pris en considération par la juge Dawson dans la décision Alexander, lesquels pourraient faire en sorte que les termes explicites n'aient plus priorité. Tel qu'il a été mentionné plus haut, les facteurs ne sont pas cumulatifs, et chacun d'eux doit être examiné séparément en fonction de chaque situation de fait. Le premier facteur ne joue pas en faveur du demandeur et le deuxième peut maintenant être examiné.

[21]            Le deuxième facteur à examiner est la jurisprudence se rapportant à l'ancienne Loi sur l'immigration. Dans Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 3, la Cour d'appel fédérale a conclu qu'une ordonnance de probation obligeant le délinquant à se présenter régulièrement devant un agent de probation ne pouvait emporter un sursis à une mesure d'expulsion. Dans Mobtagha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 108, la Cour fédérale a fait exécuter une mesure de renvoi prise à l'endroit d'une personne qui avait été déclarée non responsable criminellement d'une infraction et dont la détention dans un hôpital psychiatrique avait été ordonnée. La Cour a conclu que la décision ne constituait pas une ordonnance rendue par un organisme ou une autorité judiciaires au Canada et elle a également conclu que l'ordonnance de détention, tout comme la mesure d'expulsion, avaient pour but de protéger le public et qu'elles n'entraient donc pas en conflit. Le premier élément dans Mobtagha ne serait pas nécessairement un élément se rattachant à la LIPR, compte tenu des changements apportés à son libellé, mais le second élément ne joue toutefois pas en faveur du demandeur dans la présente affaire puisque les conditions et l'expulsion n'entrent pas en conflit parce qu'elles ont l'une comme l'autre pour but de protéger le public.

[22]            En outre, dans Mokelu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 757, le juge Beaudry a conclu qu'un délinquant pouvait être expulsé pendant qu'il purgeait une peine d'emprisonnement avec sursis parce que l'article 50 de l'ancienne Loi s'appliquait seulement aux peines purgées dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction. Il a également fait sienne l'opinion exprimée dans Cuskic, suivant laquelle les objectifs de l'ancienne Loi ainsi que ceux du Code criminel doivent être pris en considération dans l'interprétation de l'article 50.

[23]            Dans la présente affaire, le demandeur a été déclaré non responsable criminellement en raison de sa maladie mentale et la commission d'examen lui a imposé des conditions. Tel qu'il a été mentionné, les conditions imposées par la commission d'examen ne constituent une interdiction directe en vue de l'application de l'alinéa 50a) de la LIPR. En outre, il est établi dans la jurisprudence se rapportant à l'ancienne Loi qu'une personne en liberté conditionnelle, une personne qui n'est pas détenue dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction, ou une personne qui a obtenu un verdict de non-responsabilité criminelle et s'est vu imposer des conditions peut être renvoyée au moyen d'une mesure d'expulsion valide. En l'espèce, le deuxième facteur est défavorable au demandeur compte tenu de la jurisprudence applicable à l'ancienne Loi.

[24]            Tout comme dans le cas des deux premiers facteurs, le troisième facteur ne joue pas en faveur du demandeur. La LIPR a pour objet, en ce qui a trait aux mesures d'expulsion valides, d'empêcher les non-citoyens d'entrer au Canada ou d'y demeurer et de faire exécuter les mesures d'expulsion valides le plus rapidement possible (dès que les circonstances le permettent). La Cour d'appel fédérale a clairement établi, dans Cuskic, précité, que l'objet de la loi est un élément prépondérant dans l'analyse de l'alinéa 50a). La juge Dawson a renforcé la validité de la décision Cuskic dans la décision Alexander, précitée, au paragraphe 35, que je reproduis de nouveau ci-dessous par souci de commodité :

[35] En troisième lieu, les dispositions législatives doivent s'interpréter en harmonie avec l'esprit et l'objet de la Loi ainsi qu'avec l'intention du législateur. Dans l'arrêt Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 3, la Cour d'appel fédérale a examiné la question de savoir si l'exécution d'une mesure de renvoi à l'encontre d'une personne visée par une ordonnance de probation renfermant l'obligation de se présenter devant un agent de probation sur une base périodique précise irait directement à l'encontre de l'ordonnance de probation et permettrait ainsi d'invoquer le sursis prévu à l'alinéa 50(1)a) de l'ancienne Loi. La Cour d'appel a reconnu que l'obligation de la personne visée de se présenter régulièrement devant son agent de probation exigeait la présence au Canada. Néanmoins, la Cour d'appel fédérale a conclu que l'alinéa 50(1)a) ne pouvait être interprété de manière littérale sans prendre dûment en considération l'esprit général de l'ancienne Loi. Aux paragraphes 25 et 26, le juge Létourneau a écrit au nom de la Cour :

[25] À mon avis, l'interprétation large que l'on a donnée aux exceptions précises prévues à l'article 50, en particulier à l'alinéa 50(1)a), mène à des conséquences injustes et déraisonnables que le législateur fédéral n'a pu vouloir produire. J'estime qu'il convient, dans les circonstances de l'espèce, [traduction] « où il semble que les conséquences de l'adoption d'une interprétation seraient absurdes [... ] de la rejeter en faveur d'une solution de rechange plausible qui évite l'absurdité » : voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd., 1994, Toronto: Butterworths, à la page 79. La solution de rechange consiste, selon moi, à considérer que les ordonnances de probation n'étaient pas destinées à surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi valable et à empêcher le ministre de remplir l'obligation que lui impose l'article 48 de la Loi d'agir de façon diligente et expéditive.

[26] Accepter l'interprétation que le juge saisi en révision a donnée à l'alinéa 50(1)a) va à l'encontre de l'objectif de la partie III de la Loi, qui, répétons-le, est l'expulsion rapide du Canada des individus non admissibles, et compromet l'efficacité de la Loi dans son ensemble.

[25]            Empêcher l'expulsion du demandeur sur le fondement de la décision de la commission d'examen irait à l'encontre de l'objet de la LIPR et compromettrait l'efficacité de la LIPR dans son ensemble. Le ministre a l'obligation de renvoyer les personnes interdites de territoire dès que les circonstances le permettent et il ne doit pas être empêché de s'acquitter de cette obligation à moins qu'il n'y ait une condition claire et explicite interdisant le renvoi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Le demandeur, en tant que non-citoyen, n'a pas le droit absolu de demeurer au Canada et, par conséquent, le ministre est tenu de faire exécuter la mesure d'expulsion valide.

[26]            En outre, le défendeur a souligné l'absurdité du raisonnement circulaire :

[traduction] Et nous en arrivons constamment à ce cercle vicieux. Nous ne pouvons expulser le demandeur parce que la commission d'examen de la Colombie-Britannique ne lui accordera pas une libération inconditionnelle en raison de la perspective d'expulsion.

Accueillir la présente demande aurait pour effet de créer une brèche allant directement à l'encontre de l'objet de la LIPR.

[27]            En résumé, les trois facteurs sont défavorables au demandeur et la demande devrait être rejetée. Les conditions imposées par la commission d'examen n'ont pas pour effet direct d'empêcher l'exécution d'une mesure d'expulsion valide, en vue de l'application de l'alinéa 50a) de la LIPR. La jurisprudence applicable à l'ancienne Loi et la décision Alexander, précitée, confirment qu'une mesure d'expulsion valide peut être exécutée à l'endroit d'une personne qui a obtenu un verdict de non-responsabilité criminelle et qui n'est plus détenue, même si elle doit encore respecter certaines conditions ou si elle fait l'objet d'une libération conditionnelle au Canada. Finalement, l'objet de la LIPR et l'intention du législateur étayent l'interprétation suivant laquelle les non-citoyens n'ont pas un droit absolu d'entrer au Canada, ou d'y demeurer, et qu'une mesure d'expulsion valide doit être exécutée dès que les circonstances le permettent. Comme les trois facteurs sont défavorables au demandeur, eu égard aux circonstances de l'espèce, la demande doit être rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

« Paul U.C. Rouleau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-377-05

INTITULÉ :                                                            JOSE EPIFANIO RENEDO PEREZ

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 2 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONANCE :                          LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                           LE 27 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Christopher Elgin                                                       POUR LE DEMANDEUR

Helen Park                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates                                       POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)                                                    

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                           

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