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Date : 20200717


Dossier : T-472-17

Référence : 2020 CF 766

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2020

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ROGER ROBIDOUX

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Roger Robidoux, est entré au Canada en provenance des États-Unis au poste frontalier de Lacolle, au Québec, en 2016. Il a déclaré être un résident des États-Unis. Après une inspection primaire et secondaire, des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada [agents des services frontaliers ou ASF] ont conclu que M. Robidoux avait omis de fournir des renseignements exacts et complets sur son lieu de résidence, en contravention de l’article 7.1 de la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl). Les ASF ont conclu qu’il était un résident du Canada, et non des États-Unis. Par conséquent, ils ont saisi son camion en vertu de l’article 110.

[2]  En juillet 2016, M. Robidoux a demandé au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] de réexaminer la saisie. En décembre 2016, conformément à l’article 131, le représentant du ministre a confirmé la conclusion selon laquelle M. Robidoux avait contrevenu à la Loi sur les douanes.

[3]  M. Robidoux intente maintenant la présente action au titre de l’article 135 de la Loi sur les douanes, interjetant appel de la décision du ministre.

[4]  Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

II.  Le contexte

[5]  M. Robidoux est un citoyen des États-Unis et du Canada. Il est né au Canada. De 2007 à 2011, il a servi au sein du Corps des Marines des États-Unis. Au cours de cette période, il a résidé aux États-Unis. En juillet 2010, soit avant d’être libéré de l’armée à la fin de 2011, il a emménagé avec un ami qui possédait une maison à Newport, en Caroline du Nord.

[6]  M. Robidoux touche une pension d’invalidité pour ancien combattant, et il reçoit des soins médicaux pour un certain nombre de problèmes de santé liés à son service. Il a commencé à recevoir des traitements en Caroline du Nord. Depuis 2012, à sa demande, des soins lui sont prodigués dans un établissement pour anciens combattants situé au Vermont. Il a continué son traitement au Vermont, car il y avait une expertise médicale à cet endroit en ce qui concerne l’un de ses problèmes de santé, le Vermont se situe à proximité du Québec, où habitent des membres de sa famille, et il a suivi les conseils d’un ami de la famille qui vivait également au Québec et qui avait déjà servi dans l’armée américaine.

[7]  Le 7 juin 2016, M. Robidoux s’est présenté à la frontière canado-américaine pour entrer au Québec. Il a informé l’ASF qui effectuait l’inspection primaire [l’agent primaire] qu’il arrivait du Vermont et qu’il se rendait au Québec pour un séjour de deux semaines et qu’il n’avait rien à déclarer, à l’exception de certains médicaments. L’agent primaire a observé des colis sur le siège arrière de son véhicule et a également formulé des commentaires sur le fait qu’il n’avait pas de bagages. Lorsque l’agent primaire lui a demandé où il habitait, M. Robidoux lui a donné une adresse au Vermont. Cette adresse correspondait à une boîte postale. L’agent primaire a renvoyé M. Robidoux à un deuxième ASF [l’agent secondaire] pour une inspection plus poussée, dans le cadre de laquelle M. Robidoux a de nouveau indiqué que sa résidence se trouvait au Vermont, avant d’affirmer qu’il vivait en Caroline du Nord.

[8]  L’agent secondaire a découvert que les colis non déclarés contenaient diverses pièces d’automobile et de motoneige. M. Robidoux avait également en sa possession de documents d’immatriculation pour le camion qu’il conduisait, pour une motocyclette et pour une remorque. La motocyclette et la remorque étaient immatriculées en Caroline du Nord, mais les deux véhicules se trouvaient au Québec. Le camion était immatriculé au Vermont, à l’adresse de la boîte postale.

[9]  L’agent secondaire indique qu’il a interrogé M. Robidoux au sujet de son lieu de résidence et des circonstances de l’achat du camion. Il a fouillé le camion de M. Robidoux et examiné les documents en sa possession, y compris un permis de conduire de la Caroline du Nord et une carte d’assurance-maladie du Québec, tous deux au nom de M. Robidoux.

[10]  En fin de compte, l’agent secondaire a conclu que M. Robidoux n’avait pas fourni des renseignements véridiques, exacts et complets, comme l’exige l’article 7.1, en se présentant comme un résident des États-Unis. Pour ce motif, le camion de M. Robidoux a été saisi en vertu de l’article 110.

[11]  Au moment de la saisie, le camion était évalué à 54 991,54 $. Sa mainlevée était subordonnée au paiement d’une pénalité de 13 747,89 $. M. Robidoux n’a pas payé cette pénalité; il a plutôt présenté une demande de révision, conformément à l’article 129 de la Loi sur les douanes. Des observations écrites et des documents supplémentaires ont été fournis au représentant du ministre.

[12]  Le représentant du ministre a examiné les circonstances, y compris les renseignements supplémentaires fournis et les observations présentées au nom de M. Robidoux. Il a conclu que M. Robidoux était à tout le moins un résident temporaire du Québec et qu’en se présentant comme un résident des États-Unis, il avait fourni de faux renseignements, en contravention de l’article 7.1 de la Loi sur les douanes. Le représentant du ministre a confirmé la décision relative à la saisie et la pénalité imposée. Il a également donné à M. Robidoux la possibilité de ne pas importer le camion au Canada et de payer une pénalité réduite de 10 894,04 $.

III.  Les dispositions législatives applicables

A.  Loi sur les douanes

[13]  La Loi sur les douanes régit l’application du régime d’importation du Canada. Aux termes de l’article 7.1, les renseignements fournis à un agent pour l’application et l’exécution de la Loi sur les douanes et du Tarif des douanes, LC 1997, c 36, doivent être véridiques, exacts et complets :

Obligation de fournir des renseignements exacts

Obligation to provide accurate information

7.1 Les renseignements fournis à un agent pour l’application et l’exécution de la présente loi, du Tarif des douanes ou de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, ou sous le régime d’une autre loi fédérale prohibant, contrôlant ou réglementant l’importation ou l’exportation de marchandises doivent être véridiques, exacts et complets.

7.1 Any information provided to an officer in the administration or enforcement of this Act, the Customs Tariff or the Special Import Measures Act or under any other Act of Parliament that prohibits, controls or regulates the importation or exportation of goods, shall be true, accurate and complete.

[14]  Le paragraphe 110(1) prévoit que, en cas d’infraction à la Loi sur les douanes du fait de marchandises, l’agent peut saisir ces marchandises :

110 (1) L’agent peut, s’il croit, pour des motifs raisonnables, à une infraction à la présente loi ou à ses règlements du fait de marchandises, saisir à titre de confiscation :

110 (1) An officer may, where he believes on reasonable grounds that this Act or the regulations have been contravened in respect of goods, seize as forfeit

a) les marchandises;

(a) the goods; or

[15]  Au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les douanes, sont assimilés aux « marchandises » les « moyens de transport » :

Définitions

Definitions

[…]

marchandises Leur sont assimilés, selon le contexte, les moyens de transport et les animaux, ainsi que tout document, quel que soit son support. (goods)

goods, for greater certainty, includes conveyances, animals and any document in any form; (marchandises)

[16]  Le terme « moyen de transport », quant à lui, s’entend de « [t]out véhicule » :

Définitions

Definitions

[…]

moyen de transport Tout véhicule, aéronef, navire ou autre moyen servant au transport des personnes ou des marchandises. (conveyance)

conveyance means any vehicle, aircraft or water-borne craft or any other contrivance that is used to move persons or goods; (moyen de transport)

[17]  Le paragraphe 129(1) prévoit que les personnes entre les mains de qui ont été saisis des marchandises ou des moyens de transport peuvent présenter au ministre une demande en vue de lui faire rendre la décision prévue à l’article 131. L’alinéa 131(1)a) exige que le ministre décide s’il y a eu infraction à la Loi sur les douanes justifiant la saisie des marchandises ou des moyens de transport en cause.

IV.  La question en litige

[18]  Bien que la présente affaire découle d’une enquête menée par les ASF au sujet du lieu de résidence de M. Robidoux, il ne s’agit pas de la question fondamentale dont est saisie la Cour. La question est plutôt de savoir si M. Robidoux a contrevenu à l’article 7.1 en omettant de fournir aux ASF des renseignements véridiques, exacts et complets au moment de la saisie.

V.  La norme de contrôle applicable

[19]  L’article 135 de la Loi sur les douanes prévoit qu’une personne peut interjeter appel de la décision rendue par le ministre en vertu de l’article 131 par voie d’action devant la Cour fédérale :

Cour fédérale

Federal Court

135 (1) Toute personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l’article 131 peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale, à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.

135 (1) A person who requests a decision of the Minister under section 131 may, within ninety days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which that person is the plaintiff and the Minister is the defendant.

Action ordinaire

Ordinary action

(2) La Loi sur les Cours fédérales et les règles prises aux termes de cette loi applicables aux actions ordinaires s’appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe (1), sous réserve des adaptations occasionnées par les règles particulières à ces actions.

(2) The Federal Courts Act and the rules made under that Act applicable to ordinary actions apply in respect of actions instituted under subsection (1) except as varied by special rules made in respect of such actions.

[20]  La Cour suprême du Canada a récemment statué dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], que la norme de contrôle applicable en appel s’applique lorsqu’une décision administrative est assujettie à un mécanisme d’appel prévu par la loi (aux par. 36 à 52). En règle générale, dans le cadre d’appels prévus par la loi, les conclusions sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les conclusions sur les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux par. 19 à 37; Vavilov, au par. 37). Cependant, en incluant un droit d’appel dans la loi, le législateur peut prescrire une norme de contrôle différente (Vavilov, au par. 37). C’est le cas en l’espèce.

[21]  Le paragraphe 135(2) prévoit que « [l]a Loi sur les Cours fédérales et les règles prises aux termes de cette loi applicables aux actions ordinaires s’appliquent » aux actions intentées en vertu du paragraphe 135(1). De fait, le juge Sean Harrington a déclaré ce qui suit dans la décision Starway c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1208 :

[27]  Conformément à l’article 135 de la Loi, il s’agit d’une action ordinaire. [...] La présente est un procès et non pas un examen sur dossier de la décision de quelqu’un d’autre par voie de contrôle judiciaire. [...] Le législateur a adopté une disposition spéciale qui prévoit qu’un juge de première instance, après l’interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins lors d’une audience publique, puisse établir s’il y a eu ou non contravention à la Loi sur les douanes.

[22]  Des dispositions similaires figurent dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 (art. 27 et 30). Encore une fois, la jurisprudence se rapportant à l’interprétation de ces dispositions a conclu que, dans ces cas, la Cour instruit un procès de novo. La décision de la Cour doit être fondée sur la preuve produite à l’audience (Tourki c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 50, au par. 16, conf pour d’autres motifs par 2007 CAF 186; Wise c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1027, au par. 5).

[23]  Le législateur a prévu un droit d’appel au paragraphe 135(1), mais, ce faisant, il s’est écarté de la norme de contrôle applicable en appel, comme il est envisagé dans l’arrêt Vavilov. L’appel interjeté en vertu de l’article 135 est instruit par voie d’action. Par conséquent, la Cour doit tenir compte de la preuve qui lui est présentée par les parties. La Cour doit rendre une décision de novo sur la question de savoir si cette preuve révèle l’existence d’une infraction. Il n’est pas nécessaire de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions tirées par le ministre sur les questions de fait, les questions de droit ou les questions mixtes de fait et de droit.

[24]  La présente affaire a été entendue avant la publication de l’arrêt Vavilov. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, le juge Rowe a appliqué le cadre d’analyse révisé à une question débattue avant la publication de l’arrêt Vavilov, parce qu’il n’en résultait aucune injustice et que le résultat aurait été le même selon le cadre d’analyse précédent (au par. 24). Cela vaut aussi en l’espèce. Après avoir examiné les faits, les circonstances et l’état actuel du droit, je conclus qu’il n’y a aucune incertitude quant à la façon dont l’arrêt Vavilov se rapporte à l’affaire en espèce. Aucune observation supplémentaire sur la norme de contrôle n’était nécessaire (Vavilov, au par. 144).

VI.  Analyse

A.  Les témoignages

[25]  M. Robidoux, l’agent principal et l’agent secondaire ont témoigné dans la présente affaire. Voici un résumé de leur témoignage.

(1)  M. Robidoux

[26]  M. Robidoux a déclaré dans son témoignage qu’il était un résident du Canada avant de se joindre au Corps des Marines des États-Unis. Jusqu’à son déploiement avec le Corps des Marines des États-Unis en janvier 2009, il a vécu dans différents établissements militaires aux États-Unis. Il est revenu de ses déploiements à l’étranger au début de 2010, et en juillet 2010 il a déménagé dans une résidence privée en Caroline du Nord qui appartenait à un ami. En vertu d’un accord oral, il contribuait aux frais du ménage.

[27]  M. Robidoux a été libéré du Corps des Marines des États-Unis en décembre 2011. Il affirme qu’il recevait initialement des soins médicaux pour ancien combattant en Caroline du Nord, mais que ceux-ci ont été transférés au Vermont en 2012 à sa demande. M. Robidoux a déclaré que, en raison de la grande distance séparant le Vermont et la Caroline du Nord, il a résidé à divers endroits au Québec de 2012 à 2016. Selon son témoignage, il avait entreposé des biens personnels au Vermont pendant une courte période, il avait occasionnellement résidé dans des logements temporaires au Vermont afin de faciliter sa présence à des rendez-vous médicaux, et il n’avait jamais eu d’adresse permanente au Vermont. Il reconnaît qu’il a peut-être passé plus de temps au Québec de 2012 à 2016 pour faciliter l’accès à ses soins médicaux, mais il n’a jamais eu l’intention de rompre son lien avec la Caroline du Nord et sa résidence là-bas. Il a déclaré dans son témoignage qu’il avait récemment voyagé en Caroline du Nord à l’automne 2015 et de nouveau en mai 2016. À son retour au Canada à l’automne 2015, il a apporté une motocyclette et une remorque qu’il avait l’intention d’utiliser au Québec pendant l’été. Il a témoigné qu’il avait des biens personnels en Caroline du Nord, qu’il a décrits comme du matériel de camping et de pêche, de l’équipement militaire, des pièces de motocyclette et une télévision. Il avait également des comptes financiers aux États-Unis et au Canada.

[28]  Les dossiers de santé de M. Robidoux concordent avec son témoignage. Ils indiquent que ses problèmes de santé étaient gérés et traités par des fournisseurs de soins de santé au Vermont depuis janvier 2012. Ces mêmes dossiers comprennent des inscriptions indiquant que les fournisseurs de soins de santé de M. Robidoux avaient compris qu’il vivait au Canada et qu’il se rendait au Vermont pour des rendez-vous médicaux réguliers tout au long de cette période.

[29]  Il a déclaré dans son témoignage qu’il n’a pas travaillé au Québec. Ses dossiers de santé étaient incohérents sur ce point. Ceux-ci indiquaient qu’il avait travaillé brièvement dans le domaine de la construction et par intermittence dans un magasin d’aquarium au Québec. M. Robidoux a témoigné qu’il s’agissait d’un travail bénévole associé à son traitement médical, et non pas d’un emploi.

[30]  Au moment de la saisie du véhicule, M. Robidoux avait récemment subi une opération chirurgicale. Il a témoigné qu’il avait commencé à vivre chez sa mère, au Québec, en avril 2016, après son opération, et qu’elle l’avait aidé pendant sa convalescence. Il continue de vivre chez sa mère et ne paie aucun loyer. Il a témoigné que sa présence continue au Québec est le résultat direct de la perte du moyen de transport dont il a besoin pour retourner aux États-Unis et y résider, car le camion saisi a été modifié pour répondre aux besoins uniques découlant de ses incapacités. Selon son témoignage, la saisie du camion l’a laissé sans moyen de retourner aux États-Unis ou de se rendre à ses rendez-vous médicaux au Vermont.

[31]  M. Robidoux a déclaré que, depuis 2012, il traversait régulièrement la frontière à Lacolle, et que les ASF le connaissaient et étaient au courant de sa situation. Il a témoigné que l’agent primaire et l’agent secondaire lui ont demandé d’où il venait et que c’est pour cette raison qu’il avait fourni l’adresse de la boîte postale au Vermont plutôt que son adresse en Caroline du Nord. Il a témoigné qu’il donnait toujours l’adresse en Caroline du Nord comme lieu de résidence lorsqu’on le lui demandait expressément.

(2)  L’agent primaire

[32]  L’agent primaire a déclaré dans son témoignage qu’il avait posé à M. Robidoux une série de questions. Lorsqu’il lui a demandé où il vivait, M. Robidoux a répondu le Vermont. Lorsqu’il lui a demandé combien de temps il resterait au Canada, il a répondu plus de deux semaines. L’agent primaire a fait remarquer que M. Robidoux n’avait pas de bagages et que cela soulevait un doute au sujet du lieu de résidence déclaré par M. Robidoux. Lorsqu’il lui a demandé pourquoi il n’avait aucun bagage pour une si longue visite, M. Robidoux a indiqué que ses effets se trouvaient au Québec. L’agent primaire a également observé trois colis dans le véhicule, lesquels avaient été livrés à une adresse aux États-Unis qui est utilisée par des Canadiens pour ramasser des colis aux États-Unis. Il a trouvé inhabituel qu’une personne résidant aux États-Unis utilise cette adresse de livraison. L’agent primaire a demandé l’adresse de M. Robidoux aux États-Unis et celui-ci lui a fourni l’adresse d’un bureau de poste au Vermont. L’agent primaire a reconnu que M. Robidoux avait déjà franchi la frontière et qu’il le connaissait.

(3)  L’agent secondaire

[33]  L’agent secondaire a témoigné qu’il avait découvert que les colis non déclarés contenaient diverses pièces d’automobile et de motoneige qui avaient été expédiées à M. Robidoux à une adresse à New York. M. Robidoux avait également en sa possession des documents d’immatriculation pour le camion qu’il conduisait, pour une motocyclette et pour une remorque. La motocyclette et la remorque étaient immatriculées en Caroline du Nord, à l’adresse où il habitait après avoir quitté l’établissement militaire en 2011. M. Robidoux a déclaré que les deux véhicules étaient immatriculés aux États-Unis, mais qu’ils trouvaient au Québec. Le camion était immatriculé au Vermont, à l’adresse de la boîte postale.

[34]  L’agent secondaire a déclaré qu’il avait interrogé M. Robidoux au sujet de son lieu de résidence et des circonstances de l’achat du camion. Il a fouillé le camion de M. Robidoux. Il a également examiné les documents que M. Robidoux avait en sa possession, y compris un permis de conduire de la Caroline du Nord et une carte d’assurance-maladie du Québec, tous deux au nom de M. Robidoux. L’adresse figurant sur son permis de conduire correspondait à la résidence privée où il a séjourné en Caroline du Nord. L’agent secondaire a déclaré également qu’il avait interrogé M. Robidoux au sujet d’une annonce en ligne, rédigée en français, offrant à la vente la motocyclette immatriculée en Caroline du Nord, qui se trouve au Québec, et fournissant un numéro de téléphone au Québec pour les demandes de renseignements. L’agent secondaire a également tenu compte de l’historique transfrontalier de M. Robidoux, notant ses passages fréquents et le fait qu’à plusieurs reprises, M. Robidoux avait quitté le Canada et était revenu le même jour.

B.  Y a-t-il eu infraction?

[35]  La Loi sur les douanes vise à régir, à encadrer et à contrôler la circulation transfrontalière des personnes et des marchandises. Afin d’atteindre ces objectifs, la Loi sur les douanes prévoit un système efficace d’autodéclaration volontaire. L’exigence selon laquelle les personnes doivent fournir des renseignements exacts et complets aux agents qui administrent ou exécutent la Loi sur les douanes (art. 7.1) témoigne de cette obligation d’autodéclaration.

[36]  L’obligation de fournir des renseignements exacts et complets impose un lourd fardeau aux particuliers; il ne suffit pas d’invoquer un oubli ou erreur de bonne foi pour s’en acquitter (Samson c Canada (Revenu national), 2007 CF 975, au par. 35). Un manquement à cette obligation du fait de marchandises peut entraîner la saisie de ces marchandises (par. 110(1)) et l’imposition de pénalités.

[37]  M. Robidoux soutient qu’il n’a pas contrevenu à la Loi sur les douanes en déclarant qu’il résidait aux États-Unis. Il soutient que la preuve démontre qu’il a maintenu un lien important avec les États-Unis pendant la durée de son traitement médical, malgré sa longue présence au Canada, que toute omission de divulguer pleinement sa situation aux ASF a été commise par inadvertance ou parce qu’il n’avait pas compris les questions des ASF, et que les ASF étaient au courant de sa situation en raison de ses passages transfrontaliers réguliers. Il soutient que les documents en sa possession, y compris la carte d’assurance-maladie du Québec, n’appuient pas la conclusion selon laquelle il ne réside pas aux États-Unis, car la carte lui a été fournie dans le cadre d’une entente entre le Canada et les États-Unis visant à permettre aux anciens combattants américains d’obtenir des soins médicaux au Canada.

[38]  Je reconnais que M. Robidoux a vécu en Caroline du Nord jusqu’en 2012, qu’il a conservé des biens personnels en Caroline du Nord, qu’il a peut-être l’intention d’y retourner un jour, et qu’il maintient qu’il est un résident des États-Unis. Cependant, son avis subjectif n’est pas déterminant. L’obligation de M. Robidoux était de divulguer des renseignements véridiques, exacts et complets aux ASF, ce qu’il n’a pas fait.

[39]  M. Robidoux n’a pas résidé en Caroline du Nord depuis 2012. Pour faciliter l’accès aux traitements médicaux au Vermont, il est retourné au Québec cette année-là. Il a séjourné à diverses adresses au Québec de 2012 au printemps 2016. Au printemps 2016, il a déménagé chez sa mère au Québec pour bénéficier de ses soins alors qu’il était en convalescence à la suite d’une intervention médicale. Il vit toujours chez sa mère.

[40]  M. Robidoux ne conteste pas sa présence au Québec depuis 2012. Il avait transporté au Québec tous les véhicules immatriculés à son nom aux États-Unis. Tous ces véhicules se trouvaient au Québec au moment de la saisie et s’y trouvent encore aujourd’hui. En fait, la preuve indique qu’il a tenté de vendre l’un de ces véhicules alors qu’il était au Québec au moyen d’une annonce rédigée en français fournissant un numéro de téléphone au Québec.

[41]  Ses dossiers médicaux indiquent également que M. Robidoux vivait au Québec depuis 2012 et qu’il avait travaillé au Québec pendant cette période. M. Robidoux a témoigné qu’il n’avait occupé aucun emploi durant cette période, mais qu’il faisait du bénévolat dans le cadre de sa réadaptation. Quoi qu’il en soit, il a participé à cette activité au Québec.

[42]  M. Robidoux a divulgué peu de ces détails au cours de sa longue inspection du 7 juin 2016. En fait, il a d’abord déclaré qu’il vivait au Vermont, puis qu’il vivait en Caroline du Nord.

[43]  Il soutient qu’il a d’abord fourni aux ASF l’adresse de la boîte postale au Vermont parce qu’il répondait à la question [traduction] « d’où venez-vous ». Selon le témoignage des ASF, on avait demandé à M. Robidoux où il résidait ou vivait. L’agent primaire a été interrogé en détail à ce sujet et il a rejeté l’idée qu’il aurait demandé à M. Robidoux d’où il venait, plutôt qu’où il vivait. L’agent primaire a témoigné que [traduction] « où vivez-vous » est une question d’usage et qu’il a l’habitude de formuler la question de cette façon lors d’inspections primaires. Les rapports écrits produits au moment de l’inspection et de la saisie frontalières indiquent également que la question posée était [traduction] « où vivez-vous ». Rédigés en français, ils sont ainsi rédigés : « Il a déclaré qu’il résidait au Vermont […] [j]e lui ai donc demandé l’adresse exacte où il vivait au Vermont ». M. Robidoux a de nouveau fourni l’adresse de la boîte postale au Vermont à l’agent secondaire lorsque ce dernier lui a demandé « quelle est son adresse ». M. Robidoux n’a fourni l’adresse en Caroline du Nord qu’après que l’agent secondaire eut examiné le permis de conduire de la Caroline du Nord que M. Robidoux avait en sa possession. Pour tous ces motifs, je préfère le témoignage des ASF à celui de M. Robidoux à cet égard.

[44]  Ayant déclarant d’abord qu’il résidait au Vermont, puis qu’il vivait en Caroline du Nord, M. Robidoux a fourni aux ASF, le 7 juin 2016, des renseignements qui n’étaient ni complets ni exacts. Si elles étaient acceptées à première vue, ses réponses permettraient de conclure que M. Robidoux [traduction] « vivait » aux États-Unis. Il ressort clairement de la preuve que M. Robidoux n’a jamais vécu au Vermont. Il est également évident qu’il n’a jamais payé de loyer à l’adresse en Caroline du Nord, mais qu’il contribuait plutôt aux dépenses du ménage lorsqu’il y séjournait. Rien n’indique que de telles contributions ont été versées depuis 2012. Une lettre du propriétaire de la résidence en Caroline du Nord, datée du 17 juin 2016, indique que M. Robidoux a résidé à cette adresse en Caroline du Nord de 2011 à 2016. Cependant, cela est contraire au témoignage de M. Robidoux, selon lequel, de 2012 à 2016, il a habité la majorité du temps à diverses adresses au Québec.

[45]  M. Robidoux a déposé en preuve un message texte envoyé à un membre de la famille du propriétaire de la résidence en Caroline du Nord juste avant que l’affaire ne soit entendue. Le message texte visait à déterminer si la propriété avait été vendue par le propriétaire en 2016. Dans le message texte, M. Robidoux mentionne la propriété en Caroline du Nord comme étant un endroit où il [traduction] « vivait », et non pas comme un endroit où il [traduction] « vit ». La nécessité pour M. Robidoux de se renseigner sur le statut de la propriété et son utilisation du passé en parlant de la propriété sont compatibles avec le témoignage selon lequel il n’y résidait pas et renforcent ma conclusion selon laquelle il n’a pas vécu à l’adresse en Caroline du Nord depuis 2012.

[46]  L’intention de M. Robidoux de retourner aux États-Unis une fois ses problèmes médicaux réglés ne change rien au fait qu’il n’a pas vécu aux États-Unis depuis 2012. De plus, son intention de retourner aux États-Unis n’excuse pas son incapacité à divulguer pleinement, avec exactitude et en détail sa situation à son entrée au pays.

[47]  M. Robidoux ne peut pas s’appuyer sur ses passages fréquents ou sa conviction que les ASF étaient au courant de sa situation pour justifier ses omissions. L’obligation imposée par l’article 7.1 de la Loi sur les douanes est lourde : le défaut de fournir des renseignements complets et exacts ne peut être excusé que si la partie visée par la saisie peut démontrer qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable. Une défense fondée sur la diligence raisonnable exige que toutes les mesures raisonnables soient prises pour s’assurer de l’exactitude d’une déclaration. Il est difficile de s’acquitter de ce fardeau (Trites c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1365, au par. 20, citant Cata International Inc c Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 663, au par. 22). La croyance subjective qu’un ASF est au courant de tous les faits pertinents – en l’espèce, le fait que M. Robidoux vit au Québec – est bien inférieure à cette norme, particulièrement après l’examen approfondi effectué par l’agent secondaire. De plus, bien que la preuve démontre que les ASF ont reconnu M. Robidoux, elle n’établit pas qu’ils se connaissaient bien. Par exemple, M. Robidoux a déclaré dans son témoignage que l’agent secondaire lui avait déjà fourni des conseils de chasse et lui avait dit qu’il était adopté. L’agent secondaire a déclaré qu’il n’était pas adopté et qu’il n’était pas non plus un chasseur. L’agent secondaire a déclaré dans son témoignage qu’il n’aurait pas fourni de conseils de chasse à M. Robidoux.

[48]  Ayant conclu que M. Robidoux a contrevenu à la Loi sur les douanes en omettant de fournir des renseignements véridiques, exacts et complets, comme l’exige l’article 7.1, j’aborderai brièvement la question de la résidence. Bien que la résidence ne constitue pas la question fondamentale en l’espèce, elle est d’une certaine pertinence, car ce sont les conclusions de l’agent secondaire concernant la question de la résidence qui ont mené à la saisie du camion, un bien que M. Robidoux avait acheté aux États-Unis.

[49]  Les deux parties citent la décision Brough c Canada (Ministre du Revenu national), [1998] A.C.F. no 840, [1998] 4 CTC 11. Dans cette affaire, le juge McKewon devait déterminer si le demandeur était un « résident » du Canada au sens de l’article 2 du Règlement sur l’importation temporaire de bagages et de moyens de transport par un non-résident, DORS/87-720, du Tarif des douanes. L’article 2 est ainsi libellé :

résident Personne qui, dans son cadre de vie habituel, établit son domicile, réside et est ordinairement présente au Canada.

[50]  Le juge McKewon a conclu que « [l]e cadre de vie habituel diffère d’une personne à une autre » (au par. 18). La résidence varie d’une personne à une autre; il n’est pas nécessaire de la définir par une maison ou un abri, mais plutôt par les limites spatiales dans lesquelles une personne a ordonné sa vie (au par. 17, citant Thomson c Ministre du Revenu national, [1946] SCR 209, aux p. 224 et 225).

[51]  La situation de M. Robidoux, ou son cadre de vie, a changé en 2012 lorsqu’il est retourné au Québec pour obtenir un traitement médical au Vermont. Bien que son intention ait pu être que ce changement soit temporaire et à court terme, il ne l’a pas été. Quatre ans après son retour initial au Québec, M. Robidoux continuait d’y vivre. Sa présence n’était pas temporaire; il a fait du bénévolat et il a transporté tous ses véhicules au Québec. À mon avis, en 2016, le cadre de vie temporaire de M. Robidoux était devenu un cadre de vie habituel. Ce cadre de vie habituel était celui d’une présence continue au Québec, avec des voyages aux États-Unis. Le fait que ses conditions de logement au Québec étaient temporaires jusqu’au printemps 2016 ne diminue en rien le fait qu’il était habituellement présent au Québec, qu’il y vivait en 2016 et qu’il vivait toujours au Québec au moment où la présente affaire a été entendue.

VII.  Conclusion

[52]  L’appel est rejeté.

[53]  Le demandeur sollicite des dépens de 8 000 $, invoquant le délai qui s’est écoulé avant l’instruction de l’affaire et demandant qu’on lui accorde la possibilité de présenter des observations supplémentaires. J’accorderai à chacune des parties la possibilité de présenter de brèves observations écrites sur les dépens.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-472-17

LA COUR STATUE que :

  1. l’appel du demandeur est rejeté;

  2. le défendeur peut signifier et déposer des observations écrites sur les dépens, d’une longueur maximale de trois (3) pages, dans les cinq (5) jours suivant la date du présent jugement;

  3. le demandeur peut signifier et déposer des observations écrites sur les dépens, également d’une longueur maximale de trois (3) pages, dans les cinq (5) jours suivant la signification des observations du défendeur.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 28e jour d’août 2020.

Julie Blain McIntosh, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-472-17

 

INTITULÉ :

ROGER ROBIDOUX c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 18 ET 19 NOVEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 juillet 2020

 

COMPARUTIONS :

Zave Kaufman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Erin Morgan

Véronique Forest

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Colas Moreira Kazandjian Zikovsky

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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