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                                                                                                                                 Date : 20041028

                                                                                                                        Dossier : IMM-50-04

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1525

ENTRE :

                                                                    ARIF USTA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Aperçu

[1]                Le demandeur a présenté sa demande d'asile en raison de sa religion et de son objection de conscience au service militaire. Ces motifs étaient également liés à la prétention que la loi turque régissant le service militaire et le traitement dans les prisons constituent des motifs de revendication du statut de personne à protéger. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande, ce qui a mené à la présente demande de contrôle judiciaire.


L'historique

[2]                M. Usta est un citoyen turc. Il est adepte et membre de Hizmet. On dit que Hizmet est un mouvement islamique, nationaliste, libérale et moderne. Il tente de concilier les valeurs traditionnelles islamiques avec la vie moderne et la science.

[3]                M. Usta a prétendu qu'il craignait avec raison d'être persécuté dans son pays en raison de sa religion, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, c'est-à-dire Hizmet. Il a affirmé qu'il avait quitté la Turquie parce qu'il était un objecteur de conscience qui désirait éviter le service militaire. Il a également prétendu que, s'il refusait de faire son service militaire, il irait en prison et que la brutalité régnait en maître dans les prisons turques et que, lorsqu'il serait libéré, il serait toujours tenu de faire son service militaire.

[4]                Le demandeur a décrit trois incidents qui se sont déroulés en 2000, 2001 et 2002 dans le cadre desquels il a été détenu par les autorités en raison de son association avec Hizmet. Dans deux de ces incidents, il a été matraqué par la police.

[5]                M. Usta s'est marié en mai 2002 dans l'intention de venir au Canada avec son épouse. Celle-ci, a toutefois été incapable d'obtenir un visa. En juin 2002, il a été appelé à faire son service militaire.


[6]                Trois jours après avoir reçu son avis de conscription, il a reçu son permis d'études au Canada et il est arrivé au Canada à la fin de juillet. Il a continué de tenter d'obtenir un visa pour son épouse, mais sa tentative a échoué. Il a alors demandé le droit d'asile en novembre 2002.

[7]                La Commission a rejeté sa demande; les motifs de ce rejet peuvent être résumés de la manière suivante :

a)          La Commission a conclu que son témoignage n'était pas crédible. En particulier, lorsque la Commission lui a posé des questions sur le premier et le dernier incident qui lui est arrivé, il a donné des réponses quant au premier et quant à l'avant-dernier incident. Si cela avait été le seul motif de rejet de la demande, le présent contrôle judiciaire aurait été accueilli. Plus pertinent encore, la Commission a conclu que le manque d'éléments de preuve objectifs quant aux mauvais traitements et quant au harcèlement des membres de Hizmet portait atteinte à sa demande;

b)          L'histoire du demandeur était invraisemblable car sa prétention qu'il était recherché par les autorités était incompatible avec le fait qu'il avait été mis en liberté sans condition;


c)          Le demandeur a tardé à quitter la Turquie et a tardé à déposer sa demande d'asile au Canada;

d)          La crainte de préjudice du demandeur ne correspond pas à un motif prévu par la Convention et la preuve documentaire ne démontre pas que les autorités militaires turques exercent une discrimination systématique contre les membres de Hizmet;

e)          Le châtiment qui attend M. Usta n'est pas disproportionné par rapport aux objectifs de la loi et les peines ne sont pas excessives au point d'équivaloir à de la persécution;

f)           La preuve documentaire n'étaye pas la prétention que les demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée et qui ont tenté d'échapper au service militaire sont victimes de discrimination en raison de leur demande rejetée;

g)          Les sanctions imposées aux conscrits réfractaires ne sont pas imposées au mépris des droits de la personne universellement acceptés - le châtiment n'était pas excessif au point de porter atteinte à la dignité humaine.


L'analyse

[8]                Les questions en litige soulevées par M. Usta sont les suivantes :

-         la Commission a-t-elle commis une erreur dans sa qualification d'objecteur de conscience?

-         le châtiment prévu quant à l'évitement du service militaire appelle-t-il la protection prévue à l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi)?

-         y-a-t-il eu suffisamment d'erreurs pour que la Cour soit justifiée d'intervenir?

Les objecteurs de conscience

[9]                La conclusion de la Commission à cet égard repose dans une large mesure sur la crédibilité et sur des documents objectifs. Cette conclusion est soumise à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable.

[10]            La preuve documentaire a confirmé que des membres de Hizmet ont servi dans les forces armées, faisant en sorte que l'objection du demandeur n'était pas fondée sur des motifs religieux. Sa propre preuve, dans laquelle il a exprimé sa crainte d'être blessé dans l'armée était fondée sur la mort d'un membre de Hizmet qui a été occasionnée, non pas par un acte délibéré dirigé contre les membres de Hizmet, mais par un accident survenu au cours d'une formation.


[11]            La preuve de M. Usta quant à son statut d'objecteur de conscience était, tout au plus, équivoque. À certains moments, il refusait de faire son service militaire en soi, à d'autres moments, il prétendait craindre d'être persécuté en raison de sa religion. Compte tenu de l'état de la preuve, il était loisible à la Commission de conclure comme elle l'a fait.

Le châtiment

[12]            Le coeur de l'argument du demandeur est que l'exigence de faire son service militaire, même après avoir purgé une peine d'emprisonnement pour avoir refusé de le faire, est contraire à l'article 97 de la Loi.

[13]            Il convient de souligner que M. Usta serait puni en raison du fait qu'il n'a pas fait son service militaire et non pas en raison de ses croyances. La loi turque n'est pas discriminatoire en soi, il s'agit d'une loi d'application générale.

[14]            La Commission a vraiment tenu compte des quatre principes qui s'appliquent lorsqu'il s'agit de décider si une loi ordinaire d'application générale peut constituer de la persécution :

Après cet examen du droit, je m'aventure maintenant à exposer quelques propositions générales relatives au statut d'une loi ordinaire d'application générale lorsqu'il s'agit de trancher la question de la persécution :

(1) La définition légale de réfugié au sens de la Convention rend l'objet (ou tout effet principal) d'une loi ordinaire d'application générale, plutôt que la motivation du demandeur, applicable à l'existence d'une persécution.

(2) Mais la neutralité d'une loi ordinaire d'application générale, à l'égard des cinq motifs d'obtention du statut de réfugié, doit être jugée objectivement par les cours et les tribunaux canadiens lorsque cela est nécessaire.


(3) Dans cet examen, une loi ordinaire d'application générale, même dans des sociétés non démocratiques, devrait, je crois, être présumée valide et neutre, et le demandeur devrait être tenu, comme c'est généralement le cas dans les affaires de réfugiés, de montrer que les lois revêtent, ou bien en soi ou pour une autre raison, un caractère de persécution.

(4) Il ne suffira pas au demandeur de montrer qu'un régime donné est généralement tyrannique. Il devra plutôt prouver que la loi en question a un caractère de persécution par rapport à un motif énoncé dans la Convention. (Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540, paragraphes 18 à 22 (C.A.F.)).

[15]            La Commission a également examiné si une telle loi ou son application constituait des traitements ou peines cruels et inusités. Le fait que la loi en Turquie soit plus stricte que la loi au Canada ou que les prisons turques ne respectent pas les mêmes normes que les prisons canadiennes ne suffit pas à établir ce motif prévu à l'article 97.

[16]            Le Canada n'a pas à formuler des observations ou à protéger ceux qui enfreignent la loi de leur pays et qui seraient soumis à un traitement plus sévère qu'au Canada à moins que ce traitement comporte de la torture, crée une menace à la vie ou soit fondamentalement cruel. L'exigence de remplir ses devoirs de citoyen, même après une peine d'emprisonnement, ne répond pas en soi à ces critères. Il était loisible à la Commission de conclure, d'après la preuve, que la loi turque, son application et ses conséquences, notamment les conditions carcérales, ne franchissaient pas le seuil établi par l'article 97.

Les erreurs cumulatives


[17]            Alors que le demandeur invoque un certain nombre d'erreurs dans la décision de la Commission, notamment la confusion quant aux dates, quant à certain nombre d'incidents et quant à un certain nombre d'explications soumises, aucune de ces erreurs ne touche le coeur de la décision de la Commission. Aucune de ces erreurs (dans la mesure où elles existent) ne constitue un déni de justice naturelle.

Conclusion

[18]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[19]            Les parties s'entendent pour affirmer que la présente instance ne comporte aucune question à certifier.

                                                                                                                                « Michael Phelan »                  

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                   IMM-50-04

INTITULÉ :                                                  ARIF USTA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                            OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 1er SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :              LE 28 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Sylvia Valdman                                             POUR LE DEMANDEUR

Sonia Barrette                                               POUR LE DÉFENDEUR                                                                                                            

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sylvia Valdman                                            POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)                                         

                                                                                               

Morris Rosenberg                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                              

                                             

                                      

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