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Date : 20041103

Dossier : T-2133-03

Référence : 2004 CF 1547

ENTRE :

                                              HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                  LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                La présente affaire rappelle le titre de vieilles chansons comme « It's Just a Matter of Time » ( « Ce n'est qu'une question de temps » ) et « Time Changes Everything » ( « Le temps change bien des choses » ). Hoffmann-La Roche a soumis une demande en vue de faire inscrire deux brevets en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement sur les AC). Le ministre affirme qu'il les aurait inscrits si la demande lui en avait été faite plus tôt. Il déclare qu'il est maintenant trop tard. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision. Une demande d'inscription d'une présentation de drogue nouvelle aurait été présentée dans les délais fixés. La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si une demande présentée relativement à un supplément à cette même présentation aurait elle aussi respecté les délais prescrits.


[2]                L'industrie des médicaments brevetés constitue une importante activité économique. Afin de profiter des avantages qu'offrent les deux systèmes, notre droit suscite la rivalité entre, d'une part, les sociétés pharmaceutiques qui fabriquent des médicaments d'origine - aussi appelés médicaments de marque - et, d'autre part, les fabricants de produits génériques. L'objectif visé est de mettre sur le marché des médicaments de pointe à des prix raisonnables. Le règlement précité vise à la fois à protéger les intérêts commerciaux des sociétés pharmaceutiques qui se livrent concurrence et à appliquer des politiques régissant les aliments et drogues qui sont conçues pour empêcher la commercialisation de médicaments dont l'innocuité et l'efficacité ne sont pas garanties.

[3]                Lorsqu'un innovateur, ou première personne, comme Haffmann-La Roche, dépose une présentation de drogue nouvelle (PDN) et obtient un avis de conformité pour ce médicament (c'est-à-dire un avis par lequel Santé Canada se prononce sur l'innocuité et l'efficacité du médicament et juge qu'il peut être commercialisé) et qu'un autre fabricant se présente pour réclamer son propre avis de conformité pour un médicament comparable en invoquant la bioéquivalence, l'innovateur peut entreprendre certaines démarches en vertu du Règlement pour empêcher l'imitateur de commercialiser son médicament pour une certaine période de temps, mais uniquement si les brevets de l'innovateur sont déjà inscrits au registre des brevets.


[4]                La juge Sharlow a bien résumé le mode de fonctionnement du Règlement dans l'arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Ministre de la Santé, [2003] 3 C.F. 140, (2003), 23 C.P.R. (4th) 289. Un fabricant de médicaments comme Hoffmann-La Roche à qui un avis de conformité a été délivré pour un médicament breveté peut soumettre une liste de brevets connexes et devient alors la « première personne » à cet égard. Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité pour un médicament comparable que si les dispositions de l'article 5 du Règlement ont été respectées. Pour qu'un médicament soit jugé comparable, il doit satisfaire à certaines exigences, notamment en ce qui concerne la bioéquivalence. Le second fabricant de médicaments, qui est souvent un fabricant de produits génériques, doit, dans sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN), soit déclarer qu'il accepte que l'avis de conformité ne soit délivré qu'après l'expiration du premier brevet, soit alléguer que les déclarations faites par la première personne étaient fausses, que le brevet est expiré ou n'est pas valide ou que son médicament ne contreferait aucune revendication portant sur le médicament d'origine ou sur son utilisation. Si la première personne conteste l'avis d'allégation en question, elle peut demander à notre Cour d'interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité pendant une période de 24 mois, à moins que ce délai ne se termine plus tôt par suite de l'expiration du brevet ou du prononcé d'un jugement déclarant que le brevet n'est pas valide ou que l'allégation d'absence de contrefaçon est fondée. La simple présentation d'une demande empêche le ministre de délivrer un avis de conformité à la seconde personne. Ainsi que la Cour suprême l'a signalé dans l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193, 80 C.P.R. (3d) 368, il s'agit là d'une suspension légale « draconienne » , d'autant plus que la première personne n'est même pas tenue d'apporter un commencement de preuve de contrefaçon.

[5]                Ainsi, si Hoffmann-La Roche réussit à faire inscrire ses brevets au registre, elle peut faire échec à la concurrence, du moins pour un certain temps.

LES FAITS

[6]         La demande visant le brevet intitulé « Préparations d'immunoglobuline recombinante » a été déposée au Canada en 1984, et elle a été accueillie en 1987. Le numéro de brevet canadien 1 218 613 (le brevet 613) lui a été assigné. La demande portant sur le second brevet en question intitulé « Méthode de traitement des cellules tumorales par inhibition de la fonction de réception du facteur de croissance » a été déposée au Canada en 1989 et a été accueillie le 8 août 2000 sous le numéro de brevet 1 321 082 (le brevet 082). Les deux brevets appartiennent à Genetech Inc., une société américaine.

[7]                En octobre 1998, Hoffmann-La Roche a déposé une PDN pour une poudre lyophilisée de 21mg/ml de trastuzumab, connue sous le nom de HERCEPTIN. Cette PDN n'était accompagnée d'aucune liste de brevets. Un avis de conformité a été délivré le 13 août 1999.

[8]                La liste de brevet relative aux deux brevets n'a été soumise qu'en mai 2002, lorsque Hoffmann-La Roche a déposé un supplément à la présentation de drogue nouvelle (SPDN) en vue d'obtenir l'approbation pour exploiter une nouvelle usine de fabrication de l'HERCEPTIN.

QUESTION EN LITIGE

[9]         Il est acquis aux débats que les brevets respectent l'exigence du Règlement selon laquelle ils doivent contenir une revendication pour le médicament lui-même ou pour son utilisation.

[10]            Après discussion, Santé Canada a décidé qu'un SPDN visant l'ajout d'une nouvelle usine de fabrication de l'HERCEPTIN ne justifiait pas l'inscription d'un brevet au registre des brevets. Santé Canada est d'avis que, suivant le paragraphe 4(3) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié (le Règlement sur les AC sur l'avis de conformité), la liste de brevets relative au brevet 613 aurait dû être déposée en même temps que la PDN de 1998. Comme le brevet 082 a été délivré le 8 août 2000, la liste de brevets devait, aux termes du paragraphe 4(4) du Règlement en question, être déposée dans les 30 jours suivants.

[11]            Hoffmann-La Roche affirme que le SNDS fait partie de la demande d'avis de conformité et que la liste de brevets a été déposée dans les délais prescrits parce qu'elle a été soumise en même temps que le SNDS.


ANALYSE

[12]       Le litige porte sur le sens du Règlement et sur la signification de l'expression « avis de conformité » . Comme il s'agit de questions de droit, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[13]            Le Règlement prévoit ce qui suit :

4. (1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l'égard de la drogue, accompagnée de l'attestation visée au paragraphe (7).

4. (1) A person who files or has filed a submission for, or has been issued, a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine may submit to the Minister a patent list certified in accordance with subsection (7) in respect of the drug.

(2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants :

a) la forme posologique, la concentration et la voie d'administration de la drogue;

b) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire ou à l'égard duquel elle détient une licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l'inclure dans la liste, qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament, et qu'elle souhaite voir inscrit au registre;

...                                 

(2) A patent list submitted in respect of a drug must

(a) indicate the dosage form, strength and route of administration of the drug;

(b) set out any Canadian patent that is owned by the person, or in respect of which the person has an exclusive licence or has obtained the consent of the owner of the patent for the inclusion of the patent on the patent list, that contains a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine and that the person wishes to have included on the register;

...

   (3) Sous réserve du paragraphe (4), la personne qui soumet une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de la demande d'avis de conformité.             

(3) Subject to subsection (4), a person who submits a patent list must do so at the time the person files a submission for a notice of compliance.

   (4) La première personne peut, après la date de dépôt de la demande d'avis de conformité et dans les 30 jours suivant la délivrance d'un brevet qui est fondée sur une demande de brevet don't la date de dépôt est antérieure à celle de la demande d'avis de conformité, soumettre une liste de brevets, ou toute modification apportée à une liste de brevets, qui contient les renseignements visés au paragraphe (2).

   (4) A first person may, after the date of filing of a submission for a notice of compliance and within 30 days after the issuance of a patent that was issued on the basis of an application that has a filing date that precedes the date of filing of the submission, submit a patent list, or an amendment to an existing patent list, that includes the information referred to in subsection (2).


   (6) La personne qui soumet une liste de brevets doit la tenir à jour mais ne peut ajouter de brevets à une liste que si elle le fait en conformité avec le paragraphe (4).                         

   (6) A person who submits a patent list must keep the list up to date but may not add a patent to an existing patent list except in accordance with subsection (4).

[14]            Le Règlement dispose, à son article 2 :

« avis de conformité » Avis délivré au titre de l'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues.

"notice of compliance" means a notice issued under section C.08.004 of the Food and Drug Regulations;

[15]            L'article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 870, modifié, oblige le ministre, si les circonstances le justifient, à délivrer un avis de conformité « après avoir terminé l'examen d'une présentation de drogue nouvelle, d'une présentation abrégée de drogue nouvelle ou d'un supplément à l'une de ces présentations » .

[16]            Aux termes de l'article C.08.003 du même Règlement, le fabriquant qui se propose d'apporter certains changements à un médicament doit d'abord obtenir l'autorisation du ministre pour pouvoir continuer à vendre un médicament à l'égard duquel un avis de conformité a été délivré. Il doit déposer un supplément à la PDN pour couvrir notamment tout changement apporté à la marque nominative du médicament, aux installations et à l'équipement à utiliser pour la fabrication du médicament, à la préparation et à l'emballage et aux nouvelles propriétés qui lui sont attribuées, c'est-à-dire les indications différentes de celles pour lesquelles le médicament a d'abord été approuvé.

[17]            Pour avoir le droit de déposer une liste de brevets, le fabricant doit aussi en être le propriétaire, être titulaire d'une licence exclusive ou obtenir le consentement du propriétaire du brevet.

[18]            Le seul élément de preuve tendant à démontrer que Hoffmann-La Roche a le droit de déposer un SPDN est la liste de brevets elle-même, qui est datée du 29 avril 2002. Hoffmann-La Roche affirme qu'il a obtenu le consentement du propriétaire des brevets. Cette liste, qui se trouve sur une formule du gouvernement, n'oblige pas celui qui la remplit à préciser quand il a obtenu le consentement en question et, en l'espèce, la demanderesse n'a pas fourni spontanément ce renseignement. Il y a lieu de signaler que Genetech, le propriétaire du brevet, n'aurait pas pu demander l'inscription des brevets au registre parce qu'elle n'était pas en mesure d'obtenir un avis de conformité. Seul celui qui se propose de fabriquer le médicament au Canada, en l'occurrence Hoffmann-La Roche, pouvait présenter une telle demande. Il se peut donc fort bien que personne ne pouvait demander l'inscription des brevets au registre avant avril 2002 : Genetech, parce qu'elle n'était pas le fabricant, et Hoffmann-La Roche, parce qu'elle n'avait peut-être pas obtenu une licence exclusive de Genetech, le propriétaire du brevet, ou le consentement de Genetech.

[19]            Le ministre ne met pas en doute la bonne foi de Hoffmann-La Roche lorsqu'elle demande l'approbation de sa nouvelle usine de fabrication. Certes, elle profite peut-être du fait qu'elle a besoin de cette nouvelle usine de fabrication pour obtenir l'inscription des brevets, mais nul n'a laissé entendre qu'il s'agit là d'un subterfuge.


PRINCIPES D'INTERPRÉTATION DES LOIS

[20]       Le principe moderne d'interprétation des lois est bien connu. On en trouve un exemple récent dans l'arrêt Glykis c. Hydro-Québec, 2004 CSC 60, [2004] J.C.S. no 56 (QL) où la juge Deschamps déclare ce qui suit :

5. La méthode d'interprétation des textes législatifs est bien connue (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42). La disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur. Cette méthode, énoncée à l'occasion de l'analyse de textes législatifs, s'impose, avec les adaptations nécessaires, pour l'interprétation de textes réglementaires.

[21]            Les dernières modifications apportées au Règlement sur les AC remontent à 1998. La consultation du Résumé de l'étude d'impact de la réglementation permet de discerner l'intention du législateur. Dans le jugement Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général), (2001), 10 C.P.R. (4th) 318, le juge Campbell cite un extrait de ce résumé pour étayer la proposition que le législateur cherchait à trouver un équilibre entre, d'une part, la nécessité de faire respecter efficacement les droits conférés par les brevets et, d'autre part, l'impératif de permettre la commercialisation rapide des médicaments génériques. Voici en quels termes le juge s'exprime, au paragraphe 20 :

Dans le « Résumé de l'étude d'impact de la réglementation » du Règlement de 1998, sous la rubrique « Avantages et coûts » , on trouve ce qui suit :


Le lien entre le statut du brevet protégeant un médicament et l'approbation d'une version générique de ce médicament est maintenu afin de faire respecter véritablement les droits conférés par les brevets, tout en assurant que les médicaments génériques puissent être commercialisés aussitôt que possible, soit dès qu'il est déterminé qu'ils ne sont couverts par aucun brevet, soit, s'ils sont couverts par un brevet, immédiatement après l'expiration de celui-ci. Dans l'ensemble, les modifications visant à rendre le Règlement plus équitable et plus efficace, et à réduire le nombre des litiges inutiles devraient faire en sorte que l'observation du Règlement devrait coûter moins cher aux parties du secteur privé. Les modifications ne changeront guère les frais d'administration ou d'adjudication des causes en vertu du Règlement.

Les modifications envisagées renforceront l'équilibre entre l'assurance d'un mécanisme qui permet de faire véritablement respecter les droits conférés par les brevets et la garantie que les médicaments génériques soient commercialisés aussitôt que possible.

Je reconnais que cet élément de preuve constitue un principe utile pour trancher la question d'interprétation législative en cause.

[renvois omis]

Sa décision a été confirmée en appel ((2002), 16 C.P.R. (4th) 425). Plus récemment, le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation et l'analyse que le juge Campbell en a faite dans le jugement Bristol-Myers Squibb, précité, ont été portés à l'attention de la juge Heneghan dans l'affaire AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 736, [2004] A.C.F. no 883 (QL), aux paragraphes 22 et suivants. Je conviens que le Résumé est utile dans le cas qui nous occupe.

LA JURISPRUDENCE


[22]       Les parties invoquent les mêmes décisions, mais elles divergent d'opinion sur ce que ces décisions permettent d'affirmer et elles m'invitent à en tirer des inférences dissemblables. Voici ce qu'on peut dire avec certitude : il n'est pas nécessaire que la demande d'avis de conformité qui est susceptible d'appuyer une liste de brevets au sens de l'article 4 du Règlement soit une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle : un supplément à l'une ou l'autre suffit.

            •           Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1999), 87 C.P.R. (3d) 271, conf. à (2001), 11 C.P.R. (4th) 538.

[23]            Bien qu'une présentation supplémentaire puisse être utilisée pour justifier le dépôt d'une liste de brevets, il ne s'ensuit pas nécessairement que le ministre doit enregistrer chaque liste de brevets qui lui est soumise avec un SPDN. Certes, il faut déposer un SPDN pour obtenir le changement du nom de marque d'un médicament, mais si le changement de nom vise uniquement à permettre au fabricant de soumettre une liste de brevets qu'il aurait pu présenter plus tôt, le ministre doit refuser d'enregistrer cette liste au motif que le fabricant cherche à contourner les délais prescrits par le Règlement.

•            Bristol-Myers Squibb Canada Inc., précité, conf. à (2002), 16 C.P.R. (4th) 425;

•            Toba Pharma Inc. c. Canada (Procureur général) (2002) 21 C.P.R. (4th) 232, le juge Blais;

•            Ferring Inc. c. Canada (Procureur général), (2003), 26 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.).


[24]            Bien qu'il faille soumettre un SPDN pour changer la marque nominative d'un médicament, il n'est pas nécessaire de présenter un SPDN pour faire état du changement de nom du fabricant. Il existe cependant un usage administratif suivant lequel ce type de changement est accompagné du dépôt d'un SPDN. La Cour a statué, dans le jugement AstraZeneca Canada, précité, que, même en supposant que le changement de nom ne soit pas uniquement motivé par le désir de soumettre une liste de brevets, le dépôt d'un supplément administratif à une présentation de drogue nouvelle ne justifie pas l'inscription du brevet au registre des brevets. La juge Heneghan s'est dite d'avis que, comme le Règlement sur les AC vise l'innocuité et l'efficacité des produits pharmaceutiques, la demande d'inscription d'une liste de brevets au registre doit être compatible avec les objectifs visés par ce Règlement. Elle a estimé que ce lien n'était pas évident dans le cas qui lui était soumis car la demande sous-jacente visait seulement à apporter un changement administratif au dossier par la modification du nom du fabricant. Je souscris à son analyse.

[25]            En l'espèce, il est acquis aux débats que :

            A)       il n'y a aucun élément de preuve qui permette de penser que Hoffmann-La Roche essaie de rattraper l'occasion qu'elle a ratée de déposer la liste de brevets. Rien ne permet de croire qu'elle aurait pu déposer cette liste plus tôt, c'est-à-dire lorsqu'elle a obtenu le consentement de Genetech;

B)        Hoffmann-La Roche a besoin d'une autre usine et elle doit obtenir l'approbation nécessaire par le biais d'un SPDN.


[26]            Les deux parties sont d'accord pour dire que la décision la plus pertinente est celle qu'a rendue récemment la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Laboratoires Abbott c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 154, [2004] A.C.F. no 708 (QL). Cette affaire concernait un SPDN portant sur une nouvelle indication, c'est-à-dire une nouvelle utilisation possible du produit pharmaceutique. La juge de première instance a conclu que le SPDN n'avait pas été déposé afin de contourner les délais prescrits à l'article 4 du Règlement. Suivant Hoffmann-La Roche, cet arrêt consacre le principe que, dès lors que la bonne foi était établie, la juge de première instance ne devait pas pousser plus loin son analyse et devait conclure que le ministre avait tort de refuser d'inscrire le brevet au registre.

[27]            La thèse qu'a développée le ministre dans les observations écrites qu'il a déposées avant le prononcé de l'arrêt Abbott était que seul le SPDN qui est susceptible de justifier l'inscription d'un brevet au registre est un SPDN qu'on peut considérer comme comportant une comparaison entre le médicament visé par la PDN et celui sur lequel porte le SPDN. Comme en l'espèce les deux présentations concernent l'HERCEPTIN, il ne peut y avoir de comparaison et, partant, le dépôt n'est pas justifié.


[28]            Invoquant les décisions Eli Lilly Canada Inc et Abbott, précitées, Hoffmann-La Roche rétorque que, même si l'argument de la bonne foi n'est pas assez solide, le ministre a tort de prétendre que, comme le SPDN ne propose aucun changement au médicament lui-même, le brevet ne peut être inscrit au registre parce qu'il aurait dû être soumis avec la PDN originale. Dans l'affaire Eli Lilly, Eli Lilly avait obtenu un avis de conformité pour une drogue, la Tazidime, qui contenait un médicament, la ceftazidime. Elle avait été autorisée à soumettre une liste de brevets à l'égard de la Tazidime. La Cour devait déterminer quels brevets Eli Lilly avait le droit d'inclure dans sa liste de brevets. S'exprimant au nom de la majorité, la juge Sharlow a conclu que, dans le cas de la liste de brevets soumise pour la Tazidime, tout brevet comportant une revendication pour la ceftazidime en soi, ou une revendication pour une formulation dans laquelle la ceftazidime était l'ingrédient médicinal actif, correspondait aux paramètres du Règlement. Elle a écarté l'argument du ministre suivant lequel le Règlement exige un rapport de pertinence entre la drogue indiquée dans l'avis de conformité et le brevet que l'on veut inscrire dans le registre des brevets. Même s'il était acquis aux débats que la Tazidime n'utilisait pas l'invention révélée dans le brevet, la juge Sharlow a rejeté l'argument du ministre parce qu'elle a estimé qu'il était théoriquement possible qu'un fabricant de drogues génériques produise une drogue consistant en une formulation de ceftazidime et de lactose amorphe qui soit bioéquivalente à la Tazidime, même si elle n'y était pas exactement identique parce que la Tazidime ne contenait pas de lactose amorphe. Un tel produit pourrait contrefaire le brevet. En conséquence, le ministre aurait dû inscrire le brevet car autrement Eli Lilly serait privée de son droit de demander au tribunal d'interdire la délivrance d'un avis de conformité à un concurrent.

[29]            Hoffmann-La Roche va plus loin et affirme que la loi vise à protéger les brevets. Elle précise que, comme rien ne permet de conclure à sa mauvaise foi ou de penser qu'elle aurait pu demander plus tôt l'inscription de ses brevets au registre, sa liste aurait dû être acceptée lorsqu'elle a présenté le SPDN relatif à sa nouvelle usine. Elle invoque également le jugement Apotex Inc. c. Ministre de la Santé et autre, 2004 CF 650, [2004] A.C.F. no 790 (QL). Il s'agissait essentiellement d'un différend opposant deux sociétés pharmaceutiques au sujet du sens d'un autre article du Règlement. Cette décision ne s'applique pas selon moi au cas qui nous occupe.

[30]            Je suis d'avis que l'arrêt Eli Lilly, précité, n'est d'aucun secours pour résoudre la question de la tardiveté du dépôt d'une liste de brevets par opposition à la question du droit de déposer une telle liste. Je signale de plus que, dans cette affaire, il se posait une question de bioéquivalence entre la drogue et le brevet. L'arrêt Abbott, précité, s'applique. Il consacre le principe qu'une personne peut soumettre une liste de brevets accompagnée d'un SPDN à condition que le SPDN se rapporte à la drogue visée ou à son utilisation.

[31]            Dans l'affaire Abbott, le SPDN visait une nouvelle indication. Autrement dit, le SPDN concernait le médicament ou son utilisation, ce qui n'est pas le cas d'un SPDN relatif à une nouvelle usine qui ne peut donc justifier le dépôt d'une liste de brevets. Les questions telles que les marques nominatives ou les usines de fabrication constituent des aspects secondaires du médicament et de ses utilités.

[32]            Je crois qu'en faisant allusion à la bonne foi dans l'arrêt Abbott, le juge en chef Richard voulait faire savoir qu'un SPDN artificiel visant une nouvelle indication ne pouvait justifier le dépôt d'une liste de brevets si le véritable objectif poursuivi est de contourner les délais prévus par le Règlement.

[33]            Voici un extrait des propos du juge en chef Richard :


[27]          Notre Cour s'est déjà penchée sur des cas dans lesquels le SPDN ne peut justifier le dépôt d'une liste de brevets. Les affaires Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Procureur général du Canada et al., (2002) 16 C.P.R. (4th) 425 (C.A.F.), conf. (2001), 10 C.P.R. (4th) 318, et Ferring Inc. c. Canada (Procureur général), (2003), 26 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.) offrent des exemples de tentatives manifestes de faire inscrire un brevet après l'expiration du délai prévu à l'article 4 du Règlement sur les AC.

[28]          La présente espèce ne relève pas des cas visés par les arrêts Bristol-Myers Squibb et Ferring. Ainsi que je l'ai déjà dit, le SPDN visait une nouvelle indication, car Abbott devait obtenir l'approbation du ministre pour pouvoir vendre ou commercialiser au Canada la combinaison de Biaxin (clarithromycine), d'amoxicilline et de lansoprazole. Ainsi que la juge de première instance l'a signalé, Abbott n'essayait pas de contourner les délais prescrits par le Règlement sur les AC.   

[34]            Bien que l'arrêt Abbott n'ait pas une portée aussi large que la thèse proposée par le ministre en l'espèce, ce dernier a malgré tout eu raison de refuser d'inscrire les brevets.

[35]            Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de spéculer sur ce qui aurait pu se produire si le SPDN de Hoffmann-La Roche avait visé le médicament lui-même ou son utilisation et si l'on avait soumis à la Cour des éléments de preuve démontrant qu'elle aurait pu déposer une liste de brevets il y a plusieurs années. Le dossier ne renferme tout simplement aucun élément qui permette de savoir quand elle a obtenu pour la première fois le consentement de Genetech pour déposer la liste en question.


[36]            La demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens. À l'audience, les deux parties ont convenu que les dépens devaient suivre l'issue de la cause et qu'elles essaieraient de s'entendre sur la question. J'ai fait remarquer qu'indépendamment de l'issue de l'affaire, les dépens devaient être adjugés au tarif des dépens entre parties, de préférence sous forme de somme globale. Si les parties n'arrivent pas à s'entendre, elles pourront s'adresser à moi pour obtenir des directives.

« Sean Harrington »

                                                                                                     Juge                          

                   

Ottawa (Ontario)

Le 3 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2133-03

INTITULÉ :              HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED

c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

G. A. Gaikis                                          POUR LA DEMANDERESSE

N. P. Pei

F. B. Woyiwada                                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada


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