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Date : 20200714


Dossier : IMM-6830-19

Référence : 2020 CF 761

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2020

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

AFSANEH SALAMAT RAVANDI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] La demanderesse, Afsaneh Salamat Ravandi, est une citoyenne de l’Iran âgée de 35 ans. En 2007, elle a fui l’Iran pour la Turquie pour éviter un mariage forcé organisé par son père. En octobre 2009, un agent des visas canadien en Turquie a conclu que Mme Ravandi avait qualité de réfugié au sens de la Convention. En mars 2010, Mme Ravandi est devenue résidente permanente du Canada.

[2] En juin 2011, Mme Ravandi a obtenu un passeport iranien. (Elle n’en avait pas auparavant.) Grâce à ce passeport, elle est retournée en Iran deux fois : la première fois en juillet 2011, pour un séjour de cinq mois, et de nouveau en janvier 2013, pour une période de 38 jours. Au cours de ces voyages, Mme Ravandi s’est fiancée à un homme iranien et l’a épousé. (Il va sans dire que son époux n’est pas l’homme à qui son père avait convenu de la marier.) Mme Ravandi est revenue au Canada avec son époux en février 2013.

[3] Le 24 mars 2014, le ministre de la Sécurité publique a présenté à la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié une demande de constat de perte d’asile au titre du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Plus particulièrement, comme il est indiqué dans l’avis de demande, le ministre a fait valoir que Mme Ravandi s’était [traduction] « réclamée de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle a la nationalité » et, par conséquent, qu’elle avait perdu l’asile en application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. À l’appui de sa demande, le ministre a déposé, entre autres, une copie du passeport iranien de Mme Ravandi attestant ses voyages en Iran ainsi qu’une entrevue menée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada avec Mme Ravandi le 18 décembre 2013, au cours de laquelle celle-ci a été interrogée au sujet de ces voyages.

[4] L’audience relative à la perte de l’asile s’est déroulée le 2 octobre 2019. Mme Ravandi s’est représentée elle-même. Malheureusement, l’équipement d’enregistrement a mal fonctionné. Par conséquent, il n’y a aucun compte rendu de la procédure.

[5] Dans ses motifs écrits datés du 17 octobre 2019, la SPR a fait droit à la demande du ministre, au motif que Mme Ravandi s’était réclamée de nouveau de la protection de l’Iran, ce qui entraîne la perte de l’asile aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Le commissaire de la SPR a aussi déclaré : « Ces conclusions sont entièrement déterminantes dans la présente affaire, et je n’ai pas à examiner d’autres questions qui pourraient se poser au titre des alinéas 108(1)b) à 108(1)e) ».

[6] Mme Ravandi demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR. Elle ne conteste pas directement la conclusion selon laquelle elle s’est réclamée de nouveau de la protection de l’Iran. Elle soutient plutôt que, en présentant des éléments de preuve montrant que son père était emprisonné en Turquie lorsqu’elle s’est rendue en Iran en 2011 et en 2013, elle avait mis en jeu la question de savoir si les raisons qui lui avaient fait demander l’asile existaient toujours, et donc qu’elle avait perdu l’asile en application de l’alinéa 108(1)e). Selon Mme Ravandi, l’allusion faite à l’alinéa 108(1)e) par le commissaire dans sa décision ne respecte pas les exigences de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées, qui ont été établies dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, compte tenu des enjeux pour elle de la demande de constat de perte d’asile. Mme Ravandi insiste particulièrement sur le fait qu’elle était exposée non seulement à la perte de l’asile, mais également à la perte de son statut de résident permanent et à une déclaration d’interdiction de territoire au Canada, puisque la demande du ministre était fondée sur le fait qu’elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays aux termes de l’alinéa 108(1)a), alors que ces conséquences juridiques graves et accessoires n’auraient pas découlé de la conclusion selon laquelle elle avait perdu l’asile en application de l’alinéa 108(1)e), soit en raison d’un changement de circonstances : voir l’article 40.1 et l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR. Elle soutient que le traitement succinct réservé par la SPR à l’alinéa 108(1)e) ne reflète pas les enjeux pour elle de la décision de fonder la perte de l’asile sur le fait qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays (alinéa 108(1)a)), plutôt que sur le changement de circonstances (108(1)e)).

[7] Comme je vais l’expliquer, je suis d’accord avec Mme Ravandi pour dire que, suivant l’arrêt Vavilov, lorsque la SPR peut conclure à la perte de l’asile pour différents motifs et qu’elle choisit un motif qui entraîne des conséquences accessoires préjudiciables pour la personne plutôt qu’un motif qui n’entraîne pas ce genre de conséquence, les motifs de la SPR doivent refléter les enjeux pour la personne, c’est-à-dire non seulement la perte de l’asile, mais également les conséquences accessoires préjudiciables. Or, Mme Ravandi ne m’a pas convaincu qu’il aurait été raisonnablement possible pour elle d’éviter les conséquences accessoires auxquelles elle est maintenant exposée, à savoir la perte de son statut de résident permanent et son interdiction de territoire au Canada, en raison de la décision de la SPR. Par conséquent, bien que les motifs pour lesquels la SPR n’a pas examiné le changement de circonstances aient été très brefs, dans le contexte de l’ensemble de la décision et de l’affaire, ils respectent les exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

II. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8] L’article 108 de la LIPR est ainsi rédigé en partie :

Perte de l’asile

Cessation of Refugee Protection

Rejet

Rejection

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

...

...

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

Effet de la décision

Effect of decision

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

[9] Comme je l’ai déjà indiqué, le ministre a demandé un constat de perte d’asile au titre du paragraphe 108(2) au motif que Mme Ravandi s’est réclamée de nouveau de la protection de l’Iran, le pays dont elle a la nationalité. Autrement dit, le ministre soutient que Mme Ravandi est visée par l’alinéa 108(1)a). Le ministre n’a pas invoqué d’autres motifs pour la perte de l’asile.

[10] Le commissaire de la SPR a formulé ainsi sa compréhension de la compétence de la SPR pour examiner les motifs de perte de l’asile :

La SPR a compétence pour examiner tout motif de perte de l’asile découlant de la demande du ministre et pour trancher une demande de constat de perte d’asile à la lumière de tout motif qui est énoncé dans la demande. La SPR n’est pas obligée de tenir compte d’autres motifs, et rien ne l’empêche de le faire. Il n’est pas nécessaire que la SPR examine les autres motifs possibles de perte de l’asile si elle conclut qu’un des motifs de perte de l’asile s’applique. Toutefois, lorsqu’il existe des éléments de preuve non contredits et non contestés de la perte de l’asile pour un motif en particulier, la SPR devrait tenir compte de ce motif [note de bas de page omise].

[11] Dans la note de bas de page que j’ai omise, le commissaire cite la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Al-Obeidi, 2015 CF 1041, au paragraphe 22. Le juge O’Reilly y tient les propos suivants :

En somme, dans le cadre d’une demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre, la Commission peut examiner tout motif énoncé au paragraphe 108(1) de la LIPR. Si le réfugié intimé convainc la Commission, ou concède, qu’il a perdu son statut en raison du changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres motifs. On ne peut ni l’obliger à le faire ni l’empêcher de le faire. Toutefois, lorsqu’il existe une preuve non contredite et non contestée de la perte de l’asile pour un autre motif (p. ex. l’acquisition d’une nationalité d’un pays offrant une protection), la Commission devrait en tenir compte.

[12] Comme on le verra ci-dessous, ce paragraphe est la pierre angulaire des arguments avancés par Mme Ravandi dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

[13] Après avoir cité l’article 108 de la LIPR, le commissaire de la SPR a ensuite déclaré ce qui suit :

À la lumière des éléments de preuve dont je dispose, les dispositions pertinentes du paragraphe 108(1) dans la présente affaire sont les alinéas 108(1)a) et 108(1)e), à savoir le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays et les circonstances qui ont changé.

[14] Même si le commissaire ne donne aucune précision, il n’est pas contesté que la preuve relative au fait que Mme Ravandi s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays a été déposée par le ministre, alors que la preuve relative au changement de circonstances figure dans deux documents que Mme Ravandi a été autorisée à déposer tardivement à l’audience relative à la perte de l’asile. L’un de ces documents était un article de journal en ligne daté du 13 novembre 2007, qui indiquait que le père de Mme Ravandi avait été arrêté en Turquie pour avoir introduit illégalement de l’opium en Turquie depuis l’Iran. L’autre était un reçu d’une prison turque daté du 18 avril 2013, qui attestait la réception par le père de Mme Ravandi d’un virement télégraphique d’argent alors qu’il était détenu à cette prison. Le reçu indique que son père a été admis à cette prison le 30 mai 2010 et que son statut est celui de [traduction] « détenu ». Rien n’indique la durée de sa peine.

[15] Lorsqu’il a décidé d’autoriser le dépôt des deux documents en question, le commissaire de la SPR a résumé ainsi leur éventuelle pertinence :

Ensemble, les documents semblent indiquer que le père de la demandeure d’asile [sic], qui était un agent de persécution principal de la demandeure d’asile avant qu’elle ne fuie l’Iran pour la Turquie, était détenu par les autorités turques du 13 novembre 2007 au 18 avril 2013 au moins, ce qui comprend la période durant laquelle l’intimée est retournée en Iran à deux reprises. Les documents visent à ajouter foi aux déclarations que l’intimée a faites aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) au cours de son entrevue le 18 décembre 2013, où elle a mentionné que son père ne savait pas qu’elle était retournée en Iran, malgré ses deux séjours prolongés au pays et ses contacts étroits avec sa mère et d’autres membres de sa famille pendant son [séjour] en Iran. En outre, les documents donnent à penser que les circonstances avaient changé, de sorte que les deux [séjours] de l’intimée en Iran semblent peut-être maintenant plus raisonnables objectivement qu’ils n’auraient semblé si le père de l’intimée avait toujours fait partie de l’équation.

[16] La SPR a conclu que les deux documents étaient authentiques, qu’ils étaient crédibles et fiables et qu’ils établissaient que le père de Mme Ravandi était détenu en Turquie du 13 novembre 2007 au 18 avril 2013 au moins.

[17] Mme Ravandi a témoigné à l’audience relative à la perte de l’asile. Comme il n’y a pas d’enregistrement ou de transcription de cette audience, il n’y a pas de preuve directe de ce qu’elle y aurait dit. Mme Ravandi n’a pas fourni d’affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. La seule indication qu’elle pourrait avoir fourni un témoignage se rapportant à la question du changement de circonstances est la déclaration faite par le commissaire de la SPR dans sa décision, selon laquelle Mme Ravandi avait déclaré qu’elle avait appris que son père était en prison en Turquie avant de retourner en Iran depuis le Canada et que cela « laisse entendre qu’elle en a tenu compte lorsqu’elle est retournée en Iran ».

[18] Il semble qu’à l’audience Mme Ravandi ait aussi parlé de ses autres agents de persécution, soit l’homme à qui son père l’avait promise en mariage et la famille de ce dernier. Elle a expliqué qu’ils vivaient dans un village à environ une heure et demie de route de l’endroit où elle avait séjourné en Iran. Bien qu’elle ne les ait pas vus lors de ses voyages en Iran, elle n’a pas pris de précautions particulières pour les éviter. Rien dans le dossier dont je dispose n’indique que Mme Ravandi a déclaré qu’ils avaient perdu intérêt à son égard ou qu’ils étaient disposés à oublier le passé.

[19] D’après le dossier devant moi, la SPR ne semble pas avoir disposé d’éléments de preuve, autres que ceux que je viens d’examiner, qui auraient pu être pertinents dans le contexte de la question du changement de circonstances. En effet, il semble que la réponse de Mme Ravandi à la demande de constat de perte d’asile du ministre ne portait pas principalement sur le changement de circonstances, mais plutôt sur ce que le commissaire a appelé des « motifs d’ordre humanitaire ». Le commissaire a été impressionné par Mme Ravandi en tant que témoin. Il a aussi noté qu’elle avait fait « aussi bien que ce qui peut être attendu d’une personne non représentée pour plaider sa cause devant la SPR en s’appuyant sur des motifs d’ordre humanitaire ». Le commissaire était clairement sympathique à la cause de Mme Ravandi, étant donné la situation dans laquelle elle se trouvait. Toutefois, comme il l’a noté, à juste titre, la loi ne lui accordait aucune compétence dans cette affaire pour examiner la prise de mesures pour des motifs d’ordre humanitaire.

[20] Revenons aux motifs de perte de l’asile. Le commissaire de la SPR a d’abord examiné l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, soit le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays. Il a déclaré à juste titre que le critère applicable comportait trois éléments : la personne protégée doit avoir agi volontairement, elle doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel elle s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité et elle doit avoir effectivement obtenu cette protection. Le commissaire a également indiqué à juste titre qu’il incombe au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité. Le commissaire a ensuite déclaré que, pour les motifs qu’il allait énoncer, il était convaincu que les trois éléments du critère étaient remplis et, par conséquent, que Mme Ravandi s’était réclamée de nouveau de la protection de l’Iran au sens de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Comme cette conclusion n’est pas contestée directement dans la présente demande, il n’est pas nécessaire d’exposer le raisonnement du commissaire à cet égard.

[21] Après avoir énoncé les motifs pour lesquels il concluait que Mme Ravandi s’était réclamée de nouveau de la protection de l’Iran, le commissaire a indiqué ce qui suit :

Je conclus que l’intimée s’est réclamée de nouveau de la protection de l’Iran. La demande du ministre relative à la perte de l’asile est accueillie, et la demande d’asile de l’intimée est réputée rejetée. Ces conclusions sont entièrement déterminantes dans la présente affaire, et je n’ai pas à examiner d’autres questions qui pourraient se poser au titre des alinéas 108(1)b) à 108(1)e).

[22] La demande de constat de perte d’asile du ministre a par conséquent été accueillie sur le fondement de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, et la demande d’asile de Mme Ravandi a été réputée rejetée en application du paragraphe 108(3) de la LIPR.

III. NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[23] Les parties soutiennent que la décision de la SPR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, et je suis d’accord.

[24] Depuis l’arrêt Vavilov, il existe une présomption voulant que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et les tribunaux ne devraient déroger à cette présomption « que lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige » (au para 10). À mon avis, rien ne justifie de déroger à la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable est celle applicable en l’espèce. Le juge Ahmed est récemment parvenu à la même conclusion dans la décision Thapachetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 600 (au para 10).

[25] L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision doit être sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse (Vavilov, aux para 12, 13). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Les motifs du décideur devraient être lus à la lumière du dossier en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils ont été rendus (Vavilov, aux para 91 à 95). Au moment d’examiner la question de savoir si une décision est raisonnable, « [la cour de révision] doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » [Vavilov, au para 99]. Comme la Cour l’a aussi souligné, « il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‐ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (au para 86, en italique dans l’original).

[26] La Cour a aussi conclu que, pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur « un raisonnement intrinsèquement cohérent » et qu’elle « doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents [renvois omis] » (Vavilov, au para 105). De plus, « [l]es éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués » (ibid.). Ces contraintes peuvent orienter l’évaluation du caractère raisonnable d’une décision.

[27] Parmi les considérations juridiques ou factuelles qui pourraient réduire la marge de manœuvre d’un décideur administratif dans un cas donné, la Cour mentionne l’incidence de la décision sur la personne visée. La Cour a statué que, « [l]orsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux » (Vavilov, au para 133). Comme la Cour l’a expliqué, « [l]e principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées veut que le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné. Cela vaut notamment pour les décisions dont les conséquences menacent la vie, la liberté, la dignité ou les moyens de subsistance d’un individu » (ibid.). Plus tôt, lorsqu’elle examinait de façon générale l’importance de justifier les décisions administratives, la Cour avait indiqué que les motifs « servent de bouclier contre l’arbitraire et la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public » (Vavilov, au para 79, citant Congrégation des témoins de Jéhovah de St‐Jérôme‐Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, aux para 12, 13). La Cour s’est penchée de nouveau sur la question de l’arbitraire dans son examen de l’incidence de la décision comme considération utile pour déterminer si celle-ci est raisonnable, faisant observer que « les préoccupations relatives à l’arbitraire sont généralement plus prononcées dans les cas où la décision a des conséquences particulièrement graves ou sévères pour la partie visée et le défaut de traiter de ces conséquences peut fort bien se révéler déraisonnable » (Vavilov, au para 134).

[28] La compétence d’entendre les demandes de constat de perte d’asile ayant été attribuée à la SPR, celle-ci s’est vu confier des « pouvoirs extraordinaires » sur la vie des personnes visées par ces demandes (voir Vavilov, au para 135). Le corollaire de ce pouvoir est la « responsabilité accrue » qui échoit à la SPR de s’assurer que ses motifs démontrent qu’elle a tenu compte des conséquences de sa décision et que ces conséquences sont justifiées au regard des faits et du droit (ibid.). Comme on le verra ci-dessous, dans certains cas, ces conséquences comprennent non seulement la perte de l’asile – qui est grave en soi – mais également les conséquences juridiques accessoires que sont la perte du statut de résident permanent et l’interdiction de territoire au Canada.

[29] Il incombe à Mme Ravandi de démontrer que la décision de la SPR était déraisonnable. Pour réussir à faire annuler la décision, elle doit établir que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Comme on vient de le voir, l’incidence de cette décision sur Mme Ravandi est l’un des facteurs qui permettent de satisfaire aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.

IV. ANALYSE

[30] Il est incontestable que la perte de l’asile à la suite d’une décision rendue en application du paragraphe 108(2) de la LIPR est une question grave, qui peut avoir des répercussions importantes pour la personne visée. De plus, comme il est indiqué ci-dessus, si la personne visée est un résident permanent et que la perte de l’asile est fondée sur l’un des motifs énoncés aux alinéas 108(1)a) à d) de la LIPR, la décision rendue entraîne non seulement la perte de l’asile, mais également la perte du statut de résident permanent. La personne devient également interdite de territoire au Canada. La gravité de ces conséquences juridiques accessoires ressort clairement des faits de l’espèce. En raison de la décision de la SPR, Mme Ravandi a perdu le statut de résident permanent qu’elle détenait depuis mars 2010 et elle est interdite de territoire au Canada, où elle réside depuis une décennie. Comme le commissaire l’a fait remarquer avec raison, Mme Ravandi vivait sous l’épée de Damoclès depuis mars 2014, date à laquelle le ministre a présenté sa demande de constat de perte d’asile au motif qu’elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays.

[31] Il est important de souligner que le législateur a décidé que ces conséquences juridiques accessoires ne s’appliquaient pas à tous les réfugiés qui perdent l’asile, mais seulement à ceux qui perdent l’asile en application des alinéas 108(1)a) à d) de la LIPR. Elles ne s’appliquent pas aux réfugiés qui perdent l’asile en application de l’alinéa 108(1)e), c’est-à-dire au motif que « les raisons qui [leur] ont fait demander l’asile n’existent plus » (voir le paragraphe 40.1(2) et l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR). Ainsi, lorsqu’elle choisit le motif sur le fondement duquel la perte de l’asile est ordonnée dans un cas donné – l’un de ceux figurant aux alinéas 108(1)a) à d) ou, plutôt, celui figurant à l’alinéa 108(1)e) – la SPR se prononce (indirectement) sur la question de savoir si les conséquences juridiques accessoires s’appliqueront ou non.

[32] Dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Ravandi ne conteste pas directement la décision de la SPR selon laquelle elle a perdu l’asile en application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Rien n’indique que cette décision et les motifs à l’appui donnés par la SPR, examinés isolément, ne satisfont pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence étant donné la gravité de la question en litige, soit la question de savoir si Mme Ravandi devrait perdre l’asile. Si je comprends bien, sa position est plus subtile. Elle soutient que, puisque la décision de fonder la perte de l’asile sur l’alinéa 108(1)a) (parce qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays) plutôt que sur l’alinéa 108(1)e) (en raison d’un changement de circonstances) a des répercussions beaucoup plus importantes pour elle (puisqu’elle entraîne des conséquences juridiques accessoires), l’omission par la SPR de tenir compte des conséquences plus graves de sa décision et de justifier celle-ci fait en sorte que la décision ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.

[33] Comme je l’ai déjà dit, je suis d’accord avec Mme Ravandi pour dire que lorsque la SPR a le choix de conclure à la perte de l’asile sur le fondement de l’un des alinéas 108(1)a) à d), d’une part, ou de l’alinéa 108(1)e), d’autre part, et qu’elle choisit l’un des premiers alinéas au lieu du dernier, elle doit expliquer son choix au moyen de motifs qui démontrent qu’elle a tenu compte des conséquences de son choix et que celles-ci sont justifiées au regard des faits et du droit. Les motifs devraient expliquer pourquoi la décision prise reflète le mieux l’intention du législateur étant donné les conséquences considérablement différentes des choix offerts, telles qu’elles ont été définies par le législateur.

[34] Cela pourrait être le cas, par exemple, lorsque la preuve permet d’appuyer une conclusion fondée sur l’alinéa 108(1)a) et sur l’alinéa 108(1)e), mais que les parties conviennent d’appliquer l’alinéa 108(1)e) au lieu de l’alinéa 108(1)a). Même si la SPR n’est pas tenue d’accepter la position conjointe proposée par les parties et qu’elle a le pouvoir discrétionnaire d’examiner d’autres motifs de perte de l’asile (voir Al-Obeidi, au para 21, et Tung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1224, au para 31), à mon avis, compte tenu des conséquences accessoires préjudiciables qui découleraient du fait de ne pas accepter la position conjointe des parties, l’arrêt Vavilov (en particulier les paragraphes 127 et 128 et 133 à 135) impose un lourd fardeau à la SPR, qui doit justifier pourquoi elle conclut à la perte de l’asile pour un motif autre que celui proposé conjointement par les parties, le cas échéant.

[35] De plus, même en l’absence d’entente entre les parties, si la demande de constat de perte d’asile du ministre est uniquement fondée sur le changement de circonstances, mais que la preuve permet d’appuyer une conclusion fondée sur un autre motif, la SPR aurait le lourd fardeau de justifier pourquoi elle conclut à la perte de l’asile pour un motif autre que celui avancé par le ministre, le cas échéant.

[36] Il ne fait aucun doute qu’il pourrait exister d’autres scénarios dans lesquels la SPR aurait à faire un choix parmi les motifs de perte de l’asile et devrait, pour que sa décision soit raisonnable, examiner les conséquences accessoires de son choix. Si elle choisit une option qui comporte des conséquences accessoires relativement plus préjudiciables qu’une autre option qu’il lui était raisonnablement loisible de choisir, la SPR doit justifier cette décision conformément à l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 133 à 135. Toutefois, comme je l’ai aussi déjà indiqué, à mon avis, aucun choix ne s’offrait à la SPR en l’espèce.

[37] Lorsqu’il a formulé les questions à trancher, le commissaire de la SPR a noté que, selon la preuve dont il disposait, les dispositions pertinentes de la LIPR étaient les alinéas 108(1)a) et 108(1)e), qui portent respectivement sur le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays et le fait que les circonstances ont changé. Mme Ravandi déclare que la SPR dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner les motifs de perte de l’asile énoncés au paragraphe 108(1) de la LIPR : voir Al-Obeidi, aux para 21, 22, et Tung, aux para 28, 29. La SPR doit agir raisonnablement et avoir des motifs valables justifiant l’exercice de ce pouvoir : voir Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1060, au para 38. De plus, l’article 108 de la LIPR n’oblige pas la SPR à examiner les motifs potentiels de perte de l’asile dans un ordre donné : voir Lu, au para 33, 34. Par conséquent, comme Mme Ravandi le fait observer à juste titre, en théorie, le commissaire de la SPR aurait pu aborder les motifs qu’il a soulevés dans un ordre ou dans l’autre – le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays en premier, suivi du changement de circonstances (c’est ce qu’il a fait) ou le changement de circonstances en premier, suivi du fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays. Mme Ravandi soutient que, peu importe l’ordre dans lequel les motifs étaient abordés, il existait une possibilité raisonnable qu’elle ne soit pas assujettie aux conséquences accessoires que sont la perte du statut de résident permanent et l’interdiction de territoire. Par conséquent, selon elle, le commissaire de la SPR devait justifier adéquatement pourquoi il avait choisi de conclure que la perte de l’asile découlait d’un motif qui entraînait ces conséquences accessoires préjudiciables pour elle. En particulier, elle est d’avis que la justification donnée pour ne pas aborder le changement de circonstances ne respecte pas ce critère et, par conséquent, que la décision est déraisonnable et doit être annulée.

[38] Comme je l’expliquerai, je ne suis pas convaincu qu’il ait jamais existé une possibilité raisonnable que la décision relative à la demande de constat de perte d’asile du ministre n’entraîne pas la perte du statut de résident permanent pour Mme Ravandi ou son interdiction de territoire au Canada, et ce, quel que soit l’ordre dans lequel la SPR examinait les motifs. En d’autres termes, Mme Ravandi ne m’a pas convaincu qu’elle aurait pu être exposée à des conséquences moins importantes que la perte du statut de résident permanent et l’interdiction de territoire au Canada, en plus de la perte de l’asile. Par conséquent, la SPR n’avait pas à justifier de façon plus détaillée la raison pour laquelle elle n’a pas examiné l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

[39] D’entrée de jeu, en ce qui concerne la façon dont le commissaire de la SPR a réellement abordé les questions qui lui ont été soumises, Mme Ravandi soutient qu’après avoir examiné le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays, le commissaire aurait dû examiner le changement de circonstances, parce qu’il existait une preuve non contredite et non contestée selon laquelle elle avait perdu l’asile pour ce motif également. Elle invoque à l’appui de cette observation la conclusion tirée dans la décision Al‐Obeidi, au paragraphe 22 : « lorsqu’il existe une preuve non contredite et non contestée de la perte de l’asile pour un autre motif [...], la Commission devrait en tenir compte ».

[40] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que, après avoir conclu que Mme Ravandi avait perdu l’asile parce qu’elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays, le commissaire de la SPR devait aussi examiner le changement de circonstances. De plus, même s’il l’avait fait, je doute que cela ait fait une différence pour Mme Ravandi.

[41] Premièrement, comme je dois examiner le raisonnement du commissaire selon la norme de la décision raisonnable, Mme Ravandi doit démontrer non seulement que le commissaire « aurait dû » examiner le changement de circonstances, mais aussi qu’il était déraisonnable pour lui de ne pas l’avoir fait. Les observations présentées par les parties au commissaire constituent un facteur important dans l’évaluation du caractère raisonnable de son raisonnement. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Vavilov, « [l]es principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (au para 127). Le fait qu’un décideur « n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » (Vavilov, au para 128). Comme la juge Walker l’a conclu dans la décision Lu, lorsque plus d’un des alinéas du paragraphe 108(1) peut s’appliquer, « la SPR devrait évaluer la preuve et les observations des parties à l’égard de chacun des alinéas en question » (au para 38). Toutefois, rien n’indique que Mme Ravandi (ou le ministre d’ailleurs) ait demandé à la SPR d’examiner le changement de circonstances même si elle était convaincue que Mme Ravandi avait perdu l’asile parce qu’elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays.

[42] Quoi qu’il en soit, bien qu’il s’agisse d’une considération importante, aux fins de la présente analyse, je ne crois pas qu’il serait juste de la traiter comme une considération déterminante. Je ne sais pas quelle position Mme Ravandi a adoptée devant la SPR en ce qui concerne l’interaction entre le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays et le changement de circonstances, mais je sais qu’elle se représentait elle-même. Pour répondre au fond de ses arguments dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, je suis disposé à lui accorder une certaine latitude à cet égard. De plus, il convient de noter que, lorsqu’il a formulé les questions au début de sa décision, le commissaire de la SPR lui-même était d’avis que le changement de circonstances était « pertinen[t] » étant donné les éléments de preuve déposés par Mme Ravandi. En ce sens restreint, la question du changement de circonstances, tout comme celle de se réclamer de nouveau de la protection de son pays, était en jeu devant la SPR.

[43] Deuxièmement, je ne suis pas convaincu que la ratio decidendi de la décision Al-Obeidi, invoquée par Mme Ravandi, s’applique en l’espèce. Dans cette décision, le juge O’Reilly a conclu ce qui suit : « Si le réfugié intimé convainc la Commission, ou concède, qu’il a perdu son statut en raison du changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres motifs » (au para 22). C’est lorsqu’il décrit l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire que le juge O’Reilly renvoie ensuite à une « preuve non contredite et non contestée de la perte de l’asile pour un autre motif » (ibid.). C’est la situation inverse à celle de la présente affaire, puisqu’il s’agit ici de savoir si la SPR aurait dû tenir compte d’un autre motif en plus du fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays, et non de savoir si elle aurait dû tenir compte d’un autre motif en plus du changement de circonstances.

[44] Troisièmement, même si la ratio decidendi de la décision Al-Obeidi s’applique, je ne suis pas convaincu qu’il existe une « preuve non contredite et non contestée » selon laquelle Mme Ravandi a perdu l’asile en raison d’un changement de situation. Tout au plus, lorsqu’il a formulé les questions dont il était saisi, le commissaire de la SPR a conclu que, selon les éléments de preuve dont il disposait, les alinéas 108(1)a) et 108(1)e) étaient les dispositions « pertinentes ». Il n’a certainement pas conclu que la preuve d’un changement de circonstances était « non contredite et non contestée ». À mon avis, le critère applicable à ce motif ne justifie pas non plus que la preuve soit ainsi décrite. Même en supposant que la preuve selon laquelle le père de Mme Ravandi était en prison lorsque celle-ci s’est rendue en Iran en 2011 et en 2013 n’a pas été contestée, rien n’indiquait la durée de sa peine. De plus, rien n’indiquait que les circonstances avaient changé de quelque façon que ce soit en ce qui concerne les autres agents de persécution de Mme Ravandi.

[45] Quatrièmement, fait peut-être le plus important, même si la SPR avait examiné le changement de circonstances (qu’elle ait été tenue de le faire ou non) et qu’elle avait été convaincue que la perte de l’asile pouvait se fonder sur ce motif également, je ne suis pas convaincu que cela aurait fait une différence pour Mme Ravandi.

[46] L’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR prévoit qu’emporte perte du statut de résident permanent « la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile ». L’omission de l’alinéa 108(1)e) signifie que la décision prise en dernier ressort, entraînant la perte de l’asile sur constat des faits mentionnés à l’alinéa 108(1)e), n’emporte pas perte du statut de résident permanent. Toutefois, l’alinéa 46(1)c.1) ne prévoit pas qu’emporte perte du statut de résident permanent « la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile, sauf si l’alinéa 108(1)e) s’applique également ». Il en va de même de l’interdiction de territoire prévue au paragraphe 40.1(2) de la LIPR. De plus, le fait de réserver un traitement différent à la perte de l’asile constatée en application de l’alinéa 108(1)e) semble reposer sur un fondement rationnel. En effet, contrairement à la perte de l’asile fondée sur les motifs énoncés aux alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile fondée sur le motif énoncé à l’alinéa 108(1)e) ne découle pas des actes du réfugié. On peut soutenir que la situation est différente lorsque la perte de l’asile découle non seulement d’un changement de circonstances indépendant de la volonté du réfugié, mais aussi des actes qu’il a posés.

[47] Me Cannon est allé jusqu’à affirmer, au nom de Mme Ravandi, que la question se posait toujours de savoir ce qui arriverait dans le cas où la perte d’asile découle d’un ou de plusieurs motifs énoncés aux alinéas 108(1)a) à d) et du motif énoncé à l’alinéa 108(1)e). Les observations limitées que j’ai entendues sur ce point ne m’ont pas convaincu que Mme Ravandi se serait trouvée dans une meilleure position si la SPR avait conclu qu’elle avait perdu l’asile parce qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays et parce que les circonstances ont changé, plutôt que parce qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays uniquement.

[48] Mme Ravandi soutient que si le commissaire de la SPR avait examiné le changement de circonstances en premier, plutôt que de commencer son analyse par le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays, il aurait pu trancher la demande du ministre sur le fondement de ce motif à lui seul. Comme Mme Ravandi se serait alors trouvée dans une meilleure position que celle dans laquelle elle se trouve maintenant (parce qu’elle aurait évité les conséquences accessoires préjudiciables qui s’appliquent lorsque la perte de l’asile est fondée sur le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays), le commissaire devait justifier pourquoi il n’avait pas tranché la demande du ministre sur ce fondement.

[49] En supposant, pour les besoins de la discussion, qu’il soit convenable d’analyser les enjeux pour Mme Ravandi en examinant certaines hypothèses raisonnables, je ne suis pas convaincu que Mme Ravandi se serait trouvée dans une meilleure position que celle dans laquelle elle se trouve maintenant si le commissaire avait commencé son analyse par le changement de circonstances, plutôt que par le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays.

[50] Tout d’abord, je fais remarquer que rien n’indique qu’on a demandé à la SPR d’examiner le changement de circonstances en premier. Comme je l’ai déjà indiqué, bien qu’il s’agisse d’une considération importante, je ne crois pas qu’il serait juste de la traiter comme une considération déterminante en l’espèce.

[51] Fait plus important aux fins de la présente analyse, la preuve d’un changement de circonstances est loin d’être contraignante. La question se pose toujours de savoir si l’emprisonnement du père de Mme Ravandi en Turquie pour une durée inconnue peut constituer le type de changement durable nécessaire pour établir, aux termes de l’alinéa 108(1)e), que « les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus » (italique ajouté). De plus, comme je l’ai déjà indiqué, aucun autre élément de preuve n’indique que les circonstances ont changé de quelque façon que ce soit en ce qui concerne les autres agents de persécution de Mme Ravandi.

[52] Compte tenu de la preuve et du critère juridique applicable, il est loin d’être évident que la SPR aurait raisonnablement conclu à la perte de l’asile en raison d’un changement de circonstances. De plus, si la SPR n’était pas convaincue que la perte de l’asile découlait d’un changement de circonstances, il aurait été déraisonnable pour elle de ne pas examiner ensuite le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays, soit le motif qui a été avancé à l’origine par le ministre, étant donné la preuve à l’appui de cette conclusion. En l’absence de toute contestation de la conclusion fondée sur le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays, aucun fondement raisonnable ne permet de penser que le commissaire n’aurait pas conclu que le critère applicable à cet égard aurait été rempli dans le contexte de ce scénario hypothétique. En d’autres termes, aucun fondement raisonnable ne permet de penser que le résultat pour Mme Ravandi aurait été différent. Elle aurait perdu l’asile parce qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité et non en raison d’un changement de circonstances.

[53] La question la plus difficile est celle de savoir ce qui arriverait si, contrairement à ce qui précède, la SPR avait conclu à la perte de l’asile en raison d’un changement de circonstances. Serait-il raisonnable pour la SPR de mettre fin à son analyse et de ne pas examiner le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays? Dans l’affirmative, Mme Ravandi se trouverait alors dans une meilleure position que celle dans laquelle elle se trouve maintenant, parce qu’elle conserverait son statut de résident permanent et ne serait pas interdite de territoire au Canada.

[54] La décision Al-Obeidi donne fortement à penser qu’il ne serait pas raisonnable pour la SPR de mettre fin à son analyse dès qu’elle conclut à la perte de l’asile en raison d’un changement de circonstances. La preuve selon laquelle Mme Ravandi s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays semble être « non contredite et non contestée ». Elle n’a certainement pas été contredite ni contestée par le ministre, qui l’a présentée. Dans la mesure où je peux déduire la position de Mme Ravandi des motifs de la SPR, il semble qu’elle n’ait pas contesté les allégations de fait essentielles qui sous-tendaient la demande du ministre fondée sur le fait que Mme Ravandi s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays. (Bien entendu, la question de savoir si le critère juridique applicable à cet égard a été rempli est une question distincte.) Compte tenu de la preuve et conformément à la décision Al-Obeidi, la SPR serait donc tenue d’examiner aussi le fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays, même si elle conclut à la perte de l’asile sur le fondement d’un changement de circonstances. Ainsi, il n’y a aucune raison de penser que la SPR n’aurait pas également conclu à la perte de l’asile au motif que Mme Ravandi s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité. Comme je l’ai déjà dit, Mme Ravandi ne se trouverait donc pas dans une meilleure position que celle dans laquelle elle se trouve maintenant.

[55] Cet argument a un certain poids. Toutefois, j’ai conclu qu’il n’est pas nécessaire que je réponde à la question sous-jacente, parce qu’elle est tout simplement trop conjecturale pour appuyer une hypothèse raisonnable. Compte tenu de la preuve limitée de l’existence d’un changement de circonstances et du critère juridique applicable, je ne suis pas convaincu que la prémisse sur laquelle se fonde cette partie du scénario hypothétique, à savoir que la SPR aurait raisonnablement pu conclure à la perte de l’asile en raison d’un changement de circonstances, est vraie. Pour cette raison, Mme Ravandi ne m’a pas convaincu qu’il s’agit d’une option raisonnable qui lui aurait permis d’obtenir un meilleur résultat que celui qu’elle a obtenu.

[56] Bref, je suis d’accord avec Mme Ravandi pour dire que les enjeux de la demande de constat de perte d’asile étaient importants pour elle. Toutefois, je ne souscris pas à la façon dont elle a formulé ces enjeux, c’est-à-dire comme un choix entre, d’un côté, une décision sur la perte de l’asile qui entraîne la perte de son statut de résident permanent et son interdiction de territoire au Canada, et, de l’autre, une décision sur la perte de l’asile qui n’entraîne pas ces conséquences. À mon avis, il n’y a jamais eu de fondement raisonnable permettant à la SPR d’ordonner la perte de l’asile pour des motifs qui n’entraînent pas aussi la perte du statut de résident permanent pour Mme Ravandi ou son interdiction de territoire au Canada.

[57] L’application du critère de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées, qui a été formulé dans l’arrêt Vavilov, signifie qu’il n’est pas nécessaire pour la SPR de « traiter » des conséquences de la décision selon laquelle Mme Ravandi a perdu l’asile parce qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité plutôt qu’en raison d’un changement de circonstances, d’expliquer pourquoi cette décision reflète le mieux l’intention du législateur ou de démontrer qu’elle a tenu compte des conséquences de son choix et les a justifiées au regard des faits et du droit (voir Vavilov, aux para 133 à 135). Autrement dit, en ce qui concerne la question des conséquences juridiques accessoires, la SPR n’était pas tenue de justifier le résultat causé par sa décision, parce qu’aucun résultat plus favorable pour Mme Ravandi n’était raisonnablement possible.

[58] La décision de la SPR selon laquelle Mme Ravandi a perdu l’asile parce qu’elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays – une décision qui, je le répète, n’est pas contestée dans la présente demande – satisfaisait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence, même compte tenu des enjeux pour Mme Ravandi. Comme il n’était pas raisonnablement possible, compte tenu des faits de la présente affaire, pour la SPR de rendre une décision n’entraînant pas de conséquences juridiques accessoires préjudiciables, la déclaration de la SPR portant qu’il n’était pas nécessaire pour elle d’« examiner d’autres questions qui pourraient se poser au titre des alinéas 108(1)b) à 108(1)e) », puisque la conclusion selon laquelle Mme Ravandi s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays était « entièrement déterminant[e] » dans la présente affaire, satisfait aussi aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence, malgré les conséquences accessoires qui en ont découlé.

V. CONCLUSION

[59] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[60] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6830-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est formulée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6830-19

 

INTITULÉ :

AFSANEH SALAMAT RAVANDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 25 JUIN 2020 DEPUIS OTTAWA (ONTARIO) (COUR) ET VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE) (PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juillet 2020

 

COMPARUTIONS :

Douglas Cannon

 

Pour la demanderesse

 

Robert Gibson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie‐Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‐Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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