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Date : 20051118

Dossier : T-668-04

Référence : 2005 CF 1545

Ottawa (Ontario), ce 18ième jour de novembre 2005

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                              JEAN PELLETIER

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 30 mars 2004, le demandeur Jean Pelletier déposait devant cette Cour une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'un décret de la gouverneure générale en conseil daté du 1er mars 2004 et portant le numéro C.P. 2004-158 ( « décret de destitution » ). Ce décret, adopté en vertu de l'article 105(5) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 ( « L.G.F.P. » ), mettait fin à la nomination à titre amovible du demandeur au poste de président du conseil d'administration de VIA Rail Canada Inc. ( « VIA Rail » ).

[2]                Dans les conclusions de son mémoire des faits et du droit, le demandeur demande à la Cour fédérale :

a)         Une ordonnance de la nature d'un certiorari, cassant ou annulant le décret de destitution;

b)         Une ordonnance déclarant pleinement en vigueur le décret de nomination de la gouverneure générale en conseil daté du 31 juillet 2001 et portant le numéro C.P. 2001-1294 le nommant au poste de président du conseil d'administration de VIA Rail ( « décret de nomination » ), jusqu'à son échéance du 31 juillet 2006.

QUESTIONS EN LITIGE

-           Quelle est l'étendue de l'obligation d'équité procédurale incombant à la gouverneure générale en conseil lorsque celle-ci entend destituer une personne nommé à titre amovible?

-           Cette obligation a-t-elle été remplie à l'égard du demandeur?

-           S'il y a eu manquement à l'équité procédurale, quel redressement doit être accordé en l'espèce?


CONTEXTE FACTUEL ET PREUVE DES PARTIES

[3]                La présente demande ne porte que sur les faits suivants.

1.         Généralités

[4]                Le demandeur a été directeur du cabinet du premier ministre du Canada du mois de novembre 1993 au mois de mai 2001. Le 31 juillet 2001, le décret de nomination le nommait à titre amovible et pour une période de 5 ans au poste de président du conseil d'administration de VIA Rail. Le pouvoir de nomination de la gouverneure générale en conseil est prévu au paragraphe 105(5) L.G.F.P., qui se lit comme suit :


105 (5) Les administrateurs-dirigeants d'une société d'État m_re sont nommés _titre amovible par le gouverneur en conseil pour le mandat que celui-ci estime indiqué. [je souligne]


105 (5) Each officer-director of a parent Crown corporation shall be appointed by the Governor in Council to hold office during pleasure for such term as the Governor in Council considers appropriate. [emphasis added]


[5]                Le 1er septembre 2001, le demandeur entrait en fonction chez VIA Rail, tel qu'il appert d'une entente signée le 7 novembre 2001 entre le demandeur et la société d'État. Ce contrat fait partie du dossier du défendeur.

[6]                Dans son affidavit du 28 avril 2004, M. Pelletier dit s'être « [...] toujours acquitté de [sa] tâche à la pleine satisfaction du gouvernement du Canada et de VIA Rail » .

2.         La lettre de Mme Myriam Bédard du 13 février 2004

[7]                Mme Myriam Bédard, une médaillée olympique, a été à l'emploi de VIA Rail de janvier 2001 jusqu'au 18 janvier 2002. Le 13 février 2004, Mme Bédard faisait parvenir au bureau du premier ministre du Canada, M. Paul Martin, une lettre dans laquelle elle relatait qu'en 2001, elle a d'abord été « [...] envoyée chez Groupaction au nom de stagiaire (sic) [...] » , puis « [...] obligé[e] de donner [sa] démission » par la « direction de Via Rail Canada » , en date du 11 janvier 2002. Elle formulait également dans cette lettre plusieurs remarques quant à l'atmosphère régnant chez VIA Rail, mentionnant les circonstances entourant la fin de son emploi. De plus, elle référait spécifiquement au demandeur en l'impliquant. Elle affirme lui avoir remis un projet permettant de sauver 5 millions de dollars au programme du marketing de VIA Rail. Elle terminait sa lettre en expliquant son désir de réintégrer son poste chez VIA Rail. Cette lettre figure comme pièce au dossier du demandeur.

[8]                Le 8 avril 2004, un rapport ( « rapport d'enquête » ) produit par un arbitre nommé par M. Paul Côté, alors président et chef de la direction par intérim de VIA Rail, concluait plutôt que Mme Bédard avait volontairement quitté son emploi. Ce rapport concluait comme suit sur le rôle de M. Pelletier dans le départ de Mme Bédard de chez VIA Rail :


[TRADUCTION] Le dossier à ltude représente une tragédie ayant des proportions énormes. M. Pelletier était une personnalité publique respectée qui fût accusée par Mme Bédard en février 2004 d'avoir été impliqué dans sa présumée démission forcée, deux ans plus tôt, en janvier 2002. Ce rapport doit conclure que M. Pelletier n'a pas été impliqué dans les évènements qui ont amené le départ de VIA Rail. (Ma traduction)

POUR LE TEXTE ANGLAIS (VERSION ORIGINALE): The case at hand represents a tragedy of enormous proportions. Mr. Pelletier was a respected public figure, who was accused by Ms. Bédard in February of 2004 of being an instrument in her alleged forced resignation two years earlier, in January of 2002. This report must conclude that Mr. Pelletier had no involvement in Ms. Bédard's departure from Via-Rail.

Ce rapport et ses conclusions n'ont pas été contestées judiciairement par les parties impliquées. Le rapport est donc final.

3.         La correspondance entre le demandeur et M. Alexander Himelfarb

[9]                La preuve du défendeur contient un échange de correspondance entre le bureau du conseil privé et M. Pelletier. Il s'agit de deux lettres.


[10]            La première lettre, signée par le demandeur, est datée du 23 février 2004 et adressée à M. Alexander Himelfarb, greffier du conseil privé et secrétaire du cabinet. Cette lettre mentionne la publication d'un article paru dans le National Post le matin même, lequel évoquait que des sanctions pourraient être prises contre M. Pelletier.    Dans la lettre, le demandeur réclamait une rencontre avec M. Himelfarb et de « [...] haut(s) fonctionnaire(s) [que M. Himelfarb jugerait] utile d'avoir à [ses] côtés » en vue d'être entendu avant que de telles sanctions soient prises. M. Pelletier indique dans sa lettre qu'il est disponible à témoigner sous serment « [...] n'importe quand sur ce dossier des commandites et devant toute instance appropriée » , tout en rappelant qu'il avait déjà informé le directeur de cabinet du premier ministre de sa disponibilité en 2002. Il demande également à M. Himelfarb de confirmer que les frais de représentation légale seront assumés par le gouvernement du Canada.

[11]            La seconde lettre, datée du 26 février 2004, est la réponse de M. Himelfarb à la lettre du demandeur datée du 23 février. Dans sa lettre, M. Himelfarb fait remarquer au demandeur qu'aucune mesure disciplinaire le concernant n'avait alors été annoncée par le gouvernement du Canada et répond à la demande de M. Pelletier concernant les frais d'avocat. La lettre ne mentionne pas que des mesures disciplinaires sont envisagées à l'encontre du demandeur, ni que la gouverneure générale en conseil a des motifs d'insatisfaction à son endroit.

4.         L'entrevue et l'article de La Presse

[12]            Toujours jeudi le 26 février, le journaliste, François Cardinal, du quotidien La Presse, rencontrait Mme Bédard concernant les allégations formulées par cette dernière dans sa lettre au Premier ministre du 13 février 2004. Le même jour, le demandeur accordait à son tour une entrevue au journaliste.

[13]            Le lendemain, vendredi le 27 février 2004, le quotidien Le Soleil (affilié à la « La Presse » ) publiait un article ( « article de La Presse » ) sous le titre « Victime du scandale des commandites » dans lequel le journaliste attribue au demandeur plusieurs déclarations en réponse aux allégations de Mme Bédard. D'autres propos du demandeur concernent Mme Bédard personnellement. Je reproduis ici les passages pertinents de l'article de La Presse :


« Victime du scandale des commandites »

La médaillée olympique Myriam Bédard dit avoir été forcée de démissionner de VIA Rail

[...]

Dans une lettre envoyée au premier ministre Paul Martin le 13 février, l'ex-bi-athlète dénonce « l'ambiance pas catholique qui règnait dans le département marketing de Via-Rail, qui l'employait depuis janvier 2001. Affirmant ntre ni « une voleuse » , ni « une criminelle » , elle dit « avoir creusé (sa) tombe » en travaillant de façon honnête au sein de la société ferroviaire.

Alors que le président du conseil d'administration de VIA, Jean Pelletier, qualifie le tout de « mensonge » , le cabinet du Premier ministre, Paul Martin, dit prendre les allégations « très au sérieux » . [...]

Marc Lefrançois, le président et chef de la direction de Via qui a été suspendu par M. Martin cette semaine dans la foulée du scandale des commandites, a également nié les faits avancés par Mme Bédard. [...]

Tant M. Pelletier que M. Lefrançois ont soutenu que Myriam Bédard profitait du scandale pour tenter d'en tirer un profit personnel. « Elle veut profiter d'un canot qui a l'air de voguer comme il faut, a indiqué M. Pelletier. (...) Elle ment de façon effrontée.

« Je ne veux pas être méchant pour elle, a-t-il ajouté. Mais c'est une pauvre fille qui fait pitié, une fille qui n'a pas de conjoint que je sache. Elle a la tension d'une mère monoparentale qui a des responsabilités économiques. Dans le fond, je trouve qu'elle fait pitié. » [...]

M. Lefrançois a refusé de dire pour quelle raison Mme Bédard ne travaillait plus chez VIA Rail. Mais selon la version des faits de Jean Pelletier, elle ntait tout simplement plus appréciée de ses patrons.

« Ce qu'on me dit, c'est que cette personne ne cadrait pas avec lquipe, a-t-il indiqué. Ça ne marchait pas, d'aucune façon. Elle critiquait ce que son patron faisait. Elle avait ses propres idées. On lui disait que si elle ntait pas contente, peut-être serait-elle plus à l'aise dans une agence de publicité.

Mais vous savez, a-t-il poursuivi [M. Pelletier], (les médaillés olympiques) ce sont des gens qui ont de la misère, après avoir été célébrés lors des Olympiques, à revenir sur le plancher des vaches. Redevenir un simple pékin, c'est pas facile pour ces gens qui ont été dans la lumière »

Dans ce même article, d'autres propos de Mme Bédard sont rapportés. Elle dit avoir fait l'objet de menaces, avoir été témoin de malversations, et donne sa version des faits relativement à son départ « forcé » de chez VIA Rail en janvier 2002.


[14]            Dans son affidavit, le demandeur justifie les propos qu'il a tenu à l'égard de Mme Bédard. Il explique que ses commentaires ont été émis « dans le but que le journaliste ne soit pas trop dur à l'endroit de Myriam Bédard dans l'article qu'il s'apprêtait à écrire » . Se fondant sur des extraits du rapport d'enquête, le procureur du défendeur a laissé entendre à l'instance que M. Pelletier aurait plutôt cherché à éviter que ses propos n'entraînent des mesures disciplinaires. La cassette audio produite en preuve par le demandeur correspond pour l'essentiel aux déclarations attribuées au demandeur dans l'article de La Presse. Cependant, l'article ne fait pas mention du fait qu'à plusieurs reprises au cours de l'entrevue, M. Pelletier dit chercher à l'épargner, et blague au sujet de Mme Bédard, tentant d'atténuer la portée des allégations. La conversation s'est terminée ainsi:

Jean Pelletier : Ne soyez pas trop dur dans les commentaires que je fais sur elle, parce que je veux pas la heurter, mais je vous avoue ben franchement, euh... j'trouve qu'elle charrie pas mal. (rires).

François Cardinal : Parfait. O.K. Monsieur euh...

Jean Pelletier : J'ai pitié d'elle dans l'fond.

4.         L'appel des représentants du bureau du conseil privé du vendredi 27 février 2004

[15]            Le jour de la publication de l'article, une conversation téléphonique a eu lieu entre Me Yves Côté et le demandeur. Selon l'affidavit de M. McCutcheon daté du 27 mai 2004, Me Yves Côté est avocat et conseiller juridique auprès du greffier du conseil privé et secrétaire adjoint du cabinet.

[16]            L'affidavit du demandeur donne une version moins détaillée que celui de M. McCutcheon . Il n'y a pas de contradiction d'importance entre les deux affidavits, qui ne font pas mention de la durée de la conversation téléphonique.

[17]            Selon le demandeur, le but de l'appel de Me Côté était de vérifier si les paroles rapportées dans l'article de La Presse ont effectivement été prononcées. Le demandeur aurait dit à Me Côté que l'instruction de publier un communiqué d'excuses venait d'être donnée, et que cela pouvait être vérifié auprès du directeur des affaires publiques de VIA Rail.

[18]            La version du défendeur est la suivante. Vers 15h15, M. Himelfarb aurait donné instruction à Me Côté et à M. McCutcheon d'appeler le demandeur afin d'obtenir ses explications et commentaires concernant « l'incident relaté dans un article publié dans le journal La Presse » .

[19]            Le premier coup de fil aurait été logé vers 15h45 par Me Côté, en mode « main libre » et en présence de M. McCutcheon. Selon ce dernier, l'assistante administrative de M. Pelletier aurait alors dit à Me Côté que le demandeur était absent, tout en précisant qu'il serait en mesure de retourner l'appel promptement.

[20]             Le demandeur aurait rappelé Me Côté cinq minutes plus tard, vers 15h50. Me Côté se serait alors présenté et aurait mentionné la présence et le titre de M. McCutcheon. Le demandeur aurait dit très bien se rappeler de M. McCutcheon. Me Côté aurait alors expliqué l'objet de l'appel, soit « d'obtenir des explications ou des commentaires concernant l'article de La Presse » . L'affidavit de M. McCutcheon résume ce que le demandeur aurait déclaré :

11. Quant aux faits allégués par Mme Myriam Bédard à l'encontre de VIA Rail [...]:

a) qu'il ntait pas impliqué dans ces faits;

b) que VIA Rail était présentement àréviser le dossier;

c) que le vice président marketing et le responsable des stratégies, chez VIA Rail avaient la responsabilité de répondre aux allégations de Mme Bédard;

d) qu'un communiqué de presse de la part de VIA Rail serait publié, lundi [le 1er mars], à ce sujet [ce communiqué, qui n'a pas été produit en preuve, a été émis le vendredi 27 février, soit le même jour que le communiqué d'excuses de M. Pelletier];

12. Quant aux commentaires que lui attribuait l'article de La Presse sur Mme Myriam Bédard, M. Pelletier indiqua:

a) que ses commentaires étaient inappropriés;

b) qu'un communiqué de presse personnel serait publié dans les minutes qui suivaient;

[21]             Me Côté aurait alors demandé à M. Pelletier s'il avait autre chose à dire au sujet de l'incident relaté dans le journal La Presse. Le demandeur aurait répondu que « le communiqué de presse [l'affidavit ne précise pas s'il s'agit du communiqué de VIA Rail concernant le départ de Mme Bédard, ou s'il s'agit du communiqué d'excuses de M. Pelletier] parlerait de lui-même et qu'il n'avait rien d'autre à ajouter » . C'est de cette manière que l'appel aurait pris fin.

5.         Le communiqué d'excuses

[22]             Toujours le 27 février, VIA Rail a fait paraître un communiqué de presse joint à l'affidavit du demandeur, dans lequel celui-ci adresse des excuses publiques à Myriam Bédard pour les propos qu'il a tenus lors de l'entrevue avec François Cardinal.

[23]             Le demandeur explique dans son affidavit du 28 avril 2004 que les excuses ont été formulées « immédiatement » et « de [son] propre chef » . Il ajoute qu'elles visaient à « faire disparaître l'embarras que la publication desdits propos, dans la forme et de la façon dont ils ont été rapportés, aurait pu lui [Mme Bédard] causer » .

[24]             Selon le défendeur, ce communiqué de presse aurait été publié entre 15h45 et 15h50, soit entre le premier appel de Me Côté et le retour d'appel du demandeur.


6.         Les événements du 1er mars 2004

[25]             Deux jours plus tard, soit le lundi 1er mars 2004, les événements se sont bousculés. Ceux-ci sont relatés par le demandeur et n'ont pas été contredits par le défendeur.

a)         Les appels du ministre fédéral des transports

[26]             D'abord, le demandeur indique dans son affidavit qu'il a eu deux conversations téléphoniques avec le ministre des transports de l'époque, M. Tony Valeri.

[27]             Lors du premier appel, vers 8h50, M. Valeri aurait informé le demandeur qu'une décision serait prise à son égard, sans donner plus de précisions quant au[x] motif[s] et à la nature de la décision. Le demandeur explique que lors de cet appel du Ministre Valeri, il n'aurait pas eu la chance de répliquer lorsque informé qu'une décision serait prise à son égard. M. Pelletier ajoute qu'il a tenté d'obtenir des détails sur le motif et la nature de la décision pendante, mais que le ministre lui a répondu « qu'il ne pouvait dire quoi que ce soit » .

[28]             Lors du second appel, vers 11h50, M. Valeri a mis le demandeur au fait de la décision qui avait été prise de mettre fin à sa charge, ajoutant qu'un décret serait adopté en conséquence.


b)         Les appels de M. Mark Reynolds du bureau du premier ministre

[29]             Le même jour, M. Mark Reynolds, du bureau du premier ministre du Canada, aurait lui aussi discuté à deux reprises par téléphone avec le demandeur.    L'affidavit de M. Pelletier relate le contenu de ces conversations.

[30]             Lors du premier appel, vers midi, M. Reynolds aurait informé le demandeur de sa suspension. M. Reynolds aurait d'abord avisé le demandeur qu'il était suspendu jusqu'au 5 mars 2004, pour se raviser immédiatement et indiquer que la suspension durerait jusqu'au 15 mars 2004. Par la suite, M. Reynolds aurait simplement informé le demandeur qu'une décision serait prise avant cette dernière date, et que d'ici là, M. Pelletier « n'avait rien d'autre à faire » .

[31]             Lors du second appel, dix minutes plus tard, M. Reynolds aurait indiqué au demandeur que la situation avait évolué, qu'il était congédié et qu'un message à cet effet lui parviendrait par télécopieur plus tard dans l'après-midi.

[32]             Aucun motif d'insatisfaction à l'égard du demandeur n'aurait été donné lors de ces appels.


c)         La lettre, le décret de destitution et le communiqué rendant publique la destitution

[33]             Vers 15h00 le même jour, le demandeur a reçu par télécopieur une lettre de M. Valeri, accompagnée du décret de destitution. La lettre en question se lit ainsi :

Monsieur,

Je donne suite à notre conversation de ce matin.

Ci-joint vous trouverez copie d'un décret pris ce jour par la Gouverneure générale en conseil, sur recommandation du ministre des Transports et en vertu du paragraphe 105(5) de la Loi sur la gestion des finances publiques, mettant fin à votre nomination, à titre de président du conseil d'administration de VIA Rail Canada Inc., faite par le décret C.P. 2001-1294 du 31 juillet 2001.

Je vous prie, Monsieur, de bien vouloir recevoir l'expression de mes salutations distinguées.

(signé)

L'hon. Tony Valeri, C.P., député

Pièce jointe

c.c.: M. Paul Côté [...]

[34]             Le décret de destitution se lit comme suit :

Attendu que, par le décret C.P. 2001-1294 du 31 juillet 2001, Jean Pelletier a été nommé président du conseil d'administration de VIA Rail Canada Inc. à titre amovible à compter du 1er septembre 2001;

Attendu que la gouverneure en conseil a perdu confiance en Jean Pelletier à titre de président du conseil d'administration de VIA Rail Canada Inc.

_ ces causes, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil, sur recommandation du ministre des Transports et en vertu du paragraphe 105(5) de la Loi sur la gestion des finances publiques, met immédiatement fin à la nomination de Jean Pelletier à titre de président du conseil d'administration de VIA Rail Canada Inc., faite par le décret C.P. 2001-1294 du 31 juillet 2001.


[35]             Toujours le 1er mars 2004, le gouvernement du Canada rendait public par communiqué de presse la destitution du demandeur ( « communiqué de presse du 1er mars » ). Ce communiqué se lit ainsi:

N º GC 001/04

_ publier le 1er mars 2004

LE GOUVERNEMENT DU CANADA DESTITUE LE PRÉSIDENT DE VIA RAIL

OTTAWA - Le ministre des Transports Tony Valeri a annoncé aujourd'hui, au nom du gouvernement du Canada, la destitution de M. Jean Pelletier du poste de président du conseil d'administration de VIA Rail Canada Inc.

La destitution de M. Pelletier est immédiate.

« Les propos tenus la semaine dernière par M. Pelletier à l'égard de Mme Myriam Bédard étaient tout à fait inacceptables » , a déclaré le premier ministre Paul Martin. « J'ai demandéaux personnes qui ont connaissance de possibles actes répréhensibles de se manifester. Et je m'attends à ce qu'elles soient traitées de manière appropriée lorsqu'elles le font. Ce qui, en l'occurrence, n'a pas été le cas. Mon gouvernement est arrivé au pouvoir avec l'engagement de changer la façon de faire les choses. La décision que nous prenons aujourd'hui entend refléter cet engagement. »

Le ministre des Transports Tony Valeri a déclaré : « La semaine dernière, j'avais dit que le gouvernement examinerait les commentaires du président de VIA Rail, puis prendrait les mesures qui s'imposent. Il est tout à fait inapproprié pour le président d'une société d'État de tenir des propos de la sorte à l'égard de quelqu'un qui a mis en lumière des actes répréhensibles en milieu de travail. »

VIA Rail Canada Inc. est une société d'État appartenant à cent pour cent au gouvernement du Canada.


ANALYSE

[36]             La présente demande est une demande de contrôle judiciaire fondée sur le défaut allégué de la gouverneure générale en conseil de respecter les garanties procédurales applicables au demandeur. Plus précisément, la Cour est saisie d'une demande d'ordonnance de certiorari annulant le décret de destitution et d'une demande d'ordonnance déclarant pleinement en vigueur le décret de nomination.

[37]             Le bref de certiorari vise à permettre à une Cour de justice de vérifier la légalité d'une décision, en particulier lorsque celle-ci a été prise en violation d'un devoir d'agir équitablement. Tel qu'établi par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Martineau c. Institution de Matsqui,[1980] 1 R.C.S. 602, 106 D.L.R. (3d) 385, au para. 57 :

Tout organisme public qui a le pouvoir de trancher une question qui touche les droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d'une personne peut [...] faire l'objet [d'un certiorari]. La vaste portée de ce recours se fonde sur l'obligation générale d'agir avec équité qui incombe à toutes les instances décisionnelles publiques.

[38]             La compétence de la Cour fédérale pour statuer sur cette demande est fondée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7.


[39]             Le défendeur ne conteste pas la prétention du demandeur voulant que celui-ci ait droit à l'équité procédurale. Je ne traiterai donc pas longuement de cet aspect. Pour décider si le demandeur a droit à un redressement, il faut d'abord demander quelle était l'étendue ou la nature de l'obligation d'équité procédurale imposée à la gouverneure générale en conseil. Ensuite, il s'agira de déterminer si le demandeur a eu droit aux garanties applicables en l'espèce. Si c'est le cas, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Dans le cas contraire, il faudra déterminer le redressement applicable.

1.         L'existence d'une obligation d'équité procédurale

[40]             L'affaire Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, [1990] A.C.S. no. 26 établit les critères permettant de conclure à l'existence d'une obligation d'équité procédurale. La méthode empruntée par les juges majoritaires consiste à vérifier dans un premier temps s'il existe un devoir d'agir équitablement résultant de la nature de la décision, de la relation employeur-employé et de l'effet de la décision sur l'employé. Dans un deuxième temps, il faut voir si la loi ou le contrat modifient ce devoir.


a)         Le devoir d'agir équitablement

[41]             L'existence d'un devoir général d'agir équitablement découlant de la common law s'évalue à la lumière de trois facteurs :

i)          la nature de la décision qui doit être rendue par l'organisme en question;

ii)         la relation existant entre cet organisme et le particulier; et

iii)         l'effet de cette décision sur les droits du particulier (Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, à la p. 669).

[42]             De façon générale, un tel devoir s'impose « à tout organisme public qui rend les décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne » (Cardinal c. Établissement Kent [1985], 2 R.C.S. 643, [1985] A.C.S. no 78, au par. 14).

[43]             La nature de la décision attaquée tend à favoriser le demandeur. Il s'agit d'une décision de la gouverneure générale en conseil de destituer le demandeur à titre de président du conseil d'administration de VIA Rail. Cette décision vise une personne en particulier et n'est pas à caractère législatif ou général. De plus, il s'agit d'une décision irrévocable et non préliminaire. Il s'agit d'éléments tendant à faire naître un devoir d'agir équitablement (Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, à la p. 670).

[44]             La nature de la relation doit aussi être prise en compte. Selon la Cour suprême du Canada, le fait qu'une charge soit occupée à titre amovible n'empêche pas l'application de l'obligation d'agir équitablement. En effet, ce n'est pas parce qu'une personne peut être renvoyée sans qu'il y ait obligation d'établir un motif valable que cette personne n'a droit à aucune garantie procédurale. Il ne faut pas confondre, rappelle la Cour, le fond de la décision et la procédure à suivre pour y arriver (Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, à la p. 674).

[45]             Finalement, l'effet de la décision sur l'employé doit être considéré. Sur ce point, il n'y a pas de doute que le devoir d'agir équitablement s'impose lorsque l'emploi d'une personne est en jeu (Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, à la p. 677) et que dans ces cas, « une justice de haute qualité est exigée » (Kane c. Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, (1980) 110 D.L.R. (3d) 31, au para. 13).

[46]             La nature de la décision, la relation entre la gouverneure générale en conseil et le demandeur ainsi que l'effet de la décision contestée sur ce dernier mènent à la conclusion que la gouverneure générale en conseil était tenue à un devoir d'agir équitablement.


b)         La loi et le contrat

[47]             Dans l'arrêt Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, aux p. 677 et 681, la Cour suprême cite l'arrêt Kane c. Université de la Colombie Britannique, précité, dans lequel il a été établi qu'en l'absence de dispositions claires ou nettement implicites de loi ou du contrat, les règles de la justice naturelle ne sauraient être écartées. Comme je ne vois ni dans le contrat, ni dans la loi des dispositions ou stipulations susceptibles d'éteindre ou de modifier l'obligation d'équité procédurale qui incombait à la gouverneure générale en conseil et que l'existence de cette obligation n'est pas contestée, je conclus à l'existence de cette obligation.

2.         La nature de l'obligation d'équité


[48]             Dans l'arrêt Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, (1999) A.C.S. no. 39, à la p. 837, la Cour suprême du Canada rappelle le caractère souple et variable de l'obligation d'équité procédurale. Le juge L'Heureux-Dubé écrit qu'il faut tenir compte de « toutes les circonstances pour décider de la nature de l'obligation d'équité procédurale » . Je ne crois pas qu'il y a lieu de se livrer à une analyse de ces facteurs, la nature de l'obligation d'équité procédurale applicable en matière de congédiement de personnes nommées à titre amovible ayant clairement été identifiée dans l'affaire Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, à la p. 683. Cette obligation est minimale : il faut que l'employeur communique à l'employé les raisons de son insatisfaction et fournisse à celui-ci la possibilité de se faire entendre (Voir Cardinal c. Établissement Kent, précité, au para. 22; Nicholson c. Haldimand-Norfolk (Regional) Police Commissioners [1979] 1 R.C.S. 311, (1978) 88 D.L.R. (3d) 671, au para. 27; Reglin v. Creston (Town) [2004] B.C.J. No. 1218, 2004 BCSC 790, aux para. 43 et 46; Woodley c. Yellowknife Education District No. 1 [2000] N.W.T.J. No. 31, 2000 NWTSC 30 (C.S.T.N.-O.), au para. 22; Charles c. Université de Montréal (14 février 1990), Montréal, 500-05-012566-897 (C. Sup. Qc), aux p. 18 et 20). Le défendeur est d'avis que ces deux garanties procédurales ont été respectées en l'espèce, alors que le demandeur estime qu'elles ont été violées. Il s'agira donc d'examiner dans la section qui suit ces deux garanties procédurales et de vérifier si elles ont été respectées.

3.         L'application de l'obligation d'équité

[49]             La question de savoir si le demandeur savait ou aurait dû savoir que des mesures disciplinaires étaient envisagées contre lui est au coeur du litige, et affecte directement sa capacité à connaître le(s) motif(s) d'insatisfaction de l'employeur et à y répondre. J'examine donc dans un premier temps la question de savoir si le demandeur savait ou devait savoir que des mesures disciplinaires étaient envisagées contre lui, pour ensuite traiter des garanties procédurales comme telles.


a)         La connaissance du demandeur du fait que des mesures disciplinaires étaient envisagées contre lui

i)          Mention expresse

[50]             La preuve révèle que le demandeur n'a été informé que tardivement du fait que des mesures disciplinaires étaient envisagées contre lui. Selon l'affidavit du demandeur, non contredit sur ce point, il n'a été mis expressément au courant de ce fait que lorsque M. Valeri lui a téléphoné, le 1er mars 2004, à 8h50.

ii)         Connaissance de fait

[51]             Le défendeur a soumis à la Cour certains passages des arrêts Moreau-Bérubé c. N.-B. (Conseil de la Magistrature) [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11;Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité et Re Cardinal Insurance Co. and Minister of State (Finance) 44 N.R. 428, [1982] F.C.J. no. 516 (C.A.F.) en vue de montrer que la gouverneure générale en conseil n'avait pas à informer expressément le demandeur que des mesures disciplinaires étaient envisagées contre lui. Selon le défendeur, le demandeur « savait ou devait savoir [...] que son poste était en jeu » (para. 39 du mémoire des faits et du droit du défendeur). Chacun des extraits pertinents des arrêts précités sont repris en faisant les distinctions nécessaires.


L'arrêt Moreau-Bérubé c. N.-B. (Conseil de la Magistrature)

[52]             Le défendeur a attiré l'attention de la Cour sur le paragraphe 79 de l'arrêt Moreau-Bérubé c. N.-B (Conseil de la Magistrature), précité. Dans cette affaire, la juge Arbour de la Cour suprême du Canada a estimé que le droit d'être entendu de la juge Moreau-Bérubé n'a pas été enfreint du simple fait que celle-ci n'a pas été expressément informée qu'une sanction pourrait lui être imposée au terme d'un processus disciplinaire. Le paragraphe 79 du jugement se lit comme suit :

En l'espèce, je ne peux pas convenir que le Conseil a porté atteinte au droit de la juge Moreau-Bérubé d'être entendue en ne l'informant pas expressément qu'il pourrait lui imposer une sanction que lui permet clairement la Loi.    La doctrine de l'attente légitime ne trouve pas application dans le cas où le requérant demande essentiellement le droit à une deuxième chance de se prévaloir des droits procéduraux qui ont toujours étédisponibles et prévus par la loi.    Par ailleurs, le comité d'enquête n'avait pas le pouvoir de faire une recommandation au Conseil quant à la sanction appropriée.    La Loi l'indique d'une façon on ne peut plus claire, son par. 6.11(1) prévoyant que « le comitédoit faire rapport au président de ses conclusions de fait et de ses conclusions concernant les allégations portées contre le juge dont la conduite est en cause concernant son inconduite, sa négligence de remplir ses devoirs ou son inaptitude à exécuter ses fonctions » .    Cela contraste avec le rôle décisionnel qu'a le Conseil une fois le rapport du comité terminé, comme le prescrit ainsi le par. 6.11(4) : « Le Conseil de la magistrature, en se fondant sur les conclusions du rapport [...] peut [...] rejeter la plainte, [...] adresse[r] une réprimande [...], ou [...] recommander [...] que le juge soit démis de ses fonctions » .    Peu importe que le comité ait fait une recommandation qu'il n'était pas autorisé à faire, le Conseil avait le pouvoir discrétionnaire clair et absolu de choisir parmi trois options.    Je ne crois pas qu'étant juge et ayant bénéficié de conseils juridiques tout au long du processus, l'intimée ait pu avoir mal compris les questions en jeu devant le Conseil de la magistrature. Elle n'a jamais affirmé avoir commis une telle erreur avant que celle-ci soit soulevée par le juge Angers en révision judiciaire.

[53]             Dans Moreau-Bérubé, les propos controversés ont été prononcés par la juge le 16 février 1998 et elle a été destituée le 15 avril 1999. Une longue période de temps s'était écoulée entre le moment où l'écart de conduite a été commis et le moment où la sanction disciplinaire lui a été imposée. Plusieurs plaintes avaient été introduites contre elle devant le Conseil de la magistrature en vertu de la Loi sur la Cour provinciale, L.R.N.-B. 1973, ch. P-21., peu de temps après que les paroles eurent été prononcées, et elle avait eu droit d'en être informée en vertu de cette loi. Elle connaissait donc exactement les causes de reproche contre elle. Le processus disciplinaire était en marche depuis longtemps et il eût été superflu d'informer Mme Moreau-Bérubé que des sanctions pouvaient lui être imposées en vertu de la loi. De plus, la juge avait eu droit de participer à un processus lui permettant pleinement d'être entendu et d'être assistée par un avocat.

[54]             À mon avis, ces circonstances n'ont rien à voir avec le cas du demandeur, où le commencement du processus de destitution n'a pas été expressément annoncé. Les événements se sont déroulés très rapidement et de façon plus qu'informelle, hors la présence de l'avocat de M. Pelletier, sans que les enjeux des discussions aient été clairement mis sur la table. Dans ces circonstances, je crois que le fait de ne pas avoir informé le demandeur des mesures disciplinaires pendantes revêt une plus grande importance que dans Moreau-Bérubé.


L'arrêt Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19

[55]             Selon le défendeur, l'extrait suivant devrait me convaincre que le demandeur n'avait pas à être expressément informé que des mesures disciplinaires étaient envisagées à son égard. Les passages pertinents de l'arrêt Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, se lisent comme suit, aux p. 684 à 687 :

Le juge de première instance et la Cour d'appel n'étaient pas d'accord quant à savoir si on avait donné à l'intimé les motifs de son renvoi et la possibilité d'être entendu.    En Cour du Banc de la Reine, le juge Lawton [...] écrit, à la p. 283:

[TRADUCTION]    Le fait de ne pas s'entendre sur un contrat d'un an, ce qui avait été dès le départ la raison principale des négociations, a entraîné l'échec de celles-ci. Mais les négociations avaient continué jusque-là-- les parties étaient restées en communication et Knight, par l'intermédiaire de son avocat, s'occupait activement de présenter ses arguments au Conseil.    Il se faisait entendre. Au mois d'août, les deux parties avaient dit tout ce qu'elles avaient à dire.

Il a conclu en conséquence que la procédure suivie par le Conseil était équitable.    La Cour d'appel de la Saskatchewan est arrivée à la conclusion qu'on n'avait pas donné à l'intiméles raisons de son renvoi et qu'on ne lui avait pas accordé une audition.    [...] Le juge Sherstobitoff a décidé au nom de la Cour d'appel (à la p. 313):

[TRADUCTION]    Le juge de première instance semble avoir tenu pour acquis que l'appelant savait, ou aurait dû savoir, que s'il ne signait pas un nouveau contrat pour un an il serait renvoyé et nous devons accepter cette conclusion de fait.    Il reste cependant qu'avant son renvoi on ne lui avait jamais dit qu'il serait congédié s'il n'acceptait pas un contrat d'un an.    C'est à tort que le premier juge a considéré la menace implicite de renvoi faite par l'employeur comme un avis de son intention de mettre fin à l'emploi et les négociations échouées comme des motifs de renvoi conformément aux exigences des règles de l'équité procédurale.    On peut difficilement concevoir quelque chose de plus inéquitable envers un employé que de lui dire qu'il doit accepter une menace qu'il aurait dû inférer de la conduite de l'employeur comme un avis en bonne et due forme de l'intention de le renvoyer et qu'il doit considérer la prétendue renégociation d'un contrat d'emploi comme une audition sur l'opportunité de le congédier.    [Je souligne.]

La divergence d'opinion entre les deux cours ne tient donc pas tant au contenu de la communication qu'à l'importance qu'il y a lieu d'attacher aux négociations entre les parties.

[...]


En l'espèce, le juge de première instance a conclu que l'intimé savait ou aurait dû savoir pourquoi son contrat d'emploi ne convenait pas au Conseil et qu'il savait ou aurait dû savoir en outre qu'il serait congédié s'il n'acceptait pas un contrat d'un an.    À mon avis, cette conclusion est largement appuyée par le dossier, ce que la Cour d'appel n'a pas contesté. Je reconnais que la Cour d'appel était préoccupée du fait que l'intimé n'avait jamais étéofficiellement avisé des raisons de son renvoi, mais il me paraît évident que, par suite des rencontres avec le Conseil il en a bel et bien été informé, tantôt directement, tantôt par l'intermédiaire de son avocat. En conformité avec l'art. 2 du contrat d'emploi, l'intiméassistait à la réunion du 30 mai 1983 au cours de laquelle le Conseil a décidé de ne pas reconduire son contrat et il a eu la possibilité de faire des observations s'il le désirait.    De plus, dans le courant de l'été, l'avocat de l'intimé a rencontré le Conseil à deux reprises en vue de négocier un nouveau contrat et toutes les questions paraissaient avoir été réglées, sauf celle de la durée du contrat, car l'intimé désirait une durée minimale de deux ans tandis que le Conseil exigeait un contrat d'un an. Les deux parties semblent avoir étéintransigeantes sur ce point et on peut supposer que c'est ce qui a provoqué l'échec des pourparlers.    Comme j'accepte la conclusion de fait du juge de première instance que les parties « avaient dit tout ce qu'elles avaient à dire » (à la p. 283), exiger du Conseil qu'il donne un avis en bonne et due forme de ses motifs et qu'il tienne une audition n'aurait pas d'autre effet, à mon humble avis, que de lui imposer une exigence de pure procédure contrairement aux principes, précédemment énoncés, de souplesse dans la procédure administrative.

Àmon avis, le Conseil, par des rencontres avec l'intiméet son avocat, s'est rendu suffisamment disponible à des fins de discussion pour que chaque partie puisse faire connaître parfaitement son point de vue.    Cela nous conduit inéluctablement à la conclusion que l'intiméconnaissait les raisons de son renvoi et a eu toutes les possibilités voulues de se faire entendre [je souligne].

[56]             On peut constater que dans Knight, presque trois mois s'étaient écoulés entre le moment où des membres du Board of Education of the Indian School Division No. 19 of Saskatchewan ( « Conseil » ) ont informé l'intimé Knight que son contrat ne serait pas renouvelé et le congédiement. Knight avait eu l'occasion d'être entendu lors d'une séance du Conseil et des négociations s'étaient tenues entre son avocat et le Conseil.

[57]             Les faits de l'affaire dont la Cour est saisie sont très différents. Le 26 février 2004, le demandeur a été rassuré par la lettre de M. Himelfarb, selon laquelle « aucune mesure [le] concernant n'a été annoncée par le gouvernement » . Dans cette lettre, M. Himelfarb ne fait aucune mention du fait qu'un processus pouvant mener à des mesures disciplinaires était en cours, ni ne mentionne quelques motifs d'insatisfaction que ce soit. Entre l'appel téléphonique des représentants du bureau du conseil privé et la destitution, il ne s'est écoulé qu'une fin de semaine (2 jours), alors que le processus de destitution a été beaucoup plus expéditif que dans Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, où les opportunités de faire des représentations étaient multiples et surtout réelles.

L'arrêt Re Cardinal Insurance Co. and Minister of State (Finance)

[58]             Le défendeur soumet en outre que l'expérience professionnelle et politique du demandeur est une circonstance pertinente devant convaincre cette Cour que le demandeur aurait dû savoir que des mesures disciplinaires étaient envisagées et qu'il connaissait le(s) motif(s) d'insatisfaction de l'employeur. Le défendeur se fonde sur des extraits de doctrine et sur l'affaire Re Cardinal Insurance Co. and Minister of State (Finance), précitée, au para. 26 :

Il est constant que la question de savoir s'il y a eu notification convenable au cours d'une procédure quasi judiciaire ou administrative, est subordonnée aux faits de la cause.    L'avocat du procureur général se fonde sur les citations susmentionnées pour soutenir que MM. Mendez et Katzman étaient tous les deux au courant des options qui s'offraient au ministre si celui-ci craignait pour la protection des assurés.    Il a souligné également que M. Mendez, à titre de cadre supérieur hautement expérimenté du domaine de l'assurance, et M. Katzman, à titre d'avocat et d'administrateur avisé d'une compagnie d'assurances, devaient savoir pertinemment quelles mesures le ministre pourrait prendre lorsqu'il a été fait mention du paragraphe 103.2(2) dans sa communication du 28 janvier.    J'accueille ces conclusions.


[59]             Les circonstances de l'affaire Cardinal sont à distinguer de celles dans lesquelles le demandeur se trouvait. Il faut d'abord préciser que dans Cardinal, il ne s'agissait pas d'un congédiement ou d'une destitution, mais d'une décision du ministre d'État aux finances de restreindre le certificat d'enregistrement d'une compagnie d'assurance et de prendre le contrôle des actifs de cette compagnie. En outre, plus de 20 jours s'étaient écoulés entre l'avis d'audition et la prise de décision et plusieurs rencontres s'étaient tenues dans l'intervalle entre les parties et une compagnie tierce intéressée. De plus, la loi faisait clairement état des pouvoirs du ministre dans les cas où l'actif d'une compagnie d'assurance était insuffisant, et l'avis d'audition y référait expressément. Finalement, il ressortait de la preuve que l'un des représentants de la compagnie d'assurance était au courant des mesures à la disposition du ministre. Les circonstances permettaient de conclure que les principes de la justice naturelle n'avaient pas été enfreints par le ministre, la compagnie d'assurance ayant été suffisamment informée et ayant l'occasion de se faire entendre. En résumé, le juge a décidé qu'un défaut mineur à l'avis d'audition ne saurait remettre en question tout le processus, compte tenu des circonstances.


[60]             Ces circonstances ne ressemblent pas du tout à celles de la présente affaire. Il est possible d'imaginer qu'un homme expérimenté comme le demandeur savait depuis longtemps que des mesures disciplinaires étaient envisagées contre lui. Il est envisageable qu'il ait appris ce fait d'une autre source, bien que je n'aie devant moi aucune preuve claire à cet égard. Il est également pensable que l'appel du 27 février le lui ait fait réaliser. L'article du National Post auquel il est fait référence dans la lettre du demandeur à M. Himelfarb a également pu faire comprendre au demandeur que son poste était en jeu. Le fait que le demandeur ait tenu des propos durs à l'endroit de Myriam Bédard, pour ensuite se raviser en vue d'éviter que l'article La Presse n'ait de conséquences sur lui (c'est l'interprétation que donne le défendeur d'un passage du rapport d'enquête, p. 43) pourrait aussi suggérer que M. Pelletier savait qu'il venait de commettre une erreur. Finalement, le communiqué de presse du 1er mars 2004 réfère à une déclaration du ministre Valeri, selon laquelle « [...] le gouvernement examinerait les commentaires du Président de VIA Rail, puis prendrait les mesures qui s'imposent » . Aucune preuve concernant le moment, les circonstances ou le contenu de cette déclaration n'a cependant été produite par le défendeur. Il n'y a pas non plus de preuve que le demandeur en ait eu connaissance et son affidavit, non contredit sur ce point, dit qu'il n'a jamais été informé par le gouvernement du Canada ou VIA Rail que l'on songeait à le destituer (para. 17 et 19). De plus, le procureur du défendeur a affirmé à l'audience qu'au moment où il téléphonait au demandeur le vendredi 27 février 2004, Me Côté ignorait que des mesures disciplinaires étaient envisagées à l'endroit de M. Pelletier. La déclaration en question a-t-elle été faite publiquement ou non? L'a-t-elle été avant ou après l'appel du 27 février 2004? La preuve du défendeur n'apporte pas de réponse permettant d'imputer une connaissance de fait à M. Pelletier. En somme, plusieurs hypothèses peuvent être envisagées mais la Cour ne doit pas se baser sur celles-ci. Ce n'est pas son rôle.


[61]             La Cour doit s'en tenir aux faits et s'abstenir de tenter de deviner l'état d'esprit du demandeur au moment où les faits se sont produits. Il ressort de l'affidavit de M. McCutcheon que le motif de l'appel du 27 février 2004 n'était pas d'informer M. Pelletier du(des) motif(s) d'insatisfaction à son égard, mais plutôt d'obtenir ses explications ou commentaires concernant l'article de La Presse, ou « relativement à l'incident relaté dans un article publié dans le journal La Presse » . Je ne suis pas convaincu que le but de l'appel du 27 février 2004 ait été suffisamment clair. Au contraire, il avait un caractère très général. D'ailleurs, le mandat donné par le greffier du conseil privé à messieurs Côté et McCutcheon était aussi très général ( « obtenir de M. Jean Pelletier [...] [ses] explications et commentaires relativement à l'incident relaté dans un article publié dans le journal La Presse » - Affidavit de Wayne McCutcheon, au para. 2). S'agissait-il d'un appel visant à savoir si M. Pelletier avait été mal cité dans ses propos à l'égard de Mme Bédard? S'agissait-il d'un appel visant à vérifier si M. Pelletier était impliqué dans le départ de Mme Bédard de chez VIA Rail? S'agissait-il plutôt d'un appel visant à l'avertir, à lui reprocher ses propos et à lui faire comprendre qu'il n'aurait pas dû les tenir? S'agissait-il d'un appel concernant des « factures gonflées » par Groupaction?

[62]             Si l'appel visait à entendre en dernier ressort le demandeur quant à d'éventuelles mesures disciplinaires à prendre, aucune contrainte institutionnelle n'empêchait M. Himelfarb de l'écrire dans sa lettre du 26 février, ou à Me Côté de le dire clairement lors de la conversation téléphonique du 27 février 2004. Il eût aussi été possible d'entendre le demandeur le 1er mars 2004, une fois celui-ci informé par le ministre Valeri que des mesures disciplinaires seraient prises. Tant le bureau du conseil privé que le ministre ont préféré laisser planer le doute à cet égard.


[63]             Le procureur du défendeur a plaidé lors de l'audition que Me Côté n'est pas le décideur et ne pouvait pas savoir que des mesures disciplinaires étaient envisagées. Si seule la gouverneure générale en conseil, en sa qualité de décideur, pouvait savoir que des mesures disciplinaires étaient envisagées, je vois mal comment le demandeur pourrait être présumé l'avoir su. À mon avis, l'expérience d'une personne peut certainement remédier à des manquements mineurs à l'équité procédurale n'affectant pas l'ensemble du processus suivi lorsque le processus a globalement été respecté à la lumière de l'ensemble des circonstances. Il faut certes tenir compte de l'expérience du demandeur, mais il faut éviter que ce faisant, les garanties procédurales minimales établies par la Cour suprême soient anéanties. Il y a tout de même un minimum à être rencontré. Avant de retirer ce minimum, il faut que la preuve soit claire et précise. Dans le présent dossier, la preuve révèle que le demandeur n'a pas été informé que la gouverneure générale en conseil envisageait des mesures disciplinaires étant donné les propos prononcés par le demandeur au sujet de Mme Bédard dans l'article de La Presse. Ce n'est que le 1er mars 2005 qu'on l'informait: « [...] qu'une décision serait prise à [son] égard [...] » soit moins de trois heures avant d'être informé de sa destitution par le ministre des transports.

Sommaire de la jurisprudence soumise

[64]             Je crois qu'il faut retenir des extraits précités que ce n'est pas toutes les circonstances que l'employé doit être informé que des mesures disciplinaires sont envisagées à son endroit. Sans être exhaustif, plusieurs facteurs peuvent être considérés, tels que le contexte législatif, le fait qu'un processus disciplinaire soit déjà en marche, les échanges intervenus entre l'employeur et l'employé, l'écoulement du temps et l'expérience de l'employé. Ces circonstances peuvent faire en sorte qu'il devient évident pour l'employé que des mesures disciplinaires sont envisagées à son égard. En somme, il faut tenir compte du contexte.

[65]             En l'espèce, je suis d'avis que les circonstances dans lesquelles se trouvait le demandeur n'ont rien à voir avec celles des affaires Moreau-Bérubé, Knight et Cardinal. Aucun processus disciplinaire n'était en marche dans son cas, et les événements se sont bousculés. L'appel du 27 février 2004 avait un caractère plutôt général et s'apparente plus, selon la preuve, à un appel visant à discuter avec le demandeur qu'à l'entendre en dernier ressort en vue de lui imposer des mesures disciplinaires. Mon analyse de la preuve m'amène à conclure que ni le demandeur, ni son interlocuteur n'avait à l'esprit cette seconde hypothèse.

[66]             Il ressort de la jurisprudence que l'employé qui fait face à des mesures disciplinaires a droit de savoir que le forum auquel il participe vise à l'entendre à ce sujet. Il faut que l'employé saisisse le sérieux de la situation. Cette connaissance peut résulter d'une mention expresse ou du contexte. Autrement, le droit de l'employé d'être mis au courant des raisons de l'insatisfaction de l'employeur et son droit de réponse sont sérieusement affectés. En effet, ce qui devrait être perçu comme l'énoncé des motifs d'insatisfaction en vue de prendre des mesures disciplinaires peut prendre l'allure de simples reproches ou d'une quête de renseignements. Quant au droit de réponse, il est également affecté puisque l'employé ne saisit pas nécessairement l'importance du forum auquel il participe et ne bénéficie pas en conséquence d'une véritable opportunité de faire valoir son point de vue.

[67]             C'est en tenant compte de ce qui précède que je traiterai des deux garanties procédurales minimales applicables en l'espèce.

b)         Le droit de l'employé d'être mis au courant des raisons de l'insatisfaction de l'employeur

i)          Mention expresse

[68]             De façon générale, il ressort de la preuve que le demandeur n'a en aucun temps été expressément informé du(des) motif(s) d'insatisfaction de la gouverneure générale en conseil qui ont mené à sa destitution.


[69]             D'abord, la correspondance échangée par le demandeur et M. Himelfarb entre le 23 février et le 26 février 2004 ne mentionne ni que l'employeur est insatisfait du travail du demandeur, ni motif d'insatisfaction.

[70]             Les affidavits faisant état du contenu de l'appel des représentants du conseil privé du 27 février 2004 ne mentionnent en aucun endroit que le(s) motif(s) d'insatisfaction de la gouverneure général en conseil ont été mentionnés à M. Pelletier. L'affidavit du 27 mai 2004 de M. McCutcheon mentionne que lors de cette conversation téléphonique, son collègue, Me Côté, a expliqué au demandeur « qu'il appelait suite à la publication d'un article au sujet de Myriam Bédard parut (sic) le matin même dans le journal La Presse afin d'obtenir de M. Pelletier des explications ou commentaires concernant cet article » . L'affidavit de M. Pelletier mentionne que Me Côté lui a demandé s'il avait tenu les propos rapportés dans le journal La Presse. Aucune preuve additionnelle relatant le contenu de cette conversation n'a été déposée devant cette Cour.

[71]             Le premier appel du 1er mars de M. Valeri ne mentionne aucun motif d'insatisfaction, bien qu'à partir de ce moment, M. Pelletier est informé qu'une décision sera prise à son égard. Il ressort en outre de la preuve que le demandeur a demandé à M. Valeri de lui faire part du(des) motif(s) d'insatisfaction, ce qui lui a été refusé.

[72]             Même une fois informé que sa charge prendrait fin, le demandeur n'a pas été informé du(des) motif(s), que ce soit à l'occasion du second appel de M. Valeri ou lors d'un appel subséquent de M. Reynolds. Cette preuve n'a pas étécontredite. Finalement, le décret de destitution est silencieux quant au(x) motif(s) de l'insatisfaction de la gouverneure générale en conseil, puisqu'il ne mentionne que la « perte de confiance » de cette dernière à lgard du demandeur. En somme, du 13 février 2004 jusqusa destitution, M. Pelletier n'a en aucun temps été informé expressément du(des) motif(s) d'insatisfaction de l'employeur. C'est d'ailleurs ce qu'indiquent les paragraphes 17 et 19 de l'affidavit du 28 avril 2004 du demandeur, qui n'a pas été contesté.

ii)         Connaissance de fait

[73]             Les faits mentionnés dans l'article de La Presse peuvent se diviser en deux volets. Ces deux volets correspondent aux motifs de la destitution évoqués dans la preuve. D'une part, il y a les allégations de Myriam Bédard à lgard de VIA Rail et du demandeur. Ces allégations sont de plusieurs ordres. Mme Bédard prétend notamment que M. Pelletier et la direction de VIA Rail l'auraient forcéà démissionner (le rapport d'enquête conclura plus tard que Mme Bédard avait volontairement démissionné de chez VIA Rail). Mme Bédard dénonce également l'atmosphère et les façons de faire ayant cours au sein de la société dtat. D'autre part, l'article rapporte les propos tenus par le demandeur à l'endroit de Mme Bédard.


[74]             Pour les raisons qui suivent, je suis d'avis que l'on ne peut pas tenir pour acquis que le demandeur avait une connaissance de fait du(des) motif(s) d'insatisfaction de la gouverneure générale en conseil.


[75]             D'abord, le mémoire du défendeur, sa plaidoirie à l'audience, l'affidavit de M. McCutcheon et le communiqué de presse du 1er mars ne donnent pas tous la même information quant au(x) motif(s) d'insatisfaction de la gouverneure générale en conseil. À l'audience, le défendeur a plaidé que le seul motif d'insatisfaction était les propos qu'a tenus le défendeur à l'endroit de Myriam Bédard. Or, il ressort du paragraphe 11 de l'affidavit de M. McCutcheon que la conversation du 27 février entre Me Côté et le demandeur a porté sur les deux volets de l'article de La Presse. Le communiqué de presse du 1er mars 2004 lie également les deux volets de la conversation et conclut prématurément à la faute du demandeur. Quant au mémoire du défendeur, il mentionne tantôt que la gouverneure générale en conseil était insatisfaite en raison des deux volets de l'article de La Presse ou de plus d'un motif (paras. 16, 17, 23, 38, 39, 40, 44, 48, 49c), 49 d)), tantôt qu'il n'y avait qu'un seul motif. Dans les cas où le mémoire ne mentionne qu'un motif, il appert que le motif unique est tantôt lié à « l'incident relatédans l'article de La Presse » (soit les allégations de Mme Bédard à lgard de VIA Rail et du demandeur) (par. 9, 18), tantôt aux propos tenus par M. Pelletier à lgard de Mme Bédard (paras. 19, 36, 49 b)).    En résumé, le ou les motifs d'insatisfaction de l'employeur ntaient pas clairs. Aussi, il ressort du rapport d'enquête qu'une allégation à la base de la décision était mal fondée et que le décideur a tirédes conclusions prématurées de cette allégation (Voir le rapport d'enquête, p. 153 et le communiqué de presse du 1er mars 2004 : « Il est tout-à-fait inapproprié pour le président d'une société dtat de tenir des propos de la sorte à lgard de quelqu'un qui a mis en lumière des actes répréhensibles en milieu de travail » ). Le procureur du défendeur a d'ailleurs reconnu ce fait à l'audition.

[76]             Le défendeur a soutenu à l'audition que le demandeur connaissait en fait le(s) motif(s) d'insatisfaction de la gouverneure générale en conseil, en se fondant encore sur les affaires précitées Moreau-Bérubéc. N.-B., Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19 et Re Cardinal Insurance Co. and Minister of State (Finance). Le défendeur soutient que le demandeur « savait, ou devait savoir, que les hautes instances gouvernementales manifestaient des motifs d'insatisfaction circonscrits et identifiés à son endroit » .


[77]             Les distinctions faites plus haut entre ces trois arrêts et les faits de l'espèce peuvent être reprises. Ce n'est certes pas dans toutes les circonstances que l'employé doit être informé expressément des motifs d'insatisfaction à son égard. Ici encore, le contexte (la loi, les échanges intervenus entre les parties, la représentation par avocat, l'expérience de l'employé) peut faire en sorte que la personne connaît en fait les motifs d'insatisfaction à son égard, particulièrement s'il n'y a qu'un seul motif et que l'insatisfaction est nécessairement fondée sur un incident isolé. En l'espèce, plusieurs motifs ont pu mener à la destitution de M. Pelletier et ce(s) motif(s) n'ont en aucun temps été clairement énoncés. Même le 1er mars, le Ministre Valeri a refusé d'indiquer au demandeur le(s) motif(s) d'insatisfaction à son égard. Si ce(s) motif(s) avaient été aussi clairs que le prétend le défendeur, àun moment ou à un autre entre le 27 février 2004 et le 1er mars, rien n'empêchait messieurs Côté, McCutcheon, Valeri ou Reynolds de le(s) révéler au demandeur.

c)         La possibilité de répondre

[78]             Tel qu'il appert de l'analyse qui précède, les circonstances ne permettent pas de combler les vices importants inhérents à la procédure suivie en l'espèce pour destituer le demandeur. À mon avis, le demandeur n'a donc pas eu de véritable possibilité de répondre.

[79]             L'appel du 27 février 2004 avait un caractère trop général pour permettre au demandeur de faire valoir son point de vue puisqu'il ne savait pas que ce forum pouvait donner lieu à l'application de mesures disciplinaires, et qu'il ne peut être présumé l'avoir su compte tenu des circonstances. De plus, il ne connaissait pas précisément le(s) motif(s) d'insatisfaction de la gouverneure générale en conseil, et il ne peut être présumé les avoir connus.    En outre, il a disposé de très peu de temps pour se préparer à parler aux représentants du bureau du conseil privé et il n'a pas pu bénéficier des services d'un avocat étant donnéle court laps de temps.

[80]             Les conversations téléphoniques du 1er mars avec messieurs Valeri et Reynolds ne lui ont pas davantage permis de se faire entendre. L'affidavit de M. Pelletier, non contesté sur ce point, dit qu'il n'a pas eu « la chance de répliquer » lors de la première conversation avec M. Valeri. Quant aux appels de M. Reynolds, logés après que le Ministre Valeri eût informé le demandeur de sa destitution, n'ont en rien permis de remédier au défaut de la gouverneure générale en conseil de respecter le droit de réponse du demandeur.


[81]             Finalement, l'extrait suivant de l'arrêt Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, à la p. 675 est éclairant quant à la signification exacte du droit de répondre :

Dans le cas d'une charge occupée selon bon plaisir comme dans celui d'une charge dont on ne peut être renvoyéque pour un motif valable, l'un des buts de l'obligation d'agir équitablement imposée à l'organisme administratif est le même, savoir de permettre à l'employé de tenter d'amener l'employeur à changer d'avis au sujet du congédiement.

[82]             En l'espèce, je ne crois pas que le demandeur ait eu, malgré son expérience, une opportunité véritable d'amener l'employeur à changer d'avis concernant les mesures disciplinaires envisagées à son insu ou de répondre au(x) motif(s) d'insatisfaction. Son droit de répondre a donc été compromis.

[83]             Finalement, il n'appartient pas à cette Cour dvaluer si les raisons invoquées par le demandeur peuvent excuser ses paroles à l'endroit de Mme Bédard, ni de décider si les conclusions du rapport d'enquête sont vraies. La Cour n'a pas non plus à se demander, en décidant si l'employé a eu un droit de réponse, si les justifications du demandeur auraient affecté la décision de la gouverneure générale en conseil. Le juge Dickson a en effet écrit, dans l'affaire Cardinal c. Établissement Kent, précitée, au para 23 :


[...] [J]'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.

***

[84]             En somme, les garanties procédurales minimales applicables en l'espèce n'ont pas été observées à l'endroit du demandeur. Il est important de rappeler que l'obligation dquité procédurale est minimale en ce sens qu'il n'est pas possible d'offrir des garanties moindres (Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19, précité, à la page 683; Nicholson c. Haldimand-Norfolk (Regional) Police Commissioners, précité, au para. 27; Reglin v. Creston (Town), précité, aux para. 43 et 46, Woodley c. Yellowknife Education District No. 1, précité, au para. 22; Charles c. Universitéde Montréal, précité, aux p. 18 et 20).

[85]             Il est difficile d'imaginer des garanties moindres à celles dtre informé des motifs de l'insatisfaction de l'employeur et du droit de répondre. Ainsi, l'argument du défendeur fondésur l'arrêt Baker c. Canada, précité, voulant qu'il faut laisser à l'organisme décisionnel la latitude voulue pour établir ses propres procédures doit être rejeté. Le paragraphe 22 de l'arrêt Baker c. Canada, précité, permet de mettre en lumière la façon dont l'obligation dquité procédurale doit être remplie, même lorsque minimale comme en l'espèce :

Bien que l'obligation d'équité soit souple et variable et qu'elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d'examiner les critères àappliquer pour définir les droits procéduraux requis par l'obligation d'équité dans des circonstances données.    Je souligne que l'idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équitéprocédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur [je souligne].


[86]             L'objectif de la Cour n'est pas d'imposer à la gouverneure générale en conseil des procédures lourdes, coûteuses et incompatibles avec sa nature, mais plutôt dviter que la procédure soit impunément violée sous prétexte de souplesse.

[87]             Je ne crois pas élargir ou restreindre la portée des garanties procédurales minimales applicables dans le cas de personnes nommées à titre amovible en donnant raison au demandeur. La preuve révèle que le processus ntait ni équitable, ni ouvert. Au contraire, il s'est déroulé d'une manière opaque et expéditive, sans que le demandeur ait été informé que des mesures disciplinaires étaient envisagées contre lui. Une fois qu'il a été informé que de telles mesures pourraient être prises, il s'est vu expressément refuser le droit de connaître le(s) motif(s) d'insatisfaction de l'employeur à son endroit et on lui a nié le droit d'y répondre. Pour ces raisons, je suis d'avis que le demandeur n'a pas eu droit aux garanties procédurales.

4. Arguments de dernière minute      

[88]             Lors de leur plaidoirie, les procureurs des deux parties ont soulevé chacun un argument supplémentaire qui n'a pas été traité dans leur mémoire des faits et du droit.

[89]             L'argument du demandeur était qu'étant donné le paragraphe105(6) L.G.F.P. qui prévoit la consultation avec le Conseil d'administration avant que la nomination soit faite, il irait de soi qu'il doit y avoir consultation avant la destitution.


[90]             Le nouvel argument du défendeur est que le Ministre Valéri, lors de la conversation téléphonique du 1er mars 2004, ne pouvait informer le demandeur des motifs d'insatisfaction car il était lié par le secret des délibérations du Cabinet.

[91]             Tel que mentionné, ces deux arguments sont nouveaux et l'autre partie n'a pas eu l'opportunité d'y répondre. Dans l'affaire Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) [2000], 195 F.T.R. 9, [2000] A.C.F. no 1300 (C.F.), aux para. 10 à 12, la juge Tremblay-Lamer écrit:

[...] [L]e procureur de la partie demanderesse a tenté à l'audience de soulever de nouveaux arguments lesquels n'apparaissent aucunement dans son mémoire principal ainsi que dans son mémoire en réplique. [...] À mon avis, une telle démarche par le procureur n'est pas acceptable puisqu'elle préjudicie la partie adverse qui est évidemment prise par surprise. De plus, il est évident que la Cour n'est pas en mesure d'apprécier pleinement le mérite d'un nouveau motif soulevé soudainement à l'audience. [...]

J'accepte qu'il puisse exister des circonstances très particulières où il soit dans l'intérêt de la justice d'entendre un demandeur sur un nouveau motif. Une telle situation requiert, à mon avis, un ajournement afin de permettre au défendeur de se préparer adéquatement. [...]

Une dernière observation: l'économie des Règles de la Cour fédérale 1998 prévoit le dépôt du mémoire à l'appui des motifs invoqués par un demandeur au soutien de la demande d'autorisation et de la demande de contrôle judiciaire. C'est sur la base des motifs soulevés dans ce mémoire et le cas échéant dans le mémoire du défendeur ainsi que le mémoire en réplique que la demande d'autorisation sera ou ne sera pas accordée par un juge de la Cour. Sauf dans des cas exceptionnels, c'est une raison de plus pour laquelle il n'est donc pas approprié, à mon avis, d'écarter les arguments qui ont fait l'objet de l'autorisation pour en présenter de nouveaux à l'audition sans que ceux-ci n'aient fait l'objet du même examen au moment de la demande d'autorisation. [notes omises]


Je partage le point de vue de la juge Tremblay-Lamer. En l'espèce, les arguments nouveaux ont été traités de façon plus que succincte, les procureurs ont été pris par surprise et se sont objectés de part et d'autre. En tout équité, ces objections sont maintenues et la Cour ne n'en tiendra pas compte, les parties n'ayant ni demandé d'ajournement, ni demandé à la Cour de leur permettre de déposer un mémoire supplémentaire à ce sujet.

5.         Le redressement

[92]             Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales énumère les pouvoirs dont la Cour fédérale dispose pour ordonner un redressement dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire :


(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may :

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.


[93]             Le défendeur n'a pas remis en question la compétence de la Cour fédérale à statuer sur les questions en litige, ni à accorder un redressement. Il n'est donc pas nécessaire de traiter longuement de cet aspect. La définition de l'expression « office fédéral » que l'on retrouve l'article 2(1) L.C.F. ne laisse subsister aucun doute à savoir que les décisions de la gouverneure générale en conseil fondées sur une loi fédérale sont des décisions couvertes par cette expression. Plusieurs tribunaux du pays se sont déjà prononcés sur cette question (voir par exemple Saskatchewan Wheat Pool v. Canada (Attorney General), 113 Sask. R. 99, [1993] S.J. 436 (C.A.), aux paras. 8 et 9 ; R. v. Cummins [1997] B.C.J. No. 2540 (C.S.), au para 42; Aviation Roger Forgues c. Canada [1999] J.Q. no 1094 (C.S. Civ.), aux paras. 8 et 9). Une mesure de redressement peut donc être accordée à l'encontre d'une décision prise par la gouverneure générale en conseil et fondée sur la L.G.F.P.. Une décision de la gouverneure générale en conseil prise en violation de l'équité procédurale n'a pas force de loi (Wells c. Terre-Neuve [1999] 3 R.C.S. 199, [1999] A.C.S. no 50) et peut faire l'objet d'un redressement.


CONCLUSION

[94]             La gouverneure générale en conseil avait l'obligation d'agir équitablement dans les circonstances. Cette obligation contient de façon minimale le droit de connaître le ou les motifs d'insatisfaction pouvant justifier la mesure disciplinaire et la possibilité de se faire entendre. Or, la preuve révèle que M. Pelletier n'a pas été informé du ou des motifs d'insatisfaction à son égard et qu'il n'a pas eu la possibilité de se faire entendre. Il n'a pris connaissance des motifs d'insatisfaction justifiant sa destitution que lors de la lecture du communiqué de presse annonçant sa destitution le 1er mars 2004 vers les 15 heures, une fois la décision prise. Les implications du présent dossier vont au-delà des personnes impliquées. Certaines normes liées à la justice fondamentale sont en cause. La gouverneure générale en conseil est tenue, en toute transparence, d'informer une personne nommée à titre amovible que des mesures disciplinaires sont envisagées, de divulguer les motifs d'insatisfaction et de donner à la personne l'opportunité de répondre. C'est un minimum.

[95]             En conséquence, j'ordonne l'annulation du décret de destitution du demandeur de son poste de président du conseil d'administration de VIA Rail. Il n'est pas nécessaire que la Cour déclare en vigueur le décret de nomination, comme le requiert le demandeur, car ce décret n'a pas été subséquemment modifié ou annulé par un décret valide. Donc, le dossier du demandeur doit retourner devant la gouverneure générale en conseil afin de suivre son cours. Aucun frais n'ayant été demandés par la partie demanderesse, il n'y a pas lieu d'en accorder.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-           L'annulation du décret de la gouverneure générale en conseil daté du 1er mars 2004 (portant le numéro C.P. 2004-158) et le dossier du demandeur est retourné à la gouverneure générale en conseil.

              "Simon Noël"                

         Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                T-668-04

INTITULÉ :               JEAN PELLETIER et PROCUREUR GÉNÉRAL                                                               DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                            31 octobre et 1er novembre 2005

MOTIFS :                 L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   Le 18 novembre 2005

COMPARUTIONS :

Me Suzanne Côté                                              POUR LA DEMANDERESSE

Me Patrick Girard

Me Jacques Jeansonne                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Me Alberto Martinez

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliot                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Deslauriers Jeansonne                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)


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