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Date : 20050805

Dossier : IMM-7356-04

Référence : 2005 CF 1070

Ottawa (Ontario), le 5 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

YULIA GISINSKY

MICHAEL GISINSKY

BEN GISINSKY (aussi appelé BEN GAISINSKI)

ALEKS GAISINKI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 24 juillet 2004, a statué que les demandeurs n'étaient pas des « réfugiés au sens de la Convention » ni des « personnes à protéger » aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]                Yulia Gisinsky, son époux Aleks Gisinsky et leurs fils Michael et Ben sont tous citoyens d'Israël. Yulia Gisinsky (la demanderesse) a été désignée pour représenter son fils mineur Ben. Les demandeurs fondent leur revendication sur leur nationalité, soit la nationalité ukrainienne, et leur appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire une famille issue d'un mariage mixte. En outre, Yulia, Michael et Ben fondent également leur revendication sur la religion, puisque ce sont des chrétiens orthodoxes. Quant à Michael (le fils adulte), il fonde sa revendication sur une objection de conscience puisqu'il a refusé de servir dans les Forces de défense d'Israël (IDF). Les demandeurs prétendent également qu'ils seraient personnellement exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[3]                La demanderesse allègue qu'en tant qu'épouse non juive d'un juif d'Ukraine, elle a fait l'objet de harcèlement et d'agressions physiques de la part des membres du Shass qui ont exercé sur elle des pressions pour qu'elle se convertisse et qui ont menacé de mettre le feu à sa maison. Elle allègue qu'elle a eu de la difficulté à trouver un emploi compte tenu de sa religion et de sa nationalité, qu'on a porté atteinte à sa liberté de culte, du fait qu'elle a été tenue de travailler le dimanche, et qu'elle serait exposée à un préjudice grave si elle devait retourner en Israël. Par ailleurs, le fils adulte allègue qu'il refuse de servir dans l'armée compte tenu de sa religion, et il a dit qu'il est un objecteur de conscience quant aux activités que l'IDF mène contre des civils dans les territoires occupés et qu'il est un pacifiste. Il allègue qu'il serait envoyé en prison pour une sentence pouvant aller jusqu'à dix ans s'il refusait de servir dans l'armée.

[4]                La Commission a d'abord conclu qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse que des non-juifs originaires de l'ancienne Union soviétique, des chrétiens ou des familles issues de mariage mixte, comme celle des demandeurs, soient persécutés ou qu'ils puissent être exposés à un risque de torture, fondé sur des motifs sérieux, à une menace à leur vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités à leur retour en Israël. Cette dernière conclusion n'a pas été contestée par les demandeurs. Par conséquent, la seule question en litige dans la présente instance est celle de savoir si la Cour devrait infirmer la deuxième partie de la décision contestée dans laquelle la Commission a conclu que le fils adulte n'avait pas établi, d'après la prépondérance des probabilités, qu'il est un objecteur de conscience ou un pacifiste et, par conséquent, qu'il n'y a pas de possibilité sérieuse qu'il soit persécuté pour un motif prévu dans la Convention s'il devait retourner en Israël.

[5]                Les éléments pertinents de la décision de la Commission traitant de la question de l'objecteur de conscience ou du pacifiste sont les suivants :

Michael Gusinsky a affirmé avoir reçu à partir de l'âge de 16 ans trois avis de mobilisation en Israël. Il a eu 18 ans le 3 avril 2004. Selon le demandeur, il aurait dit à l'agent qu'il l'a interviewé qu'il ne voulait pas servir dans l'armée parce que la Bible lui interdisait de tuer. Il aurait en outre déclaré q'il était opposé au recours à la force contre les civils, chose à laquelle les Forces de défense israéliennes se livraient dans les territoires occupés. Il a affirmé être contre la violence et le port d'armes.

Au moment d'évaluer la crédibilité du demandeur en ce qui concerne ses objections à servir dans les forces militaires, j'ai tenu compte des facteurs suivants. Le demandeur fréquentait rarement l'église en Israël, il n'a pas fait connaître ses opinions publiquement et il n'avait été en contact avec aucun groupe ou individu pacifiste ou défendant l'objection de conscience en Israël. Le demandeur a déclaré qu'il n'était pas nécessaire de fréquenter l'église pour être un vrai croyant. Je reconnais que cela peut être le cas, mais il s'agit d'une des façons de mesurer la foi, et le demandeur n'a fourni aucune explication concernant sa croyance religieuse, si ce n'est qu'il a déclaré que la Bible lui interdisait de tuer. Le demandeur a eu de la difficulté à répondre à bon nombre des questions qui lui ont été posées. Je reconnais que le demandeur est très jeune, mais il prétend adhérer à un système de croyances, et cette adhésion ne peut être évaluée qu'à partir de la façon dont il explique les croyances en question ou à partir de son association avec des personnes ou groupes ayant les mêmes croyances.

J'ai tenu compte également du fait que Michael et ses parents sont arrivés au Canada en novembre 2002. Ils ont eu une entrevue concernant l'octroi du statut d'immigrant le 4 décembre 2002. Peu après, on a rejeté leurs demandes au motif qu'ils ne satisfaisaient pas aux critères d'octroi du statut d'immigrant. Les demandeurs sont rentrés en Israël. Ils sont revenus au Canada en juin 2003 et ont soumis des demandes d'asile en juillet. En novembre 2002, au moment de leur entrevue concernant l'octroi du statut d'immigrant, Michael avait 16 ans. Il avait reçu son premier avis de mobilisation en septembre 2002, avant que les demandeurs arrivent au Canada en novembre. Je crois qu'il aurait été raisonnable, si Michael avait été un objecteur de conscience ou un pacifiste, qu'il soumette une demande d'asile en novembre 2002. En supposant que les membres de la famille s'attendaient à obtenir le statut d'immigrant, je crois que lorsque leur demande a été rejetée, ils ont pensé à soumettre des demandes d'asile. Je constate que Michael d'âge mineur à l'époque. Cependant, il prétend avoir été un objecteur de conscience et un pacifiste depuis l'âge de 16 ans. J'ai la conviction que lui-même ou ses parents auraient soumis une demande d'asile s'il avait voulu éviter de servir dans les forces militaires israéliennes pour les raisons qu'il a énoncées.

Pour les raisons que j'ai déjà indiquées, je conclus que Michale Gusinsky n'a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu'il est un objecteur de conscience ou un pacifiste et, par conséquent qu'il n'existe pas de possibilités sérieuses qu'il soit persécuté pour un motif prévu dans la Convention s'il retourne en Israël.

[6]                En l'espèce, les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur de fait manifeste en assumant que leur fils adulte était présent au Canada en novembre 2002. Ce point a été concédé par le défendeur. Cela dit, compte tenu de l'importance relative qui a été accordée à ce dernier élément dans la décision contestée, les demandeurs font valoir que cette erreur entache de façon importante la conclusion tirée par la Commission. Les demandeurs allèguent de plus que la Commission n'a pas tenu compte de leurs explications à l'égard de la raison pour laquelle leur fils adulte ne fréquentait pas l'église et ne manifestait pas publiquement ses croyances chrétiennes alléguées. En fait, la demanderesse ne pouvait pas avoir congé le dimanche et, par conséquent, Michael ne pouvait pas se rendre à l'église qui est située dans une autre ville. De plus, Michael ne conduisait pas de voiture et il était trop dangereux de prendre l'autobus en raison des bombardements.

[7]                À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le fils adulte n'est pas un véritable objecteur de conscience en raison de l'absence de preuve crédible. Bien que la Commission ait commis une erreur de fait en supposant que Michael accompagnait ses parents quand ils sont venus pour la première fois au Canada en novembre 2002, cela en soi n'est pas suffisant pour faire de la conclusion principale de la Commission une conclusion manifestement déraisonnable. En fait, il ressort de la lecture des motifs ci-dessus que la Commission a tenu compte de plusieurs autres facteurs pertinents, notamment du fait que Michael se rendait rarement à l'église en Israël, qu'il n'a pas fait connaître publiquement ses opinions et qu'il n'a pas établi de contact avec des groupes d'objecteurs de conscience ou de pacifistes, ni avec des individus appartenant à des groupes de ce genre en Israël. La Commission a également tenu compte du fait que Michael avait de la difficulté à donner des réponses à des questions simples concernant ses croyances alléguées.

[8]                La Commission est beaucoup mieux placée que la Cour pour établir s'il y avait suffisamment de preuve pour appuyer les allégations voulant que le fils adulte était un objecteur de conscience ou un pacifiste. Il ne s'agit pas simplement d'affirmer que l'on craint d'être persécuté pour un motif particulier, en l'espèce parce qu'on est un objecteur de conscience ou un pacifiste. La Commission a le droit d'examiner les gestes posés par le demandeur. Ce qui est important en l'espèce, c'est le fait que la Commission a conclu qu'il n'y avait pas de manifestation extérieure, pas d' « indice » de ses convictions. Cela est certainement un facteur pertinent. La Commission n'était pas obligée de mentionner expressément, dans ses motifs, les explications des demandeurs, à moins que celles-ci n'aient eu un effet sur le raisonnement de la Commission dans la présente affaire. Cela n'est manifestement pas le cas en l'espèce. Par conséquent, je rejette également la prétention des demandeurs selon laquelle l'omission de la Commission d'énumérer toutes les explications qu'ils ont fournies rend sa décision définitive manifestement déraisonnable.

[9]                En conclusion, la présente demande doit être rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été proposée aux fins de la certification et aucune ne sera certifiée par la Cour.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7356-04

INTITULÉ :                                        YULIA GISINSKY

                                                            MICHAEL GISINSKY

                                                            BEN GISINSKY (aussi appelé BEN GAISINSKI)

                                                            ALEKS GAISINKI

demandeurs

                                                            et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 3 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                          LE 5 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Gary Mazin                                                       Pour les demandeurs

Stephen Jarvis                                                   Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gary Mazin

Avocat

Toronto (Ontario)                                              Pour les demandeurs

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    Pour le défendeur

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