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SECRET

Date : 20200505

Dossier : IMM-2967-19

Référence : 2020 CF 584

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2020

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ATTILA KISS et ANDREA KISS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFSCONFIDENTIELS

I.  Aperçu

[1]  Attila et Andrea Kiss sont mari et femme. Ils sont des citoyens hongrois d’ethnie rom et habitent à Budapest.

[2]  Les Kiss ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision rendue le 2 avril 2019 par un agent [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC]. L’agent a annulé les autorisations de voyage électroniques [les AVE] des Kiss, les empêchant d’embarquer sur un vol d’Air Canada Rouge à destination du Canada.

[3]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] sollicite, en vertu de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], une ordonnance interdisant la divulgation d’extraits des notes de la décision de l’agent. Ces extraits révèlent la nature de certains « indicateurs » qui ont motivé la décision de l’agent d’annuler l’AVE des Kiss.

[4]  Le ministre a déposé l’affidavit confidentiel d’un employé de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’auteur de l’affidavit] pour expliquer les raisons de la non-divulgation des « indicateurs ». Le 21 janvier 2020, la Cour a convoqué une audience à huis clos et ex parte pour permettre à l’auteur de l’affidavit de témoigner oralement et à l’avocate du ministre de présenter des observations orales. La Cour n’a pas jugé nécessaire de nommer un avocat spécial.

[5]  À la fin de l’audience à huis clos et ex parte, la Cour a invité le ministre à réexaminer s’il était nécessaire de maintenir la confidentialité de tous les extraits des notes de l’agent qui font l’objet de la requête. Le 2 mars 2020, le ministre a déposé un mémoire confidentiel des arguments dans lequel il convient que certains des renseignements en cause ne pouvaient pas être protégés, mais confirme les autres objections à la divulgation.

[6]  À une exception près, le ministre n’est pas fondé à s’opposer à la divulgation des « indicateurs » sur lesquels s’appuie l’agent, étant donné que les renseignements sont déjà dans le domaine public. La requête est accueillie en partie seulement.

II.  Contexte

[7]  Les Kiss avaient prévu de voyager au Canada pour visiter la sœur d’Andrea, Edit, qui vit à Toronto. Edit et sa famille ont été acceptées au Canada en tant que réfugiés au sens de la Convention. Andrea avait déjà rendu visite à Edit en 2017 munie d’une AVE et n’avait rencontré aucun problème. Elle est restée près de trois mois avec sa sœur. L’AVE d’Andrea était valide jusqu’en 2022.

[8]  Le 11 janvier 2019, Attila a également obtenu une AVE pour voyager au Canada. Une semaine plus tard, les Kiss ont acheté des billets aller-retour au départ de Budapest le 2 avril et avec un retour prévu pour le 3 juin 2019.

[9]  Le 2 avril 2019, les Kiss sont arrivés au comptoir d’enregistrement d’Air Canada Rouge à l’aéroport international de Budapest. La compagnie aérienne avait embauché du personnel de BUD Security Kft [BudSec] pour effectuer la vérification préalable des documents de voyage des passagers. Un employé de BudSec a demandé aux Kiss de produire leurs documents et de répondre aux questions sur leur voyage prévu, notamment en ce qui concerne la durée de leur voyage, les personnes chez qui ils resteraient et la question de savoir s’ils avaient une lettre d’invitation.

[10]  L’employé de BudSec a autorisé les Kiss à poursuivre leur chemin. Cependant, avant de pouvoir effectuer l’enregistrement, une autre employée de BudSec les a convoqués pour leur poser plus de questions. Elle a également examiné les documents des Kiss puis est partie pour passer un appel téléphonique. À son retour, elle a informé les Kiss que leurs AVE avaient été annulées.

[11]  Les Kiss ont interrogé l’employée de BudSec sur les raisons de l’annulation de leurs AVE. À l’insu de l’employée, les Kiss ont enregistré la conversation. L’employée de BudSec a mentionné un certain nombre de préoccupations découlant des réponses des Kiss à ses questions. L’employée a également précisé que la décision d’annuler les AVE avait été prise par un agent d’immigration et non par elle.

[12]  À leur retour à la maison, les Kiss ont trouvé deux courriels d’IRCC en date du 2 avril 2019 les informant que leurs AVE avaient été annulées.

[13]  Le 10 mai 2019, les Kiss ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’annuler leurs AVE. Les Kiss allèguent que les « indicateurs » utilisés pour identifier les voyageurs hongrois d’origine rom ou les voyageurs associés aux Roms sont discriminatoires. Ils affirment que le fait qu’IRCC s’appuie sur ces « indicateurs » a nui à un grand nombre de voyageurs qui sont des ressortissants hongrois d’ethnie rom, et ils espèrent créer un précédent pour mettre fin à cette pratique.

[14]  Le 11 juillet 2019, le ministre a déposé une requête écrite en vue d’obtenir un jugement annulant la décision de l’agent pour des motifs d’équité procédurale et renvoyant l’affaire à un autre décideur pour nouvelle décision. Les Kiss auraient l’occasion de présenter des observations supplémentaires.

[15]  Les Kiss se sont opposés à la requête en jugement du ministre. Dans une correspondance envoyée à la Cour le 17 juillet 2019, ils ont affirmé que l’annulation de leurs AVE était illégale et que les mesures de réparation proposées par le ministre étaient inadéquates. La requête en jugement du ministre a été rejetée par la juge Elizabeth Heneghan le 1er octobre 2019.

[16]  Le 16 octobre 2019, le ministre a signifié et déposé une requête en interdiction de divulgation d’extraits des notes de l’agent produits en vertu de l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22.

[17]  Les extraits des notes de l’agent que le ministre cherche à protéger sont reproduits en caractères gras ci-dessous :

[traduction] [...] déclarent que le but de la visite est le tourisme, mentionnent les chutes du Niagara et la tour CN, mais ne sont pas en mesure d’expliquer ce qu’ils feront d’autre pendant trois mois – ont des emplois manuels, ont fourni une lettre de l’employeur en date de décembre 2018 indiquant l’emploi alors occupé, mais ne sont pas en mesure d’expliquer comment ils peuvent prendre trois mois de congé – liens faibles avec leur pays d’origine, ne possèdent pas de maison ni de bail à long terme – voyagent avec 2 000 $CAN en espèces, aucun accès à d’autres fonds – aucun bagage enregistré pour un voyage de trois mois; l’épouse déclare que sa sœur a tout acheté pour eux – l’épouse s’est déjà rendue au Canada pour trois mois à des fins touristiques en 2017, mais n’a pas été en mesure d’expliquer ce qu’elle a fait; premier voyage pour l’époux – hôtes identifiés comme |||||||||||||||||||| et ||||||||||||||||||||, réfugiés au sens de la Convention qui sont arrivés Canada par des moyens irréguliers en 2015 et 2016 respectivement|||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[18]  Les notes qui ont été divulguées aux Kiss comprennent la déclaration suivante :

[traduction] Se fondant sur ces indicateurs, [l’agent] a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les sujets ne respecteront pas les conditions imposées à l’entrée au Canada aux résidents temporaires et ne quitteront pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

III.  La question en litige

[19]  La seule question soulevée par la présente requête est celle de savoir si la divulgation des « indicateurs » sur lesquels se fonde l’agent pour annuler les AVE des Kiss porterait atteinte à la sécurité nationale du Canada.

IV.  Analyse

[20]  Le ministre soutient que la divulgation des « indicateurs » donnerait à ceux qui souhaitent échapper à l’attention des fonctionnaires canadiens les moyens de le faire. Les Kiss répondent que les renseignements que le ministre refuse de divulguer sont déjà publics et ne peuvent donc pas porter atteinte à la sécurité nationale (citant Teva Canada Limited c Janssen Inc., 2017 CF 437, par. 6).

[21]  L’article 87 de la LIPR dispose :

87 Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. L’article 83 s’applique à l’instance et à tout appel de toute décision rendue au cours de l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé.

87 The Minister may, during a judicial review, apply for the non-disclosure of information or other evidence. Section 83 — other than the obligations to appoint a special advocate and to provide a summary — applies in respect of the proceeding and in respect of any appeal of a decision made in the proceeding, with any necessary modifications.

[22]  Voici les dispositions pertinentes de l’article 83 de la LIPR :

83 (1) Les règles ci-après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

[…]

d) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

83 (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

(d) the judge shall ensure the confidentiality of information and other evidence provided by the Minister if, in the judge's opinion, its disclosure would be injurious to national security or endanger the safety of any person

[23]  Les « renseignements » auxquels renvoient ces dispositions sont définis comme suit à l’article 76 de la LIPR :

Renseignements Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d’un État étranger, d’une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l’un de leurs organismes. (renseignements)

Information means security or criminal intelligence information and information that is obtained in confidence from a source in Canada, the government of a foreign state, an international organization of states or an institution of such a government or international organization. (information)

[24]  Dans Nadarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1112 (par. 17 et 18), le juge Yves de Montigny s’est penché sur les intérêts opposés quant au droit du public à la publicité des débats judiciaires et au besoin de l’État de protéger des renseignements et ses sources :

L’État a grandement intérêt à protéger la sécurité nationale et à protéger ses services de renseignements. La divulgation de renseignements confidentiels est susceptible d’avoir une incidence négative sur la capacité des organismes d’enquête de s’acquitter de leur mandat en matière de sécurité nationale. D’ailleurs, notre Cour a reconnu, dans l’affaire Henrie c. Canada (C.S.A.R.S.), [1989] 2 C.F. 229, que la non-divulgation des renseignements relatifs à la sécurité nationale constitue une exception importante au principe de la publicité des débats judiciaires.

La Cour suprême du Canada et d’autres juridictions ont reconnu de façon constante l’importance de l’intérêt de l’État à mener des enquêtes en matière de sécurité nationale, de même que le fait que l’intérêt qu’a la société en ce qui concerne la sécurité nationale est susceptible de restreindre la communication des renseignements aux personnes visées par leur non-divulgation. Dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, la Cour a préconisé l’application d’une norme de contrôle judiciaire empreinte de déférence si le ministre est en mesure de démontrer que la divulgation permet raisonnablement de conclure que la sécurité du Canada serait compromise.

[25]  L’article 87 de la LIPR ne permet pas à la Cour de mettre en balance les intérêts publics en matière de divulgation et de confidentialité. À cet égard, et à d’autres égards, l’article 87 de la LIPR est différent de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, RSC 1985, c C-5 (Soltanizadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 114 [Soltanizadeh (CF)], par. 34, inf. pour d’autres motifs (Canada (Procureur général) c Soltanizadeh, 2019 CAF 202). Par conséquent, la seule question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la divulgation des « indicateurs » atteinte à la sécurité nationale. Le cas échéant, la Cour doit veiller à ce que les renseignements ne soient pas divulgués. La pertinence des renseignements caviardés pour la demande de contrôle judiciaire sous-jacente n’a aucune importance (Soltanizadeh (CF), par. 35).

[26]  Les renseignements dont le ministre cherche à empêcher la divulgation ne portent pas sur des sources confidentielles, des cibles de surveillance, l’identité de personnes ou de membres d’organisations qui peuvent constituer des menaces à la sécurité nationale ou des renseignements reçus à titre confidentiel d’États étrangers. Les renseignements que le ministre souhaite protéger se limitent aux méthodes ou aux techniques d’enquête utilisées par les agents d’immigration pour identifier les personnes qui peuvent fournir des fausses déclarations de leurs intentions en ce qui concerne leur voyage au Canada.

[27]  La norme pour trancher une demande de non-divulgation en vertu de l’article 87 de la LIPR a été expliquée en détail par le juge Richard Mosely dans Soltanizadeh (CF) :

[20] Comme il ressort du texte, l’article 87 de la Loi ne contient aucune norme pour trancher une demande de non-divulgation, outre le renvoi à l’article 83 de la Loi. Cet article prévoit, entre autres choses, que le juge (défini à l’article 76 de la LIPR comme le juge en chef ou un juge désigné de la Cour fédérale) doit, à la demande du ministre, tenir une audience à huis clos si, selon lui, la divulgation de renseignements pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Il incombe au juge de garantir la confidentialité des renseignements ou d’autres éléments de preuve si, selon lui, leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. J’ai souligné ces mots parce qu’ils décrivent la nature de la discrétion que le législateur a accordée au juge désigné et parce que la distinction à faire entre « pourrait » et « porterait » ou « incombe » dans le texte de loi est importante.

[21] Comme la juge Dawson l’a expliqué dans la décision Jaballah (Re), 2009 CF 279, 340 FTR 43, aux paragraphes 8 à 10 [Jaballah], la décision de tenir une audience à huis clos en vertu de l’article 83 est discrétionnaire. Mais, dès lors que le juge désigné conclut que la divulgation porterait atteinte à la sécurité, il lui incombe, en vertu de l’alinéa 83(1)d) de la Loi, de garantir la confidentialité des renseignements. Le ministre a le fardeau de prouver que la divulgation « porterait » atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Il s’agit d’une norme plus rigoureuse que celle servant à décider si une audience à huis clos est requise, pour laquelle le terme permissif « pourrait » vient qualifier le verbe « porter ».

[22] L’expression « selon lui », « lui » s’entendant du juge, se trouve souvent dans les lois et confère au juge un large pouvoir discrétionnaire. […]

[…]

[51] La Cour suprême du Canada a renvoyé au « rôle de gardien » des juges désignés : arrêt Harkat, précité, paragraphe 46. En appliquant l’article 83 de la LIPR, elle a déclaré que le juge doit « être vigilant et sceptique quant aux allégations du ministre relatives à la confidentialité » en raison de la « propension du gouvernement à exagérer les réclamations de confidentialité fondées sur la sécurité nationale » : Harkat, paragraphe 63.
[…]

[52] Il y a lieu de faire preuve de retenue envers l’évaluation que fait le ministre du préjudice dès lors qu’il a produit une preuve étayant raisonnablement la conclusion que la divulgation des renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale : Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 1082, paragraphe 31 (appel accueilli quant à la nomination d’un ami de la cour, 2011 CAF 223, paragraphe 63).

[Souligné dans l’original.]

[28]  Le juge Mosely a également mis en garde contre l’application trop facile de la décision Henrie c Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 CF 229, de notre Cour, vu la date de ce précédent et l’évolution subséquente du droit et de la pratique en matière de sécurité nationale. En ce qui concerne l’« effet de mosaïque » souvent cité, le juge Mosely a déclaré : « la simple affirmation selon laquelle les renseignements peuvent être utiles pour un lecteur bien informé n’est pas suffisante. Il doit y avoir un fondement probatoire raisonnablement présenté et qui semble logique pour le juge : Canada (Procureur général) c Almalki, 2010 CF 1106, paragraphes 115 à 119. »

[29]  Le ministre ne peut demander la non-divulgation de renseignements qui sont déjà dans le domaine public (Alemu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997, par. 16). Il n’y a aucune allégation en l’espèce de divulgation involontaire ou non autorisée.

[30]  Le ministre convient que certaines questions posées à d’autres ressortissants hongrois qui ont tenté sans succès de se rendre au Canada ont déjà été divulguées en réponse à des demandes d’accès à l’information [DAI]. Le ministre a fourni trois réponses de DAI confirmant la divulgation antérieure de questions concernant :

  • le but du voyage au Canada;

  • la relation entre les personnes qui voyagent ensemble;

  • l’identité de l’hôte prévu du voyageur au Canada et la nature de leur relation;

  • la présentation d’une demande de statut de réfugié par l’hôte prévu du voyageur;

  • les antécédents de travail et d’emploi du voyageur;

  • la durée de la visite prévue au Canada;

  • la façon dont le voyageur s’est arrangé pour être absent du travail pendant la durée du voyage prévu;

  • la manière dont le billet du voyageur a été acheté et par qui;

  • les fonds dont dispose le voyageur;

  • l’existence d’une lettre d’invitation pour le voyageur;

  • la quantité de bagages accompagnant le voyageur, et si les bagages sont enregistrés ou à main;

  • si le but déclaré du voyage est le tourisme, la capacité du voyageur à indiquer les endroits à visiter.

[31]  Dans l’affidavit déposé à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, Andrea Kiss déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

L’agente [de BudSec] nous a demandé :

a)  de présenter nos documents;

b)  où nous nous rendions;

c)  combien de temps nous comptions demeurer au Canada;

d)  chez qui nous nous rendions;

e)  si ma sœur ou les membres de sa famille travaillaient;

f)  où Attila et moi travaillions;

g)  depuis combien de temps nous travaillions;

h)  quel était le titre du poste d’Attila;

i)  combien d’argent nous avions au total en dollars canadiens sur nous et en forints hongrois dans nos comptes bancaires;

j)  ce que nous avions l’intention de faire au Canada « pendant trois mois » (l’agente ne semblait pas comprendre que nous serions en voyage seulement pendant deux mois et un jour);

k)  pourquoi nous voyagions avec des bagages à main et sans bagages enregistrés;

l)  depuis combien de temps ma sœur et sa famille vivaient au Canada;

m)  quel était le statut de ma sœur et de sa famille au Canada.

[32]  Les Kiss ont enregistré leur conversation avec l’employée de BudSec. En réponse à la question [traduction« quel est le problème », l’employée a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je pensais [...]  Beaucoup de choses [...] Par exemple, le fait que vous n’avez pas de bagage enregistré, mais pour moi, c’est vraiment plus, hmmm, plusieurs facteurs, mais surtout beaucoup de petites choses.

[…]

Oui, c’est bizarre aussi que vous voyagiez pendant 3 mois. Et je dis que le plus gros problème est [...] que la personne chez laquelle vous voyagez n’a aucun statut.

[33]  Les Kiss s’appuient également sur un rapport traduit publié par le commissaire adjoint à la protection des droits des minorités nationales en Hongrie (Erzsébet Szalayné-Sándor, [TRADUCTION] « Le contrôle préliminaire des passagers de vols internationaux avant l’embarquement à l’aéroport aux fins de conformité avec la législation sur l’immigration du pays de destination », juillet 2016) [traduction anglaise du nom du rapport fournie par les demandeurs], qui indique ce qui suit :

[traduction] À l’aéroport de Budapest, BUD Security Kft., une filiale de l’aéroport de Budapest Zrt., mène des activités liées à la sûreté aérienne conformément à la législation hongroise et européenne, y compris ce qu’on appelle le contrôle de sécurité aérienne, qui touche directement les passagers aériens. […] Selon les renseignements fournis par la BUD Security Kft., au cours des activités susmentionnées, les employés vérifient les documents des passagers ayant l’intention de se rendre au Canada afin de déterminer s’ils sont en la possession du passager et si tous les documents relatifs au voyage et à l’entrée prévue au Canada (par exemple, passeport, billet d’avion, visa et lettre d’invitation d’un employeur ou autre) sont authentiques et non frauduleux. La vérification va néanmoins au-delà des documents et de l’examen de la situation personnelle du passager. En effet, les passagers sont interrogés sur les points suivants : les conditions d’emploi du passager, la situation sur le plan des revenus, les propriétés immobilières, la famille en Hongrie, les relations familiales au Canada et les ressources financières mises de côté pour le voyage.

Au cours de la vérification, le personnel chargé de la vérification cherchait à déterminer, en fonction des réponses fournies aux questions, ce qui suit :

  • si la personne interrogée fait des déclarations qui contredisent ses documents;

  • le véritable objectif du voyage de la personne interrogée;

  • la relation réelle avec la personne qui les invite;

  • si elle dispose de fonds suffisants pour couvrir son séjour prévu à l’étranger;

  • s’il y a des circonstances en Hongrie (par exemple, manque de revenus et de travail réguliers) qui permettent de conclure que la personne interrogée n’a pas l’intention de retourner en Hongrie.

Les réponses aux questions susmentionnées pourraient confirmer le soupçon de l’agent de BUD Security Kft. selon lequel le véritable objectif de la personne interrogée n’est pas de visiter, mais plutôt d’immigrer, ou d’occuper un emploi au Canada, même si elle ne possède pas les documents nécessaires (par exemple, un visa).

[34]  La Cour a demandé à l’auteur de l’affidavit s’il avait pris connaissance de l’affidavit d’Andrea Kiss, de la conversation enregistrée entre les Kiss et l’employée de BudSec, ou du rapport du commissaire adjoint à la protection des droits des minorités nationales en Hongrie. Il a répondu par la négative. On a offert à l’avocate du ministre la possibilité de poser d’autres questions à l’auteur de l’affidavit, mais elle a refusé de le faire. Le ministre n’a pas déposé d’autres affidavits à la suite de l’audience à huis clos et ex parte, et le mémoire confidentiel des arguments du ministre ne traite pas sur la divulgation antérieure des « indicateurs » habituellement utilisés par les agents d’immigration pour évaluer la bonne foi des voyageurs hongrois au Canada.

[35]  À une exception près, le ministre n’est pas fondé à s’opposer à la divulgation des « indicateurs » sur lesquels s’appuie l’agent, étant donné que les renseignements sont déjà dans le domaine public. En particulier, la preuve dont dispose la Cour est insuffisante pour démontrer que la divulgation des extraits suivants des notes de l’agent, reproduits en caractères gras ci-dessous, serait préjudiciable à la sécurité nationale du Canada :

[traduction] [...] déclarent que le but de la visite est le tourisme, mentionnent les chutes du Niagara et la tour CN, mais ne sont pas en mesure d’expliquer ce qu’ils feront d’autre pendant trois mois – ont des emplois manuels, ont fourni une lettre de l’employeur en date de décembre 2018 indiquant l’emploi alors occupé, mais ne sont pas en mesure d’expliquer comment ils peuvent prendre trois mois de congé – liens faibles avec leur pays d’origine, ne possèdent pas de maison ni de bail à long terme – voyagent avec 2 000 $CAN en espèces, aucun accès à d’autres fonds – aucun bagage enregistré pour un voyage de trois mois; l’épouse déclare que sa sœur a tout acheté pour eux – l’épouse s’est déjà rendue au Canada pour trois mois à des fins touristiques en 2017, mais n’a pas été en mesure d’expliquer ce qu’elle a fait; premier voyage pour l’époux – hôtes identifiés comme |||||||||||||||||||| et ||||||||||||||||||||, réfugiés au sens de la Convention qui sont arrivés Canada par des moyens irréguliers en 2015 et 2016 respectivement [...]

[36]  Non seulement ces « indicateurs » sont connus du public, mais ils sont aussi en grande partie une question de bon sens. Le ministre tente de faire une distinction entre les questions posées aux voyageurs et les inférences tirées par les agents d’immigration à partir des réponses fournies. Toutefois, les conclusions que le ministre cherche à protéger en l’espèce ont déjà été divulguées dans des documents accessibles au public ou sont implicites dans les questions elles-mêmes.

[37]  Les éléments de preuve présentés dans la présente instance n’établissent pas que l’utilisation de l’indicateur suivant est connue du public; il n’est pas non plus logiquement évident :

|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

[38]  L’affirmation du ministre selon laquelle la divulgation de cet indicateur porterait atteinte à la sécurité nationale trouve un certain appui dans les éléments de preuve présentés par l’auteur de l’affidavit. La Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision du ministre selon laquelle cet indicateur ne devrait pas être divulgué.

[39]  Les Kiss affirment que les indicateurs invoqués par l’agent sont discriminatoires et donc illégaux. Il serait douteux que le ministre puisse se prévaloir de l’article 87 de la LIPR pour maintenir la confidentialité d’une pratique illicite et discriminatoire (voir Russell c Canada (Procureur général), 2019 CF 1137, par. 31 et 32). Le seul indicateur dont la Cour a jugé qu’il mérite une protection n’est pas lié à une caractéristique immuable des Kiss et ne témoigne pas d’une pratique discriminatoire.

ORDONNANCE CONFIDENTIELLE

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête du ministre fondée sur l’article 87 de la LIPR en interdiction de divulgation des renseignements suivants est accueillie :

|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||

  1. La requête du ministre en interdiction de divulgation des renseignements suivants, reproduits ci-dessous en caractères gras, est rejetée :

[traduction] [...] déclarent que le but de la visite est le tourisme, mentionnent les chutes du Niagara et la tour CN, mais ne sont pas en mesure d’expliquer ce qu’ils feront d’autre pendant trois mois – ont des emplois manuels, ont fourni une lettre de l’employeur en date de décembre 2018 indiquant l’emploi alors occupé, mais ne sont pas en mesure d’expliquer comment ils peuvent prendre trois mois de congé– liens faibles avec leur pays d’origine, ne possèdent pas de maison ni de bail à long terme – voyagent avec 2 000 $CAN en espèces, aucun accès à d’autres fonds – aucun bagage enregistré pour un voyage de trois mois; l’épouse déclare que sa sœur a tout acheté pour eux – l’épouse s’est déjà rendue au Canada pour trois mois à des fins touristiques en 2017, mais n’a pas été en mesure d’expliquer ce qu’elle a fait; premier voyage pour l’époux – hôtes identifiés comme |||||||||||||||||||| et ||||||||||||||||||||, réfugiés au sens de la Convention qui sont arrivés Canada par des moyens irréguliers en 2015 et 2016 respectivement [...]

  1. Les renseignements que le ministre a cherché à protéger dans la présente requête demeureront confidentiels jusqu’à l’expiration du délai pour présenter un appel, à moins que le ministre n’informe la Cour qu’aucun appel n’est envisagé.

  2. L’avocate du ministre informera la Cour, dans les vingt et un (21) jours suivant la date de l’ordonnance et des motifs confidentiels, de toute partie qui devrait être caviardée ou modifiée avant d’être rendue publique.

[EN BLANC]

« Simon Fothergill »

[EN BLANC]

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de juillet 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.

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