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Date : 20050407

Dossier : IMM-3651-04

Référence : 2005 CF 467

Toronto (Ontario), le 7 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                            LILLIAN LUGUNDA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse est une femme de 26 ans de l'Ouganda. Elle est née au Rwanda de parents rwandais dans une ville appelée Katuna, située à la frontière avec l'Ouganda. Elle a été adoptée par une Ougandaise à l'âge de six ans, et elle aurait été enregistrée en Ouganda. En 1999, sa mère adoptive l'a forcée à « épouser » Hadji Zeidu, un homme ayant deux fois son âge, en échange d'une dot.


[2]                M. Zeidu est devenu violent et a commencé à violer la demanderesse. Il lui disait souvent qu'elle ne pouvait pas refuser ses avances sexuelles puisqu'il l'avait achetée. La demanderesse a signalé l'incident à la police. Celle-ci lui a répondu qu'il s'agissait d'un problème conjugal qui devait être résolu par elle et son mari, et elle n'a pas accepté la plainte.

[3]                En décembre 2000, la demanderesse a rencontré un homme appelé Peter, qui l'a aidée à quitter l'Ouganda. Elle est arrivée au Canada le 29 décembre 2000 et a demandé l'asile le 21 mars 2001. Elle craint de retourner en Ouganda à cause de ce qui lui est arrivé dans le passé.

[4]                La Commission a considéré que la preuve n'établissait pas que la demanderesse était une citoyenne de l'Ouganda ou qu'elle avait renoncé à sa citoyenneté rwandaise. Elle a statué que, comme la demanderesse est née au Rwanda de parents rwandais et possède un certificat de naissance rwandais valide, son pays de citoyenneté est le Rwanda et sa crainte de persécution doit être examinée au regard de ce pays.

[5]                Bien que reconnaissant que la demanderesse a des raisons de craindre M. Zeidu en Ouganda, la Commission a conclu qu'elle n'avait pas démontré que les autorités rwandaises ne pouvaient pas ou ne voulaient pas la protéger. Par conséquent, elle a rejeté la demande d'asile.

[6]                La demanderesse prétend que la Commission a eu tort de la considérer comme une Rwandaise plutôt que comme une Ougandaise.

[7]                Les deux parties ont admis que, selon Umba c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 17, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[8]                La demanderesse fait valoir ce qui suit :

- la présente demande porte sur la question de savoir si elle est une citoyenne du Rwanda et sur la question de la protection de l'État. La demanderesse est née au Rwanda, mais elle est devenue une citoyenne de l'Ouganda lorsqu'elle a été adoptée par une famille ougandaise. Elle soutient que les paragraphes 15(1) et (4) de la Constitution de la République d'Ouganda de 1995 prévoient qu'une personne qui acquiert la citoyenneté ougandaise renonce à son ancienne citoyenneté - la citoyenneté rwandaise dans son cas. [Ce document n'a pas été produit devant la Commission; voir le paragraphe 13 ci-dessous.] Elle a conservé son certificat de naissance rwandais, mais elle n'était plus une citoyenneté du Rwanda et ne pouvait pas se prévaloir de la protection de cet État;


- la Convention internationale concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité du 12 avril 1930 [179 LoNTS 89] prévoit que chaque État détermine, en fonction de ses propres lois, qui sont ses ressortissants et que les autres États doivent reconnaître ces lois sur la nationalité. Les questions relatives à la nationalité sont tranchées en conformité avec les lois de l'État concerné;

- la Commission n'a pas tenu compte du fait que, selon la loi ougandaise, la demanderesse ne pouvait pas avoir la double citoyenneté. Sa demande aurait dû être examinée en tenant compte de la loi ougandaise puisqu'elle est actuellement une citoyenne de l'Ouganda, et non du Rwanda, et qu'elle résidait dans ce pays avant de venir au Canada;

- le Guide du HCR indique ce qui suit au paragraphe 89 :

Lorsque la nationalité de l'intéressé ne peut être clairement établie, sa demande de reconnaissance du statut de réfugié doit être traitée de la même manière que dans le cas d'un apatride, c'est-à-dire qu'au lieu du pays dont il a la nationalité, c'est le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle qui doit être pris en considération.

- elle a réfuté la présomption concernant la protection de l'État puisque c'est en Ouganda, son pays de citoyenneté et de résidence habituelle, qu'elle a été persécutée et elle n'a pas été en mesure d'obtenir la protection de l'État dans ce pays.

[9]                Aucun de ces arguments ne me convainc.

[10]            La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), reconnaît qu'une personne peut avoir plus d'une nationalité. L'article 96 de cette loi prévoit :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention -- le réfugié -- la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. (Non souligné dans l'original)

[11]            La demanderesse est venue au Canada avec un faux passeport britannique. Le formulaire d'examen du dossier (dans le dossier de la SPR, à la page 56), remis à la demanderesse le 14 novembre 2003, indiquait expressément ce qui suit :

[traduction] La demanderesse doit fournir une preuve de sa citoyenneté ougandaise.

La demanderesse doit obtenir une preuve démontrant qu'elle ne possède plus la citoyenneté rwandaise et qu'elle ne peut l'acquérir de nouveau. À défaut de cette preuve, elle doit fournir une preuve indiquant qu'elle ne peut obtenir la protection du Rwanda en qualité de citoyenneté de ce pays.

La demanderesse doit obtenir les certificats de décès des membres de sa famille, une preuve qu'elle habitait avec son fiancé, Hadji Zaidi (correspondance adressée aux deux à la même adresse, etc.) et des registres de l'entreprise familiale.

[12]            Or, la demanderesse a produit seulement les documents suivants à l'audience :

1.         un Formulaire de renseignements personnels (FRP), dans lequel elle a indiqué qu'elle était une citoyenne ougandaise;


2.         l'affidavit d'un ami de l'Ouganda certifiant qu'elle a été battue dans ce pays;

3.         un certificat confirmant qu'elle a résidé dans le district de Mukono, en Ouganda;

4.         un rapport de police de l'Ouganda confirmant qu'elle a signalé à la police les mauvais traitements exercés contre elle par son mari;

5.         le certificat de décès de son père, délivré au Rwanda;

6.         son propre certificat de naissance, délivré au Rwanda.

[13]            La demanderesse a produit en outre son propre affidavit et les constitutions de l'Ouganda et du Rwanda lors de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, comme la Commission ne disposait pas de ces documents, la Cour ne les prendra pas en considération conformément à la décision Lemiecha (Tuteur à l'instance) c. M.E.I. (1993), 72 F.T.R. 49.


[14]            Aucune preuve de la loi ou des constitutions de l'Ouganda ou du Rwanda n'a été produite devant la Commission. Étant donné que la seule pièce d'identité valide produite par la demanderesse était un certificat de naissance du Rwanda et que la demanderesse a elle-même déclaré qu'elle est née dans ce pays, la Commission a décidé que sa crainte de persécution devait être examinée au regard du Rwanda. En fait, parmi les documents présentés à la Commission, le seul document qui indiquait que la demanderesse possédait la citoyenneté ougandaise était son FRP.

[15]            De plus, la décision de la Commission indique que la demanderesse a répondu catégoriquement « non » lorsqu'on lui a demandé si elle était une citoyenne ougandaise. Cependant, comme cela ne peut pas être vérifié puisqu'elle ne dispose pas d'une transcription de l'audience, la Cour ne tiendra pas compte de cette partie de la décision de la Commission.

[16]            Il est bien établi qu'un réfugié doit demander la protection des pays dont il peut revendiquer la nationalité avant de demander l'asile au Canada (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689).


[17]            Il est bien établi également qu'il incombe au demandeur de démontrer le bien-fondé de sa demande d'asile (voir Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 412, 2005 CAF 91, au paragraphe 13). La demanderesse a eu plus d'un an pour produire les documents nécessaires et, malgré le fait qu'il était indiqué explicitement dans le formulaire d'examen du dossier qu'elle devait produire ces documents, elle ne l'a pas fait. Elle n'a produit aucun document établissant qu'elle était une citoyenne de l'Ouganda, ni aucun élément de preuve indiquant qu'une Ougandaise ne peut posséder une autre nationalité ou doit renoncer à toute autre nationalité lorsqu'elle acquiert la citoyenneté ougandaise. La preuve présentée établissait seulement que la demanderesse avait droit à la citoyenneté rwandaise.

[18]          Par conséquent, la Commission a simplement appliqué le principe énoncé très succinctement par le juge Joyal dans Grygorian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1608, au paragraphe 15 :

... le principe fondamental des règles juridiques relatives aux réfugiés consiste à octroyer le statut de réfugié uniquement aux personnes qui requièrent une protection auxiliaire et non à celles qui ont toute latitude d'obtenir la nationalité d'un autre pays.

[19]            Je ne vois pas comment la Commission aurait pu, compte tenu de la preuve dont elle disposait, arriver à une autre conclusion. Il n'y a rien de déraisonnable - encore moins de manifestement déraisonnable - dans la décision qu'elle a rendue.

[20]            Par conséquent, la présente demande ne peut être accueillie.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

          « K. von Finckenstein »          

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                            IMM-3651-04

INTITULÉ :                                                           LILLIAN LUGUNDA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 6 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                           LE 7 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Christopher Okumu                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Neeta Logsetty                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          

Christopher Okumu                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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