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Date : 20200610


Dossier : IMM-5917-19

Référence : 2020 CF 680

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2020

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

SOUREN SHAHBAZIAN

ARDEMIS AZIZ

ARENI SHAHBAZIAN

MEGHETY SHAHBAZIAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 août 2019 par un agent des visas [l’agent] à l’ambassade du Canada à Abu Dhabi aux Émirats arabes unis. L’agent a conclu que les demandeurs ne satisfaisaient pas à l’exigence de l’alinéa 139(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] étant donné que, selon la prépondérance des probabilités, il y avait une possibilité raisonnable d’une solution durable en Arménie, réalisable dans des délais raisonnables.

II.  Contexte

[2]  Les demandeurs sont un mari et sa femme et leurs deux filles. Souren Shahbazian et son épouse Ardemis Aziz se sont mariés en 2000. Depuis leur mariage, le couple réside au Koweït. Les deux filles du couple, Meghety et Areni sont toutes les deux nées au Koweït, en 2003 et 2010.

[3]  Les quatre candidats sont exclusivement des citoyens syriens. Ils affirment qu’ils ne peuvent pas retourner en Syrie en raison du conflit continu.

[4]  Les deux époux parlent arménien. Ils ont fréquenté les églises orthodoxes arméniennes pendant leur séjour en Syrie et au Koweït et leurs registres de mariage et de baptême proviennent de la Prélature arménienne d’Alep en Syrie.

[5]  La sœur de l’époux s’est établie au Canada en 2015. En 2018, le Centre communautaire arménien de Willowdale, en Ontario, a tenté de parrainer les quatre demandeurs dans le cadre du programme de parrainage privé. Les demandeurs ont été reçus en entrevue le 11 juin 2019, au Koweït, par l’agent qui est en poste à Abu Dhabi.

[6]  Lorsqu’on lui a demandé : [traduction] « Pourquoi demandez-vous la protection du Canada en tant que réfugié? Le pays ici le travail s’aggrave tout le temps ce n’est pas comme avant il n’y a pas de possibilité pour les filles de poursuivre leur éducation. Leur avenir, j’ai besoin d’un avenir meilleur, j’ai besoin d’un avenir meilleur pour les filles ».

[7]  Au cours de l’entrevue, l’agent a fait part de ses préoccupations quant à la possibilité pour les demandeurs d’obtenir la nationalité arménienne, en leur demandant [traduction« vous avez mentionné que vous êtes chrétien orthodoxe, que vous fréquentez une église arménienne orthodoxe chrétienne ici au Koweït, avez-vous accès à la citoyenneté arménienne ou à la résidence permanente? » Le demandeur principal y a répondu ce qui suit (selon les notes figurant dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC]) [traduction] « l’église arménienne ici n’a rien à voir avec l’Arménie, elle fait partie de l’Arménie libanaise, quand ils sont venus ici, ils ont fait cette église ». Les notes de l’agent indiquent en outre que le demandeur principal parlait arménien pendant l’entrevue.

[8]  L’agent a ensuite demandé : [traduction« Avez-vous examiné la possibilité de résider en Arménie? » Le demandeur principal a répondu [traduction« non... il n’y a pas de travail en Arménie... vous devez arriver avec votre argent, je n’ai pas l’argent pour investir, ils n’ont pas d’emplois là-bas... Je peux y aller et y voyager, mais pas pour y obtenir la citoyenneté ou autre chose ». L’agent a affirmé : [traduction« Je suis préoccupé par le fait que vous puissiez avoir accès à une solution durable (citoyenneté ou résidence permanente) en Arménie ». La réponse du demandeur principal était la suivante : [traduction« Comment puis-je aller, je ne sais pas, il n’y a pas d’avenir, je n’y suis pas ». Il a en outre suggéré que l’Arménie [traduction] « n’est toujours pas stable elle-même ».

[9]  Le 26 juillet 2019, l’agent a envoyé aux demandeurs une lettre d’équité procédurale citant l’alinéa 139(1)d) du Règlement et précisant : [traduction« Je crains que vous n’ayez accès à une solution durable en Arménie ». En réponse, le demandeur principal a présenté des observations d’une page sur les raisons pour lesquelles il serait difficile de vivre en Arménie. Voici la version complète de la lettre :

[traduction

Aujourd’hui, vivre en Arménie est indéniablement difficile, décourageant et considérablement inapproprié. Par conséquent, ce n’est pas une chose que je souhaite ou que je considère comme un choix pour le bien-être de ma famille.

Je suis très bien au fait de la situation générale et des difficultés économiques en Arménie, notamment en ce qui concerne l’inflation, les faibles taux d’emploi, l’insuffisance des salaires mensuels qui sont loin de couvrir les dépenses d’une famille de base de quatre personnes.

Étant donné que j’ai deux filles adolescentes à élever, je sais très bien que je ne pourrai pas les soutenir financièrement, et pourvoir à leurs besoins, même les besoins et les nécessités les plus élémentaires. Je ne le pourrai tout simplement pas.

En plus de ces questions personnelles, il y a la situation politique générale en Arménie, où, selon l’évolution des événements, la situation est encore instable sans évolution prévisible dans un avenir proche.

Par conséquent, l’Arménie n’est pas bénéfique pour notre famille. Je ne pourrai pas assurer à mes enfants une vie prospère là-bas ni une vie stable et confortable. Au Canada, après avoir interrogé et recueilli des renseignements auprès d’amis et de membres de la famille, et après avoir examiné attentivement la situation, j’ai appris que le niveau de vie d’une personne s’améliore tant en termes de sécurité que de sûreté et d’emploi. Il serait très bénéfique et utile pour moi et ma petite famille d’établir une vie dans ce grand pays.

III.  Décision

[10]  Le 4 août 2019, les demandeurs ont été informés que leur demande de statut de réfugié avait été refusée parce qu’ils n’ont pas satisfait à l’exigence de l’alinéa 139(1)d) du Règlement, selon lequel ils doivent démontrer qu’« aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est [...] réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada ». L’agent a fait remarquer que les demandeurs ont eu la possibilité de présenter des observations à la fois lors d’une entrevue et en réponse à la lettre d’équité procédurale.

[11]  Ces observations n’ont [traduction] « pas diminué » les préoccupations de l’agent. Les notes figurant dans le SMGC en date du 4 août 2019 expliquent ce qui suit :

[TRADUCTION] 

[...] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le DP [demandeur principal] et ses personnes à charge ont une solution durable en Arménie. Lors de l’entrevue, j’ai fait part de ma préoccupation selon laquelle le DP et sa famille puissent avoir une solution durable en Arménie. Le DP a affirmé qu’il n’avait pas envisagé la possibilité de résider en Arménie comme solution durable et qu’il n’était pas certain qu’il puisse obtenir le statut de réfugié en Arménie. Après l’entrevue, j’ai envoyé une lettre d’équité procédurale (LÉP) au DP, soulevant ma préoccupation selon laquelle le DP et sa famille puissent avoir une solution durable en Arménie. Le DP a répondu que la vie en Arménie était difficile et qu’il ne la considérait pas comme un choix pour sa famille. Le DP a ajouté qu’il est « très bien au fait de la situation générale et des difficultés économiques en Arménie [...] ». Je fais remarquer que le DP a fait preuve d’une grande familiarité avec les conditions socioéconomiques en Arménie, comme on pouvait raisonnablement s’y attendre d’une personne d’origine arménienne ou ayant des antécédents arméniens. Je précise qu’en vertu de la loi de la République arménienne sur la citoyenneté, « [une] personne d’origine arménienne peut acquérir la nationalité arménienne selon une procédure simplifiée » (Arménie 1995, art. 1). Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le DP et sa famille ont une possibilité raisonnable, dans un délai raisonnable, d’une solution durable en Arménie et, par conséquent, qu’ils ne sont pas admissibles à la réinstallation au Canada au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières, ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil en vertu de l’alinéa 139(1)d). Demande refusée.

[12]  Le 1er octobre 2019, les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de ce refus.

IV.  Nouveaux éléments de preuve dans le cadre du contrôle judiciaire

[13]  Les demandeurs ont produit l’affidavit du demandeur principal, Souren Shahbazian, ainsi que celui de Daniela Dobrota. Chaque affidavit comprend de nouveaux renseignements. L’affidavit de Souren Shahbazian comprend de nouveaux renseignements aux paragraphes 15 et 16.

[14]  Daniela Dobrota est une avocate qui a déposé un affidavit dans le cadre de la présente demande. Je mets en garde contre le dépôt d’affidavits par les avocats dans une demande. L’affidavit décrit ses recherches en ligne sur les détails de la loi sur la citoyenneté arménienne et joint trois versions légèrement différentes de la loi sur la citoyenneté trouvée en ligne. Ces trois versions différentes sont tirées des sites Web du Parlement arménien, du Ministère arménien des Affaires étrangères et du cartable national de documentation sur l’Arménie de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[15]  J’accepterai l’affidavit de Daniela Dobrota, car il fournit des renseignements généraux qui aideront la Cour en fournissant des dispositions à source ouverte du droit arménien que l’agent a citées, mais n’a pas jointes (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au par. 20).

[16]  Dans la mesure où l’affidavit de Souren Shahbazian contient des renseignements dont le décideur n’était pas saisi, tel que son origine ethnique [traduction] « Syrienne-Arménienne », et les antécédents de voyage de sa famille au-delà des dix dernières années (leurs antécédents de voyage des dix dernières années apparaissent dans le dossier certifié du Tribunal [le DCT]), ainsi que son manque de connaissance des lois sur la citoyenneté, je ne prendrai pas en considération ces arguments. Le décideur ne disposait pas des détails, et les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils sont visés par les exceptions concernant l’admission de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. L’avocat du demandeur principal a reconnu qu’il n’avait pas besoin de s’appuyer sur l’affidavit dans son argumentation.

V.  Questions en litige

[17]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision était-elle inéquitable sur le plan procédural parce que l’agent ne leur a pas indiqué la loi sur la citoyenneté sur laquelle il s’est appuyé et ne leur a pas expliqué pourquoi il estimait qu’ils pouvaient trouver une solution durable en Arménie?
  1. La conclusion selon laquelle il y avait une solution durable en Arménie était-elle raisonnable?

VI.  La norme de contrôle

[18]  La norme de contrôle applicable à la première question concernant l’équité procédurale est celle de la décision correcte. La deuxième question en litige qui conteste la conclusion de l’existence d’une solution durable en Arménie est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

VII.  Analyse

A.  La décision était-elle inéquitable sur le plan procédural parce que l’agent ne leur a pas indiqué la loi sur la citoyenneté sur laquelle il s’est appuyé et ne leur a pas expliqué pourquoi il estimait qu’ils pouvaient trouver une solution durable en Arménie?

[19]  Les demandeurs soutiennent que l’agent aurait dû soulever ses préoccupations concernant la citoyenneté arménienne et leur fournir les dispositions de la loi arménienne de 1995 afin qu’ils puissent y répondre. Ils prétendent qu’ils n’ont pas été en mesure de présenter une défense pleine et entière aux préoccupations de l’agent, ce qui rendait la décision inéquitable sur le plan procédural. Lors de l’audience, l’avocat des demandeurs a en outre soutenu que l’agent aurait dû leur parler des articles 1 et 13 de la loi sur la citoyenneté arménienne, qui offraient une voie possible vers la citoyenneté, faute de quoi le fardeau d’effectuer des recherches qui incombait aux demandeurs était trop lourd.

[20]  Ils sont d’avis que l’équité procédurale exige que le demandeur ait « la possibilité de participer pleinement au processus décisionnel, en prenant connaissance des informations qui lui sont défavorables et en ayant l’occasion de présenter son point de vue » (Maghraoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 883, au par. 22 [El Maghraoui]). La position des demandeurs est que l’agent n’a pas satisfait à ce critère parce qu’il ne leur a pas indiqué la loi sur la citoyenneté et ne leur a pas expliqué pourquoi il estimait qu’ils pouvaient devenir citoyens et par conséquent trouver une solution durable en Arménie.

[21]  Je conclus que l’agent n’a aucunement manqué à l’équité procédurale envers les demandeurs. Les principes d’équité procédurale exigent que l’on communique à un demandeur assez de renseignements pour « corriger les erreurs ou les malentendus » (El Maghraoui, précitée, au par. 22). L’équité procédurale n’exige pas que tous les documents et tous les renseignements sur lesquels s’est fondé le décideur soient divulgués, pour autant que le demandeur connaisse la preuve à réfuter et a la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent (Jelaca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 887, au par. 33). Par exemple, dans le contexte des refus pour des raisons médicales, les agents ne sont « pas en principe tenu[s] d’exposer dans la lettre de seconde chance les détails au soutien de la conclusion, dans la mesure où le requérant connaît effectivement les motifs de l’éventuel refus et dans la mesure où il a la connaissance nécessaire pour mener l’affaire plus loin » (Oliveira c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CFPI 1283, citée dans Azizian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 379, au par. 22 [Azizian]).

[22]  Bien que l’agent n’ait pas mentionné expressément la loi de 1995 sur la citoyenneté arménienne citée dans la décision, il a suffisamment exposé les motifs du refus possible à la fois dans l’entrevue et dans la lettre d’équité procédurale. Il n’existe pas de définition précise de l’expression « solution durable » et une solution durable n’est pas nécessairement la citoyenneté, car elle dépend des faits de l’affaire (Hafamo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 995, aux paras 18 à 21). La situation « n’a certes pas à être parfaite » et la possibilité d’obtenir un statut légal permanent en tant que réfugié ou en tant que résident permanent peut satisfaire au critère tant que la solution est durable (Uwamahoro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 271, au par. 15). Le fait de se voir offrir une procédure simplifiée pour obtenir un statut de citoyen a été raisonnablement interprété comme une solution durable, et il était loisible à l’agent de soulever cette préoccupation. Il faut garder à l’esprit le fait que les demandeurs n’ont fourni à l’agent aucune preuve liée à leur capacité d’avoir une solution durable en Arménie autre que des vagues raisons économiques après que l’agent leur a indiqué qu’il avait des préoccupations (voir le par. 9).

[23]  Lors de l’entrevue du 11 juin 2019, l’agent a demandé [traduction] « avez-vous accès à la citoyenneté arménienne ou à la résidence permanente » et a ensuite ajouté [traduction] « je suis préoccupé par le fait que vous puissiez avoir accès à une solution durable (citoyenneté ou résidence permanente) en Arménie ». Le demandeur principal a affirmé qu’il n’avait pas examiné cette possibilité, mais qu’il n’y avait pas d’avenir en Arménie.

[24]  Ensuite, six semaines plus tard, dans la lettre d’équité procédurale du 26 juillet 2019, l’agent a copié le texte de l’alinéa 139(1)d) du Règlement. Le libellé de cette disposition informait les demandeurs des préoccupations de l’agent selon lesquelles il pouvait y avoir une possibilité raisonnable d’une solution durable dans un délai raisonnable, à savoir « le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle, soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays ». La lettre indique ensuite [traduction] « je crains que vous n’ayez accès à une solution durable en Arménie » et donnait aux demandeurs 30 jours pour y répondre.

[25]  Conjointement, les notes d’entrevue et la lettre d’équité procédurale montrent que les demandeurs connaissaient les motifs d’un éventuel refus en raison d’une solution durable en Arménie, qui pourrait être une résidence permanente ou la citoyenneté.

[26]  Dans la mesure où les demandeurs n’ont pas présenté une défense pleine et entière aux préoccupations de l’agent, ce n’est pas parce que l’agent n’a pas divulgué de dispositions précises de la loi arménienne. C’est plutôt parce que les demandeurs n’ont pas répondu aux préoccupations de l’agent quant à leur capacité de se réinstaller en Arménie (voir le par. 9 ci-dessus). Ils devaient démontrer qu’ils ne pouvaient pas se réinstaller en Arménie. Ce fardeau incombe aux demandeurs et ce n’est pas à l’agent de faire tout le travail dans un vide sans éléments de preuve pour répondre à ses préoccupations quant à la nécessité d’une solution durable en Arménie.

[27]  Comme le fait remarquer l’avocat du défendeur, il s’est écoulé six semaines entre l’entrevue et la lettre d’équité procédurale, ce qui donnait aux demandeurs amplement le temps pour prendre des mesures afin de démontrer qu’ils ne pouvaient pas trouver de solution durable en Arménie, car cette préoccupation a été signalée lors de l’entrevue. Toutefois, la réponse à la lettre d’équité procédurale, reproduite ci-dessus, ne portait pas sur leur capacité ou leur incapacité à obtenir la nationalité arménienne ou à s’y réinstaller par ailleurs.

[28]  S’ils s’étaient penchés sur la loi arménienne, ils auraient vu la loi disponible au public donnant aux Arméniens de souche un chemin vers la citoyenneté. Étant donné qu’il s’agit de documents de source ouverte disponibles sur le site Web du gouvernement arménien ainsi que dans le cartable national de documentation de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’agent n’avait pas à les communiquer aux demandeurs tant que ces derniers avaient été informés des éléments de preuve à réfuter (Azizian, précitée, au par. 29).

[29]  À cet égard, les trois versions de la loi arménienne semblent insignifiantes, étant donné que toutes les trois ont les mêmes conditions générales de résidence, à l’exception de la possibilité d’être arménien de souche (voir le par. 35 ci-dessous). Dans chaque version, l’article 1 permet aux personnes [traductiond’« origine arménienne » ou aux [traduction] « Arméniens de souche » d’obtenir la nationalité [traduction« de manière simplifiée » ou [traduction« selon une procédure simplifiée ». Ensuite, dans chaque version, l’article 13 précise que ces personnes sont exemptées de l’obligation habituelle de résidence de trois ans en Arménie avec un libellé différent, mais parvenant au même résultat. Quoi qu’il en soit, il serait raisonnable que l’agent présume que les demandeurs ont droit à la citoyenneté en utilisant une voie simplifiée en raison de leur origine ethnique.

[30]  Même si l’agent aurait pu s’exprimer sur les détails de ses préoccupations de façon plus explicite, ces préoccupations sous-jacentes ont toujours été clairement communiquées aux demandeurs, par conséquent, je ne vois pas cela comme étant inéquitable sur le plan procédural. Les demandeurs ont eu l’occasion d’aborder la solution durable possible, y compris l’accès à la citoyenneté ou l’absence de citoyenneté en Arménie.

B.  La conclusion selon laquelle il y avait une solution durable en Arménie était-elle raisonnable?

[31]  Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable de conclure que le fait qu’ils soient membres de l’église arménienne, qu’ils parlent arménien et qu’ils soient bien au courant des événements en Arménie fait en sorte qu’ils soient arméniens de souche. Ils soutiennent en outre qu’il n’y a pas de définition de l’expression « arménien de souche » dans aucune version de la loi sur la citoyenneté arménienne et que le processus de demande précis manque de clarté. Ils ajoutent qu’il n’est pas clair sur quelle version de la loi de 1995 l’agent s’est fondé.

[32]  Pour qu’un visa de résident permanent soit délivré à un étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent, ces derniers doivent satisfaire aux conditions énoncées, y compris celles indiquées à l’alinéa 139(1)d) du Règlement. Cette disposition exige que l’étranger n’ait « aucune possibilité raisonnable de solution durable [...] réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir (i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle (ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays ».

[33]  Il incombe aux demandeurs d’établir qu’aucune possibilité raisonnable n’existe de trouver une solution durable dans un autre pays que le Canada (Al-Anbagi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 273, au par. 16).

[34]  En l’espèce, l’agent a mentionné, tant dans l’entrevue que dans la lettre d’équité procédurale, qu’il pourrait y avoir une solution durable en Arménie parce qu’il y avait des indications que les demandeurs étaient d’origine arménienne. L’agent a justifié cette conclusion en mentionnant trois faits : ils parlaient arménien comme langue maternelle, ils appartiennent à une église orthodoxe arménienne, et le demandeur principal a reconnu qu’il était [traduction] « très bien au fait de la situation générale et des difficultés économiques en Arménie ». Lorsque l’agent a été informé de ces faits et qu’on n’a jamais donné à l’agent une raison par la suite de douter que les demandeurs étaient d’origine arménienne dans l’entrevue ou dans leur réponse à la lettre d’équité procédurale, il était loisible pour l’agent de signaler qu’il pourrait y avoir une solution durable en Arménie en raison des lois sur la citoyenneté de l’Arménie fondées sur l’appartenance ethnique. Il convient de souligner qu’une solution durable (voir le par. 32 ci-dessus) comprend un large éventail de statuts dont l’agent a mentionné la citoyenneté et la résidence permanente en Arménie.

[35]  Je n’accepte pas l’argument des demandeurs selon lequel il était déraisonnable de conclure que les demandeurs étaient d’origine arménienne. En outre, ils n’ont jamais contesté qu’ils étaient arméniens de souche lorsque cette question a été soulevée. Il incombe manifestement aux demandeurs de démontrer qu’il n’existait pas de solution durable, ce qu’ils n’ont pas fait.

[36]  Les demandeurs ont présenté trois versions différentes de la loi sur la citoyenneté arménienne dans l’affidavit de Daniela Dobrota. Les demandeurs soutiennent qu’il existe de [traduction] « grandes variations » entre les trois versions. Cependant, comme indiqué plus haut, un examen plus approfondi des trois lois montre que, dans n’importe quelle version, il y aurait une voie simplifiée vers la citoyenneté en Arménie fondée sur l’origine ethnique arménienne, en vertu des articles 1 et 13. Étant donné qu’il incombe aux demandeurs de démontrer qu’ils n’ont pas de solution durable, ceux-ci devaient établir qu’ils ne sont pas visés par cette loi sur la citoyenneté, ce qu’ils n’ont pas fait.

[37]  La combinaison de la conclusion de l’agent selon laquelle ils étaient d’origine arménienne et du texte de la loi sur la citoyenneté arménienne laissait entendre raisonnablement qu’ils avaient une solution durable en Arménie. La réponse à la lettre d’équité procédurale reproduite ci-dessus (au par. 9) montre qu’ils n’ont pas présenté d’observations sur leur incapacité d’acquérir la nationalité arménienne ou la résidence permanente en Arménie, mais qu’ils se sont contentés d’expliquer les raisons pour lesquelles ils préféreraient aller au Canada plutôt qu’en Arménie. De plus, il faut garder à l’esprit que la citoyenneté arménienne n’était pas la seule option qui leur offrait une solution durable en Arménie (voir Uwamahoro, précitée).

[38]  D’après cet échange, il était loisible à l’agent de conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau de démontrer qu’il n’existait aucune solution durable en Arménie. Les demandeurs n’ont pas présenté de contre-argument à l’agent quant à la raison pour laquelle il n’existe pas de solution durable en Arménie et tentent maintenant d’inverser le fardeau de la preuve en le remettant sur l’agent.

[39]  Dans Issa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1365, le demandeur a reçu une lettre d’équité procédurale au sujet d’une solution durable possible en Grèce et a choisi de ne pas répondre aux préoccupations de l’agent au sujet de la Grèce. Étant donné que, selon le régime juridique, le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs, la juge St-Louis a rejeté la demande de contrôle judiciaire du demandeur dans cette affaire :

[19]  Il ressort clairement de la jurisprudence que, compte tenu du cadre légal du paragraphe 139(1) du Règlement, le demandeur a lui seul l’obligation de démontrer qu’« aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est [à leur égard] réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada » (Salimi c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 872, au par. 7; Qurbani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 127 au par. 18); Karimzada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 152 au par. 25). M. Issa avait la charge de démontrer que son statut en Grèce ne constituait pas une solution durable aux termes de l’article 139 du Règlement, ce qu’il n’a malheureusement pas fait, en dépit de l’opportunité qui lui a été offerte.

[40]  De même, en l’espèce, les demandeurs n’ont pas fourni à l’agent de raison pour laquelle la réinstallation en Arménie, y compris au moyen de la citoyenneté, n’était pas une solution durable. Bien que les demandeurs aient répondu à l’agent, leur réponse écrite reproduite plus haut indique qu’ils n’ont pas répondu de façon significative aux préoccupations quant à la solution durable et qu’ils se sont plutôt concentrés sur les difficultés économiques en Arménie. Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, les demandeurs n’ont pas démontré que la conclusion de l’agent était déraisonnable.

VIII.  Conclusion

[41]  Pour les motifs susmentionnés, la présente demande est rejetée.

[42]  Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS IMM-5917-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de juillet 2020.

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 IMM-5917-19

 

INTITULÉ :

SHAHBAZIAN SOUREN, ARDEMIS AZIZ, ARENI SHAHBAZIAN ET MEGHETY SHAHBAZIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence entre Toronto (Ontario) et Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 juin 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Robert W. Young

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Robert W. Young

Avocat

Hamilton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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