Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200624


Dossier : T‑1836‑19

Référence : 2020 CF 723

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2020

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

DANIEL DE SANTIS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Vue d’ensemble

[1]  Le demandeur, Daniel De Santis, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de Christopher Bucar, directeur général des services de gestion et dirigeant principal des finances au Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs [SCDATA]. M. Bucar a rejeté le grief présenté par M. De Santis au troisième et dernier palier relativement à la date de prise d’effet de sa promotion du secteur 1 au secteur 2 du poste d’agent de la médiation et de la conciliation au sein du groupe Administration des programmes [PM‑MCO].

[2]  La décision de M. Bucar était à la fois raisonnable et équitable sur le plan procédural, et ce, pour les motifs qui suivent. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Le contexte

[3]  M. De Santis travaille comme agent des relations du travail [ART] au Conseil canadien des relations industrielles [CCRI] depuis décembre 2014. Le CCRI est un tribunal administratif fédéral qui reçoit des services d’appui du SCDATA.

[4]  Les ART appartiennent au sous‑groupe des PM‑MCO, formé de trois secteurs salariaux : PM‑MCO‑01, PM‑MCO‑02 et PM‑MCO‑03. Ces secteurs sont définis à l’appendice A de la Politique sur l’administration des traitements – Sous‑groupe des agents de médiation et de conciliation [Politique sur l’administration des traitements]. Lorsqu’il passe à un secteur supérieur, l’ART assume la responsabilité de dossiers plus complexes et cette progression s’accompagne d’une augmentation de traitement proportionnelle.

[5]  Selon la Politique sur l’administration des traitements et les Lignes directrices de rémunération applicables aux agents des relations du travail (PM‑MCO) [Lignes directrices], l’ART désireux d’être promu au secteur salarial suivant peut en faire la demande auprès de son directeur régional lors de l’examen de l’avancement professionnel, qui a lieu annuellement. Le directeur régional évalue alors le travail de l’ART et formule des recommandations à l’intention d’un comité d’examen. Le comité d’examen est formé de la présidence et du directeur exécutif et avocat général du CCRI, ainsi que des directeurs régionaux de tous les bureaux du CCRI. Ce comité est chargé d’étudier et d’approuver tous les passages à des secteurs salariaux supérieurs.

[6]  Les Lignes directrices sont entrées en vigueur le 28 novembre 2017. Le premier examen de l’avancement professionnel réalisé dans le cadre de ces nouvelles lignes directrices a eu lieu en décembre 2017.

[7]  M. De Santis a pris part à l’examen de l’avancement professionnel de décembre 2017, mais sa demande de promotion au niveau PM‑MCO‑02 a échoué. Les ART dont la demande a été retenue à l’occasion ont tous obtenu une promotion avec effet rétroactif au 1er avril 2017.

[8]  M. De Santis a contesté par voie de grief la décision du comité d’examen de refuser la demande de promotion qu’il avait présentée dans le cadre de l’examen de l’avancement professionnel de 2017. Le grief a été rejeté au deuxième palier. Il ne semble pas avoir été porté plus loin.

[9]  En décembre 2017, puis à nouveau en mars 2018, M. De Santis a fait savoir à son supérieur de l’époque qu’il aspirait à une promotion. En juin 2018, il a discuté de son grief avec Mme Sylvie Guilbert, directrice exécutive et avocate générale du Secrétariat du CCRI. Il affirme que ces deux personnes lui ont assuré que l’examen de l’avancement professionnel se tiendrait annuellement et selon les mêmes conditions qu’en 2017.

[10]  L’examen de l’avancement professionnel suivant a eu lieu en janvier 2019. M. De Santis explique avoir appris de Trevor Craig, directeur régional du bureau de Vancouver du CCRI, que tous les cas qu’il avait traités depuis décembre 2017 seraient examinés. Il n’a pas été question de la date de prise d’effet des promotions consécutives à l’examen de l’avancement professionnel prévu en janvier 2019.

[11]  M. De Santis a participé à cet exercice de janvier 2019. Dans une lettre datée du 21 février 2019, Mme Guilbert a informé ce dernier que le comité d’examen avait approuvé sa demande de promotion et qu’il passerait au secteur PM‑MCO‑02 le 1er avril 2019.

[12]  M. De Santis a tout de suite informé M. Craig de son mécontentement quant à la date de sa promotion. Le 22 février 2019, M. Craig a fait parvenir à M. De Santis un courriel expliquant dans le détail la décision du comité d’examen de fixer la date de prise d’effet de sa promotion au 1er avril 2019 :

[traduction]

Voici un résumé de la façon dont il a été décidé de la promotion et de sa date de prise d’effet :

  La demande que vous avez présentée a été communiquée aux membres du comité d’avancement professionnel du sous‑groupe PM‑MCO avant la tenue de la réunion du 14 février[.]

  J’ai accompagné l’envoi de votre demande du document d’intégration pour le sous‑groupe PM‑MCO, que j’avais préalablement rempli en recommandant votre promotion au niveau PM‑MCO‑02. Par contre, j’ai volontairement laissé vide le champ « date recommandée de la prise d’effet », car j’ignorais comment il fallait faire pour établir cette date. Personnellement, j’estimais que vous possédiez à coup sûr les compétences du niveau PM‑MCO‑02 en raison de la façon dont vous avez mené à bien les dossiers plus complexes qui vous ont été confiés à l’automne […]. Toutefois, je n’ai pas voulu recommander une date tombant durant l’exercice financier, pour ne pas fermer la porte à la possibilité d’appliquer rétroactivement la promotion au 1er avril 2018 […]

  Les membres du comité m’ont adressé très peu de questions/commentaires et nous avons convenu que vous possédiez les compétences voulues [qui] justifiaient une promotion au niveau PM‑MCO‑02[.]

  Le comité s’est ensuite penché sur la question de la date de prise d’effet et j’ai exposé les raisons pour lesquelles je n’en avais recommandé aucune dans mes observations. On m’a expliqué que la date de prise d’effet d’une promotion correspondait généralement au début de l’exercice financier suivant celui au cours duquel l’ART démontre qu’un avancement professionnel est justifié. On m’a en outre expliqué que la rétroactivité avait été appliquée lors du tour précédent (c’est‑à‑dire, en 2017‑2018) parce que c’était la première fois qu’on avait recours aux Lignes directrices de rémunération applicables aux ART. Ainsi, la fois précédente, lorsque les membres du comité ont examiné la question des dates de prise d’effet, ils se sont demandé si le candidat avait démontré qu’il possédait les compétences requises pour obtenir une promotion avant le commencement de cet exercice financier. Le cas échéant, la promotion aurait pu être antidatée. Comme je l’ai expliqué plus haut, il a été déterminé que des dossiers complexes vous ont été confiés et que vous avez commencé à faire la démonstration de vos compétences de niveau PM‑MCO‑02 au cours de l’actuel exercice financier. Il s’ensuit que la date de prise d’effet de votre promotion a été fixée au 1er avril 2019. Le comité est arrivé à ce même résultat pour tous les autres dossiers examinés dans le cadre du présent tour.

Compte tenu de ce qui précède, je ne suis malheureusement pas d’avis de recommander que votre promotion au niveau PM‑MCO‑02 soit antidatée au 1er avril 2018. Je suis conscient que cela n’est pas conforme à votre souhait, et cela, je l’espère, n’enlèvera rien à la dimension positive de votre promotion. Je sais que vous avez travaillé dur cette année et je vous en suis extrêmement reconnaissant. C’est pourquoi je suis disposé à échanger plus amplement sur la question de « l’orientation à prendre désormais ». Peut‑être existe‑t‑il d’autres façons de reconnaître vos réalisations et vos réussites?

[13]  M. De Santis a continué de discuter de ses préoccupations avec M. Craig tout au long des mois de février et mars 2019, mais les deux hommes n’ont pas réussi à régler le dossier à la satisfaction du premier. Le 16 avril 2019, M. De Santis a contesté la décision du comité d’examen par voie de grief sur la question de la date de prise d’effet de sa promotion.

[14]  Les parties ont convenu que le grief serait renvoyé directement au deuxième palier. M. De Santis a présenté son grief à Mme Guilbert le 7 mai 2019. Celle‑ci l’a rejeté le 10 mai 2019.

[15]  Mme Guilbert rappelle que la personne qui souhaite être promue doit faire la démonstration qu’elle fonctionne pleinement et constamment à un certain niveau et possède les compétences requises; par ailleurs, cette démonstration doit forcément se faire sur une certaine période. Mme Guilbert cite des passages de la Politique sur l’administration des traitements, dans lesquels il est expliqué que « pour qu’un titulaire puisse être promu à un secteur supérieur, il doit normalement démontrer, pendant plusieurs périodes d’évaluation successives, qu’il peut accomplir avec efficacité les tâches propres à ce secteur supérieur », et que « le rendement des employés sera examiné tous les ans […] Ce rajustement se fera habituellement au début de l’exercice financier, soit en même temps que la révision de l’échelle des traitements ». Mme Guilbert poursuit :

[traduction]

À la suite de la réunion du comité d’examen qui a eu lieu le 14 février 2019, le comité d’évaluation a jugé que vous aviez bien démontré que vous étiez prêt à passer au niveau PM‑MCO‑02. La date de promotion des membres du sous‑groupe PM‑MCO a alors été établie au 1er avril 2019, ce qui coïncidait avec le début du nouvel exercice financier, qui n’était plus qu’à quelques semaines de là. Cette décision est conforme à la politique et aux lignes directrices. Elle s’applique à tous les titulaires d’un poste de PM‑MCO au Secrétariat du Conseil canadien des relations industrielles relativement aux conclusions du comité d’examen du 14 février 2019.

Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que vous avez été correctement rémunéré pour vos services et que la date de prise d’effet de votre passage au niveau PM‑MCO‑02, soit le 1er avril 2019, est correcte et conforme aux Lignes directrices et aux autres politiques et directives applicables. Par conséquent, votre grief et votre demande de mesure de redressement sont rejetés.

[16]  Le 9 juillet 2019, M. De Santis a présenté son grief devant M. Bucar, au troisième et dernier palier. La durée de l’audience a été prolongée pour permettre à M. De Santis de présenter deux griefs : le premier se rapportant à la date de prise d’effet de sa promotion au niveau PM‑MCO‑02, et l’autre à la cote de rendement qu’il a reçue pour 2018‑2019. La Cour est saisie uniquement du premier grief dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[17]  M. Bucar a informé M. De Santis qu’il entendait suspendre l’instruction du grief jusqu’à ce qu’il obtienne l’opinion du Service d’interprétation du Conseil du Trésor [Service d’interprétation] quant à l’interprétation à donner à la Politique sur l’administration des traitements. M. De Santis soutient que M. Bucar s’était engagé à reprendre l’audience une fois l’opinion reçue, mais le défendeur conteste cette affirmation.

[18]  Le 17 juillet 2019, M. De Santis a présenté des renseignements supplémentaires au sujet des dossiers qu’il avait réglés depuis décembre 2017, assurant qu’il avait traité un volume de dossiers de complexité moyenne à élevée plus important que n’importe quel autre ART au Canada.

[19]  Le 27 septembre 2019, le Service d’interprétation a présenté son interprétation de la Politique sur l’administration des traitements. Dans cette opinion, il confirme que la date de prise d’effet d’une promotion correspond normalement au début de l’exercice financier suivant le processus débouchant sur une recommandation de promotion. Le 2 octobre 2019, M. Jonathan Tremblay Meloche, chef d’équipe de M. De Santis, a fait suivre à ce dernier l’opinion rédigée par le Service d’interprétation. Le même jour, M. De Santis a demandé à savoir si M. Bucar entendait reprendre l’instruction de sa plainte.

[20]  Le 18 octobre 2019, M. Tremblay Meloche a fait parvenir à M. De Santis un courriel l’informant que M. Bucar avait examiné l’opinion remise par le Service d’interprétation et l’ensemble de la documentation produite par M. De Santis. M. Tremblay Meloche précisait que M. Bucar était satisfait des renseignements reçus et qu’il ne comptait pas demander d’autres éclaircissements de la part du Service d’interprétation. M. De Santis n’a pas réitéré sa demande visant la poursuite de l’audience.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[21]  Le 30 octobre 2019, M. Bucar a rejeté le grief présenté par M. De Santis au troisième et dernier palier. Il a confirmé avoir examiné l’opinion fournie par le Service d’interprétation ainsi que des arguments et documents présentés par M. De Santis dans le cadre de la procédure de grief. Le défendeur signale que cet examen a aussi porté sur le courriel d’explications que M. Craig a envoyé à M. De Santis le 22 février 2019, la décision que Mme Guilbert a rendue au deuxième palier de la procédure de grief et un tableau que M. De Santis a préparé pour rendre compte de la complexité des dossiers qu’il avait traités depuis décembre 2017.

[22]  M. Bucar a confirmé le rôle central du comité d’examen dans la détermination de l’admissibilité d’un employé à une promotion au niveau suivant du sous‑groupe PM‑MCO :

[traduction]

[…] pour que sa demande d’avancement professionnel soit acceptée, l’ART doit démontrer, pendant plusieurs périodes d’évaluation consécutives, qu’il possède le niveau de compétences approprié pour passer au secteur supérieur. Par conséquent, l’accomplissement de tâches propres à un secteur supérieur n’est pas l’unique élément à prendre en compte pour décider s’il est admissible à une promotion. Le comité d’examen dispose d’un pouvoir discrétionnaire total lorsqu’il s’agit de décider si ces conditions sont remplies.

Cet énoncé est conforme aux Lignes directrices de rémunération applicables aux agents des relations du travail du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), lesquelles énoncent que l’ART doit faire montre d’une contribution soutenue tout au long de l’année et avoir démontré le niveau de compétence requis pour pouvoir progresser d’un secteur à un autre du sous‑groupe PM‑MCO.

Il a été jugé que vous possédiez le niveau de compétence requis pour passer au niveau PM‑MCO‑02 à compter du 1er avril 2019.

[23]  M. Bucar énonce en ces termes la décision qu’il a rendue au sujet de la date de prise d’effet de la promotion de M. De Santis :

[traduction]

Concernant votre allégation selon laquelle votre employeur n’aurait pas arrêté la bonne date de prise d’effet de votre avancement au sein des secteurs du sous‑groupe PM‑MCO, la politique précise que « […] le rendement des employés sera examiné tous les ans […] Ce rajustement se fera habituellement au début de l’exercice financier, soit en même temps que la révision de l’échelle des traitements ».

La décision de vous faire passer du premier au deuxième secteur du sous‑groupe PM‑MCO au commencement de l’exercice financier, soit le 1er avril 2019, est conforme à la politique, aux lignes directrices et à l’interprétation obtenue, de même qu’aux pratiques internes applicables à tous les ART du CCRI.

IV.  Les questions en litige

[24]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision de M. Bucar était‑elle équitable sur le plan procédural?

  3. La décision de M. Bucar était‑elle raisonnable?

V.  Analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[25]  L’équité procédurale est une question qu’il appartient à la Cour de trancher. Généralement, il est dit que la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte; cela dit, tenter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est aussi, en fin de compte, un exercice non rentable (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux paragraphes 34 à 56, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). La question fondamentale est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter, et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre.

[26]  La Cour doit contrôler le bien‑fondé de la décision de M. Bucar au regard de la norme de la décision raisonnable (Backx c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CF 139, au paragraphe 18). Elle n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 100).

[27]  La Cour doit examiner avec une attention respectueuse tant le raisonnement suivi par le décideur que le résultat obtenu, en s’intéressant avant tout aux motifs de la décision (Vavilov, aux paragraphes 83 et 84). La décision raisonnable est celle qui est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au paragraphe 85).

B.  La décision de M. Bucar était‑elle équitable sur le plan procédural?

[28]  Le niveau d’équité procédurale auquel a droit un employé dans le cadre d’une procédure interne de règlement des griefs se situe à l’extrémité inférieure du continuum. Ainsi, l’employé a le droit d’être informé des faits défavorables à sa thèse et d’y répondre (Canada (Procureur général) c Allard, 2018 CAF 85, au paragraphe 41, citant Gladman c Canada (Procureur général), 2017 CAF 109, au paragraphe 40).

[29]  M. De Santis affirme avoir été privé de la possibilité de répondre à chacun des renseignements sur lesquels M. Bucar s’est fondé pour rendre sa décision, et notamment : a) l’opinion obtenue du Service d’interprétation concernant la Politique sur l’administration des traitements; et b) l’intégralité des discussions avec le personnel de direction du SCDATA concernant son grief.

[30]  M. De Santis avait le droit d’être informé des faits qui lui étaient défavorables, mais pas celui de consulter toute l’information dont disposait le décideur (Clarke c Canada (Procureur général), 2016 CF 977, aux paragraphes 15 à 17). Le processus de règlement des griefs est censé être informel et il n’a pas pour but d’opposer les parties. M. De Santis étant à l’origine du grief, il connaissait donc la preuve à réfuter. Il a reçu l’opinion rédigée par le Service d’interprétation et y a répondu par des commentaires. Rien n’indique que M. Bucar s’est fondé sur des renseignements défavorables obtenus du personnel de direction du SCDATA et non divulgués à M. De Santis.

[31]  M. De Santis affirme qu’il pouvait légitimement s’attendre à être promu rétroactivement à la date à laquelle il avait commencé à s’acquitter de tâches de complexité moyenne à élevée coïncidant avec les responsabilités d’un ART de niveau PM‑MCO‑02. Il situe cette date à décembre 2017, soit au lendemain de la période évaluée lors de l’examen de l’avancement professionnel qui a eu lieu en décembre 2017. Il note que les personnes promues au terme de l’examen de l’avancement professionnel de décembre 2017 l’ont été rétroactivement au 1er avril 2017. Il se fonde également sur les propos qu’il prête à son surveillant de l’époque et à Mme Guilbert, lesquels auraient affirmé que les révisions ultérieures de la progression se feraient selon les mêmes conditions qu’en 2017.

[32]  La preuve des déclarations que l’ancien superviseur de M. De Santis et Mme Guilbert auraient faites est constituée de ouï‑dire et n’est pas concluante. Elle est loin d’établir l’existence d’une pratique ou conduite suffisamment claire, nette et explicite pour susciter une attente légitime en droit (Varadi c Canada (Procureur général), 2017 CF 155, aux paragraphes 46 et 47). De plus, comme l’a expliqué M. Craig dans son courriel du 22 février 2019, les personnes promues au terme de l’examen de l’avancement professionnel de décembre 2017 l’ont été rétroactivement parce qu’il s’agissait du premier examen de l’avancement professionnel réalisé dans le cadre des nouvelles lignes directrices et que les candidats retenus avaient tous démontré qu’ils possédaient les compétences voulues avant que ne commence cet exercice financier.

[33]  Malgré une rencontre d’une heure et demie avec M. Bucar, M. De Santis soutient qu’il n’a pas eu le temps d’exposer l’intégralité de son grief. Il affirme aussi que M. Bucar lui avait promis que l’audience reprendrait dès que le demandeur lui aurait présenté une analyse des dossiers qu’il avait traités et que le Service d’interprétation aurait remis son opinion.

[34]  Il est difficile de déterminer si M. Bucar a réellement promis de reprendre l’audience comme l’allègue M. De Santis. Dans un courriel daté du 2 octobre 2019, M. De Santis écrit que les parties ont [traduction« envisagé la possibilité de reprendre » l’audience. Le défendeur rappelle que M. Bucar n’avait aucune obligation de tenir une audience en personne, encore moins de reprendre l’instruction d’une audience qui avait déjà duré une heure et demie (Chickoski c Canada (Procureur général), 2017 CF 772, aux paragraphes 38 et 49, citant Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, au paragraphe 35).

[35]  Quoi qu’il en soit, M. De Santis n’a pas précisé quels renseignements ou arguments supplémentaires il aurait présentés si l’audience avait repris. Il n’a pas non plus démontré qu’il avait été lésé par le choix de M. Bucar de ne pas convoquer de reprise d’audience avant de rendre sa décision. M. De Santis s’est vu offrir de nombreuses possibilités de présenter des renseignements et des arguments à l’appui de sa position, ce qu’il a fait à la fois de vive voix et par écrit. M. De Santis a été informé près de deux semaines à l’avance qu’une décision serait rendue sous peu et il n’y a opposé aucune objection.

[36]  Par conséquent, je conclus que la décision de M. Bucar était équitable sur le plan procédural.

C.  La décision de M. Bucar était‑elle raisonnable?

[37]  Selon M. De Santis, M. Bucar s’est contenté de résumer la Politique sur l’administration des traitements et s’en est remis aux conclusions du comité d’examen sans procéder à une analyse sérieuse des renseignements et arguments qu’il a présentés. Il se plaint du fait que dans sa décision, M. Bucar n’explique pas pour quels motifs il a confirmé le 1er avril 2019 comme date de prise d’effet de sa promotion : la décision ne satisfait donc pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (citant Vavilov, au paragraphe 100).

[38]  Le défendeur reconnaît le caractère succinct de la décision de M. Bucar. Toutefois, il insiste sur le cadre institutionnel entourant cette décision. Celle‑ci est en effet le résultat d’une procédure interne de règlement de griefs qui vise à résoudre les différends efficacement et sans opposer les parties.

[39]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada met en garde les cours de révision contre la tentation de juger les décisions administratives au regard d’une norme de perfection, expliquant que la « justice administrative » ne ressemble pas toujours à la « justice judiciaire » :

[91] […] Le fait que les motifs de la décision « ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire » ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision : Newfoundland Nurses, [2011 CSC 62], par. 16. On ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance.

[40]  Les décideurs administratifs ne sont pas tenus de « répond[re] à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » ou de tirer « une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale ». Une décision sera raisonnable dès lors que le décideur traite des arguments centraux et fournit des motifs suffisants qui permettent aux parties de comprendre cette décision (Vavilov, au paragraphe 128).

[41]  Selon ce qui est énoncé dans son préambule, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, a notamment pour objet de « résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi ». Compte tenu du cadre institutionnel applicable à sa décision, M. Bucar n’était pas tenu de fournir des motifs détaillés et techniques comme le font les tribunaux judiciaires. Son obligation se limitait à fournir des motifs suffisants pour résoudre le grief de façon juste et équitable.

[42]  Je suis convaincu que les motifs de M. Bucar étaient adéquats dans les circonstances. M. Bucar a traité de la question centrale soulevée par le grief de M. De Santis, qui était de savoir si la date de prise d’effet de sa promotion avait été correctement établie. Il a analysé cette question au regard des contraintes factuelles et juridiques en cause, en citant les politiques et lignes directrices applicables. Il a même effectué une démarche supplémentaire en obtenant l’opinion du Service d’interprétation. Cette opinion a confirmé la conclusion à laquelle étaient arrivés le comité d’examen et Mme Guilbert et voulant que la date de prise d’effet de la promotion corresponde normalement au début de l’exercice financier qui suit le processus ayant débouché sur une recommandation de promotion.

[43]  Le comité d’examen a conclu que c’était au cours de l’exercice 2018‑2019 que M. De Santis s’était vu confier des dossiers plus complexes et avait commencé à faire la démonstration de ses compétences de niveau PM‑MCO‑02. Il a donc déterminé que la date de prise d’effet de sa promotion devait être le 1er avril 2019. Il était tout à fait permis à M. Bucar de préférer les conclusions de fait du comité d’examen à la position contraire avancée par M. De Santis. M. Bucar s’est fondé sur la Politique sur l’administration des traitements, en se référant à l’interprétation qu’en a donné le Service d’interprétation, ainsi que sur les Lignes directrices. Tous ces éléments étayaient la décision du comité d’examen concernant la date à laquelle l’avancement de M. De Santis devait prendre effet.

[44]  Cela suffit pour disposer de la demande de contrôle judiciaire. Néanmoins, je ferai quelques brefs commentaires à propos de quelques‑uns des autres arguments formulés par M. De Santis.

[45]  M. De Santis demande à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve ayant trait à ses antécédents de travail et de substituer sa propre opinion à celle du comité d’examen et de M. Bucar quant à la date de son admissibilité à un avancement. Or, tel n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61; Vavilov, au paragraphe 128). M. De Santis n’a pas démontré que les conclusions de fait du comité d’examen comportaient des lacunes telles qu’une intervention de la Cour était justifiée.

[46]  M. De Santis allègue s’être acquitté de tâches correspondant à un secteur supérieur sans recevoir une juste rémunération, en violation du principe préconisant un salaire égal pour un travail d’égale valeur. Toutefois, il existe deux politiques différentes permettant de rémunérer les ART pour leur rendement. Ceux‑ci peuvent soit être promus à un secteur associé à un traitement plus élevé dans le cadre de la Politique sur l’administration des traitements, soit toucher une prime forfaitaire de fin d’année conformément à la Politique sur l’administration de la rémunération au rendement de certains niveaux supérieurs exclus non compris dans la catégorie de la gestion. M. De Santis a reçu des primes forfaitaires au titre de cette dernière politique pour 2018 et pour 2019.

[47]  En conséquence, je conclus qu’il était raisonnable que M. Bucar confirme la décision rendue par le comité d’examen eu égard à la date de prise d’effet de la promotion de M. De Santis.

VI.  Conclusion

[48]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[49]  Le défendeur sollicite des dépens d’un montant forfaitaire de 1 500 $. Quant à M. De Santis, il soutient que chaque partie devrait assumer ses propres frais.

[50]  M. De Santis n’était pas représenté par avocat dans le cadre de la présente demande. Il a présenté ses arguments avec clarté, sans prolonger ou compliquer indûment l’instance devant la Cour. Ses arguments, en particulier ceux portant sur le caractère succinct des motifs de M. Bucar, n’étaient pas dénués de substance. Je suis donc d’avis qu’il n’y a pas lieu en l’espèce d’adjuger des dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2020.

Semra Denise Omer, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1836‑19

 

INTITULÉ :

DANIEL DE SANTIS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE VANCOUVER ET OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 24 JUIN 2020

 

COMPARUTIONS :

Daniel De Santis

(pour son propre compte)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Julie Chung

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.