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Date : 20041217

Dossier : IMM-794-04

Référence : 2004 CF 1751

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE Mactavish

ENTRE :

                                                DIETER EKO ARIE WIDYANATA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dieter Eko Arie Widyanata est un ressortissant indonésien. Il est de souche chinoise et de religion catholique. M. Widyanata dit craindre la persécution en Indonésie en raison de sa religion et de ses origines.

[2]                Le père, la mère et la soeur de M. Widyanata ont tous demandé l'asile au Canada en 1999, à la suite d'événements qui s'étaient produits en Indonésie en 1998. Tous les trois ont obtenu l'asile. M. Widyanata a demandé l'asile en 2003.


[3]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile de M. Widyanata, estimant que la menace sous laquelle vivait la communauté sino-indonésienne en Indonésie en 1998 avait disparu. En conséquence, la Commission a conclu que la revendication de M. Widyanata n'était pas fondée objectivement.

[4]                M. Widyanata sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, en affirmant que la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas tenu compte de toute la preuve se rapportant au risque que connaissent aujourd'hui en Indonésie les membres de la communauté chrétienne d'origine chinoise. Il dit aussi que la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas expressément examiné sa crainte de persécution fondée sur sa religion.

Les faits

[5]                M. Widyanata dit que, en 1996, il a été terrorisé par un groupe de jeunes musulmans, qui lui avaient fait des remarques désobligeantes sur ses origines, en même temps qu'ils tentaient d'arracher l'insigne de l'école catholique fixé à son uniforme d'école. À une autre occasion, il fut encerclé par toute une cohue et dut de nouveau subir des injures ethniques. Une troisième fois, M. Widyanata a été abordé par un homme en uniforme militaire, qui exigeait de l'argent des « riches Chinois » .

[6]                À la suite de ces incidents, M. Widyanata a quitté l'Indonésie en 1997. Il s'est rendu aux États-Unis, où il a poursuivi ses études universitaires. Sa famille est demeurée en Indonésie, où elle a continué de connaître des problèmes liés à ses origines.

[7]                En mai 1998, la mère de M. Widyanata a été encerclée par un attroupement de gens alors qu'elle se trouvait dans sa voiture. Ils l'accusaient d'être chinoise et la menaçaient de viol. Son chauffeur a pu se frayer un chemin en accélérant, et elle s'en est tirée indemne. Deux jours plus tard, le père de M. Widyanata a lui-même été assailli par une troupe de gens auxquels il a pu échapper en payant une forte somme à un gardien de sécurité, qui l'avait alors sorti de la foule dans un hurlement de sirènes.

[8]                Au cours des mois suivants, plusieurs émeutes hostiles aux Chinois ont éclaté à Djakarta. Le 18 novembre 1998, la soeur de M. Widyanata, qui revenait de l'école en taxi pour se rendre chez elle, fut encerclée par une foule. La foule exigeait de l'argent, puis a essayé d'ouvrir la portière tout en proférant des injures racistes. Le chauffeur a pu se frayer un chemin dans la foule, et la soeur du demandeur s'en est tirée sans encombre.


[9]                Quatre jours plus tard, des églises étaient incendiées à Djakarta, et six chrétiens étaient assassinés non loin du domicile de la famille Widyanata. La famille a donc décidé de dissimuler son identité religieuse. Le 18 avril 1999, le père de M. Widyanata, qui allait faire des provisions, a été encerclé par une foule. La foule criait : [traduction] « Un Chinois, on va le voler! » . Le père a été volé et battu au cours de cet incident. La famille a quitté l'Indonésie pour le Canada plus tard cette année-là. Comme je l'ai dit, leurs demandes d'asile ont été acceptées.

[10]            Interrogé sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas présenté sa propre demande d'asile après les émeutes de mai 1998, M. Widyanata a dit qu'il avait suivi le conseil de ses parents, qui voulaient qu'il termine deux autres années d'école avant de présenter une demande d'asile.

La décision de la Commission

[11]            La Commission n'a pas mis en doute la crédibilité de M. Widyanata. Son analyse a plutôt porté sur la situation actuelle de la population chrétienne d'origine chinoise en Indonésie.

[12]            La Commission a examiné la mesure dans laquelle le militantisme islamique restait vivace en Indonésie, et le soutien dont bénéficiait ce militantisme aux niveaux les plus élevés de l'administration et de l'armée. La Commission a conclu que, bien que le militantisme islamique demeure vivace en Indonésie, il ne vise plus les Chinois de souche ou les catholiques d'origine chinoise, mais plutôt les intérêts occidentaux.

[13]            Selon la Commission, des inquiétudes subsistent à propos du conflit entre musulmans et chrétiens dans la province de Malaku ou dans la région centrale de l'île de Sulawesi, mais ces régions sont très éloignées de Djakarta, la ville où demeurait M. Widyanata.

[14]            La Commission a constaté aussi que l'Assemblée consultative populaire (la MPR) s'est révélée disposée à exercer un droit de regard sur l'armée. La MPR a refusé l'application de la charia en Indonésie. Elle se compose d'ailleurs largement de musulmans modérés.

[15]            La Commission a relevé que la MPR a pris plusieurs mesures pour renforcer la stabilité des institutions démocratiques de l'Indonésie, notamment en réduisant le nombre de sièges détenus par l'armée au sein de la MPR elle-même. La Commission en a conclu que le fondamentalisme islamique s'affaiblit en Indonésie et que le pays devient une nation islamique plus modérée.

[16]            La Commission a fait observer que nombre des arguments de M. Widyanata portaient sur les émeutes de 1998 hostiles aux Chinois et sur leurs conséquences immédiates. Cependant, depuis l'attentat de Bali en 2002, plusieurs nouveaux décrets antiterroristes ont été pris. La sympathie des extrémistes musulmans indonésiens pour le mouvement Al Qaeda a aussi renforcé la relation entre le gouvernement indonésien et le gouvernement des États-Unis, étant donné que ces deux pays s'emploient à combattre le terrorisme.


[17]            La Commission s'est référée au rapport 2002 du Département d'État, où l'on pouvait lire qu' [traduction] « au cours de l'année, il y a eu des cas de discrimination et de harcèlement » à l'endroit des Chinois de souche. La Commission a relevé que ces événements étaient peu fréquents et relativement circonscrits. Elle a aussi retenu que, selon le Rapport international de 2002 sur la liberté religieuse, la coopération entre les divers cultes semblait s'accentuer en Indonésie.

[18]            La Commission a donc estimé que « la collectivité indonésienne d'ethnie chinoise n'est plus menacée, en 2003, comme elle l'était en 1998, au moment de la chute du régime Suharto » . Puisqu'il n'y avait aucune possibilité sérieuse de torture, de menaces pour la vie ou de peines cruelles et inusitées, la Commission a rejeté la revendication de M. Widyanata parce qu'il n'avait pas prouvé qu'elle était objectivement fondée.

Points litigieux

[19]            M. Widyanata soulève deux points dans la présente demande :

1.          La Commission a-t-elle tenu compte de l'ensemble de la preuve ou a-t-elle tiré des conclusions de fait qui ne sont pas autorisées par la preuve?

2.          La Commission a-t-elle bien pris en compte l'aspect de la revendication relatif au fait que M. Widyanata est de religion chrétienne?

La Commission a-t-elle tenu compte de l'ensemble de la preuve ou a-t-elle tiré des conclusions de fait qui ne sont pas autorisées par la preuve?


[20]            Selon M. Widyanata, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a examiné la situation qui a cours aujourd'hui en Indonésie, sans tenir compte de l'antipathie historique dont est victime dans ce pays la population chrétienne de souche chinoise. Il signale sur ce point la situation des années 60, au cours desquelles avaient été tués des centaines de milliers d'Indonésiens de souche chinoise.

[21]            M. Widyanata dit aussi que les émeutes de mai 1998 n'étaient pas un épiphénomène, mais étaient plutôt le symptôme d'une attitude systématique consistant à faire de la population chinoise d'Indonésie un bouc émissaire.

[22]            Tout en reconnaissant la preuve documentaire qui montrait que les extrémistes islamiques d'Indonésie ont détourné leur attention de la population chrétienne d'origine chinoise pour la diriger maintenant vers les intérêts occidentaux, M. Widyanata affirme que la situation qui a cours en Indonésie évolue encore. Selon M. Widyanata, il subsiste envers sa communauté un ressentiment qui pourrait en période de tension déboucher sur la violence.

[23]            Au soutien de ses arguments, M. Widyanata signale des passages de divers documents versés dans le dossier. Il convient de noter que la Commission s'est référée expressément à la plupart de ces documents dans sa décision. S'agissant des documents dont il n'est pas fait expressément état dans la décision, le fait qu'un arbitre ne mentionne pas tel ou tel document ne signifie pas qu'il n'en a pas tenu compte pour arriver à sa décision : voir l'arrêt Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102, et la décision Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n ° 946.

[24]            À mon avis, l'analyse faite en l'espèce par la Commission est une analyse détaillée et minutieuse, et il n'appartient pas à la Cour d'apprécier de nouveau la preuve que la Commission avait devant elle. La Commission a reconnu que les sentiments antichinois et antichrétiens demeurent préoccupants en Indonésie, surtout dans certaines régions du pays qui sont très éloignées de Djakarta. Toutefois, la Commission a aussi constaté que le gouvernement indonésien est résolu à éliminer la persécution dont est victime la population chrétienne de souche chinoise et qu'il a pris des mesures concrètes en ce sens.

[25]            Je ne suis pas persuadée que la Commission a commis une erreur sujette à révision lorsqu'elle a analysé la situation qui a cours aujourd'hui en Indonésie. Comme l'a dit le défendeur, l'analyse d'une demande d'asile est une analyse prospective. À ce stade, lorsque M. Widyanata affirme que la population chrétienne de souche chinoise « pourrait » être exposée un jour à la persécution, il se livre à des conjectures.

[26]            Finalement, M. Widyanata signale un arrêt de la Cour d'appel des États-Unis pour le Neuvième Circuit, l'arrêt Sael v. Ashcroft, 386 F. 3d 922 (9e Cir. 2004). Dans cette affaire, la Cour d'appel des États-Unis a jugé qu'une Indonésienne d'ascendance chinoise avait raison de craindre la persécution en raison de ses origines. Selon M. Widyanata, bien que ce précédent ne s'impose pas à la Cour, il renforce son argument sur l'hostilité persistante à l'endroit des membres de la population chinoise en Indonésie, et il devrait être persuasif.

[27]            J'ai examiné l'arrêt Sael. Non seulement les circonstances de cette affaire et la loi applicable sont-elles quelque peu différentes de celles qui nous concernent ici, mais le dossier que la Cour d'appel des États-Unis avait devant elle et qui décrivait la situation de la population de souche chinoise en Indonésie était lui aussi différent. En conséquence, ce précédent a peu de valeur persuasive ici.

La Commission a-t-elle bien pris en compte l'aspect de la revendication relatif au fait que M. Widyanata est de religion chrétienne?

[28]            M. Widyanata s'oppose aussi à l'avant-dernier paragraphe de la décision de la Commission, ainsi rédigé :

[L]a collectivité indonésienne d'ethnie chinoise n'est plus menacée, en 2003, comme elle l'était en 1998 au moment de la chute du régime Suharto. Par conséquent, la demande d'asile n'a pas de fondement objectif et il n'existe pas de sérieuse possibilité que le demandeur soit persécuté du fait de son appartenance s'il retourne maintenant en Indonésie. [Non souligné dans l'original]

[29]            La Commission a négligé de mentionner dans ses conclusions les chrétiens d'Indonésie, et, selon M. Widyanata, cela veut dire que l'aspect de sa revendication relatif à sa religion n'a pas été pris en compte par la Commission.

[30]            Je n'accepte pas cet argument. Si l'on examine globalement la décision de la Commission, il est parfaitement clair que la Commission y est constamment sensible au fait que la demande d'asile de M. Widyanata reposait à la fois sur son origine ethnique et sur sa religion.


[31]            Au début de son analyse, la Commission écrivait que, selon M. Widyanata, la violence contre les populations chinoises et chrétiennes subsiste en Indonésie. Puis la Commission écrit : « Je vais regrouper ces questions et les analyser collectivement pour déterminer si le demandeur craint avec raison d'être persécuté du simple fait qu'il est un chrétien d'origine chinoise » .

[32]            Tout au long de sa longue et minutieuse analyse de l'information concernant la situation qui a cours dans le pays, la Commission fait constamment référence au sort des Indonésiens d'origine chinoise, ainsi qu'à celui des chrétiens. La Commission se penche expressément dans son analyse sur les tensions entre la communauté musulmane et la communauté chrétienne. On peut donc établir une distinction avec les décisions suivantes : Daci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 394, et Ghasemian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1591.

[33]            Je suis donc d'avis que le volet « religion » de la demande d'asile de M. Widyanata a bien été pris en compte par la Commission et que, si la Commission ne fait pas expressément état de la population chrétienne dans l'avant-dernier paragraphe susmentionné de sa décision, ce ne peut être que le résultat d'un oubli de la part de la Commission.

Dispositif

[34]            Pour ces motifs, la demande est rejetée.


Question à certifier

[35]            Aucune des parties n'a proposé qu'une question soit certifiée, et aucune question n'est soulevée en l'espèce.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

               « Anne L. Mactavish »                

Juge                              

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      IMM-794-04

INTITULÉ :                                                     DIETER EKO ARIE WIDYANATA c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 24 NOVEMBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                               TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE Mactavish

DATE DES MOTIFS :                                    LE 17 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Jack C. Martin

(416) 351-8600, poste 227                                                       pour le demandeur

Stephen Jarvis

(416) 973-0444                                                                        pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack C. Martin

IMMIGRATION et DROIT DE LA FAMILLE

166, rue Pearl

Bureau 200

Toronto (Ontario)

M5H 1L3                                                                                  pour le demandeur

Stephen Jarvis

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

130, rue King ouest

Bureau 3400, casier 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6                                                                                 pour le défendeur

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