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Date : 20040209

Dossiers : T-229-01

T-230-01

Référence : 2004 CF 210

ENTRE :

                                                CUSHMAN & WAKEFIELD, INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                           WAKEFIELD REALTY CORPORATION

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Les imposteurs sont dangereux. Les vols d'identité sont très répandus et le commerce de fausses identités est florissant. En cette matière, les passeports, visas et cartes de crédit nous viennent immédiatement à l'esprit. Nous sommes tous uniques et nous ne devrions pas afficher de fausses identités.


[2]                En matière commerciale, cela signifie qu'une entreprise ne peut faire passer ses marchandises et services comme étant ceux d'une autre entreprise. Pour réduire les risques de confusion, une entreprise ne peut se constituer en personne morale sous un nom déjà utilisé ou sous un nom similaire à un nom de société déjà constituée. Dans le même ordre d'idées, la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, prévoit l'enregistrement des marques de commerce et des noms commerciaux. Cet enregistrement et la publicité qui s'y rattache confèrent une certaine protection à ceux qui achètent ou vendent des marchandises ou services. Il n'est pas permis d'enregistrer une marque de commerce qui n'est pas distinctive ou qui crée de la confusion avec une marque déposée.

[3]                Cushman & Wakefield, Inc., une société new-yorkaise, a produit une demande d'enregistrement pour les marques de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD design » fondée sur un emploi projeté au Canada en liaison avec le courtage immobilier et autres services connexes.

[4]                La Wakefield Realty Corporation de Toronto s'est opposée à la demande aux motifs que les marques de commerce demandées créaient de la confusion avec sa marque déposée « WAKEFIELD design » qui était employée depuis un certain temps en liaison avec le courtage immobilier et autres services connexes. Wakefield s'est également opposée en raison de l'emploi antérieur de sa marque « WAKEFIELD REALTY CORPORATION » et parce que les marques demandées n'étaient pas distinctives compte tenu de l'emploi antérieur et actuel de la marque et du nom commercial « Wakefield Realty Corporation » .


[5]                Un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, délégué par le registraire des marques de commerce (le registraire), a rejeté la demande au motif que Cushman & Wakefield ne l'avait pas convaincu que les deux marques visées ne créaient pas de confusion avec les marques déposées « WAKEFIELD design » et « WAKEFIELD » . De plus, Wakefield Realty Corporation avait démontré l'emploi antérieur de son nom commercial et le non­-abandon de celui-ci, de sorte que l'enregistrement des marques demandées pouvait créer de la confusion avec le nom commercial « WAKEFIELD REALTY CORPORATION » , et les marques projetées ne permettaient pas de distinguer ses services.

[6]                Cushman & Wakefield Inc. a interjeté appel de cette décision à la présente Cour en vertu de l'article 56 de la Loi. Wakefield Realty Corporation maintient son opposition et agit à titre de défenderesse en l'instance.

NORME DE CONTRÔLE

[7]                L'appel d'une décision du registraire des marques de commerce a ses particularités. Les deux parties peuvent apporter une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire et la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. Comme on pouvait s'y attendre, cet article a donné lieu à une jurisprudence volumineuse sur l'interprétation de la « preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire » et les circonstances dans lesquelles il est approprié pour la Cour d'exercer sa discrétion d'une manière différente de celle du registraire.

[8]                Le juge Décary a succinctement résumé l'état actuel du droit est dans Christian Dior, S.A. c. Dion Neckware Ltd., 2002 CAF 29, 20 C.P.R. (4th) 155, au paragraphe 8 :


La norme de contrôle applicable dans le cas des décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, est la norme de la décision raisonnable simpliciter, qui est synonyme de la norme de la « décision manifestement déraisonnable » . Toutefois, lorsque des éléments de preuve supplémentaires sont soumis à la Section de première instance et que ces éléments de preuve auraient pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions au sujet du bien-fondé de la décision du registraire (voir les arrêts Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.) le juge Rothstein, à la page 168, et Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Assn. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51 (C.A.F.), le juge Malone, au paragraphe 13 et le juge Isaac, au paragraphe 10, et le jugement Garbo Creations Inc. c. Harriet Brown & Co. (1999), 3 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst.), le juge Evans, à la page 234).

[9]                Suivant l'examen récent de la norme de la décision raisonnable par la Cour suprême du Canada dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, la cour siégeant en contrôle judiciaire doit considérer les motifs donnés par le tribunal et déterminer si un mode d'analyse, dans les motifs avancés, pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable.

[10]            La première tâche qui incombe à notre Cour est de déterminer si la preuve additionnelle aurait eu un effet sur la décision du registraire. Dans l'affirmative, il convient d'évaluer si la décision était raisonnable ou non. Dans la négative, il faut déterminer si la décision était déraisonnable.


[11]            Pour la replacer dans une perspective appropriée, la norme de contrôle, que ce soit celle de la décision correcte ou de la décision raisonnable simpliciter, doit être différenciée de la troisième norme, la décision manifestement déraisonnable. Voir l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, précité, et Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19.

L'AFFAIRE DONT LE REGISTRAIRE ÉTAIT SAISI

[12]       Comme de nombreux éléments de preuve supplémentaires ont été fournis à la Cour, nous devons commencer par l'examen de la preuve dont le registraire disposait.

[13]            Cushman & Wakefield a produit ses demandes d'enregistrement de marques de commerce le 30 juin 1994 pour l'emploi projeté suivant :

[traduction] Services de courtage immobilier, notamment la location et la vente d'immeubles commerciaux, industriels et à usage d'habitation; gestion immobilière et exploitation d'installations; évaluation; assurance; consultation, recherche et développement de projets immobiliers, notamment la préparation d'évaluations et de rapports, l'analyse de plans d'emplacement et l'élaboration d'études de faisabilité.

[14]            Les demandes ont été modifiées le 8 novembre 1995 pour y inclure le désistement à l'usage du nom « Cushman » et elles ont toutes deux été publiées aux fins d'opposition le même jour. En présentant un désistement, Cushman & Wakefield a reconnu ne pas demander de droit de propriété sur le mot « Cushman » qui, en lui-même, a conclu le registraire, pourrait être considéré comme un nom de famille.

[15]            Wakefield Realty Corporation a produit ses déclarations d'opposition le 17 novembre 1995.

[16]            Quatre motifs d'opposition ont été acceptés. Le premier portait sur le caractère non enregistrable des marques demandées en raison de l'alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu'elle créait de la confusion avec la marque de commerce WAKEFIELD design qui avait été déposée en liaison avec des :

[traduction] Services dans le domaine immobilier, à savoir tous les services liés à l'exploitation d'une entreprise de courtage immobilier, de courtage hypothécaire, de gestion d'affaires, de gestion immobilière et d'évaluation.

[17]            Le deuxième motif invoqué avec succès portait que Cushman & Wakefield n'avait pas droit à l'enregistrement des marques en raison de l'alinéa 16(3)a) de la Loi parce que les marques projetées créaient de la confusion avec la marque « WAKEFIELD » antérieurement employée au Canada en liaison avec des services dans le domaine immobilier.

[18]            Le troisième motif portait que Wakefield Realty Corporation détenait un droit préalable à l'enregistrement vu son emploi antérieur de son nom commercial « WAKEFIELD REALTY CORPORATION » .

[19]            Enfin, le registraire a conclu que les marques projetées n'étaient pas distinctives compte tenu de l'emploi fait par Wakefield Realty Corporation de sa propre marque de commerce et de son nom commercial.


[20]            La preuve présentée par Cushman & Wakefield comprenait les affidavits de MM. Frank Ziska et Jamie Bocking. M. Ziska était directeur général, Opérations États-Unis/Canada de Cushman & Wakefield. Il a indiqué que, le 21 mai 1997, Cushman & Wakefield Inc. a obtenu l'enregistrement au Canada de la marque de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » en liaison avec des :

[traduction] ...services de courtage immobilier; de gestion immobilière; d'évaluation de biens immobiliers; d'investissements financiers en immobilier; de crédit-bail immobilier; de services de consultation en immobilier; de recherche en matière immobilière; d'aménagement immobilier; d'assurance.

M. Ziska a affirmé que Cushman & Wakefield avait autorisé Royal Lepage Commercial Inc. à employer cette marque de commerce au Canada. Selon son témoignage, Cushman & Wakefield Worldwide est une association de sept grandes sociétés immobilières qui exercent leurs activités dans différents pays.

[21]            M. Ziska a ajouté que Royal Lepage Commercial Inc. employait, depuis environ deux ans, la marque de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » et le nom commercial « CUSHMAN & WAKEFIELD » au Canada en les inscrivant sur du papier à en-tête, des cartes professionnelles et d'autres articles de bureau. De plus, Royal Lepage Commercial Inc. distribuait à ses clients et aux clients potentiels un rapport d'enquête annuel dans lequel la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » et le nom commercial « CUSHMAN & WAKEFIELD » figuraient, tout comme dans les bulletins d'information, sur les affiches et d'autres accessoires publicitaires.


[22]            M. Bocking était stagiaire au cabinet d'avocats canadien de Cushman & Wakefield. Il s'est rendu à la Bibliothèque nationale du Canada et a joint à son affidavit des photocopies des pages pertinentes des annuaires téléphoniques canadiens qui contenaient le terme « Wakefield » en liaison avec le domaine immobilier. Il a notamment trouvé les inscriptions « Wakefield Ridge Estates » à Ottawa, « Wakefield Realty » à Vancouver, et bien sûr « Wakefield Realty Corporation » à Toronto, de même que d'autres inscriptions liées au domaine de la construction et d'autres domaines connexes.

[23]            En opposition, Wakefield a produit l'affidavit de son président, M. Howard Freeman, qui a été contre-interrogé. Celui-ci a pour l'essentiel témoigné que son entreprise exerçait ses activités de façon continue dans la région du Grand Toronto depuis 1977, principalement comme agence de courtage immobilier résidentiel, mais de temps à autre de courtage immobilier commercial. Bien que « Wakefield » soit le terme principal des noms commerciaux de diverses agences immobilières appartenant à la famille de M. Freeman et exploitées par celle-ci depuis 1926, l'opposante a insisté sur le fait que « Wakefield » est devenue « Wakefield Realty Corporation » en 1977. Il a été démontré que Wakefield faisait régulièrement de le publicité. Tous ces éléments s'ajoutaient au dossier qui établissait que la marque de commerce « Wakefield » avait été déposée en 1986.

[24]            M. Freeman a conclu ainsi son affidavit :

[traduction] Je crains que l'emploi, par une autre agence, du nom WAKEFIELD, seul ou combiné à d'autres termes, crée de la confusion dans le public et que les gens supposent que Wakefield Realty Corporation s'est, d'une manière ou d'une autre, affiliée ou fusionnée avec une autre agence immobilière au Canada.

[25]            Le registraire a souligné que, bien que M. Bocking ait cité des noms publiés dans des annuaires téléphoniques, aucun emploi de noms commerciaux, autre que Wakefield Realty, n'est établi en preuve.


[26]            Le témoignage de M. Ziska a en grande partie été écarté parce qu'il s'agissait de ouï-dire et qu'il était inadmissible. Toutefois, le registraire a ajouté que, même si les déclarations avaient été admissibles, la preuve était insuffisante pour établir que Royal Lepage employait la marque de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » en vertu d'une licence et que, de toute manière, la plupart des documents présentés en preuve par Royal Lepage démontraient l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » plutôt que des marques projetées « CUSHMAN & WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD design » .

[27]            En arrivant à cette conclusion, le registraire a souligné que les services offerts par les parties se ressemblaient énormément, à savoir le domaine immobilier, et pouvaient donc se recouper. Même si Cushman & Wakefield soutenait que ses services étaient distincts parce qu'ils étaient limités à l'immobilier commercial alors que Wakefield exerce ses activités essentiellement dans l'immobilier résidentiel, les états déclaratifs des services produits n'étaient pas aussi limités et Wakefield vendait parfois des propriétés rurales, récréatives et commerciales. Le registraire a ajouté :

[traduction] En ce qui concerne l'alinéa 6(5)e) de la Loi, j'estime qu'il y a, à tous les égards, un degré de ressemblance assez élevé entre les marques en cause. La requérante a reconnu que le premier élément de ses deux marques (à savoir le nom CUSHMAN) n'est pas distinctif. Aussi, elle a adopté, en entier, le terme WAKEFIELD de la marque de l'opposante comme deuxième terme et élément distinctif de ses deux marques.

[28]            L'alinéa 6(5)e) de la Loi prévoit :


En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

...

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the Court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

...

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the idea suggested by them.

[29]            Wakefield s'est fondée sur des cas réels de confusion ou d'erreurs, M. Freeman ayant affirmé en contre-interrogatoire être au courant de deux ou trois incidents impliquant des clients qui avaient vu la marque CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE et avaient supposé qu'il y avait un lien entre cette entreprise et Wakefield. Le registraire n'a pas accordé beaucoup de poids à cet élément de preuve, mais a néanmoins affirmé :

[traduction] [...] mais cela fait ressortir la probabilité que survienne une certaine confusion entre les marques des parties.

PREUVE ADDITIONNELLE PRODUITE EN APPEL


[30]            Cushman & Wakefield a produit de nombreux éléments de preuve additionnelle en appel. Elle a solidifié la preuve par ouï-dire de M. Frank Ziska en présentant des affidavits de M. Wayne Mondville et de Mme Sarah Langdon qui travaillaient chez Royal Lepage Commercial Inc. pendant les périodes pertinentes. Leurs témoignages ainsi que celui de M. John Coppedge, vice-président administratif aux opérations internationales de Cushman & Wakefield, ont également porté de façon assez détaillée sur les relations d'affaires entre Cushman & Wakefield et Royal Lepage Commercial Inc. Mme Celine Clarke, directrice des communications de Cushman & Wakefield, a fourni des renseignements concernant les communiqués de presse et les annonces publicitaires publiés à compter de 1990 qui faisaient la promotion du nom Cushman & Wakefield, et des marques « CUSHMAN & WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » ainsi que leur lien avec Royal Lepage Commercial Inc.

[31]            Ont aussi été produits les affidavits de Mme Mindy Klasky et de MM. Robert Dickey et Robert White, qui portaient sur des questions telles que des bulletins de nouvelles relatifs aux opérations de Cushman & Wakefield au Canada et des renseignements sur le tirage canadien de diverses publications spécialisées, dont certaines étaient publiées aux États-Unis, et de journaux. L'objectif de ces affidavits était de démontrer que le nom Cushman & Wakefield avait été, sous une forme ou une autre, diffusé sur le marché canadien. M. Coppedge a été contre-interrogé.

[32]            Wakefield a produit un affidavit supplémentaire de M. Howard Freeman, lequel a de nouveau été contre-interrogé.

LES QUESTIONS EN LITIGE


[33]            Cushman & Wakefield a soulevé huit motifs d'appel. Deux d'entre eux ne sont plus pertinents en ce qu'ils se rapportaient au rejet de certaines assertions de M. Ziska pour cause de ouï-dire. Ce qui aurait pu être considéré comme du ouï-dire devant le registraire ne constitue pas du ouï-dire devant notre Cour en raison des affidavits présentés par des personnes ayant une connaissance plus personnelle des faits en question. Les cinq autres motifs portent que le registraire a erré :

a)          en concluant à l'absence de preuve d'emploi de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » par Royal Lepage en vertu d'une licence;

b)          en concluant à l'absence de preuve que la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD » était devenue connue au Canada;

c)          en concluant qu'il y avait preuve d'un emploi « non négligeable » de la marque Wakefield;

d)         en concluant que les services et commerces des parties se recoupaient et en ne considérant pas la question de la confusion du point de vue du « consommateur moyen » visé par les services et commerces respectifs des parties;

e)         en omettant de considérer les marques de commerce projetées dans leur ensemble et en accordant de l'importance au désistement concernant le mot « Cushman » dans la demande.

[34]            Enfin, la demanderesse soutient que le registraire est arrivé à la mauvaise décision compte tenu de la preuve additionnelle.

[35]            Pour sa part, Wakefield fait valoir que le registraire n'a pas erré en concluant qu'il y avait une ressemblance assez importante en tous points entre les marques de commerce, qu'il a correctement apprécié la probabilité de confusion et que Cushman & Wakefield ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve. La défenderesse a affirmé que, même au regard de la preuve additionnelle, la décision était bonne parce qu'il n'y avait pas eu octroi d'une licence valide d'emploi des marques de Cushman & Wakefield à Royal Lepage Commercial Inc.conformément à l'article 50 de la Loi sur les marques de commerces, et que tout emploi non autorisé par Royal Lepage ne contribuait pas à distinguer les marques de Cushman & Wakefield, mais plutôt à leur donner un caractère non distinctif. Subsidiairement, même s'il y avait licence valide, l'emploi était un emploi de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » , ce qui n'était pas suffisant pour démontrer l'emploi au Canada des deux marques visées par la présente demande. Quoi qu'il en soit, Cushman & Wakefield ne s'était pas acquittée de son fardeau en ce qui concerne la preuve de la probabilité de confusion.

ANALYSE

[36]            Je suis d'avis que la preuve additionnelle présentée aurait eu un effet sur la décision du registraire et que, par conséquent, je dois déterminer si sa décision était correcte, et non si elle était déraisonnable.


[37]            Cushman & Wakefield a établi à ma satisfaction que ce nom, seul ou combiné avec le terme « Worldwide » , était bien connu au Canada dans les milieux concernés et que l'emploi par Royal Lepage de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » était autorisé et sous contrôle. Si ces faits avaient été soumis au registraire, il n'aurait pas pu conclure que la preuve n'établissait pas que Royal Lepage avait employé la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » sous une licence et que les déclarations de M. Ziska n'apportaient guère la preuve de l'emploi des deux marques de commerce projetées.

UN NOUVEL EXAMEN

La marque de commerce est-elle enregistrable?

[38]            Selon Wakefield, il faut tenir compte de l'alinéa 12(1)d) ainsi que des paragraphes 6(2)et 6(5) de la Loi. Ils prévoient qu'une marque de commerce n'est pas enregistrable si elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée. L'emploi d'une marque crée de la confusion avec une autre marque lorsque l'emploi de deux marques :

... dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

...in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

[39]            Le paragraphe 6(5) précise :

En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[40]            Compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, j'estime que les marques projetées sont enregistrables et ne devraient pas créer de confusion. Cushman & Wakefield s'est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait devant le registraire et devant la présente Cour.


[41]            Comme le registraire l'a indiqué, la confusion doit s'apprécier à différentes dates selon les motifs d'opposition soulevés par Wakefield. Le registraire a estimé que les conclusions relatives à la confusion entre les marques de Cushman & Wakefield et la marque de Wakefield Realty Corporation étaient largement applicables à ses conclusions concernant les autres motifs d'opposition. Quoi qu'il en soit, je suis d'avis qu'il n'y a pas vraiment de différence dans les faits, que l'on se place à la date de la production de la demande, le 30 juin 1994, à celle de la production de l'opposition, le 17 novembre 1995, ou à celle de la date de la décision du registraire, le 8 décembre 2000.

[42]            Les mots en cause sont faibles en ce sens qu'ils sont peu distinctifs puisqu'ils renvoient à un nom de famille ou à un lieu géographique. Le premier mot d'une marque de commerce est très important pour distinguer deux marques (Conde Nast Publications Inc. c. Union des Editions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.)), et le registraire a accordé trop de poids au désistement de Cushman & Wakefield concernant le droit à l'usage exclusif du mot « Cushman » dans ses demandes. La combinaison de tous les éléments constituant la marque doit être examinée du point de vue de l'effet d'ensemble. Voir Christian Dior, précité. Comme les marques sont faibles, de petites différences suffisent à les distinguer (Weetabix of Canada Ltd. c. Kellogg Canada Inc., 2002 CFPI 724, 20 C.P.R. (4th) 17).

[43]            La question de la confusion qui découle de la vente de services sous des marques de commerce concurrentes doit s'apprécier en fonction des personnes les plus susceptibles de se procurer ces services (Baylor University c. Governor and Co. of Adventurers in Trading into Hudson's Bay (2000), 8 C.P.R. (4th) 64, à la page 74 (C.A.F.)). Bien que Cushman & Wakefield ait exagéré la distinction entre les services de courtage immobilier commercial et résidentiel, j'estime peu probable que les personnes qui souhaitent se procurer les services de Wakefield prennent contact avec Cushman & Wakefield, qui n'offre que des services de courtage immobilier commercial.

[44]            Le registraire a erré en avançant que les marques de Cushman & Wakefield n'avaient jamais été employées au Canada. La preuve établit clairement le contraire, même si cet emploi était en grande partie l'emploi de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » . Sur ce point, je suis également d'accord avec l'avocat de la demanderesse pour affirmer que l'emploi de « Cushman & Wakefield » même combiné au terme « worldwide » est pertinent. Ce principe est établi dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canada (Registraire des marques de commerce) c. Compagnie internationale pour l'informatique CII Honeywell Bull S.A., et al., [1985] 1 C.F. 406; 4 C.P.R. (3d) 523. Dans cette affaire, il s'agissait de déterminer si CII employait la marque « BULL » lorsqu'elle employait la marque de commerce composite « CII HONEYWELL BULL » pour identifier ses marchandises. Le juge de première instance a estimé que c'était le cas : voir [1983] 2 C.F. 766, 77 C.P.R. (2d) 101. Bien qu'elle ait infirmé sa décision ait été infirmée, la Cour d'appel fédérale a conclu que le critère à appliquer était celui qui avait été appliqué par le juge première instance : il faut déterminer si la marque a été employée d'une façon telle qu'elle n'en a pas perdu son identité et qu'elle est demeurée reconnaissable malgré les distinctions existant entre la forme sous laquelle elle a été enregistrée et celle sous laquelle elle a été employée. Comme l'a réitéré la Cour d'appel, le critère pratique à appliquer consiste à déterminer si les distinctions existant entre ces deux marques sont à ce point minimes qu'un acheteur non averti conclurait, selon toute probabilité, qu'elles identifient toutes deux, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine.

[45]            En l'espèce, j'estime qu'un acheteur conclurait, selon toute probabilité, que les services offerts par Cushman & Wakefield et les services offerts Cushman & Wakefield Worldwide émanaient de la même source.

[46]            Cushman & Wakefield a agi à titre de consultante dans certains projets de construction au Canada depuis les années 1980. Toutefois, la relation subséquente qu'elle a développée avec la division commerciale de Royal Lepage Real Estate Services Ltd., qui est plus tard devenue une société distincte, Royal Lepage Commercial Inc., constitue un point plus important. Cette relation, comme l'a affirmé sous serment Mme Sarah Langdon qui avait recueilli les éléments de preuve attestés par M. Frank Ziska, démontre que, entre 1993 et 1995, les marques de commerce et noms commerciaux « CUSHMAN & WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » étaient employés par Royal Lepage avec l'autorisation de Cushman & Wakefield.

[47]            J'estime également significatif que la marque de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » ait été enregistrée comme marque de commerce au Canada et que cela n'ait provoqué que la confusion anecdotique dont a parlé M. Freeman dans son contre-interrogatoire. De toute manière, cette preuve a simplement mené à une enquête et ne peut être interprétée comme une indication de confusion.


[48]            En conséquence, compte tenu de toutes les circonstances en l'espèce, je suis convaincu qu'il n'y a aucune probabilité réelle de confusion entre les marques « CUSHMAN & WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD Design » d'un côté, et « WAKEFIELD REALTY CORPORATION » et « WAKEFIELD design » de l'autre.

Cushman & Wakefield a-t-elle droit à l'enregistrement?

[49]       Suivant le paragraphe 16(3) de la Loi, une marque de commerce projetée ne peut être enregistrée si, à la date de production de la demande, elle créait de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne, ou avec un nom commercial antérieurement employé au Canada par une autre personne.

[50]            L'analyse de confusion sous le régime de l'alinéa 12(1)d) de la Loi trouve également application ici.

[51]            Pour les mêmes motifs, je conclus qu'il est fort peu probable qu'il y ait confusion entre les marques « CUSHMAN & WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD design » d'un côté, et les marques « WAKEFIELD REALTY CORPORATION » et « WAKEFIELD design » de l'autre.

[52]            De la même façon qu'il n'y a pas de confusion entre les marques « FROOT LOOPS » et « FRUIT DOTS » pour ce qui est des céréales et des collations, il peut difficilement y avoir confusion entre les marques « WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD » (Weetabix, précité).


Les marques projetées sont-elles distinctives?

[53]       L'article 2 de la Loi prévoit la définition suivante :

« marque de commerce » Selon le cas_:

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres;

b) marque de certification;

c) signe distinctif;

d) marque de commerce projetée.

"trade-mark" means

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

(b) a certification mark,

(c) a distinguishing guise, or

(d) a proposed trade-mark;

[54]            Une grande partie de l'argumentation s'est fondée sur le paragraphe 50(1) de la Loi, qui énonce :          

(1) Pour l'application de la présente loi, si une licence d'emploi d'une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l'emploi, la

publicité ou l'exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial - ou partie de ceux-ci - ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire.

(1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the wares or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark,

trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.


[55]       La question de la licence est pertinente compte tenu de ma conclusion que la marque de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD » était employée au Canada et n'était pas subsumée dans la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » , contrairement à « BULL » qui était subsumée dans « CII HONEYWELL BULL » . L'emploi de la marque « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » peut profiter uniquement à Cushman & Wakefield si Royal Lepage l'a employé en vertu d'une licence ou avec son autorisation et que Cushman & Wakefield a conservé le contrôle, directement ou indirectement, sur les caractéristiques ou la qualité des services. Wakefield a plaidé que l'absence de licence ou d'autorisation, ou que subsidiarement Cushman & Wakefield a tout au plus conservé un contrôle indirect sur l'emploi de la marque de commerce et non sur les caractéristiques et la qualité des services, à savoir le courtage immobilier, etc.


[56]            La relation entre Cushman & Wakefield et Royal Lepage est, pour l'essentiel, fondée sur une entente de coentreprise et de références. Le mémoire d'entente n'aborde pas la question des marques de commerce. Toutefois, l'autorisation n'a pas besoin d'être écrite. Je suis convaincu que Royal Lepage détenait une autorisation de Cushman & Wakefield pour l'emploi du nom commercial « CUSHMAN & WAKEFIELD » et de la marque de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD WORLDWIDE » . Les témoignages de M. John Coppedge et de Mme Sarah Langdon démontrent qu'il y avait autorisation. Pour mettre en oeuvre la coentreprise, Cushman & Wakefield a créé le poste de directeur aux opérations États-Unis/Canada, poste qui était à l'origine occupé par M. Frank Ziska. Par la suite, Royal Lepage a mis sur pied une initiative de développement de l'image de marque qui lui a permis de continuer à employer le nom commercial « CUSHMAN & WAKEFIELD » , mais aussi la marque de commerce. Toutes les activités commerciales étaient étroitement surveillées, de sorte qu'il a été satisfait aux exigences du paragraphe 50(1).

CONCLUSION

[57]            Les appels sont accueillis.

[58]            La décision de M. David J. Martin, membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, dans l'affaire intéressant les oppositions de Wakefield Realty Corporation aux demandes nos 758,126 et 758,127 concernant les marques de commerce « CUSHMAN & WAKEFIELD » et « CUSHMAN & WAKEFIELD design » , produites par Cushman & Wakefield Inc., est infirmée, et il est ordonné au registraire des marques de commerce d'accueillir les demandes.

[59]            Cushman & Wakefield Inc. a droit au paiement de ses dépens par la défenderesse. Toutefois, un seul mémoire de frais doit être présenté pour les dossiers T-299-01 et T-230-01.

« Sean Harrington »

                                                                                                     Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 9 févier 2004

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B.            


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                   T-229-01 et T-230-01

INTITULÉ :                                                    CUSHMAN & WAKEFIELD, INC.

c.

WAKEFIELD REALTY CORPORATION

                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 2 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

DATE :                                                             LE 9 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Justine Whitehead                                              POUR LA DEMANDERESSE

David Aylen                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliott                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Gowling Lafleur Henderson, s.r.l.                                   POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)


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