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Date : 20040325

Dossier : T-314-03

Référence : 2004 CF 460

ENTRE :

                                                                 CARL KENNY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                M. Kenny a réussi, après neuf ans d'efforts, à obtenir des prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Il prétend qu'il en a résulté une détérioration de sa situation financière. Il vise à obtenir le contrôle judiciaire de la décision du ministre du Développement des ressources humaines du Canada (le ministre), datée du 24 janvier 2003, dans laquelle la somme de 50 134,01 $ a été retenue sur les prestations d'invalidité de M. Kenny pour être versée à la province du Nouveau-Brunswick en vertu du paragraphe 65(2) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8.


LES FAITS

[2]                M. Kenny a présenté sa demande de prestations d'invalidité pour le RPC en avril 1995. Il avait antérieurement accordé une cession irrévocable de toute prestation d'invalidité du RPC au ministre des Services sociaux de la province du Nouveau-Brunswick (les Services sociaux). La cession était exigée à titre de condition pour le paiement de prestations d'aide sociale à l'épouse de M. Kenny. M. Kenny a signé deux formules de « Consentement de déduction et de paiement » en faveur des Services sociaux. Le premier a été signé le 10 janvier 1994 et le deuxième, bien que le timbre-dateur apposé indique le 18 novembre 1994, aurait été signé le 29 mai 1995. Les deux documents ont été expédiés à DRHC qui les a reçus. DRHC ne pouvait pas, à cette époque, donner suite aux documents parce que M. Kenny ne recevait pas de prestations d'invalidité. DRHC en a informé les Services sociaux au moyen d'une lettre datée du 9 août 1995.

[3]                Durant cette période, la demande de prestations d'invalidité de M. Kenny était en cours de traitement. Sa demande a été rejetée le 3 août 1995. À la demande des Services sociaux, M. Kenny a interjeté appel de cette décision, en passant par trois paliers (reconsidération, tribunal de révision et Commission d'appel des pensions), mais sans succès. Le 17 décembre 1998, M. Kenny a présenté à la Cour d'appel fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission d'appel des pensions. Le 3 août 2001, il y a eu publication des motifs du jugement dans l'affaire Villani c. Canada (Procureur général), [2002] 1 C.F. 130 (C.A.) (Villani). L'arrêt Villani a donné lieu à une nouvelle formulation de la méthode à suivre relativement à l'invalidité et a exigé un critère « réaliste » plus indulgent que celui qui avait été appliqué dans une série de décisions de la Commission d'appel des pensions.


[4]                Le 29 novembre 2001, la Cour d'appel fédérale a rendu une ordonnance, sur le consentement des parties, accueillant la demande de contrôle judiciaire de M. Kenny et renvoyant l'affaire pour nouvel examen. Le 15 septembre 2002, le défendeur a offert un règlement fondé sur le fait que M. Kenny recevrait les prestations maximales permises en vertu des dispositions du RPC. On lui accorderait des prestations rétroactives au mois de mai 1994. M. Kenny a accepté l'offre et un acquiescement à jugement a été déposé auprès de la Commission d'appel des pensions. Le 30 septembre 2002, M. Kenny a informé les Services sociaux qu'il avait réussi et il a demandé qu'ils suspendent les paiements. Les Services sociaux se sont rendus à cette demande et ils ont demandé le remboursement d'un trop-payé de 1 777,89 $. Le 4 octobre 2002, la Commission d'appel des pensions a rendu une ordonnance accueillant l'appel conformément à l'acquiescement à jugement.

[5]                En plus des prestations d'invalidité futures, M. Kenny avait le droit de recevoir la somme de 54 444,39 $ représentant le paiement rétroactif des prestations dues. De ce montant, il a été déterminé que la somme de 50 314,01 $ devait être cédée aux Services sociaux en vertu du paragraphe 65(2) du RPC. Lorsque M. Kenny a pris connaissance de la déduction, il a demandé une reddition de compte et des éclaircissements à savoir pourquoi, alors que les Services sociaux demandaient le remboursement de la somme de 1 777,89 $, le RPC versait un montant beaucoup plus important.


[6]                La réponse du délégataire du ministre, datée du 24 janvier 2003, fournissait des renseignements généraux concernant les prestations d'invalidité, de même que des renseignements particuliers à M. Kenny, y compris un tableau illustrant une ventilation annuelle des prestations d'invalidité et un état de compte établissant la totalité de la somme à laquelle les Services sociaux avaient droit.

LA QUESTION EN LITIGE

[7]                La question en litige est de savoir si le ministre a retenu à bon droit la somme de 50 134,01 $ sur les prestations de M. Kenny pour la verser aux Services sociaux.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES


Régime de pension du Canada, L.R. 1985, ch. C-8

65. (1) Une prestation ne peut être cédée, grevée de privilège, saisie, escomptée ou donnée en garantie. Toute opération qui vise à céder, grever, saisir, escompter ou donner en garantie une prestation est nulle.

Canada Pension Plan, R.S.C. 1985, c. C-8

65. (1) A benefit shall not be assigned, charged, attached, anticipated or given as security, and any transaction purporting to assign, charge, attach, anticipate or give as security a benefit is void.

(1.1) Les prestations sont, en droit ou en equity, exemptes d'exécution de saisie et de saisie-arrêt.

(1.1) A benefit is exempt from seizure and execution, either at law or in equity.

(2) Dans les cas où une autorité provinciale ou municipale verse, pour un mois ou une fraction de mois, une avance ou une prestation d'aide sociale - qui ne sont données qu'en l'absence des prestations prévues par la présente loi -, le ministre peut, en conformité avec les modalités réglementaires et malgré les paragraphes (1) et (1.1), retenir sur le montant des prestations qui deviendraient payables à l'intéressé pour cette période le montant de l'avance ou du paiement et verser les sommes retenues à l'autorité provinciale ou municipale selon le cas.

(2) Notwithstanding subsections (1) and (1.1), where any provincial authority or municipal authority in a province pays a person any advance or assistance or welfare payment for a month or any portion of a month that would not be paid if a benefit under this Act had been paid for that period and subsequently a benefit becomes payable or payment of a benefit may be made under this Act to that person for that period, the Minister may, in accordance with any terms and conditions that may be prescribed, deduct from that benefit and pay to the provincial authority or municipal authority, as the case may be, an amount not exceeding the amount of the advance or assistance or welfare payment paid.


(3) Malgré les paragraphes (1) et (1.1), lorsqu'une personne reçoit de la part de l'administrateur, agréé par le ministre, d'un régime ou programme d'assurance-invalidité, pour un mois ou une partie d'un mois, un paiement qui ne serait pas versé si une prestation en vertu de l'alinéa 44(1)b) avait été versée pour cette période et que, subséquemment, une prestation devient payable à cette personne pour cette période, le ministre peut, conformément aux modalités prescrites, retenir sur cette prestation et payer à l'administrateur en cause une somme ne dépassant pas le montant du paiement fait en vertu de ce programme.

(3) Notwithstanding subsections (1) and (1.1), where an administrator of a disability income program who is approved by the Minister makes a payment under that program to a person for a month or any portion of a month that would not have been made if a benefit under paragraph 44(1)(b) had been paid to that person for that period and subsequently a benefit becomes payable or payment of a benefit may be made under this Act to that person for that period, the Minister may, in accordance with any terms and conditions that may be prescribed, deduct from that benefit and pay to the administrator an amount not exceeding the amount of the payment made under that program.

Règlement sur le Régime de pensions du Canada

76. (1) Dans le présent article,

« autorité » Toute autorité provinciale ou municipale d'une province qui verse à une personne dans la province une avance ou un paiement d'assistance ou d'aide sociale.

Canada Pension Plan Regulations

76. (1) In this section,

"authority" means any provincial authority or municipal authority in a province that pays any advance or assistance or welfare payment to a person in the province.

« paiement excédentaire » désigne le montant de l'avance ou du paiement d'assistance ou d'aide sociale ayant été versé à une personne par une autorité, pour un mois ou une partie de mois, et qui ne l'aurait pas été si la prestation subséquemment payable selon la Loi pour la période concernée avait effectivement été versée au cours de cette période.

"excess payment" means the amount of any advance or assistance or welfare payment that was paid by an authority to a person for a month or any portion thereof and that would not have been paid if the benefit that was subsequently payable under the Act to that person in respect of that period had in fact been paid during that period.



(2) Sous réserve des paragraphes (3) à (6) et pourvu qu'une autorité établisse, à la satisfaction du ministre, qu'un paiement excédentaire a été versé à une personne, ce dernier peut autoriser

(2) Subject to subsections (3) to (6), the Minister may, where an authority satisfies him that an excess payment has been paid to a person, authorize

a) la déduction, sur le montant payable en une seule somme selon le paragraphe 62(1) de la Loi pour la période pour laquelle le paiement excédentaire a été versé,

(a) the deduction from the one sum amount payable to that person in accordance with subsection 62(1) of the Act in respect of the period for which the excess payment was paid, and

b) le versement, à l'autorité provinciale ou municipale de la province où le paiement excédentaire a été versé,

d'une somme égale à ce paiement excédentaire.

(b) the payment to the provincial authority or municipal authority in the province in which the excess payment was paid,

of an amount equal to the amount of the excess payment.



(3) Une autorité visée au paragraphe (2) doit, avant que la déduction et le paiement provenant d'une prestation payable en vertu de la Loi, ne soient autorisés en vertu du paragraphe (2), attester, à la satisfaction du ministre,

(3) An authority referred to in subsection (2) shall, before any deduction and payment from a benefit payable under the Act to any person is authorized under subsection (2), certify, in a form satisfactory to the Minister,

a) la date d'entrée en vigueur et, le cas échéant, la date de cessation d'une avance ou d'un paiement d'assistance ou d'aide sociale;

(a) the effective date of commencement and the effective date of termination, if applicable, of the advance or assistance or welfare payment;

b) le montant versé à la personne par l'autorité pour la période où a été effectué le paiement excédentaire ou le montant pour lequel l'autorité fait une demande de remboursement, en prenant la moins élevée des deux sommes; et

(b) the amount that was paid to the person by the authority for the period during which the excess payment occurred or the amount that the authority applies to have reimbursed, whichever is the lesser; and

c) le numéro d'assurance sociale du cotisant auquel la prestation est payable en vertu de sa participation selon la Loi.

(c) the Social Insurance Number of the contributor as a result of whose participation under the Act the benefit is payable.



(4) Aucune déduction et aucun versement ne peuvent être autorisés selon le paragraphe (2), sauf si, à la fois :

(4) No deduction and payment in respect of an excess payment shall be authorized pursuant to subsection (2) unless

a) le ministre et le représentant provincial compétent ont conclu un accord écrit autorisant la déduction et le versement;

(a) the Minister and the appropriate provincial official have concluded an agreement in writing authorizing the deduction and payment;


b) le ministre a reçu l'attestation exigée au paragraphe (3);

(b) the certification required by subsection (3) has been received by the Minister;c) le consentement irrévocable écrit de la personne à l'égard de la déduction et du versement par le ministre et la demande écrite visant à permettre l'accès aux renseignements visés au paragraphe 104.01(2) de la Loi ont été reçus dans l'année suivant la date de leur signature;

(c) the irrevocable written consent of the person to the deduction and payment by the Minister and the written request for access to information under subsection 104.01(2) of the Act have been received before the expiry of one year after the date of their signature; and

d) le paiement excédentaire dépasse 50 $.

(d) the amount of the excess payment is greater than $50.



(5) [Abrogé, DORS/96-522, art. 18]

(5) [Repealed, SOR/96-522, s. 18]

(6) Lorsque, pour un motif quelconque, aucune déduction n'a été faite selon le paragraphe (2) ou qu'une déduction et un paiement ont été faits pour un montant moindre que celui qui aurait pu être payé selon le paragraphe (2), le ministre ne peut pas autoriser une déduction et un paiement pour aucun autre montant relativement à un paiement excédentaire.

(6) If, for any reason, no deduction has been made under subsection (2) in respect of an excess payment or a deduction and payment have been made in respect of an excess payment in an amount less than the amount that might have been paid in respect thereof under subsection (2), the Minister shall not authorize the deduction and payment of any other amount in respect of that excess payment.


LA NORME DE CONTRÔLE

[8]                L'objet du RPC est de conférer des avantages pécuniaires, de plein droit, fondés sur les cotisations des particuliers et de leurs employeurs. Il s'agit d'un texte législatif à caractère social. La disposition précise qui pose un problème en l'espèce a été élaborée pour interdire la double ponction. La décision du ministre de verser de l'argent aux Services sociaux porte sur deux déterminations. La première consiste à confirmer que les modalités applicables énoncées au paragraphe 65(2) du RPC et à l'article 76 du règlement établi sous le régime de ce paragraphe ont été satisfaites. La deuxième consiste à déterminer si le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 65(2) du RPC et par le paragraphe 76(2) du règlement sera exercé pour autoriser le versement à une province. Dans un cas comme dans l'autre, il n'y a aucune disposition relative à un appel ou un contrôle.


[9]                La première détermination est de nature administrative et n'exige aucune expertise en particulier. La Cour est aussi bien placée que le ministre pour déterminer si les exigences prescrites ont été satisfaites. Cette détermination ne demande que peu de retenue et la norme applicable est celle de la décision correcte. La deuxième détermination est attribuée exclusivement au ministre et relève de son pouvoir discrétionnaire. Le ministre possède une expertise considérable quant à l'administration du RPC ainsi qu'aux relations et aux ententes fédérales-provinciales - questions pour lesquelles les tribunaux ont des connaissances limitées. La détermination porte sur des considérations de politique associées aux droits du particulier et à ceux des gouvernements. La décision discrétionnaire incite à un haut degré de retenue et la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

ANALYSE

[10]            M. Kenny fait valoir que l'entente qu'il a conclue, incorporée dans l'acquiescement à jugement du 16 septembre 2002, ne mentionne aucunement qu'il ne recevra pas la totalité des prestations d'invalidité. Il accuse le défendeur de lui avoir dissimulé ces renseignements, sachant qu'il n'accepterait pas un règlement que le priverait d'une partie importante des prestations rétroactives. Le règlement, selon lui, constituait un [traduction] « échappatoire » qui réduisait la nécessité pour le défendeur de traiter de ces questions que M. Kenny se proposait de faire valoir devant la Commission d'appel des pensions. Pour lui, le fait qu'on lui ait accordé les prestations maximales permises en vertu de la législation n'a aucune importance parce que ce n'est pas ce qu'il a reçu.


[11]            Comme je l'ai mentionné à M. Kenny au cours de l'audience, la demande dont je suis saisie concerne le contrôle judiciaire de la décision du ministre datée du 24 janvier 2003. Si M. Kenny désire contester le règlement, il ne peut le faire par l'entremise de la présente demande. Je comprends bien sa situation du fait qu'il est peu instruit, qu'il a peu d'argent et qu'il n'est pas un avocat. C'est souvent le cas des plaideurs qui se représentent eux-mêmes et qui, par ailleurs, retiendraient les services d'un avocat. Néanmoins, ma compétence est limitée par les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications. Les pouvoirs que je possède dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire sont précisés au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales. Je ne peux traiter que de la décision faisant l'objet du contrôle - celle du 24 janvier 2003 concernant le versement, retenu sur les prestations d'invalidité rétroactives de M. Kenny, de la somme de 50 134,01 $ aux Services sociaux.

[12]            M. Kenny me suggère également de prendre les Services sociaux à partie pour la manière avec laquelle ils ont traité la présente affaire. Plusieurs documents joints à l'affidavit de M. Kenny étaient des copies des communications échangées entre M. ou Mme Kenny et les représentants ou employés des Services sociaux et étaient non pertinents relativement à la question dont je suis saisie. Encore une fois, je reviens à la Loi sur les Cours fédérales. Ma compétence ne s'étend pas à la Couronne du chef de la province du Nouveau-Brunswick et je n'ai pas le pouvoir de contrôler les actes ou les omissions de ses responsables ou employés.


[13]            Les autres arguments avancés sont liés plus directement liés aux questions en cause. M. Kenny prétend que la première formule de « Consentement de déduction et de paiement » est invalide en raison du fait qu'elle faisait référence à une disposition abrogée du RPC. De plus, elle est invalide parce qu'elle a été signée en janvier 1994 et qu'il n'a fait sa demande de prestations d'invalidité qu'en avril 1995. Il prétend que la deuxième formule de « Consentement de déduction et de paiement » est soit invalide du fait qu'elle a été antidatée ou soit qu'elle devrait être réputée prendre effet le 29 mai 1995 (la date à laquelle il l'a signée).

[14]            M. Kenny a raison d'affirmer que la formule de janvier 1994 faisait à tort référence au paragraphe 64(2) du RPC. Il s'agit pour moi d'une erreur typographique qui ne touche pas l'essentiel de la formule. Le contenu de la formule permet la déduction, des prestations du RPC, et le versement de celle-ci aux Services sociaux relativement aux paiements d'assistance ou d'aide sociale qu'ils ont effectués durant une période au cours de laquelle des prestations du RPC sont payées. M. Kenny reconnaît qu'il connaissait la nature de la formule, qu'il en a compris le contenu et qu'il l'a signée.

[15]            La deuxième formule a été signée à la demande de la province, en raison du fait, apparemment, que la formule précédente avait été révisée. J'accepte le témoignage de M. Kenny selon lequel il a signé la deuxième formule le 29 mai 1995, même si le timbre-dateur apposé indique le 18 novembre 1994. Bien que je me questionne sur l'opportunité d'une telle pratique, je conclus, encore une fois, que cela ne change rien à la présente affaire.


[16]            Le libellé de la deuxième formule a été modifié (et amélioré) dans une certaine mesure, mais l'essentiel est resté inchangé. La deuxième formule contenait, de manière plus détaillée, la même autorisation pour le même objet. Celui-ci était clair - s'assurer que les Services sociaux étaient remboursés pour les paiements d'assistance qu'ils ont effectués durant une période (postérieure à la signature du consentement) où le bénéficiaire recevait des prestations d'invalidité du RPC. Le filet de sécurité destiné à parer à la double ponction a été lancé loin. M. Kenny n'a pas besoin d'avoir reçu des prestations d'invalidité, ni même d'avoir formulé une demande à cet effet au moment où le consentement a été signé. L'autorisation était reliée aux prestations d'invalidité versées après la signature.

[17]            Pour M. Kenny, cela a comme résultat que la formule de « Consentement de déduction et de paiement » qu'il a signée le 10 janvier 1994 n'est pas valide en raison de la référence à un paragraphe inexact du RPC et elle n'est pas valide en raison du fait qu'il n'avait pas encore formulé de demande pour ses prestations d'invalidité.

[18]            Je vais maintenant examiner la première détermination du ministre. Les modalités précises qui doivent être remplies pour permettre au ministre d'exercer le pouvoir discrétionnaire en faveur du versement aux Services sociaux sont prévues à l'article 76 du règlement. L'expression « paiement excédentaire » comprend un paiement d'assistance ou d'aide sociale effectué par une autorité (y compris une autorité provinciale) à une personne qui n'aurait pas reçu ce paiement si les prestations d'invalidité lui avaient été versées. En vertu du paragraphe 76(2), le ministre peut autoriser le versement à l'autorité provinciale d'un montant égal à celui du paiement excédentaire, par voie de déduction, pour la période pour laquelle elle a effectué le paiement excédentaire. Un certain nombre de modalités doivent être satisfaites avant que le paiement ne soit effectué à l'autorité provinciale.


[19]            Les Services sociaux doivent fournir au ministre le numéro d'assurance sociale de M. Kenny ainsi que la date d'entrée en vigueur et la date de cessation des paiements qu'ils ont effectués, de même que le montant versé par la province pour la période où a été effectué le paiement excédentaire ou le montant pour lequel les Services sociaux font une demande de remboursement, en prenant la moins élevée des deux sommes (alinéas 76(3)a), b) et c) du règlement). M. Kenny fait valoir que les Services sociaux n'ont fourni ces renseignements qu'après que DRHC leur a demandé de le faire. De ce fait, selon sa prétention, les modalités réglementaires n'ont pas été satisfaites.

[20]            Cet argument est erroné. DRHC était en possession des formules de « Consentement de déduction et de paiement » signées. Le ministre n'aurait pas pu connaître le montant des paiements effectués par les Services sociaux pour la période pertinente sans le demander. Le ministre a à juste titre demandé l'évaluation quantitative du montant et on ne peut lui reprocher de l'avoir fait.

[21]            Le paragraphe 76(4) rend obligatoire le fait qu'aucune déduction et aucun paiement ne puissent être autorisés, sauf si, à la fois : le ministre reçoit l'attestation, de l'autorité provinciale, concernant les renseignements susmentionnés; le consentement irrévocable écrit de la personne et la demande écrite visant à permettre l'accès aux renseignements visés au paragraphe 104.01(2) de la Loi ont été reçus dans l'année suivant la date de leur signature; le montant du paiement à l'autorité provinciale dépasse 50 $; le ministre et le représentant provincial compétent ont conclu un accord écrit autorisant la déduction et le versement.


[22]            Il ressort de la preuve que les trois premières exigences pour la déduction et le paiement ont été satisfaites. Toutefois, ayant examiné avec soin le contenu des dossiers, je ne trouve aucune preuve d'un accord écrit conclu entre le ministre et le représentant provincial compétent autorisant la déduction et le versement en ce qui a trait à M. Kenny. L'exposé des faits et du droit du défendeur (lequel ne constitue pas un élément de preuve) fait référence, au paragraphe 24, à un arrangement [traduction] « entre le ministre de DRHC et le ministre des Services sociaux du Nouveau-Brunswick concernant la procédure à suivre par l'autorité qui vise à obtenir une autorisation relativement à une déduction et à un paiement » . Cet énoncé est bien loin de respecter la prescription incontournable d' « un accord écrit autorisant la déduction et le versement » . Quel que soit l'arrangement, il doit respecter les dispositions de la loi et du règlement.

[23]            Il se peut fort bien qu'il existe un accord écrit. Toutefois, si c'est le cas, il n'est pas à ma disposition et il n'y a aucune preuve concernant son existence. Rien non plus dans les dossiers ne me permettrait d'inférer l'existence d'un accord écrit. Le libellé de l'alinéa 76(4)a) est non équivoque et il mérite d'être cité à nouveau :

Aucune déduction et aucun versement ne peuvent être autorisés selon le paragraphe (2), sauf si, à la fois :

a) le ministre et le représentant provincial compétent ont conclu un accord écrit autorisant la déduction et le versement [...]

Le paragraphe 65(2) du RPC prévoit que le ministre peut, en conformité avec les modalités réglementaires, retenir et verser. De fait, avant que le ministre puisse examiner la question de savoir s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire, il devrait s'assurer du respect des modalités réglementaires énoncées à l'article 76 du règlement. Puisque rien de ce dont je dispose n'établit ni n'indique que la modalité législative susmentionnée a été respectée, la décision du délégataire du ministre, datée du 24 janvier 2003, doit être annulée conformément à la demande.

[24]            La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie avec dépens adjugés au demandeur et l'affaire sera renvoyée au ministre pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire conformément à la loi et au règlement. Une ordonnance sera rendue en ce sens.

                                                        _ Carolyn A. Layden-Stevenson _           

                                                                                                     Juge                                

Ottawa (Ontario)

Le 25 mars 2004


Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-314-03

INTITULÉ :                                                                CARL KENNY

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          FREDERICTON

(NOUVEAU-BRUNSWICK)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 15 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 25 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Carl Kenny                                                                    POUR SON PROPRE COMPTE

Katia Bustros                                                               POUR LE DÉFENDEUR

SOLICITORS OF RECORD:

Carl Kenny                                                                    POUR SON PROPRE COMPTE

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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