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Date : 20040414

Dossier : IMM-4126-02

Référence : 2004 CF 565

ENTRE :

                                       SUZETTE GLORIA ANTONIO NETO et

                                          IMARA PATRICIA NETO CARLOS

                                                                                                                         demanderesses

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL


[1]                Les demanderesses sont une mère (la demanderesse) et sa fille mineure (la demanderesse mineure). Elle allèguent craindre avec raison d'être persécutées du fait de leur appartenance à un groupe social, soit celui des épouses et des enfants des hommes soupçonnés d'être des traîtres en Angola. Elle affirment également être des personnes à protéger de la torture, que leurs vies sont menacées et qu'elles pourraient être soumises à des peines cruelles et inusitées en Angola. Elle demandent le contrôle judiciaire de la décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 16 juillet 2002, à savoir qu'elles ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger, au motif que leurs allégations n'étaient pas crédibles.

[2]                La demanderesse a témoigné que son mari avait été tué par les soldats du gouvernement, que leur maison avait été détruite, qua sa fille avait été blessée et que, elle-même, avait été violée par des soldats. Dans son témoignage oral, elle a aussi dit qu'elle avait reçu de nombreuses lettres de menaces lui rappelant ce qui était arrivé à son mari et lui disant qu'elle était la prochaine sur la liste. Elle affirme qu'elle craint qu'elles seront torturées si elles retournent en Angola.


[3]                La Commission a conclu que, si la preuve de la demanderesse était jugée crédible, sa demande d'asile serait accueillie. Cependant, la Commission a rejeté sa demande au motif que : « Il y avait entre la déposition orale de la demandeure d'asile, sa déposition écrite [son FRP] et l'information fournie au point d'entrée [le 25 novembre 2001] des contradictions de nature à suggérer fortement que son histoire était controuvée » (Décision, page 2.). Pour arriver à cette conclusion, la Commission a accordé un poids considérable aux notes prises au point d'entrée lors d'une conversation qui a eu lieu en portugais entre un agent principal d'immigration et la demanderesse avec l'aide d'un interprète. En ce qui a trait aux notes prises au point d'entrée, la Commission a affirmé :

Le tribunal reconnaît que pour en arriver à conclure que la demandeure d'asile n'était pas crédible, il s'est appuyé sur les notes du PDE. Mais pas exclusivement bien sûr. Des omissions importantes dans le FRP et des écarts significatifs entre la déposition orale et la déposition écrite de la demandeure d'asile ont complété le tableau d'une demande d'asile qui a été embellie au-delà des faits tirés de l'entrevue au point d'entrée.

J'ai tenu compte de ce qui a été statué dans plusieurs cas par la Cour fédérale au sujet des notes du point d'entrée. Par exemple, on ne viole pas lquité en fournissant de tels documents à un décideur même si les notes contiennent des informations de nature à nuire au demandeur d'asile, en autant qu'il ait eu l'occasion d'y répondre. Il suffit que soient divulguées en temps opportun les informations importantes pour le demandeur d'asile dans les circonstances. Dans le cas qui nous occupe, les notes ont été divulguées bien avant l'audience tant à la demandeure d'asile qu'au conseil. Je relève aussi que les tribunaux ont mis en garde contre la « mauvaise pratique » qui consiste à juger les notes exactes par « pure confiance » . La Commission doit se renseigner sur des questions telles que le contexte des entrevues et la mesure dans laquelle la personne comprenait les questions qu'on lui posait. Bien que la demandeure d'asile ait mentionné des problèmes de traduction, elle l'a aussi fait lorsqu'on lui a souligné des contradictions dans son FRP. Il ne fait pas de doute que son entrevue a été menée avec l'aide d'un interprète et qu'on lui a relu sa déclaration avant qu'elle ne la signe. Et étant donné que la demandeure d'asile prétend avoir été violée, j'ai aussi établi le fait que l'entrevue a été menée par un agent d'immigration supérieur de sexe féminin. En ce qui concerne le contexte de l'entrevue, il s'agissait manifestement de celui dans lequel la demandeure d'asile a fait sa demande d'asile. Enfin, le tribunal a relevé que, une fois que les notes du point d'entrée ont été admises, c'est au tribunal qu'il revient dvaluer leur valeur probante, c'est-à -dire leur poids et leur fiabilité. Comme je l'ai relevé, les notes ne suffisent pas. Je leur ai donné un poids considérable parce que les dépositions orale et écrite de la demandeure d'asile contenaient des contradictions internes et des embellissements. [Renvois omis.] [Décision, pages 7 et 8.]

[4]    Comme je l'ai dit au cours de l'audience, s'il s'avère que les notes relatant la conversation au point d'entrée ne sont pas fiables, la décision de la Commission ne peut pas être maintenue, puisque ces notes forment une partie intégrante de l'analyse de la Commission relative à la crédibilité.


[5]                Au cours du témoignage devant la Commission, la demanderesse a affirmé que, relativement à une affirmation particulièrement importante qu'elle avait faite au point d'entrée qui tend à mettre en doute sa crainte subjective de persécution, [traduction] « Je crois que le traducteur a fait une erreur » (Dossier du tribunal, page 193.). La Commission a écarté cette objection en disant : « Toutefois, les notes indiquent qu'on a permis à la demandeure d'asile de lire sa déclaration avant d'affirmer que toutes les déclarations étaient véridiques et exactes » (Décision, page 5.).

[6]                À mon avis, l'affirmation de la Commission que je viens de citer constitue une base manifestement déraisonnable pour écarter le témoignage de la demanderesse, vu qu'on ne peut pas savoir ce que la demanderesse a dit à l'interprète ou ce que l'interprète a dit à la demanderesse, étant donné que la conversation dans un sens comme dans l'autre a eu lieu en portugais. Vu que la traduction qui fait partie des notes du point d'entrée n'est pas annexée à un affidavit ou autre déclaration quant à son exactitude, et vu que l'identité de l'interprète n'est pas connue, et vu que les qualités de l'interprète ne sont pas connues, je conclus que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en présumant que la traduction était exacte, surtout au mépris de l'objection de la demanderesse sur ce point.

[7]                En outre, selon moi, le bien-fondé de l'objection formulée par la demanderesse quant à l'exactitude de la traduction aurait dû apparaître à la Commission au regard de l'absurdité du passage suivant des notes du point d'entrée :


[traduction]

Q. : Qui veillait sur votre fille pendant que vous travailliez toutes ces heures?

R. : Je laissait ma fille jouer dans une cour avec d'autres enfants.

Q. : D'où les vêtements viennent-ils?

R. : J'ai acheté les vêtements d'un entrepôt, pour les vendre moi-même. Ces vêtements venaient de provinces de l'Afrique extérieures.

Q. : Avec qui voyagez-vous dernièrement?

R. : Avec ma fille Patricia NETO CARLOS. Elle a quatre ans.

Q. : Êtes-vous mariée?

R. : Non. Mon compagnon est mort. Il est mort le 3 mars 2001.

Q. : Avez-vous des enfants? Si oui, quel est exactement le nom de chacun?

R. : Non.

[Non souligné dans l'original.] (Dossier de demande du demandeur, page 56.)

Il est évident qu'il y a une erreur de traduction à la question [traduction] « Avez-vous des enfants? » , étant donné que la demanderesse avait déjà parlé de sa fille avant que cette question lui soit posée. L'avocat du défendeur soutient que l'erreur peut être corrigée en ajoutant simplement le mot [traduction] « d'autres » . Je ne peux pas ajouter des mots qui ne sont pas là. Il est évident que la traduction n'est pas exacte, vu cette erreur manifeste. On peut se poser la question de savoir à quel point le reste de la traduction est fidèle.


[8]                Je conclus qu'il est manifestement déraisonnable pour la Commission d'utiliser les notes du point d'entrée comme fondement pour, dans les faits, traiter la demanderesse de menteuse, sans se donner la peine de trouver ce qu'il en est vraiment. Par conséquent, je conclus que la Commission a commis une erreur susceptible de révision.

                                       ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la Commission et renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué qui la réexaminera en tenant compte de la présente décision.

« Douglas Campbell »

                                            ________________________________

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-4126-02

INTITULÉ :                            SUZETTE GLORIA ANTONIO NETO et

IMARA PATRICIA NETO CARLOS

c.

MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 13 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :           LE 14 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

David Soper                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Sharlene Telles-Langdon                                                POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Soper                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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