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Date : 20050803

Dossier : IMM-5815-04

Référence : 2005 CF 1059

Toronto (Ontario), le 3 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

XIAO QIONG WANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 1er juin 2004, décision qui (i) confirmait la validité de la mesure d'exclusion prononcée contre la demanderesse à la suite d'une fausse déclaration faite indirectement, et (ii) disait qu'il n'y avait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes justifiant une mesure spéciale.

[2]                La demanderesse voudrait que la décision rendue par la Commission le 1er juin 2004 soit annulée et qu'une nouvelle audience ait lieu, laquelle se déroulerait devant un autre commissaire.

Le contexte

[3]                La demanderesse, qui est de nationalité chinoise, était une résidente permanente du Canada. Elle s'est mariée avec Ying Jun Huang (le mari) le 12 juillet 1990. Elle est arrivée au Canada à la faveur d'un visa étudiant en 1996. Son mari a demandé l'autorisation d'immigrer au Canada comme membre de la catégorie des entrepreneurs et l'a incluse dans sa demande à titre de personne qui l'accompagnait. Ils ont obtenu le droit d'établissement le 10 septembre 1998. La demanderesse a donné naissance à une fille au Canada le 2 mars 1999.

[4]                La demanderesse a sollicité la citoyenneté canadienne en 2001. Elle et son mari ont été priés de se présenter à une entrevue auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et d'apporter avec eux les documents se rapportant à des mariages antérieurs. Selon la demanderesse, c'est à ce moment-là que son mari lui a révélé sa liaison antérieure avec une femme appelée Ping He avant qu'il ne rencontre la demanderesse, ajoutant qu'il avait eu un fils avec cette femme.

[5]                Après enquête et après l'entrevue de la demanderesse et de son mari, on a constaté que le mari avait fait une présentation erronée sur un fait important en ne révélant pas sa liaison avec Ping He ni l'existence de son fils au moment de présenter sa demande de résidence permanente au Canada.

[6]                La demanderesse et son mari ont été soumis à une enquête sur l'admissibilité devant la Section de l'immigration de la Commission, enquête à l'issue de laquelle une mesure d'exclusion fut prononcée par un commissaire à l'encontre du mari de la demanderesse parce qu'il avait, directement, fait une présentation erronée sur un fait important. Une mesure d'exclusion a aussi été prononcée contre la demanderesse pour présentation erronée indirecte sur un fait important, puisqu'elle figurait dans la demande de son mari en tant qu'épouse qui l'accompagnait.

[7]                Appel a été interjeté de la décision devant la Section d'appel de l'immigration. La demanderesse et son mari ont tous deux témoigné que la demanderesse ignorait tout de la liaison antérieure de son mari avec Ping He, et de l'existence de son fils, avant de recevoir la lettre de CIC.

Les motifs de la Commission

L'interdiction de territoire du mari

[8]                La Commission a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, le mari de la demanderesse était légalement marié à Ping He au moment où il avait demandé la résidence permanente. Selon elle, le témoignage du mari, qui niait s'être marié avec Ping He, n'était pas crédible.

L'interdiction de territoire de la demanderesse

[9]                La Commission a adopté l'analyse de la Section de l'immigration et sa conclusion selon laquelle la demanderesse était interdite de territoire parce qu'elle avait, indirectement, fait de fausses déclarations.

[TRADUCTION]

Entre l'ancienne Loi sur l'immigration et la présente Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le libellé utilisé pour inclure les personnes à charge en cas de fausses déclarations faites par les principaux requérants a été modifié. Dans l'ancienne Loi sur l'immigration les allégations de fausses déclarations étaient faites en vertu de l'alinéa 27(1)e) :

. . . a obtenu le droit d'établissement soit sur la foi d'un passeport, visa -- ou autre document relatif à son admission -- faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d'une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d'un tiers;

Sous le régime de la Loi actuelle, une personne est interdite de territoire dans les cas suivants :

. . . directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d'entraîner une erreur dans l'application de la présente loi;

Sous le régime de l'ancienne Loi, une personne à charge pouvait être renvoyée du Canada par suite d'une fausse déclaration faite par le principal requérant - même si cette fausse déclaration était « le fait d'un tiers » . En l'absence d'un témoignage oral de Mme Wang, il n'y avait aucune preuve indiquant si celle-ci savait a) que M. Huang était marié avec Ping He; b) qu'il n'était probablement pas libre de se marier avec elle en 1990; c) qu'il n'avait divorcé de Ping He qu'en 2000; et d) que M. Huang avait eu un enfant avec Ping He. Quoiqu'il en soit, sous le régime de l'ancienne Loi, il n'était pas nécessaire que la personne à charge soit au courant de la fausse déclaration pour que l'on puisse conclure que la personne est visée. Dans Mohammed c. M.C.I. [1997] 3 C.F. 299 (1re inst.), M. le juge MacKay a déclaré, au nom de la Cour fédérale :

En interprétant l'expression « fausse indication » contenue à l'alinéa 27(1)e) de manière à ne retenir que les fausses indications volontaires ou intentionnelles dont le requérant doit être subjectivement conscient, on restreindrait le dernier membre de phrase de telle sorte que la fausse indication donnée par une autre personne que le requérant et dont ce dernier ne serait pas au courant ne serait pas considérée comme une fausse indication au sens de l'alinéa 27(1)e) de la Loi.

À mon avis, l'interprétation avancée par l'avocat du requérant rend l'alinéa 27(1)e) non seulement contradictoire, mais y incorpore une obligation de mens rea ou d'intention illicite que le libellé non ambigu de la disposition ne justifie tout simplement pas. La jurisprudence de notre Cour ne justifie pas non plus une pareille interprétation, comme l'illustre bien l'arrêt D'Souza c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 1 C.F. 343 (C.A.).

Dans cette affaire, la mère et le fils avaient présenté une demande de résidence permanente au Canada. Le fils, en tant que personne à la charge de sa mère, avait présenté sa propre demande, qui ne comportait aucune erreur. Toutefois, la demande de sa mère contenait une fausse indication sur un fait important concernant le fils, qui n'était pas au courant de cette fausse indication. Le requérant a fait valoir l'argument de principe que, comme il n'avait pas donné de fausse indication et qu'il n'était pas au courant de celle que sa mère avait faite, l'alinéa 27(1)e) de la Loi [S.C. 1976-77, ch. 52] ne s'appliquait pas à lui. De fait, il faisait valoir que, compte tenu des conséquences graves que représentait l'expulsion dont il ferait l'objet si l'on concluait qu'il tombait sous le coup de l'alinéa 27(1)e), la disposition devait être interprétée comme étant inapplicable lorsque, au moment où il avait obtenu le droit d'entrer au Canada, il n'était subjectivement pas au courant qu'une fausse indication avait été donnée. La Cour d'appel fédérale a rejeté cet argument et a jugé que, même si la preuve pouvait permettre de penser que le requérant n'était véritablement pas au courant de la fausse indication, le texte de l'alinéa 27(1)e) n'appuyait tout simplement pas l'interprétation suivant laquelle la disposition en question exigeait un élément de connaissance subjective. Sur cette question, la Cour a déclaré, sous la plume du juge en chef Thurlow :

Quoi qu'il en soit, pour adopter l'interprétation de la loi que propose l'appelant, il faudrait, à mon avis, trouver dans la loi d'autres termes qui restreignent son application aux situations où la personne concernée savait que la déclaration a été faite. Je ne crois pas que la Cour puisse ajouter ou insérer ces termes. À mon avis, s'il y a lieu de limiter l'application de la loi, c'est au Parlement qu'il appartient de le faire. Par conséquent, cet argument échoue.

La Loi actuelle ne fait plus référence à une fausse indication donnée par un tiers. Le nouveau libellé utilisé est « directement ou indirectement » . À mon avis il n'est pas immédiatement évident que par « indirectement » on entend une fausse déclaration faite par un tiers. Quoi qu'il en soit, je ne vois pas d'autre interprétation logique. Si « indirectement » ne devait pas inclure les fausses déclarations faites par les principaux requérants au nom des personnes à leur charge, les personnes à charge ne pourraient pas être renvoyées du Canada en même temps que le principal requérant grâce auquel ils ont obtenu leur droit d'établissement. Ceci pourrait entraîner la séparation des familles ou l'abandon de personnes à charges au Canada. Cela pourrait entraîner des situations inacceptables, à savoir que l'époux à charge devrait ensuite parrainer le retour au Canada du principal requérant qui a été renvoyé. Les principaux requérants pourraient profiter d'une telle lacune afin de faire entrer des personnes au Canada en faisant de fausses déclarations, et celles-ci ne pourraient pas être renvoyées ensuite. En outre, je ne saurais conclure que le Parlement a eu l'intention, dans cette nouvelle Loi, d'empêcher que les personnes à charge ne soient visées en cas de fausses déclarations faites par les principaux requérants. Le libellé de la nouvelle Loi n'est peut-être pas évident, mais une interprétation raisonnable nous amène à conclure ainsi.

[10]            Puis la Commission a écrit que, bien qu'elle ait prétendu ne pas avoir eu connaissance de la fausse déclaration faite par son mari, la demanderesse avait indirectement fait la présentation erronée selon laquelle elle était l'épouse de M. Huang, un fait important qui a entraîné ou risquait d'entraîner une erreur dans l'application de la Loi. Plus exactement, lorsqu'il a obtenu le droit d'établissement, M. Huang était encore marié à Ping He et la demanderesse n'était donc pas une personne à charge pouvant être parrainée et elle n'aurait pu obtenir le droit d'établissement en tant que personne à charge.

[11]            La Commission a donc estimé que la mesure d'exclusion était valide en droit, puis elle s'est exprimée ainsi sur la question des mesures discrétionnaires :

Mesures discrétionnaires

Le critère à appliquer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire est le suivant : « La Section d'appel de l'immigration doit être persuadée, au moment où elle dispose de l'appel... qu'il y a, compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché, des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales » .

[...] Je considère les facteurs suivants comme des éléments appropriés à prendre en considération pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans les cas d'appel fondés sur une fausse déclaration. [...] Ces facteurs sont les suivants :

·          la gravité des fausses déclarations ayant entraîné la mesure de renvoi et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu;

·          les remords exprimés par l'appelant;

·          le temps passé au Canada par l'appelant et son degré d'enracinement;

·          la présence de membres de la famille de l'appelant au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille;

·          les intérêts supérieurs d'un enfant directement touché par la décision;

·          le soutien que l'appelant peut obtenir de sa famille et de la collectivité; et

·          l'importance des épreuves que subirait l'appelant s'il était renvoyé du Canada, y compris la situation dans le pays où il serait probablement renvoyé.

L'exercice du pouvoir discrétionnaire doit également être conforme aux objectifs de la Loi, dont celui qui est énoncé à l'alinéa 3(1)h), qui reconnaît la nécessité de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité. Cet objectif inclut le maintien de l'intégrité du système d'immigration en cas de fausses déclarations faites par des immigrants potentiels.

[Renvoi omis.]

La gravité des fausses déclarations ayant entraîné la mesure de renvoi et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu

[12]            La Commission a fait observer que, même si elle pouvait admettre que la demanderesse ignorait peut-être tout, ainsi qu'elle l'affirmait, du mariage antérieur de son mari et de l'existence d'un fils, il apparaissait que ni elle ni son mari n'avaient pris de mesures raisonnables pour vérifier si le mari était légalement marié à Ping He, s'obstinant plutôt à dire qu'il n'était pas légalement marié avec elle. Ils ont cependant obtenu par la suite un certificat de divorce se rapportant à son mariage avec Ping He, puis ils se sont mariés une nouvelle fois au Canada. Par ailleurs, le mari de la demanderesse a conservé des liens avec son fils et lui a versé une pension alimentaire, avant comme après son immigration au Canada. Toutefois, l'existence de son fils n'a été révélée dans aucun des documents se rapportant à leur immigration, ni d'ailleurs aux fonctionnaires de l'immigration.

[13]            La Commission a estimé que ces fausses déclarations étaient très graves, car elles concernaient la situation matrimoniale et la composition familiale et auraient eu une incidence directe sur l'acceptation des demandes et les approbations du droit d'établissement au Canada. Même si la demanderesse n'avait pas fait elle-même de fausses déclarations, elle n'aurait probablement pas rempli les conditions du droit d'établissement au Canada en tant qu'épouse de l'homme qui est aujourd'hui son mari. La Commission a estimé que c'était là un facteur défavorable auquel elle a accordé un poids significatif.

Les remords exprimés par l'appelante

[14]            La Commission a observé que le mari de la demanderesse n'avait pas exprimé de véritables remords pour ses agissements ayant trait aux fausses déclarations, encore qu'il ait exprimé des remords pour les répercussions de tels agissements sur son épouse et son enfant. La Commission a trouvé que la demanderesse avait exprimé un vrai repentir de ce qui était arrivé et de ce que pourraient être les conséquences si elle est renvoyée du Canada, mais qu'elle n'avait pas pris de mesures raisonnables pour vérifier si son mari était ou non marié légalement à Ping He, s'obstinant plutôt à dire qu'ils n'étaient pas légalement mariés. La Commission a vu là un autre facteur défavorable qui militait contre la demanderesse et son mari.

Le temps passé au Canada par l'appelante et son degré d'enracinement

[15]            La Commission a relevé que le mari n'avait pas passé beaucoup de temps au Canada depuis 1998. Se fondant notamment sur les dépositions de témoins, la Commission n'a pas admis que leurs entreprises canadiennes avaient de quelque manière été ralenties par la procédure de renvoi ou qu'elles nécessiteraient la présence du mari au Canada au cours des mois à venir. Le mari visitait la demanderesse et l'enfant mineure lors d'occasions spéciales, trois à cinq fois par année. La Commission a trouvé que le mari n'avait rien fait pour s'établir au Canada.

[16]            Selon la Commission, la demanderesse avait prouvé son degré d'enracinement au Canada, attesté par plusieurs faits : elle vit au Canada depuis une longue période (huit ans), elle a suivi des cours d'anglais, elle a réintégré récemment le marché du travail, elle a élevé leur fille au Canada, elle a joué un rôle actif au sein de son église, elle a fait du bénévolat dans la collectivité et elle a entrepris d'améliorer ses aptitudes et ses compétences.

La présence de membres de la famille de l'appelante au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille

[17]            La Commission a relevé que, à l'exception de leur fille, ni la demanderesse ni son mari n'avaient de parenté au Canada. Il n'y aurait donc aucune incidence sur une famille au Canada si la demanderesse et son mari étaient renvoyés.

Le soutien que l'appelante pouvait obtenir de sa famille et de la collectivité

[18]            La Commission a relevé que la demanderesse et sa fille jouent un rôle actif au sein de la collectivité et de leur église et qu'elles ont plusieurs amis ainsi qu'un réseau de soutien au Canada. Toutefois, le mari n'a pas tissé de liens au Canada, à l'exception de deux ou trois collègues, et, quand il est au Canada, il ne participe qu'occasionnellement, avec la demanderesse et leur enfant, dans des activités liées à la collectivité ou à leur église.

L'importance des épreuves que subirait l'appelante si elle était renvoyée du Canada, y compris la situation dans le pays où elle serait probablement renvoyée

[19]            La Commission a estimé que le mari de la demanderesse n'allait vraisemblablement pas connaître de difficultés s'il était renvoyé du Canada et, selon elle, il souhaitait simplement que la demanderesse et leur fille restent au Canada.

[20]            La Commission a pris note du témoignage de la demanderesse, qui a dit qu'elle connaîtrait de réelles difficultés si elle était renvoyée du Canada, car elle souhaitait ardemment vivre au Canada, elle ne serait pas en mesure de travailler en Chine en raison de son âge, elle aurait du mal à bien communiquer avec sa belle-famille en raison de la langue et sa fille connaîtrait de réelles difficultés en raison des possibilités restreintes d'éducation et autres activités en Chine. Selon la Commission cependant, il n'était nullement établi que les conditions de vie ayant cours en Chine étaient défavorables. Par ailleurs, la demanderesse et son mari ont vécu en Chine une bonne partie de leur vie sans y connaître de difficultés évidentes, elle était éduquée et elle travaillait quand elle avait quitté la Chine, elle a acquis de nouvelles compétences et de l'expérience durant son séjour au Canada, tous les membres de sa famille proche sont en Chine, de telle sorte qu'elle bénéficiera d'un soutien familial dans ce pays, et rien ne prouve qu'elle n'aurait pas de possibilités d'emploi ou ne serait pas en mesure de poursuivre en Chine ses activités religieuses ou de chant.

[21]            La Commission a pris note des observations de l'avocat de la demanderesse, pour qui l'objectif de la réunification des familles, un objectif énoncé dans la LIPR, aurait de meilleures chances d'être atteint si la demanderesse et sa fille étaient autorisées à rester au Canada. La Commission a jugé que les circonstances de l'affaire n'appuyaient pas l'objectif de la réunification des familles ni ne concouraient à ce résultat. Par ailleurs, compte tenu de l'intention du mari de vivre le plus souvent en dehors du Canada (en Chine), ainsi que de ne visiter qu'occasionnellement la demanderesse et leur fille, la réunification des familles avait, eu égard aux circonstances de la présente affaire, de meilleures chances de se réaliser si la famille vivait en Chine.

Les intérêts supérieurs d'un enfant directement touché par la décision

[22]            La Commission a relevé que l'enfant mineure est née au Canada et qu'elle était âgée de cinq ans, qu'elle participait à de nombreuses activités (natation, gymnastique, ballet, activités à l'église), qu'elle avait été récemment acceptée dans une école maternelle privée, qu'elle avait vécu la plupart du temps avec un seul de ses parents au Canada, qu'elle n'avait pas aimé la Chine lorsqu'elle s'y était rendue, enfin que, selon la demanderesse, sa fille n'aurait pas en Chine les mêmes possibilités de se scolariser ou d'exercer d'autres activités. La Commission a cependant jugé que toutes ces affirmations n'étaient appuyées par aucune preuve crédible. La demanderesse et son mari disposaient en Chine de possibilités éducatives. La demanderesse était une chanteuse d'opéra professionnelle et son mari était un pianiste confirmé, et tous deux avaient reçu leur formation en Chine. Ils ont les moyens financiers requis pour offrir l'école privée et d'autres activités à leur fille.

[23]            La Commission a estimé que, en tant que citoyenne canadienne, l'enfant mineure avait le droit de rester au Canada, mais qu'elle retournerait probablement en Chine avec ses parents. Vu son jeune âge et la situation familiale, elle serait en mesure de s'adapter à la vie en Chine. Il y aurait probablement une période d'ajustement, mais elle parle le mandarin et elle aurait le soutien de sa famille en Chine. Par ailleurs, vu la situation particulière de ses parents, il serait dans son intérêt supérieur que toute la cellule familiale vive en Chine.

[24]            Selon la Commission, les raisons d'ordre humanitaire n'étaient pas suffisantes pour justifier une mesure spéciale et elle a rejeté les appels.

Les questions en litige

[25]            1.          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a dit que la demanderesse avait fait indirectement une fausse déclaration la concernant?

2.          Le refus du commissaire de conclure à l'existence de raisons d'ordre humanitaire suffisantes était-il fondé sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire?

Les observations de la demanderesse

[26]            Selon la demanderesse, le mot « indirectement » devrait être interprété à la lumière des formulaires fixés par règlement. Les seules déclarations que la demanderesse a faites figurent dans son formulaire de demande, lequel ne renferme aucune question sur son mari, pas même le nom de celui-ci. Les formulaires officiels n'indiquent nulle part qu'elle est ou sera tenue pour responsable des fausses déclarations faites par un autre demandeur.

[27]            Selon la demanderesse, une fausse déclaration faite indirectement serait donc une déclaration dont elle serait à l'origine, mais qui serait faite par quelqu'un d'autre en rapport avec sa demande à elle, non avec celle de son mari. Autrement dit, pour qu'il y ait fausse déclaration faite indirectement par la demanderesse, il faudrait prouver qu'une information donnée à propos de sa demande à elle par une autre personne équivaut à une présentation erronée de l'information qu'elle a donnée.

[28]            Selon la demanderesse, si le législateur avait voulu exclure la demanderesse à cause d'une fausse déclaration faite par un autre demandeur, alors il l'aurait dit, comme il l'a fait dans l'ancienne Loi sur l'immigration. L'ancienne Loi utilisait les mots « même si ces moyens ou déclarations sont le fait d'un tiers » .

[29]            Selon la demanderesse, les tribunaux ont adopté le point de vue selon lequel l'ajout de mots dans un texte législatif est une tâche qui appartient au législateur (voir l'arrêt R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686). Puisque le législateur a expressément enlevé cette disposition dans la nouvelle loi, la Commission devait donc ici s'abstenir de l'ajouter au texte de telle sorte que le mot « indirectement » engloberait, dans les fausses déclarations faites par le demandeur principal, les personnes à charge qui n'ont pas connaissance de telles déclarations.

[30]            Selon la demanderesse, la Cour a jugé que, pour qu'une personne relève de l'alinéa 27(1)e), elle doit avoir une connaissance subjective des faits dissimulés (voir la décision Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 C.F. 421 (1re inst.)). La Cour d'appel fédérale a elle aussi jugé, dans l'arrêt Medel c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 345, que, puisque l'appelante dans cette affaire ne savait pas subjectivement qu'elle dissimulait quelque chose, elle ne pouvait pas tomber sous le coup de l'alinéa 27(1)e) de l'ancienne loi.

[31]            Par conséquent, puisque la Commission a admis que la demanderesse n'avait peut-être pas eu connaissance de la liaison antérieure de son mari, ni de l'existence du fils de celui-ci, elle n'aurait pas dû être déclarée interdite de territoire selon ce que prévoit l'alinéa 40(1)a) de la LIPR.

La non-distinction entre l'appel interjeté par la demanderesse et celui interjeté par son mari

[32]            Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas songé à la possibilité de faire droit à l'appel interjeté par la demanderesse tout en rejetant celui de son mari. La Commission aurait dû analyser les circonstances de la demanderesse séparément de celles de son mari. La demanderesse est victime des agissements de son mari et elle est punie pour les actions de son mari, des actions dont elle n'avait pas connaissance ou qu'elle ne pouvait pas empêcher.

[33]            La Commission a commis une erreur en considérant la demanderesse et son mari comme une entité unique, même sur des aspects qui n'avaient aucun rapport avec la demanderesse. La demanderesse dit aussi qu'il était déraisonnable pour la Commission de croire que la demanderesse aurait pu faire une quelconque démarche pour s'enquérir du présumé premier mariage de son mari alors qu'elle n'était pas partie à ce mariage et qu'elle n'aurait probablement pas obtenu les renseignements. Par ailleurs, vu le certificat de divorce de son mari, en rapport avec sa liaison antérieure, et vu son remariage ultérieur avec la demanderesse, elle n'avait aucune raison de s'interroger sur le précédent mariage. La Commission a également commis une erreur en se prononçant à maintes reprises contre la demanderesse et son mari collectivement, à propos d'autres aspects dont la demanderesse n'avait pas connaissance, notamment le fait que le mari n'avait pas révélé l'existence de son fils.

La mauvaise interprétation de la notion de réunification des familles

[34]            Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a dit que la réunification de la famille, dans cette affaire, aurait de meilleures chances de se réaliser si les deux parents et l'enfant vivaient ensemble dans le même pays.

[35]            La Commission a conclu à tort que l'intérêt supérieur de l'enfant était d'être avec ses parents en Chine. La Cour d'appel fédérale avait écrit ce qui suit, dans l'arrêt Mohamed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 90) :

Le fait qu'un parent à l'étranger d'un citoyen canadien ne désire pas rejoindre ici ce dernier ou qu'il soit inadmissible à le faire n'a tout simplement aucune pertinence quant à l'octroi à ce citoyen canadien d'un redressement pour des considérations humanitaires ou de compassion de façon à lui permettre d'être réuni avec un autre proche parent de l'étranger.

[36]            La Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas envisagé de permettre à la demanderesse de rester seule au Canada avec sa fille, dans l'intérêt de la réunification de la famille au Canada. Il est clair que l'intérêt supérieur de l'enfant née au Canada est d'être au Canada avec la demanderesse, mais le cas de la demanderesse n'a pas été étudié indépendamment de celui de son mari.

[37]            L'observation de la Commission selon laquelle l'enfant de six ans née au Canada est libre de rester au Canada ou de quitter le Canada comme elle le souhaite était une observation abusive, qui montre que la Commission n'a pas considéré sérieusement l'intérêt supérieur de l'enfant.

L'importance excessive accordée à la fausse déclaration

[38]            Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a dit que « les facteurs négatifs [...] l'emportent sur les facteurs en faveur des appelants » . La Commission n'a manifestement pas reconnu que, s'agissant de la demanderesse, l'unique facteur défavorable était une fausse déclaration dans laquelle elle n'avait aucune part. La demanderesse avait de nombreux facteurs jouant en sa faveur, notamment son enfant née au Canada, ses liens avec la collectivité et son niveau d'établissement au Canada (voir la décision Duong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 362 (QL)).

[39]            Par conséquent, même si les dispositions de la LIPR se rapportant aux fausses déclarations devaient s'appliquer à la demanderesse, le manquement ne serait pas suffisant pour justifier le renvoi d'une personne bien enracinée au Canada.

Les observations du défendeur

[40]            Selon le défendeur, l'interprétation du paragraphe 40(1) donnée par la Commission s'accorde avec la méthode contemporaine d'interprétation des lois, telle que l'a exposée la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Re Rizzo and Rizzo Shoes, [1998] 1 R.C.S. 27. Le contexte du paragraphe 40(1) de la LIPR atteste la volonté du législateur de ne pas laisser quelqu'un entrer au Canada ou y rester si son admission a lieu par l'entremise d'une personne qui fait une présentation erronée sur des faits importants (voir, par exemple, l'alinéa 40(1)b), l'article 42 et l'alinéa 117(9)d) du Règlement).

[41]            Selon le défendeur, si l'argument de la demanderesse est accepté et si l'on dit qu'elle n'a pas, par la fausse déclaration de son mari, [traduction] « indirectement fait une présentation erronée » , elle sera en mesure de rester au Canada, puis de parrainer à son tour son mari au Canada. Cela aurait pour effet d'annuler toutes les conséquences de la fausse déclaration de son mari. La LIPR traite la famille comme une cellule aux fins de l'admission au Canada. L'admissibilité de la demanderesse était inextricablement liée à la demande de son mari et aux affirmations qu'elle contenait. La seule manière d'interpréter uniformément la Loi est de dire que les fausses déclarations du mari constituaient indirectement des présentations erronées de ses personnes à charge.

[42]            Selon le défendeur, on peut discerner l'objet de l'article 40 en examinant les dispositions pertinentes de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. La demanderesse aurait manifestement été déclarée non admissible selon l'alinéa 27(1)e) de l'ancienne Loi, qui parle de fausse indication sur un fait important, même si ces déclarations sont le fait d'un tiers.

[43]            Lorsque le législateur a adopté la nouvelle LIPR, l'un des objets de la Loi était de renforcer l'interdiction de territoire comme on peut le constater dans l'analyse article par article préparée pour la LIPR.

[44]            On aboutirait donc à une absurdité si une personne qui serait manifestement non admissible selon l'ancienne Loi sur l'immigration ne serait plus interdite de territoire. Par ailleurs, le sens ordinaire du mot « indirect » appuie l'interprétation donnée par la Commission.

Les raisons d'ordre humanitaire

[45]            Le défendeur dit que, contrairement aux affirmations de la demanderesse, la Commission a toujours été consciente des différences entre ses propres circonstances et celles de son mari, notamment les suivantes : (i) la demanderesse n'a elle-même fait aucune fausse déclaration; (ii) contrairement à son mari, elle a exprimé d'authentiques remords; (iii) contrairement à son mari, elle avait vécu au Canada depuis nombre d'années et pouvait justifier d'un niveau d'établissement au Canada.

[46]            La situation de la demanderesse a été pleinement examinée. Ce qu'elle demande aujourd'hui à la Cour de faire, c'est d'apprécier à nouveau la valeur accordée par la Commission aux divers facteurs. Par exemple, la demanderesse a fait valoir que la Commission avait accordé une [traduction] « importance excessive » à la fausse déclaration. La question du poids qui est accordé à la preuve ne peut comme telle être l'objet d'un contrôle judiciaire (voir les arrêts Suresh c. Canada, 2002 CSC 1, et Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 475).

Les dispositions législatives pertinentes

[47]            L'alinéa 27(1)e) de la Loi sur l'immigration, précitée, est ainsi formulé :

27(1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :

27(1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

[. . .]

. . .

e) a obtenu le droit d'établissement soit sur la foi d'un passeport, visa - ou autre document relatif à son admission - faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers ou encore par suite d'une fausse indication sur un fait important, même si ces moyens ou déclarations sont le fait d'un tiers;

(e) was granted landing by reason of possession of a false or improperly obtained passport, visa or other document pertaining to his admission or by reason of any fraudulent or improper means or misrepresentation of any material fact, whether exercised or made by himself or by any other person;

[48]            Les paragraphes 40(1) et (2) de la LIPR sont ainsi formulés :

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d'entraîner une erreur dans l'application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu'il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

c) l'annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d'asile;

(c) on a final determination to vacate a decision to allow the claim for refugee protection by the permanent resident or the foreign national; or

d) la perte de la citoyenneté au titre de l'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

(2) Les dispositions suivantes s'appliquent au paragraphe (1) :

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l'interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l'étranger n'est pas au pays, ou suivant l'exécution de la mesure de renvoi;

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of two years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

b) l'alinéa (1)b) ne s'applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l'interdiction.

(b) paragraph (1)(b) does not apply unless the Minister is satisfied that the facts of the case justify the inadmissibility.

Analyse et décision

[49]            La norme de contrôle

La norme de contrôle à appliquer aux questions d'interprétation des lois est celle de la décision correcte. S'agissant des raisons d'ordre humanitaire, et compte tenu de l'arrêt Baker, précité, ainsi que des jugements qui l'ont suivi, je suis convaincu que la décision doit être revue selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[50]            Première question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a dit que la demanderesse avait fait indirectement une fausse déclaration la concernant?

La demanderesse est arrivée au Canada en 1996 à la faveur d'un visa étudiant. Elle s'était mariée avec M. Huang en 1990. M. Huang était déjà marié, mais elle ne le savait pas. Lorsque son mari a présenté sa demande à Immigration Canada, la demanderesse figurait dans sa demande à titre de personne accompagnant son mari. Ils ont obtenu le droit d'établissement en septembre 1998 et la demanderesse a donné naissance à une fille au Canada en mars 1999.

[51]            La demanderesse a demandé la citoyenneté canadienne en 2001 et, vers la date de son entrevue, son mari lui a révélé pour la première fois qu'il s'était déjà marié et qu'il avait un fils.

[52]            Comme le mari n'avait pas précisé dans sa demande qu'il s'était marié et qu'il avait un fils, une mesure d'exclusion a été prononcée contre lui parce qu'il avait directement fait une présentation erronée sur un fait important. Une mesure d'exclusion a également été prononcée contre la demanderesse parce qu'elle avait indirectement fait une présentation erronée sur un fait important, étant donné qu'elle figurait dans la demande de son mari en tant que personne l'accompagnant. La mesure d'exclusion prononcée contre la demanderesse l'a été conformément à l'alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[53]            Il s'agit donc de savoir si l'alinéa 40(1)a) de la LIPR, par les mots « indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important » , comprend le cas de la demanderesse, qui n'avait pas connaissance du mariage antérieur de son mari ni de l'existence de son fils.

[54]            Dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux paragraphes 21 à 23, la Cour suprême du Canada écrivait ce qui suit :

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après « Construction of Statutes » ); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l'approuvant, mentionnons : R. c. Hydro-Québec, [1997] 3 R.C.S. 213 2; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables » .

Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l'analyse de ces questions.

[55]            Selon la demanderesse, le sens ordinaire des mots de la disposition n'engloberait pas des personnes comme elle, puisqu'elle n'a pas fait de présentation erronée sur un fait important. Dans l'alinéa 22(1)e) de l'ancienne Loi sur l'immigration, précitée, il était question d'une fausse indication sur un fait important, même si c'est « le fait d'un tiers » . L'alinéa 40(1)a) de la LIPR n'est pas formulé de la même façon.

[56]            Une lecture initiale de l'alinéa 40(1)a) de la LIPR semblerait confirmer le point de vue de la demanderesse selon lequel cet alinéa ne s'applique pas aux fausses déclarations faites par d'autres personnes. Toutefois, si la disposition avait cette signification, elle conduirait à une possible absurdité, en ce sens qu'un demandeur pourrait directement faire une fausse déclaration dans une demande, puis faire entrer avec lui une personne telle que la demanderesse, et cette personne ne pourrait pas alors être renvoyée du Canada si elle ignorait la fausse déclaration. Je suis d'avis que l'alinéa 40(1)a) peut s'interpréter de manière à s'appliquer à la demanderesse. Le mot « indirectement » peut s'interpréter d'une manière qui englobe une situation comme celle dont il s'agit ici, où la demanderesse a été incluse dans la demande présentée par son mari, et cela, même si elle ne savait pas qu'il était marié et qu'il avait un fils.

[57]            L'interprétation ci-dessus est confirmée par la teneur de l'article 40 de l'analyse explicative article par article du projet de loi C-11 (aujourd'hui la LIPR), où l'on peut lire ce qui suit :

L'article est semblable aux dispositions de la Loi actuelle portant sur les fausses déclarations des résidents permanents ou des résidents temporaires, mais les modifie en renforçant les outils d'exécution de la Loi destinés à éliminer les abus.

[58]            Je dirais donc que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a dit que la demanderesse avait indirectement fait une présentation erronée aux fonctionnaires de l'immigration à propos de certains faits. Le fait d'interpréter l'alinéa 40(1)a) de la LIPR d'une manière telle que les fausses déclarations faites par une personne constituent indirectement une présentation erronée faite par une autre n'équivaut pas, comme le prétend la demanderesse, à ajouter des mots au texte législatif. C'est donner du corps à l'intention du législateur.

[59]            Deuxième question en litige

Le refus du commissaire de conclure à l'existence de raisons d'ordre humanitaire suffisantes était-il fondé sur des conclusions de fait erronées, tirées d'une façon abusive et arbitraire?

Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur parce qu'elle n'a pas étudié la demande de la demanderesse et celle de son mari séparément l'une de l'autre et elle dit aussi que la Commission a commis une erreur quand elle a conclu que les raisons d'ordre humanitaire n'étaient pas suffisantes.

[60]            S'agissant de l'argument selon lequel les demandes auraient dû être examinées séparément, je ne partage pas l'avis de la demanderesse. La Commission semblait bien au fait des différences entre les circonstances de la demanderesse et celles de son mari. À titre d'exemples, la Commission a relevé ce qui suit :

1.         Mme Wang n'a elle-même fait aucune fausse déclaration.

2.         Mme Wang, contrairement à son mari, a exprimé un authentique repentir de ce qui est arrivé.

3.         Mme Wang a passé beaucoup plus de temps au Canada que son mari et elle a pu justifier d'un niveau d'établissement au Canada, contrairement à son mari.

[61]            Il était loisible à la Commission d'accorder plus d'importance à la fausse déclaration qu'aux facteurs qui militaient en faveur de la demanderesse. C'est un aspect sur lequel la Cour n'a pas mandat d'intervenir, si ce n'est dans des cas exceptionnels. L'argument de la demanderesse repose sur l'idée selon laquelle elle ne devrait pas être pénalisée pour la fausse déclaration faite par son mari puisqu'elle n'y a joué sciemment aucun rôle. C'est là une situation regrettable, mais la demanderesse a bien contrevenu à l'alinéa 40(1)a) de la LIPR et la Commission avait le droit d'apprécier les divers facteurs comme elle l'a fait ainsi que de rendre la décision qu'elle a rendue.

[62]            S'agissant de la réunification des familles, cet aspect a été soulevé par la demanderesse devant la Commission qui en a disposé.

[63]            Je suis convaincu que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en traitant des raisons d'ordre humanitaire, y compris l'intérêt supérieur de l'enfant.

[64]            La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[65]            La demanderesse a proposé que soit certifiée une question grave de portée générale portant sur l'interprétation de l'alinéa 40(1)a) de la LIPR et le défendeur a proposé une question semblable. Je suis disposé à certifier la question suivante comme question grave de portée générale :

Selon l'alinéa 40(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ainsi formulé :

Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d'entraîner une erreur dans l'application de la présente loi;

un résident permanent est-il interdit de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait important s'il a obtenu le droit d'établissement en tant que personne à charge d'un demandeur principal qui, dans sa demande de droit d'établissement, a fait une présentation erronée sur un fait important?

ORDONNANCE

[66]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          La question suivante est certifiée comme question grave de portée générale :

Selon l'alinéa 40(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ainsi formulé :

Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d'entraîner une erreur dans l'application de la présente loi;

un résident permanent est-il interdit de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait important s'il a obtenu le droit d'établissement en tant que personne à charge d'un demandeur principal qui, dans sa demande de droit d'établissement, a fait une présentation erronée sur un fait important?

« John A. O'Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-5815-04

INTITULÉ :                                                 XIAO QIONG WANG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                          VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 16 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                               LE 3 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Phillip J. Rankin                                              POUR LA DEMANDERESSE

Sandra Weafer                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :

Rankin & Bond

Vancouver (Colombie-Britannique)                POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                 POUR LE DÉFENDEUR

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