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Date : 20200702


Dossier : IMM-5726-19

Référence : 2020 CF 742

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2020

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

GBENGA ONIGBINDE AKINKUNMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Gbenga Akinkunmi est un citoyen du Nigéria qui a demandé l’asile au Canada en 2018. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande, ayant conclu que M. Akinkunmi a une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Benin City, au Nigéria. M. Akinkunmi a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SAR a rejeté l’appel et confirmé la conclusion de la SPR concernant la PRI. M. Akinkunmi sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR (la décision).

[2]  La demande de M. Akinkunmi est rejetée étant donné que la SAR a traité de façon approfondie et cohérente les questions dont elle était saisie. La SAR a justifié chacune de ses conclusions en se référant à la décision de la SPR, aux éléments de preuve au dossier et aux observations produites en appel par M. Akinkunmi.

I.  Contexte

[3]  M. Akinkunmi a fui le Nigéria en 2018 parce qu’il craignait : (1) des représailles des pasteurs fulanis et de Boko Haram pour avoir contesté le droit des pasteurs fulanis de faire paître leurs animaux près de sa propriété dans l’État du Plateau; 2) la persécution par les militants des Vengeurs du Delta du Niger (les militants) qui l’ont enlevé lors de son déménagement dans le sud-est du Nigéria à la suite de deux incidents violents impliquant les pasteurs fulanis, et qui n’ont reçu qu’une partie du montant de la rançon demandée; et 3) que sa famille impose la mutilation génitale féminine (MGF) à sa fille de six ans.

[4]  M. Akinkunmi a pris l’avion pour New York (NY) le 11 mars 2018, au moyen d’un visa américain valide. Son épouse et ses deux enfants sont demeurés au Nigéria. Ils avaient quitté l’État du Plateau et vivaient séparément de M. Akinkunmi depuis les incidents avec les pasteurs fulanis. M. Akinkunmi est entré au Canada le 12 mars 2018. Sa demande d’asile a été examinée et rejetée par la SPR en février 2019.

[5]  La SPR a examiné les deux volets du critère d’une PRI, en prenant note du fait que M. Akinkunmi craignait d’être persécuté ou de subir des préjudices de la part d’acteurs non étatiques. Le tribunal a conclu qu’il ne serait menacé à Benin City ni par les pasteurs fulanis ni Boko Haram ni les militants, et qu’il n’existait aucune preuve crédible que M. Akinkunmi, sa femme ou sa fille avaient été harcelés ou poursuivis par la famille de M. Akinkunmi depuis 2017. En ce qui concerne le deuxième volet du critère d’une PRI, la SPR a déterminé qu’il n’était pas objectivement déraisonnable pour M. Akinkunmi de chercher refuge à Benin City, compte tenu de son niveau d’éducation, de son expérience de travail et de ses aptitudes linguistiques ainsi que de sa capacité à trouver du travail.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Lors de son appel auprès de la SAR, M. Akinkunmi a contesté un certain nombre d’aspects de l’analyse de la PRI effectuée par la SPR. La SAR a examiné chacune des observations de M. Akinkunmi présentées en appel selon le critère à deux volets énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam).

[7]  La SAR a d’abord examiné la question de savoir si les éléments de preuve indiquaient que l’un de ses persécuteurs, à savoir les pasteurs fulanis, Boko Haram, les militants ou la famille de M. Akinkunmi, avait les moyens et la motivation de le rechercher à Benin City. Le tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve convaincante établissant que les pasteurs fulanis et Boko Haram seraient motivés à rechercher M. Akinkunmi hors de sa région natale. En outre, ni les pasteurs fulanis ni Boko Haram n’étaient suffisamment organisés ou puissants pour avoir les moyens de trouver leurs ennemis dans une grande zone urbaine comme Benin City et de leur causer un préjudice.

[8]  La SAR s’est ensuite penchée sur l’argument de M. Akinkunmi selon lequel la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il n’était pas exposé à un risque de préjudice prospectif de la part des militants à Benin City. Le tribunal de la SAR a conclu que Benin City n’était pas près du lieu de l’enlèvement; que les militants n’étaient pas omniprésents dans la ville; et que la preuve objective du cartable national de documentation (CND) indique que les militants ciblent principalement les installations pétrolières. La SAR a également conclu que M. Akinkunmi n’avait fourni aucune preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle les militants étaient motivés à le rechercher pour obtenir le reste du montant de la rançon pour son enlèvement.

[9]  En ce qui a trait à la peur de MGF de sa fille, la SAR a été du même avis que la SPR, faisant écho à la conclusion du tribunal de la SPR selon laquelle il n’y avait aucune preuve crédible de menace ou de préjudice de la part de la famille de M. Akinkunmi. La SAR a indiqué qu’il ne s’agissait que de spéculations selon lesquelles il pourrait être retrouvé par sa famille à Benin City, où il n’avait aucun membre de sa famille ni aucun contact. Le tribunal a souligné l’argument de M. Akinkunmi selon lequel la SPR n’avait pas tenu compte de la preuve que sa femme avait déménagé d’un endroit à l’autre avec sa fille pour éviter la MGF. La SAR a estimé que la SPR avait examiné la question, mais avait conclu que les éléments de preuve n’établissaient pas l’allégation principale de M. Akinkunmi selon laquelle il serait persécuté à Benin City en raison de son opposition à la MGF.

[10]  La SAR a examiné le deuxième volet du critère de l’arrêt Rasaratnam concernant la PRI d’une façon assez approfondie et a confirmé l’appréciation de la SPR selon laquelle il ne serait pas objectivement déraisonnable ou trop sévère de s’attendre à ce que M. Akinkunmi déménage à Benin City. Les conclusions du tribunal ne sont pas contestées en l’espèce. Toutefois, M. Akinkunmi soutient maintenant qu’il serait déraisonnable de l’obliger à cesser tout contact avec sa famille étendue s’il retournait au Nigéria et vivait dans la PRI. Il indique que sa famille apprendrait inévitablement qu’il a déménagé à Benin City, mettant sa fille en danger.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[11]  La question en litige que soulève la présente demande est celle de savoir si la SAR a commis une erreur en concluant que M. Akinkunmi avait une PRI viable à Benin City. M. Akinkunmi conteste deux aspects de l’appréciation de la PRI par la SAR :

  1. Le risque de persécution continu de M. Akinkunmi de la part des militants à Benin City.

  2. Le risque pour la fille de M. Akinkunmi de subir la MGF à Benin City.

[12]  M. Akinkunmi ne conteste pas les conclusions de la SAR concernant les pasteurs fulanis et Boko Haram.

[13]  Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire par la Cour de la décision de la SAR concernant la PRI (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 10 (Vavilov)). Aucune des situations permettant de s’écarter de la norme de contrôle présumée qui ont été énoncées par la Cour suprême du Canada (la CSC) dans l’arrêt Vavilov ne s’applique en l’espèce.

[14]  Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont donné des indications pour aider les cours de révision à appliquer la norme de la décision raisonnable. J’ai suivi ces indications dans le cadre de mon contrôle en faisant preuve de retenue tout en procédant à un contrôle rigoureux de la décision contestée afin de déterminer si celle-ci est intrinsèquement cohérente et justifiée (Vavilov, aux paragraphes 12 à 15, 85, 86 et 99; voir aussi Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, aux paragraphes 28 et 29). Durant la plaidoirie, les parties ont souligné l’importance de la décision rendue par le décideur et les contraintes imposées au décideur, faisant écho à la description de la CSC d’une décision raisonnable comme étant « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et […] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au paragraphe 85).

IV.  Analyse

1.  La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation du risque de persécution continu de M. Akinkunmi de la part des militants à Benin City?

[15]  M. Akinkunmi fait valoir que la SAR a déraisonnablement rejeté son argument selon lequel il courait un risque prospectif, dans la PRI, d’être victime d’un deuxième enlèvement par les militants. Premièrement, il soutient que Benin City est trop proche de Warri, le lieu de l’enlèvement de M. Akinkunmi en 2018. Deuxièmement, il fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de la présomption de fait qu’il risque sérieusement d’être persécuté ou de subir un préjudice à l’avenir en raison de son premier enlèvement et du fait qu’il n’a pas payé le montant total de la rançon.

[16]  Je reconnais que M. Akinkunmi remet en question la cohérence de certains paragraphes de la décision, faisant valoir qu’ils manquent de clarté et que la Cour devrait considérer ces derniers comme des erreurs déterminantes dans le raisonnement de la SAR. Les critiques de M. Akinkunmi ne sont pas convaincantes. Il a extrait certaines parties des paragraphes de la décision et s’appuie sur son analyse de ces extraits pour saper l’appréciation faite par la SAR des moyens des militants et de leur motivation à le retrouver à Benin City. Cette approche ne tient pas compte des directives de la CSC à l’intention des cours de révision selon lesquelles les motifs écrits du décideur doivent être interprétés de façon globale et contextuelle (Vavilov, au paragraphe 97). Hormis la référence faite par la SAR aux Vengeurs du delta du Niger plutôt qu’aux militants, qui était une erreur, l’analyse faite par la SAR de la portée des activités des militants dans le sud du Nigéria était bien motivée et logique. Malgré l’insistance de M. Akinkunmi, la référence erronée de la SAR aux Vengeurs du delta du Niger n’entache pas la décision de nullité.

Proximité de Benin City et de Warri

[17]  Lorsqu’il fait valoir que la PRI proposée est trop proche du lieu de son enlèvement, M. Akinkunmi soutient que le fait que la SAR s’appuie sur la distance entre Benin City et Warri, qui est de deux heures en voiture (97 km), ne tient pas compte d’une série de décisions de la Cour qui mettent l’accent sur la difficulté de trouver une PRI viable ou d’établir la protection de l’État dans un petit pays (Annan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 CF 25 (Annan); Corneau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 722 (Corneau); Henriquez de Umaña c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 326 (Henriquez de Umaña); James c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1279 (James)). Il fait une analogie entre ces affaires et la courte distance entre Benin City et Warri.

[18]  M. Akinkunmi fait également valoir que la SAR n’a pas abordé la question de la proximité du point de vue des agents de persécution allégués. Il affirme que la SAR n’a pas examiné la question de savoir si les militants considéreraient que Benin City est trop éloigné de Warri pour poursuivre M. Akinkunmi à des fins de paiement.

[19]  J’ai examiné les décisions citées par M. Akinkunmi. La question déterminante dont la Cour était saisie dans les décisions Corneau et James était la protection de l’État, et non la PRI. L’accent mis par la Cour sur la taille de Sainte-Lucie dans les deux affaires répondait aux arguments selon lesquels les autorités de l’État n’étaient pas en mesure de protéger les victimes de violence conjugale ou refusaient de le faire. Dans la décision Henriquez de Umaña, la Cour a critiqué le rejet par la SPR de la preuve présentée par le demandeur au sujet d’une éventuelle PRI. La Cour a conclu que le tribunal de la SPR n’avait pas expliqué pourquoi elle avait rejeté les éléments de preuve selon lesquels l’agent de persécution du demandeur état bien organisé et serait en mesure de le retrouver n’importe où au Salvador. La taille physique du Salvador est importante, mais elle a été examinée conjointement avec le persécuteur lui-même et sa portée dans tout le pays. Dans la décision Annan, une autre affaire portant sur la PRI, la Cour a déterminé que le demandeur courait un risque partout au Ghana. La Cour a indiqué que la taille du pays devait être prise en compte, tout comme ses fondements culturels qui étaient encore largement tribaux.

[20]  Je conviens avec M. Akinkunmi que la géographie et la distance sont importantes dans les affaires portant sur la PRI, mais elles sont rarement le seul élément à prendre en considération par un décideur. Dans chaque cas, le décideur doit tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents concernant la possibilité sérieuse de préjudice pour un demandeur dans la PRI proposée, y compris les caractéristiques de l’agent de persécution allégué ainsi que sa capacité et sa motivation à agir dans la PRI. Je conclus que la SAR n’a pas fait abstraction de la question de la géographie. Le tribunal a plutôt considéré la distance comme un élément de son analyse de la probabilité que les militants recherchent M. Akinkunmi à Benin City.

[21]  Le reste de l’analyse de la SAR portait sur les militants eux-mêmes et sur la question de savoir s’ils avaient les moyens et la motivation de retrouver M. Akinkunmi à Benin City. L’appréciation des moyens et de la motivation des militants par le tribunal a nécessairement été effectuée de leur point de vue, en demandant en fait si les militants pouvaient ou voulaient rechercher M. Akinkunmi malgré son emplacement à deux heures de Warri. La SAR a indiqué que la présence des militants n’était pas importante à Benin City, dans l’État d’Edo. Les documents du CND indiquent qu’ils sont actifs principalement dans l’État du Delta, l’emplacement présumé de leur camp de base, et qu’ils ciblent principalement les installations pétrolières et non les personnes. Ces facteurs indiquaient que les militants n’avaient ni la capacité ni les moyens d’effectuer une recherche dans Benin City.

[22]  La SAR a également tiré une dernière conclusion de fait, qui est néanmoins essentielle. M. Akinkunmi n’avait fourni aucune preuve à l’appui de son argument selon lequel les militants étaient motivés à le rechercher pour récupérer le reste de la rançon de l’enlèvement. Le dossier étaye la conclusion de la SAR. En outre, la SPR a demandé à plusieurs reprises à M. Akinkunmi toutes les raisons pour lesquelles il craignait de retourner au Nigéria. Il n’a à aucun moment indiqué qu’il craignait ses anciens ravisseurs. M. Akinkunmi soutient qu’il ne pensait pas qu’il devait répéter les renseignements contenus dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), mais sa position n’est pas défendable. Les questions posées par la SPR étaient claires et la SAR a tiré une inférence raisonnable de son omission de faire référence aux militants. La SAR a indiqué ce qui suit :

[35]  [M. Akinkunmi] n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui de ce qu’il a avancé en appel, à savoir que les ravisseurs désirent le retrouver afin de toucher le reste de la rançon de son enlèvement. Son témoignage ne fait aucune référence à du harcèlement ou à des menaces qui se poursuivent. Son formulaire FDA ne contient pas, non plus, de renseignements selon lesquels les ravisseurs l’ont cherché de quelque façon que ce soit depuis l’incident. Pendant son audience [M. Akinkunmi] n’a pas formulé de préoccupations au sujet du fait que ses anciens ravisseurs souhaitent lui causer du tort à cause de la portion impayée de la rançon. […]

[23]  L’accent mis par M. Akinkunmi sur la distance entre Benin City et Warri ne tient pas compte d’une partie importante de l’analyse de la SAR concernant la possibilité que les militants cherchent à obtenir le paiement de la portion impayée de la rançon et lui causent d’autres préjudices.

[24]  Je conclus que l’analyse de la SAR relative à Benin City en tant que PRI où les militants étaient peu susceptibles de chercher à retrouver M. Akinkunmi était détaillée et cohérente. Le tribunal a fourni une justification claire à l’appui de ses conclusions. La conclusion de la SAR selon laquelle la crainte de M. Akinkunmi de subir un préjudice aux mains des militants à Benin City n’était pas objective était raisonnable.

Existence d’une présomption de fait en raison de son enlèvement dans le passé

[25]  Examinons maintenant l’affirmation de M. Akinkunmi selon laquelle son enlèvement et son incapacité à verser le montant total de la rançon aux militants en 2018 donnent lieu à une présomption de fait selon laquelle il risque d’être enlevé de nouveau s’il devait retourner au Nigéria et vivre à Benin City. Il soutient que la SAR a commis une erreur en l’obligeant à fournir des éléments de preuve de sa crainte de la conduite future probable des militants. M. Akinkunmi s’appuie sur l’arrêt Fernandopulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91 (Fernandopulle) de la Cour d’appel fédérale (CAF). Il soutient que la CAF a rejeté l’existence d’une présomption de droit fondée sur une persécution dans le passé, mais n’a pas rejeté l’existence d’une présomption de fait découlant de cette persécution. M. Akinkunmi soutient que la présomption de fait selon laquelle il risque d’être enlevé de nouveau [TRADUCTION] « exige au moins l’existence d’un fait pour réfuter la présomption ». Le passage cité par M. Akinkunmi se lit en partie comme suit (Fernandopulle, au paragraphe 25) :

Une personne démontre le bien-fondé de sa demande d’asile en prouvant l’existence d’une crainte justifiée de persécution pour l’un des motifs énumérés à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La preuve des persécutions dont le demandeur a déjà été victime peut justifier la conclusion de fait qu’il a raison de craindre d’être persécuté à l’avenir, mais cette conclusion ne sera pas nécessairement tirée.

[26]  Les propos tenus par la CAF n’établissent pas une présomption de fait d’un préjudice futur qui doit être réfutée par une preuve contraire. La Cour a simplement reconnu qu’un incident violent ou préjudiciable dans le passé pouvait constituer un élément factuel dans l’établissement d’un risque prospectif. Je fais également remarquer que la CAF a mis l’accent sur l’existence d’une persécution dans le passé pour l’un des motifs énumérés à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). L’affaire de M. Akinkunmi repose sur l’article 97 de la LIPR et la possibilité d’un préjudice futur aux mains d’un acteur non étatique précis. Enfin, les affaires citées par M. Akinkunmi à l’appui de son affirmation ne reflètent pas l’adoption par la Cour d’une présomption de fait fondée sur un préjudice dans le passé. Dans chaque affaire, l’analyse de la Cour se fondait sur la demande d’asile du demandeur, sur des preuves factuelles d’une persécution ou de préjudices passés et sur la situation dans le pays.

[27]  Je conclus que le fait que M. Akinkunmi s’appuie sur une présomption de fait qui repose sur son enlèvement dans le passé et son argument selon lequel le défendeur était tenu de réfuter cette présomption avec des éléments de preuve est une tentative d’inversion du fardeau qui lui incombait d’établir que Benin City n’est pas une PRI viable (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994], 1 CF 589).

2.  La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation du risque pour la fille de M. Akinkunmi de subir la MGF à Benin City?

[28]  M. Akinkunmi conteste la conclusion de la SAR selon laquelle la SPR n’a pas omis de tenir compte de la preuve que sa femme et sa fille avaient déménagé à plusieurs reprises au Nigéria en raison de leur peur de la famille de M. Akinkunmi. 

[29]  J’ai examiné la décision de la SAR et la décision de la SPR à la lumière de l’argument de M. Akinkunmi. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait aucune preuve crédible permettant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que M. Akinkunmi, sa femme et sa fille avaient été persécutés ou menacés par sa famille ou que les membres de la famille qu’ils craignaient avaient pu les retrouver depuis 2017. Il ressort clairement de la décision de la SPR que le tribunal de la SPR a examiné la preuve au dossier selon laquelle la femme et la fille de M. Akinkunmi avaient déménagé par mesure de précaution pour éviter sa famille. La SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en indiquant que la SPR avait pris en compte les déménagements de la famille à l’intérieur du Nigéria.

[30]  M. Akinkunmi soutient que Benin City n’est pas une PRI raisonnable pour lui parce que sa fille serait exposée à un risque de MGF étant donné : (1) que son épouse et sa fille le rejoindraient à Benin City et sa famille apprendrait inévitablement qu’ils vivent dans la ville; ou (2) qu’il devrait rester séparé de sa femme et de sa fille pour assurer la sécurité de la fille. Il soutient que la SAR a mal compris cet aspect de ses observations produites en appel et que les deux scénarios démontrent qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il déménage à Benin City.

[31]  La SAR a conclu que le fait d’affirmer que M. Akinkunmi pourrait être retrouvé par sa famille à Benin City était purement conjectural, puisqu’il n’avait aucun membre de sa famille ni aucun contact dans cette ville. Il ne conteste pas cette conclusion si ce n’est qu’en insistant sur le fait que sa découverte par des membres de sa famille par des moyens indirects est inévitable. Je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur en indiquant que cette preuve est conjecturale. Elle ne satisfait pas au seuil très élevé de la preuve requise pour établir qu’une PRI est déraisonnable (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, au paragraphe 15).

[32]  M. Akinkunmi indique maintenant qu’il communiquerait avec sa famille s’il retournait au Nigéria et qu’il serait trop difficile de s’attendre à ce qu’il rompe tous les liens avec sa famille. Par conséquent, sa famille apprendrait de lui que sa fille vit à Benin City. Cet argument n’a pas été soulevé dans le cadre des observations produites en appel auprès de la SAR. En outre, il contredit la déclaration de M. Akinkunmi dans son FDA selon laquelle lui et son épouse ont juré de protéger les droits de sa fille [TRADUCTION] « à tout prix au-delà de toute tradition ou relation familiale ». La déclaration récente de M. Akinkunmi selon laquelle il communiquerait avec sa famille une fois au Nigéria mine également sa crainte alléguée d’une MGF forcée. Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel l’obligation de couper les liens avec la famille afin de pouvoir retrouver son épouse et sa fille et d’assurer la sécurité de sa fille ne répond pas au seuil d’établissement d’une PRI comme déraisonnable.

V.  Conclusion

[33]  La demande est rejetée.

[34]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5726-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de juillet 2020

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5726-19

 

INTITULÉ :

GBENGA ONIGBINDE AKINKUNMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

A EU LIEU PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE Winnipeg (Manitoba) et OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AVRIL 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 juillet 2020

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alexander Menticoglou

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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