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Date : 20200702


Dossier : T-494-19

Référence : 2020 CF 741

Ottawa, Ontario, le 2 juillet 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

ÉRIC PERRON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  L’alinéa 40k) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], dispose :

40 Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

40 An inmate commits a disciplinary offence who

[…]

[…]

k) introduit dans son corps une substance intoxicante;

(k) takes an intoxicant into the inmate’s body;

[…]

[…]

[2]  La situation envisagée par cette disposition ne correspond pas à l'infraction constituée par la présence d’un niveau précis de substance intoxicante dans le corps de l’intéressé, comme en ce qui concerne l’infraction pénale de conduite avec les capacités affaiblies, c’est-à-dire au-delà du taux de 0.08 gramme d’alcool (Code criminel, LRC 1985, c C-46, article 320.14).

[3]  En l’espèce, la Loi reflète une politique de tolérance zéro quant à la consommation de drogue dans les prisons. C’est l’introduction d’une substance intoxicante dans le corps de l’intéressé, indépendamment des niveaux, qui constitue l’infraction, et un résultat positif à un test fait jouer la présomption portant que l’intéressé a effectivement introduit une substance interdite dans son corps.

[4]  Il est constant que M. Perron a « introduit dans son corps une substance intoxicante ». Il demande plutôt le contrôle judiciaire de deux décisions rendues par le président indépendant siégeant pour le tribunal disciplinaire de l’établissement Archambault [le tribunal disciplinaire] datée du 17 décembre 2018 (question préliminaire) et du 27 février 2019 relatives à sa condamnation en vertu du l’alinéa 40k). Ces décisions portent que (1) le Service correctionnel du Canada [le Service] n’est pas tenu de fournir systématiquement aux détenus les taux quantitatifs du résultat d’analyse d’urine lors d’une accusation disciplinaire sous l’alinéa 40k) de la Loi, et que (2) M. Perron ne peut procéder à une contre-expertise autrement que par les mécanismes de contestation consacrés par la Loi et le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement]; selon M. Perron, elles sont contraires à l’équité procédurale et le privent d’une défense pleine et entière.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

[6]  Aux termes de l’alinéa 54b) de la Loi, un détenu peut être tenu de fournir un échantillon d’urine dans le cadre d’un programme réglementaire de contrôle aléatoire du Service et le Programme de prise et d’analyse d’échantillon d’urine [le Programme], conformément aux directives réglementaires du commissaire du Service nommé au titre du paragraphe 6(1) de la Loi.

[7]  La validité des dispositions de la Loi, en particulier l’alinéa 54b) ne sont pas controversées en l’espèce, et, en tout état de cause, l’alinéa 54(b) de la Loi a déjà été jugé valide et conforme aux articles 7, 8, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 (Fieldhouse c British Columbia, 1995 CanLII 1978 (BC CA), 98 CCC (3d) 207).

[8]  Le Programme est un outil essentiel utilisé par le Service dans le cadre de son régime disciplinaire ayant comme objectif d’encourager les détenus à avoir un comportement favorisant l’ordre dans les pénitenciers, tout en contribuant à leur réadaptation et leur réinsertion sociale (article 38 de la Loi).

[9]  M. Perron purge une peine d’emprisonnement d’une durée de quatre ans et quatre mois à l’établissement Archambault, un pénitencier fédéral situé à Sainte-Anne-des-Plaines depuis le 8 juin 2017. Le 25 janvier 2018, il a dû produire un échantillon d’urine dans le cadre du Programme. À cette date, M. Perron n’avait aucun antécédent disciplinaire.

[10]  Le 1er février 2018, à la demande du Service, le laboratoire Gamma-Dynacare [Dynacare], soit le seul laboratoire au Canada certifié par la Substance Abuse and Mental Health Services Administration [SAMHSA] du Department of Health and Human Services [HHS] des États-Unis, a procédé à l’analyse de l’échantillon d’urine de M. Perron et a conclu qu’il s’est révélé être positif au tétrahydrocannabinol acide carboxylique [THC acide carboxylique].

[11]  L’attestation du résultat positif de l’analyse a été remise par Dynacare au gestionnaire du Programme de prise d’échantillons d’urine du Service [la gestionnaire du Programme]; l’attestation du laboratoire ne fait aucune mention du taux quantitatif de la substance détectée de THC acide carboxylique, mais seulement du résultat positif.

[12]  Le 16 février 2018, la copie de l’attestation d’analyse du laboratoire a été remise à M. Perron, et sur la base du résultat positif, M. Perron reçoit le rapport d’infraction disciplinaire pour avoir « introduit dans son corps une substance intoxicante » contrairement à l’alinéa 40k) de la Loi.

[13]  Le 21 février 2018, la procureure de M. Perron envoie une demande à la gestionnaire du Programme afin d’obtenir un échantillon de son d’urine initialement prélevée aux fins de contre-expertise, qui sera envoyé à un laboratoire autre que de Dynacare, soit le laboratoire Biron – un laboratoire n’ayant pas la certification de la SAMHSA.

[14]  Le 26 février 2018, la gestionnaire du Programme répond en refusant de produire un échantillon d’urine pour une contre-expertise à réaliser dans un autre laboratoire. De plus, elle affirme que le seul « laboratoire autorisé » aux fins d’analyse des échantillons d’urine en vertu de la Loi et du Règlement est le laboratoire Dynacare, et que le résultat d’une contre-expertise effectuée dans un autre laboratoire « ne pourra donc pas être pris en compte puisque les conditions établies dans la loi et les règlements ne seront pas respectées ».

[15]  La gestionnaire du Programme observe que si M. Perron souhaitait contester le résultat de l’analyse de son échantillon d’urine, les paragraphes 56 et 57 de la Directive du commissaire 566-10 - Prise et analyse d’échantillons d’urine (en vigueur depuis 18 juin 2015) [Directive 566-10] prévoient la possibilité de demander qu’une « seconde analyse » soit faite, mais toujours au laboratoire Dynacare.

[16]  La gestionnaire du Programme demande à l’avocate de M. Perron de lui faire part de ses intentions, soit de procéder à une seconde analyse et/ou d’obtenir le rapport de Dynacare concernant l’échantillon d’urine du demandeur.

[17]  Au final, M. Perron n’a pas demandé une seconde analyse. Cependant, après en avoir fait la demande, M. Perron reçoit le rapport de Dynacare indiquant le taux quantitatif de THC acide carboxylique constaté dans son échantillon d’urine.

[18]  Vu le refus de la gestionnaire du Programme de lui produire un échantillon d’urine afin qu’il puisse charger un autre laboratoire d’une contre-expertise indépendante, M. Perron demande le rejet du rapport d’infraction au motif que ses droits fondamentaux n’ont pas été respectés.

III.  Les procédures devant le tribunal disciplinaire

[19]  Le 1er mars 2018, M. Perron comparaît devant le tribunal disciplinaire et enregistre un plaidoyer de non-culpabilité à l’infraction prévue par l’alinéa 40k) de la Loi. Une date formelle est fixée au 14 mars 2018.

[20]  Le 14 mars 2018, le tribunal disciplinaire ordonne une remise jusqu’au 28 mars 2018 afin de permettre au Service de définir sa position quant à la demande de M. Perron de transmission de l’échantillon d’urine à un laboratoire autre que Dynacare aux fins de contre-expertise.

[21]  Le 28 mars 2018, le Procureur général du Canada est intervenu dans le dossier devant le tribunal disciplinaire. La représentante du Procureur général a demandé une remise de l’audience afin de déterminer s’il consentirait à la demande du demandeur, et de présenter une preuve concernant la position du Service relativement au refus de transmettre l’échantillon d’urine au laboratoire choisi par M. Perron.

[22]  La demande d’intervention et la remise de l’audience ont été contestées par M. Perron au motif que la demande d’intervention était tardive; en fait, M. Perron était prêt ce jour-là à plaider le rejet des accusations sur le fondement du refus de produire l’échantillon aux fins demandées.

[23]  Le tribunal disciplinaire accorde une remise jusqu’au 25 avril 2018 afin de permettre au Procureur général de prendre connaissance de la preuve et d’intervenir.

[24]  Le 23 avril 2018, le Procureur général présente une demande en prolongation de délai additionnel de quatre semaines afin de compléter sa preuve. Encore une fois, M. Perron s’est opposé à la demande de remise au motif qu’elle ferait obstacle à une procédure administrative expéditive et à son droit de contre-interroger les témoins.

[25]  Le président indépendant accorde la demande de remise, mais ne fixe aucune date précise « considérant que cette décision sera tributaire de plusieurs facteurs […] ». L’affaire est revenue au rôle du tribunal disciplinaire le 23 mai 2018, et a été remise au 20 juin 2018 vu l’absence du Procureur général et vu les délais de production en preuve des affidavits.

[26]  Entre-temps, le Procureur général a fait parvenir au demandeur et au tribunal disciplinaire trois affidavits, soit d’un toxicologue, le Dr Albert Fraser, daté du 17 mai 2018, de la gestionnaire du Programme, daté du 24 mai 2018, et de la personne responsable du laboratoire Dynacare, M. Sami Jamokha, daté du 25 mai 2018.

[27]  Dans son affidavit, le Dr Fraser décrit la méthode d’analyse d’échantillons d’urine selon les normes de la SAMHSA qui ont été instaurées aux États-Unis à la fin des années 1980; ces normes sont aujourd’hui considérées comme les plus rigoureuses en Amérique du Nord.

[28]  La gestionnaire du Programme a souligné l’importance et la fiabilité du Programme, lequel permet de minimiser la consommation de drogue dans les établissements carcéraux.

[29]  Dans ce même témoignage, elle revient sur sa position précédente dans son courriel du 26 février 2018 et affirme qu’une « seconde analyse » dans un autre laboratoire que Dynacare est possible, pourvu que celui-ci soit certifiée par la SAMHSA.

[30]  Pour sa part, M. Jamokha rend un témoignage par écrit qui décrit les services d’échantillonnages du laboratoire Dynacare, ainsi que les étapes de l’analyse des échantillons d’urine selon les normes de la SAMHSA.

[31]  La preuve déposée par le Procureur général a fait l’objet de discussions préliminaires lors de l’audience du 20 juin 2018. Le Procureur général a admis que le laboratoire Dynacare est le seul laboratoire autorisé par la SAMSHA au Canada qui dispose de l’équipement nécessaire pour effectuer l’analyse des échantillons d’urine; il semble qu’il y aurait un autre aux États-Unis qui pourrait procéder à une seconde analyse d’échantillons d’urine selon les normes de la SAMHSA.

[32]  Le président indépendant propose aux parties sa formulation des questions en litige qui seront discutées lors de l’audience sur la question préliminaire de la contre-expertise et il ordonne une remise quant à la production des affidavits.

[33]  Le 9 juillet 2018, le Procureur général transmet à la procureure de M. Perron les réponses de la gestionnaire du Programme à son interrogatoire écrit; le tribunal disciplinaire fixe la date de procès au 12 septembre 2018.

[34]  Dans une communication datée le 6 septembre 2018 du laboratoire Dynacare envoyée à la gestionnaire du Programme, il appert que le taux quantitatif de la substance détecté de THC acide carboxylique était de 44 nanogrammes par millilitre (ng/mL). C’est à ce moment que le taux quantitatif de l’analyse d’urine est communiqué à la procureure de M. Perron.

[35]  M. Perron ne s’est pas prévalu de la possibilité de faire une seconde analyse de l’échantillon d’urine soit au laboratoire Dynacare ou au laboratoire américain MEDTOX Scientific Inc. qui est aussi certifié par la SAMHSA.

IV.  Les décisions du tribunal administratif

[36]  Le 12 septembre 2018, le procès devant le tribunal disciplinaire s’est tenu à l’Établissement Archambault et la décision a été prise en délibéré. Pendant le procès, le tribunal disciplinaire a entendu le témoignage du Dr Fraser ainsi que le témoignage du Dr Pierre-Olivier Hétu, l’expert de la défense.

[37]  Dans son témoignage, le Dr Fraser affirme que le programme SAMHSA a été instauré afin d’assurer des résultats des tests défendables advenant une contestation judiciaire et d’éliminer la possibilité de résultats faussement positifs. Selon lui, le programme SAMHSA est reconnu comme étant le « gold standard » (la méthode de référence) dans l’industrie.

[38]  Le témoignage du Dr Hétu s’est plutôt concentré sur la pertinence des taux quantitatifs des substances détectées. Selon lui, ces taux, aux fins de contre-expertise, peuvent être utile pour déterminer le moment où le détenu peut avoir consommé cette substance. Toutefois, le Dr Hétu confirme que les normes SAMHSA sont très strictes, et qu’elles éliminent toute possibilité de tests positifs par contamination due à l’inhalation de fumée secondaire. Il affirme que dans la mesure où des échantillons ont été confiés au laboratoire Biron aux fins d’analyse selon les normes SAMHSA, ces analyses seraient nécessairement confiées en sous-traitance à Dynacare ou à un autre laboratoire situé aux États-Unis ayant la certification de la SAMHSA.

[39]  Le 17 décembre 2018, le tribunal disciplinaire rend une décision interlocutoire, laquelle porte notamment que la procédure établie dans le cadre du Programme permet d’assurer le respect du droit des détenus à l’équité procédurale dans le contexte disciplinaire carcéral.

[40]  De plus, le tribunal disciplinaire conclut que l’autorisation d’une contre-expertise en dehors des mécanismes prévus et le plein contrôle des contre-expertises des analyses d’échantillon d’urine irait au-delà de ce qu’exige l’équité procédurale.

[41]  Finalement, le tribunal disciplinaire conclut que le Service n’est pas tenu de produire systématiquement les taux quantitatifs en cas d’accusations disciplinaires portées aux termes de l’alinéa 40k) de la Loi, et qu’il appartient à la défense de démontrer que cette information est pertinente dans chaque cas et au président indépendant de se prononcer par la suite.

[42]  Le 21 février 2019, M. Perron a été reconnu coupable d’avoir introduit une substance intoxicante dans son corps en contravention de l’alinéa 40k) de la Loi et a été condamné à une amende de 10 $ et à 2 jours d’isolement sans privilège, le tout suspendu durant 90 jours. (La disposition de la Loi permettant au tribunal disciplinaire d’ordonner l’isolement d’un détenu a depuis été abrogée).

[43]  La décision interlocutoire du 17 décembre 2018 et la décision finale du 21 février 2019 font l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

V.  Questions en litige

[44]  La présente affaire soulève trois questions :

  1. Le Tribunal disciplinaire a-t-il commis une erreur en permettant au Procureur général du Canada d’intervenir?

  2. Le Tribunal disciplinaire a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le Service correctionnel du Canada n’est pas tenu de produire systématiquement les taux quantitatifs en matière d’accusations disciplinaires portées en vertu de l’alinéa 40k) de la Loi et qu’il incombe à la défense de démontrer la pertinence de cette information?

  3. Le Tribunal disciplinaire a-t-il commis une erreur de droit en concluant que permettre au demandeur de procéder à une contre-expertise, autrement que par les voies de recours consacrés par la Loi et les Règlements irait au-delà de ce qu’exige l’équité procédurale?

VI.  Norme de contrôle

[45]  Il n’est pas controversé entre les parties que la norme de la décision raisonnable joue pour les trois questions en litige (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]). J’abonde dans leur sens en ce qui concerne les questions A et B, mais pas en ce qui concerne à la question C.

[46]  La question A porte sur la manière dont la procédure disciplinaire doit se dérouler. Cette question relève clairement de la compétence du président indépendant et fait jouer la norme de la décision raisonnable (Swift c Canada (Procureur général), 2014 CF 1143 aux paras 30-31 [Swift]; Boucher-Côté c Canada (Procureur général), 2014 CF 1065 au para 16 [Boucher-Côté]; Vavilov au para 23).

[47]  De même, la question B porte sur la question de savoir si, dans le cadre du régime disciplinaire prévu par les articles 38 à 44 de la Loi, le Service est obligé de communiquer systématiquement à la défense des informations qui ne sont pas immédiatement disponibles, bien qu’elles puissent être obtenues par le Service. Il s’agit d’une question d’interprétation de la part du président indépendant d’une loi interne (Boucher-Côté au para 16; Vavilov au para 23).

[48]  En ce qui concerne la question C, par contre, il ne s’agit pas de savoir si la procédure suivie par le président indépendant était conforme aux règles d’équité procédurale; il s’agit plutôt de définir les limites de ces règles et, à ce titre, est applicable la norme qui se rapproche le plus possible de la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502 au para 79 [Khela]; Canada (Procureur général) c Blackman, 2016 CF 488 au para 11 [Blackman]; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 au para 54 [Chemin de fer]; voir aussi Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux paras 51-54).

[49]  Comme l’enseigne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov : « [d]ans le cas d’un contexte décisionnel administratif qui donne lieu à une obligation d’équité procédurale, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances » (Vavilov au para 77, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 21 [Baker]).

[50]  En ce qui concerne l’équité procédurale, la Cour doit appliquer une norme qui se rapproche le plus possible de la norme de la décision correcte; concrètement, il faut rechercher si la procédure a été équitable compte tenu de toutes les circonstances. Comme le précise la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chemin de fer au paragraphe 54 :

La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. Je souscris à l’observation du juge Caldwell dans Eagle’s Nest (para. 21) selon laquelle, même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée.

VII.  Discussion

[51]  Pour l’essentiel, les parties ont des visions divergentes quant à la nature de la procédure disciplinaire et au rôle du Procureur général dans ce genre de procédure. Cela dit, avant de passer à l’examen des arguments relatifs à la nature de la procédure disciplinaire et aux garanties d’équité procédurale applicables dans le cadre du régime disciplinaire prévu par les articles 38 à 44 de la Loi, je me propose d’exposer les principes d’équité procédurale applicables en matière de procédure disciplinaire.

[52]  Dans la décision Hendrickson v Kent Institution, [1990] FCJ No 19, 32 FTR 296, 9 WCB (2d) 131 [Hendrickson], monsieur le juge Denault a présenté une synthèse des principes applicables à la poursuite d’infractions disciplinaires en milieu carcéral :

[traduction]

Les principes encadrant la discipline en milieu pénitentiaire se trouvent dans les décisions Martineau No 1 (supra) et No 2; Re Blanchard and Disciplinary Board of Millhaven Institution; Re Howard and Presiding Officer of Inmate Disciplinary Court of Stony Mountain Institution, lesquels peuvent être résumés comme suit :

1. L’audience dirigée par un président indépendant du tribunal disciplinaire est une procédure administrative et n'est de nature ni judiciaire, ni quasi-judiciaire.

2. Sauf textes légaux ou réglementaires en vigueur en sens contraire, il n'y a aucune exigence de suivre quelque procédure précise que ce soit ou de suivre les règles de preuve généralement applicables dans les tribunaux judiciaires ou quasi-judiciaires ou dans des instances de nature contradictoire.

3. Il y a une obligation générale d’agir équitablement en s’assurant que l'audience se déroule de manière équitable et dans le respect de la justice naturelle. Selon l’obligation d’agir équitablement lors d’une audience dans un tribunal disciplinaire, l'intéressé doit connaître les allégations auxquelles il doit répondre, les éléments de preuve en cause et leur nature et il doit avoir la possibilité de discuter ces éléments de preuve et de défendre ses arguments.

4. L’audience n'est pas de nature contradictoire, mais de nature inquisitoire et le président de l’audience n’est pas tenu d’examiner chaque moyen de défense concevable, encore qu’il est tenu d’étudier l’affaire pleinement et équitablement ou, autrement dit, d’examiner les deux côtés de la question.

5. Il ne revient pas à notre Cour d’examiner les éléments de preuve comme un juge judiciaire pourrait ou de contrôler la décision d’un tribunal quasi-judiciaire; elle doit simplement rechercher s’il y a eu une atteinte à l'obligation générale d’agir équitablement.

6. Le pouvoir discrétionnaire dont jouit le juge judiciaire en matière disciplinaire doit être exercé avec circonspection et il ne peut intervenir « que dans des cas d’injustice grave » (Martineau No 2, p. 360). [Notes de bas de page omises]

[Je souligne]

[53]  Depuis, la jurisprudence a avalisé ces principes, qui exposent l’état du droit applicable par le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire (Pontbriand c Canada (Procureur général), 2003 CAF 334 au para 2 [Pontbriand]; Ross c Canada, 2003 CAF 296 au para 30 [Ross]; Ayotte c Canada (Procureur général), 2003 CAF 429 au para 9 [Ayotte]; Forrest c Canada (Procureur général), 219 FTR 82, 2002 CFPI 539 au para 16 [Forrest]).

[54]  Tout d’abord, le processus disciplinaire est de nature inquisitoire : il s’agit d’examiner les deux côtés de la question (« both sides of the question ») (Hendrickson; Ayotte aux paras 9-10, 19; Boucher-Côté au para 27; Swift au para 68). La procédure n’a aucun caractère contradictoire, judiciaire, ou quasi-judiciaire (Forrest au para 16; Hendrickson). Dans le cadre du processus disciplinaire, la souplesse est de mise en ce qui concerne la présentation de la preuve (Boucher-Côté aux paras 28-29; article 37 de la Directive du Commissaire 580 (Mesures disciplinaires prévues à l'endroit des détenus) [Directive 580]).

[55]  De plus, la nature inquisitoire du processus implique une obligation de la part du président indépendant d’interroger les témoins, y inclut le prisonnier à qui l’infraction est reprochée (Ayotte au para 10).

[56]  C’est en raison de la nature inquisitoire du processus que le président indépendant dispose d’une marge de manœuvre considérable quant aux questions procédurales. À titre d’exemple, le président indépendant dispose d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la présentation de la preuve, pour autant qu’elle soit faite avec souplesse et de manière conforme aux principes de la justice naturelle et d’équité procédurale (Campbell c Canada (Procureur général), 2017 CF 971 au para 19 [Campbell]; Hendrickson aux pp 298-299; Brennan c Canada (Procureur général), 2009 CF 40 aux paras 30-31 [Brennan]). De plus, le tribunal disciplinaire a le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser un ajournement, tant que les principes d’équités sont respectés (Breton c Canada (Procureur général), 2016 CF 76 au para 41 [Breton]).

[57]  Cela dit, le président indépendant doit équilibrer les deux objectifs primaires applicables. D’une part, la rapidité et l’efficacité de la procédure disciplinaire est un objectif important puisqu’elle assure le maintien de l’ordre et de la discipline dans le système correctionnel (R c Shubley, 1990 CanLII 149 (CSC), [1990] 1 RCS 3 à la p 20 [Shubley]; Ayotte au para 7; article 38 de la Loi).

[58]  D’autre part, le président indépendant est soumis à l’obligation d’agir équitablement dans la conduite des procédures et de respecter les exigences imposées par la Loi et ses règlements (Ayotte aux paras 8, 11; Martineau c Comité de discipline de Matsqui, 1979 CanLII 184 (CSC), [1980] 1 RCS 602 à la p 631 [Martineau no 2]; Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, 1985 CanLII 23 (CSC), [1985] 2 RCS 643 [Cardinal]; Campbell au para 19).

[59]  Plus particulièrement, le président indépendant doit respecter le droit du détenu à préparer une défense pleine et entière aux accusations de nature disciplinaire, sans pour autant transformer la procédure en procédure pénale ou quasi-judiciaire (Caisse v Saskatoon Provincial Correctional Centre, 2020 SKQB 105 (CanLII) au para 56 [Caisse]; Boudreau c Canada (Procureur général), 2000 CanLII 16709 (CF) aux paras 7-8 [Boudreau]).

[60]  Ce droit implique notamment la possibilité de présenter ses observations et d’interroger les témoins (Ross au para 12) et l’obligation de communiquer au détenu un résumé des éléments de preuve à l’appui de l’accusation (Savard c Canada (Procureur Général), 1997 CanLII 16695 (CF); paragraphe 25(1) du Règlement).

[61]  Des accusations qui sont trop vagues ou insuffisamment appuyées par la preuve sont déraisonnables (Langlois c Canada (Procureur général), 2004 CF 702 aux paras 25-28 [Langlois]; Beaudoin c William Head Institution, 1997 CanLII 5866 (CF) au para 11 [Beaudoin]).

[62]  De manière connexe, la non-communication au détenu des éléments de preuve à l’appui de l’accusation est un manquement au droit de préparer une défense pleine et entière (Langlois au para 12).

[63]  Bien qu’un vice d’équité procédurale ou une autre erreur susceptible de contrôle puissent constituer des motifs d’intervention judiciaire, la cour de contrôle doit quand même faire preuve de retenue quant à la mesure prononcée puisque son intervention n’est justifiée qu’en cas d’« injustice sérieuse » (Hendrickson; Pontbriand au para 2; Barnaby c Canada, [1995] ACF n1541, 105 FTR 64 [Barnaby]; Chshukina c Canada (Procureur général), 2016 CF 662 aux paras 19-21 [Chshukina]; Beaudoin au para 7; Richer c Pénitencier de la Saskatchewan, 2006 CF 1188 au para 11).

[64]  En résumé, en matière disciplinaire, il faut veiller à ne pas imposer des garanties procédurales issues du contexte pénal où l’objectif et le rôle des procédures sont distincts de ceux des procédures disciplinaires. Sur ce point, je retiens l’opinion du président indépendant lorsqu’il constate que les exigences en matière d’équité procédurale sont moindres en matière d’infractions disciplinaires en milieu carcéral.

A.  Le Tribunal disciplinaire a-t-il commis une erreur en permettant au Procureur général du Canada d’intervenir?

[65]  M. Perron ne conteste pas le droit du Procureur général d’intervenir dans la procédure devant le tribunal disciplinaire, mais plutôt la manière dont il est intervenu.

[66]  Il soutient que l’intervention du Procureur général presque quatre semaines après l’enregistrement du plaidoyer de non-culpabilité était non seulement tardive, mais a aussi transformé la nature de la procédure disciplinaire en procédure de nature prolongée et contradictoire, ce qui est contraire aux principes d’équité procédurale et aux objectifs de la Loi (Brennan au para 30; Forrest au para 16).

[67]  M. Perron soutient également que l’acharnement du Procureur général à vouloir maintenir l’accusation plus d’un an après l’infraction dénature l’objectif des mesures disciplinaires, selon l’article 38 de la Loi, « [d’encourager] chez les détenus un comportement favorisant l’ordre et la bonne marche du pénitencier, tout en contribuant à leur réadaptation et à leur réinsertion sociale » (voir aussi l’article 4 de la Directive 580).

[68]  Devant moi, M. Perron a soutenu que le président indépendant aurait dû mieux encadrer l’intervention du Procureur général afin que ceci soit plus conforme à la nature expéditive, informelle et inquisitoire du processus disciplinaire. De plus, M. Perron fait valoir qu’il doit y avoir à tout le moins notification dans un délai raisonnable avant la date fixée de l’audience disciplinaire, et que l’intervention ne doit pas être faite au moment où le dossier sera entendu au fond et ne doit pas servir à compléter la preuve déjà produite en l’instance.

[69]  Tout d’abord, comme le soutient M. Perron, il est exact que les délais excessifs attribuables à un établissement ou une intervention tardive du Procureur général peuvent, dans certains cas, miner la nature expéditive de la procédure disciplinaire, ce qui pourrait donner lieu au rejet des accusations portées contre un détenu (Eakin c Canada (Procureur général), 2019 CF 1639 au para 73; Shubley à la p 20; Tehrankari c Canada (Service Correctionel), 2000 CanLII 15218 (CF) au para 53; l’article 30 de la Directive 580).

[70]  Toutefois, j’estime que le tribunal disciplinaire n’a commis aucune erreur en permettant l’intervention du Procureur général. Le droit ne circonscrit pas la manière, le moment ou les exigences de préavis concernant l’intervention du Procureur général dans une affaire donnée.

[71]  Le Procureur général du Canada « est chargé des intérêts de la Couronne et des ministères dans tout litige où ils sont parties et portant sur des matières de compétence fédérale », et peut s’exercer dans tout litige ou la Couronne, ses mandataires et les ministères sont parties, soit devant un tribunal administratif ou dans un contexte de droit privé (l’alinéa 5d) de Loi sur le ministère de la Justice, LRC 1985, c J-2; Auer v Auer, 2018 ABCA 409 aux paras 6 et 10; Krieger c Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 RCS 372 aux paras 23-32; R c Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 RCS 983 aux paras 23-24; R c Power, 1994 CanLII 126, [1994] 1 RCS 601 aux pp 621-623).

[72]  Le Procureur général a la mission constitutionnelle d’assurer la primauté du droit et l’intérêt public dans l’administration de la justice, et doit aider le tribunal à prendre une décision conforme au droit (Cosgrove c Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 RCF 731 au para 51 [Cosgrove]).

[73]  En l'espèce, l’intervention du Procureur général s’est concentrée sur des enjeux d’ordre général lié à la procédure d’échantillonnage et non pas sur le cas précis du demandeur. Il a présenté une demande d’intervention afin de produire des renseignements scientifiques et administratifs quant à l’analyse des échantillons d’urine.

[74]  M. Perron signale que le Procureur général aurait dû intervenir lors de la comparution, soit le 1er mars 2018; le Procureur général est intervenu le 28 mars 2018 et n’a informé la procureure de M. Perron de ses intentions que la veille.

[75]  M. Perron fait valoir qu’il ne s’agit pas simplement d’un retard de quatre semaines. L’affaire de M. Perron n’est pas une affaire isolée, et le président indépendant voulait trancher les questions des demandes de contre-expertises relatives au prélèvement d’échantillons d’urine dans plusieurs autres dossiers qui perdurait depuis plusieurs mois au Service et qui avait résulté en la suspension des analyses d’échantillons d’urine à travers le Québec.

[76]  En fait, il semble qu’un certain nombre d’accusations relatives à des échantillons d’urine soient « tombées » suite à une forte demande de contre-expertises. Conséquemment, M. Perron fait valoir que ceci n’est pas la première affaire de ce type qui soulève cette question, et qu’un délai de quatre semaines pour l’intervention du Procureur général est donc excessif.

[77]  En ce qui concerne le moment de l’intervention, je ne pense pas qu’il y ait eu un retard excessif; un délai de quatre semaines dans les circonstances actuelles ne me paraît pas énorme.

[78]  Premièrement, à part les références « aux autres » dossiers dans les transcriptions des audiences, et les plaidoiries des procureurs, je n’ai aucune preuve devant moi d’affaires antérieures où cette question a été soulevée, ni dans quelle mesure le Procureur général, par opposition au Service, a été impliqué. Le Procureur général déclare qu’il est intervenu immédiatement après avoir reçu l’instruction de son client, le Service. Je n’ai aucune raison d’en douter.

[79]  De plus, et même si je retiens l’idée que la rapidité et l’efficacité de la procédure disciplinaire demeure un objectif important, je ne puis constater que l’intervention du Procureur général a eu pour effet de transformer la nature de la procédure disciplinaire en procédure de nature prolongée et contradictoire.

[80]  Je pense qu’il est important de bien comprendre la nature de l’intervention du Procureur général. En acceptant son intervention, le président indépendant a noté qu’elle pouvait donner un éclaircissement pertinent sur une question ayant une certaine complexité et qui pourrait avoir un impact sur d’autres dossiers.

[81]  Les délais qui ont été encourus dans ce dossier ont été accordés afin de permettre au Procureur général de préparer des affidavits des experts scientifiques et des fonctionnaires relatifs au programme échantillonnage d’urine. Il est vrai que la procédure a été rendue plus compliquée et qu’il a fallu plus d’un an pour compléter l’ensemble de la procédure, mais pas à cause de l’intervention du défendeur, mais plutôt en raison de la nature des enjeux eux-mêmes.

[82]  Au final, les renseignements produits par le Procureur général ont été pertinents. Comme l’a constaté le président indépendant, ils ont permis de trancher les questions soulevées par cette procédure disciplinaire et une multitude d’autres cas semblables. En l’absence de l’intervention du Procureur général, le président indépendant aurait été moins éclairé sur la procédure d’échantillonnage et la méthodologie du laboratoire autorisé.

[83]  Je ne peux non plus constater que l’intervention du Procureur général a eu pour effet de dénaturer le processus administratif devant le tribunal disciplinaire puisque le président indépendant est maître de la procédure devant lui et la nature inquisitoire du processus disciplinaire ne constitue pas un obstacle à l’admission de preuve par affidavit lorsque des questions plus complexes sont soulevées (Brennan au para 30).

[84]  Au contraire, je constate que l’intervention au dossier du Procureur général a éclairé le tribunal disciplinaire sur une tendance chez les détenus à demander une contre-expertise des échantillons d’urine dans le laboratoire de leur choix, et ce, conformément à la mission du Procureur général.

[85]  L’intervention du Procureur général était aussi pertinente afin d’éclairer le tribunal sur des questions qui ont dû nécessiter une expertise scientifique. Compte tenu de l’importance de la question qui a été soulevée dans cette affaire, et il semblerait qu’elle se pose dans un certain nombre d'autres dossiers, l’intervention du Procureur général en l’espèce est tout à fait conforme à sa mission.

[86]  En effet, l’intervention du Procureur général assure l’intégrité du système d’échantillonnage d’urine. Pour ces raisons, je ne vois aucune raison de s’écarter de la présomption voulant que le Procureur général a agi de bonne foi et d’une manière qui est conforme à l’intérêt public (Cosgrove au para 51; Douglas v Canada (Procureur général), 2013 CF 451, [2014] 4 RCF 494 au para 69; Kinghorne c Canada (Procureure générale), 2018 CF 1060 au para 33).

[87]  De plus, je ne peux dire que le président indépendant a commis une erreur susceptible de contrôle dans l’encadrement de l’intervention du Procureur général. En matière d’infractions disciplinaires, le droit de l’accusé d’assurer sa défense n’est pas le même qu’en matière pénale; il doit plutôt être jugé au regard de l’équité procédurale.

[88]  À plusieurs reprises, le président indépendant a donné au demandeur la possibilité de produire sa preuve, en toute conscience du droit de celui-ci de présenter une défense pleine et entière. En tant que maître de la procédure, le président indépendant a fixé des délais raisonnables quant à l’admission des affidavits d’experts afin de bien comprendre les deux côtés de la question soulevée en l’espèce et dans d’autres affaires semblables (Brennan au para 30; Hendrickson; Ayotte aux paras 9-10, 19; Boucher-Côté au para 27; Swift au para 68).

[89]  Bref, le comportement du président indépendant quant à l’intervention du Procureur général constituait un exercice raisonnable de la souplesse qui lui est accordée dans le cadre d’une procédure inquisitoire (Hendrickson; Boucher-Côté aux paras 28-29; article 37 de la Directive 580; Ayotte au para 10).

[90]  Si le Procureur général doit se soumettre à certaines formalités avant d’intervenir et de se substituer au décideur, il me semble plutôt préférable de laisser cette question au président indépendant dans le cadre de son rôle de maître de la procédure. En l’espèce, je conclus que l’intervention du Procureur général n’a pas résulté en une injustice qui pourrait justifie l’intervention de la Cour.

B.  Le Tribunal disciplinaire a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le Service n’est pas tenu de communiquer d’une façon systématique les taux quantitatifs à tous les détenus en matière d’accusations disciplinaires portées en vertu de l’alinéa 40k) de la Loi et qu'il incombe à la défense de démontrer la pertinence de cette information?

[91]  Comme je l’ai signalé, M. Perron a demandé, et obtenu, le taux quantitatif de son échantillon d’urine. Il a choisi de ne pas utiliser les résultats comme moyen de défense. Par conséquent, la question de la communication systématique de ces informations demeure quelque peu théorique en l’espèce.

[92]  Cependant, cette question aurait également été théorique si M. Perron avait choisi de ne pas demander l’information, ou bien si sa demande avait été rejetée, car la question aurait alors été simplement de savoir s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale résultant du rejet, par le Service, de sa demande.

[93]  Quoi qu’il en soit, le président indépendant a jugé nécessaire de discuter la question de la communication systématique des taux quantitatifs, en particulier parce qu’elle peut avoir des conséquences dans d’autres affaires en cours. Par conséquent, il convient de se prononcer sur le caractère raisonnable de cette décision.

[94]  Le paragraphe 27 (1) de la Loi dispose :

27(1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

 

27(1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

[Je souligne]

[Emphasis added]

[95]  Le paragraphe 27(1) de la Loi dispose que le détenu a le droit de se faire communiquer « tous les renseignements entrant en ligne de compte » dans « la prise de décision ». Cette disposition impose une lourde obligation de communication afin d’assurer le respect de l’équité procédurale et du droit de l’intéressé de préparer une défense pleine et entière (May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809 aux paras 94-96 [May]; Khela aux paras 81-84).

[96]  Par contre, et à part les exceptions codifiées au paragraphe 27(3) de la Loi, qui ne sont pas applicables en l’espèce, ce droit de communication comporte deux limites importantes.

[97]  D’abord, la portée de la communication doit être déterminée au regard du contexte, des circonstances et du moyen de défense qui pourrait être invoqué par le détenu (Obeyesekere c Canada (Procureur général), 2014 CF 363 aux paras 26-27). Dans certains cas, il est possible de satisfaire aux exigences du paragraphe 27(1) de la Loi en produisant un sommaire des renseignements (Khela au para 81; Flynn c Canada (Procureur général), 2007 CAF 356 au para 30; R c Stinchcombe, 1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 RCS 326).

[98]  De plus, le texte même du paragraphe 27(1) de la Loi ne justifie pas la communication de renseignements qui n’ont pas été pris en compte par le décideur lorsqu’il a pris sa décision (Khela au para 82; May au para 91; Cain v Springhill Institution, 2017 NSCA 75 au para 10). Comme l’a souligné le juge LeBel dans l’arrêt Khela au paragraphe 83 :

[…] Aux termes de l’art. 27 [de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition], les autorités ne sont pas tenues de produire les éléments de preuve qu’elles possèdent et qui n’ont pas été pris en compte dans la décision relative au transfèrement; elles doivent communiquer seulement les éléments de preuve entrant en ligne de compte dans la décision.

[Je souligne.]

[99]  Les articles 68 et 69 du Règlement disposent :

Rapports des résultats d’analyses

 

Reporting of Test Results

68 (1) Le laboratoire doit remettre une attestation du résultat de l’analyse au coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine et, sur demande du directeur du pénitencier, en fournir une copie par transmission électronique.

 

68 (1) A laboratory shall submit to the urinalysis program co-ordinator a certificate and, where requested by the institutional head, an electronically transmitted copy of the certificate, that states the results of the test.

 

(2) Le coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine doit remettre une copie de l’attestation du laboratoire à la personne qui a fourni l’échantillon d’urine.

 

(2) The urinalysis program co-ordinator shall give the donor a copy of the laboratory certificate respecting the sample.

Conséquences des résultats positifs

 

Consequences of Positive Test Results

69 Aux fins de toute audition d’une infraction disciplinaire visée à l’alinéa 40k) de la Loi, l’attestation visée au paragraphe 68(1) portant que le résultat de l’analyse d’échantillon d’urine est positif établit, jusqu’à preuve contraire, que le détenu qui a fourni l’échantillon a commis l’infraction en cause.

 

69 For the purposes of a hearing of a disciplinary offence referred to in paragraph 40(k) of the Act, a certificate referred to in subsection 68(1) that states that the result of a urinalysis test is positive establishes, in the absence of evidence to the contrary, that the inmate who provided the sample has committed the offence.

 

[Je souligne.]

 

[Emphasis added.]

[100]  Conformément à l’article 69 du Règlement, un résultat positif à un test fait jouer la présomption portant que le détenu a bel et bien introduit la substance interdite dans son corps, et le certificat d’analyse prévu par l’article 68 du Règlement, attestant que l’échantillon est positif, est suffisant pour démontrer qu’il a commis l’infraction réprimée par l’alinéa 40k) de la Loi.

[101]  La Directive 566-10 dispose :

Rapports des résultats d'analyses

 

Reporting of Test Results

54. Les résultats positifs, les refus ou les échantillons altérés seront transmis immédiatement à l'agent de libération conditionnelle et enregistrés dans le SGD dans un délai de trois jours ouvrables.

 

54. Positive test results, refusals or tampered samples will be forwarded to the Parole Officer immediately and recorded in OMS within three working days.

 

[…]

 

[…]

56. Si le délinquant conteste le résultat positif d'une analyse et souhaite que le même échantillon fasse l'objet d'une seconde analyse, il dispose de 30 jours civils pour en faire la demande par écrit au coordonnateur du Programme de prise d'échantillons d'urine, lequel communiquera avec le laboratoire pour donner suite à la demande.

 

56. If an offender disputes a positive test result and wishes to have a retest of the same sample, the offender must submit a written request within 30 calendar days to the Urinalysis Program Coordinator who will contact the laboratory to process the request.

57. Les frais d'une seconde analyse incombent au délinquant qui doit les payer d'avance.

 

57. Payment for a retest is the responsibility of the offender and will be paid in advance.

Annexe A

RENVOIS ET DÉFINITIONS

DÉFINITIONS

 

ANNEX A

CROSS-REFERENCES AND DEFINITIONS

CROSS-REFERENCES

 

[…]

[…]

Laboratoire : un laboratoire dont le SCC a retenu les services par contrat pour analyser des échantillons est un laboratoire autorisé aux fins de l'article 60 du RSCMLC.

 

Laboratory: a laboratory contracted by CSC to analyze samples is an authorized laboratory for the purposes of section 60 of the CCRR.

[…]

[…]

Résultats positifs : échantillon d'urine présentant des concentrations égales ou supérieures aux seuils établis.

 

Positive test results: a urine sample containing concentrations that are equal to or above cut-off levels.

[…]

[…]

Seconde analyse : seconde analyse de confirmation effectuée sur l'échantillon d'urine original.

 

Retest: a second confirmation test performed from the original urine sample.

[…]

[…]

Seuil de concentration : la concentration d'une drogue dans l'urine qui détermine si le résultat de l'analyse d'urine sera jugé positif ou négatif conformément aux annexes B et C.

 

Cut-off level: the concentration of a drug in the urine that determines if the test will be considered positive or negative in accordance with Annexes B and C.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[102]  L’approche de la SAMHSA consiste en une méthode d’analyse en deux étapes : une « analyse initiale » utilisant une méthode qui repose sur des principes d’immunologie afin de filtrer et exclure les échantillons négatifs, suivis ensuite, dans le cas d’un taux de concentration supérieur au seuil de concentration établie, par une « analyse de confirmation », soit un processus hautement précis qui retrace dans l’urine les caractéristiques des différents drogues et métabolites.

[103]  Tant l’analyse initiale que l’analyse de confirmation comprennent des seuils de concentration prévue dans la Directive 566-10 qui sont fixés de manière à pouvoir détecter une consommation récente de drogue. Le seuil de concentration pour l’analyse initiale est plus élevé que celui fixé pour l’analyse de confirmation afin d’éviter d’incriminer les personnes exposées à la fumée secondaire et de garantir que seuls les échantillons dont les résultats sont présumés positifs sont soumis à l’analyse de confirmation.

[104]  Autrement dit, les seuils sont établis au profit du détenu. Bien que la Loi reflète une politique de tolérance zéro en ce qui concerne la consommation de drogue, un échantillon peut donc contenir une certaine concentration de drogue, mais ne sera pas soumis pour l’analyse de confirmation si le taux détecté durant l’analyse initiale est inférieur au seuil établi, auquel cas le résultat serait communiqué comme étant négatif.

[105]  Le laboratoire fait rapport des résultats d’analyses. En l'espèce, le rapport relatif au demandeur indiquant uniquement un « résultat positif » a été transmis à la gestionnaire du Programme, et ne fait pas mention de taux quantitatif du résultat.

[106]  M. Perron soutient que le Règlement ainsi que la Directive 566-10 disposent qu’un résultat positif se dit du résultat d’une analyse d’échantillon d’urine présentant les concentrations d’une substance intoxicante en quantité égale ou supérieure aux seuils établis conformément aux tableaux des annexes B et C de cette Directive. En comparaison avec ces seuils, le taux quantitatif devient alors, selon M. Perron, une information pertinente pour déterminer la différence entre un échantillon positif ou négatif dans un dossier quelconque.

[107]  Je retiens l’idée portant que les taux quantitatifs puissent être pertinents en ce qui concerne la nature de l’analyse entreprise, comme le serait toute autre donnée scientifique ressortant de l’analyse.

[108]  Toutefois, la pertinence n’est pas le critère de communication d’informations prévu par l’article 27 de la Loi.

[109]  L’obligation imposée au Service par l’article 27 de la Loi est de communiquer au détenu tous les « renseignements entrant en ligne de compte » dans « une décision au sujet d’un délinquant ». La détermination des informations que le Service est tenu de communiquer dépend de l’information qui a été prise en compte dans la décision d’inculper M. Perron.

[110]  Le Service affirme que le taux quantitatif de concentration de l’urine n’est pas ce type d’information. En fait, les taux quantitatifs ne sont pas indiqués sur l’attestation du résultat de l’analyse reçue du laboratoire, et ne sont donc pas pris en compte au moment de prendre la décision d’inculper ou non un détenu.

[111]  En fait, selon le Service, compte tenu des paramètres de l’analyse qui éliminent le risque de faux positifs, comme les seuils de concentration pour éliminer les faux positifs ou les positifs qui résultent innocemment de la fumée secondaire, il y a de bonnes raisons de ne pas obtenir ces informations, notamment pour éviter le débat sur la pertinence d’un taux quantitatif à peine supérieur ou inférieur au seuil, un débat qui serait sans objet étant donné la nature de l’infraction qui reflète une politique de tolérance zéro en matière de consommation de drogue dans les prisons.

[112]  La notion de pertinence se rapporte aux moyens de défense du détenu. Le taux quantitatif n’est pas pertinent quant à tous les moyens de défense. Et si le détenu sait qu’il a été exposé à des conditions dans lesquelles le taux quantitatif peut être pertinent pour sa défense, il pourra demander l’information au service. Dans un tel cas, le refus de fournir les informations constituerait une décision susceptible de faire l’objet d’un recours en contrôle judiciaire.

[113]  Il devrait être clair que cette question ne se pose que dans le cas de tests positifs. Dans le cas de tests négatifs, il me semble qu’il y a un enjeu de protection de la vie privée. Si le détenu est testé négatif, il est probable qu’il ne souhaite pas que le Service soit informé du taux quantitatif. Il ne faut pas oublier que des résultats négatifs ne signifient pas qu’aucune drogue n’a été repérée de l'intéressé, mais seulement que le taux se situe en dessous du seuil. Il me semble que les détenus dont les résultats de tests sont négatifs peuvent très bien souhaiter de ne pas réveiller le chat qui dort.

[114]  Dans ces circonstances, je rejette la thèse portant que la non-communication du taux quantitatif au détenu sans demande spécifique de sa part constitue un manquement au droit de préparer une défense pleine et entière.

[115]  Toutefois, la question ne s’arrête pas là.

[116]  Le Service obtient du laboratoire et communique au détenu le taux quantitatif sur demande, lorsque le détenu démontre au Service que le taux quantitatif particulier peut être pertinent quant à ses moyens de défense.

[117]  Il faut également garder à l’esprit que, par ailleurs, le tribunal disciplinaire n’est pas limité aux preuves communiquées par le Service en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi. Dans le cadre de son enquête, le président indépendant a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la production d’informations supplémentaires (en plus de toute information divulguée au détenu en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi) s’il les juge pertinentes quant aux moyens de défense que le détenu prévoit invoquer.

[118]  En l’espèce, ayant conclu qu’il appartient à la défense de démontrer que les taux quantitatifs sont nécessaires avant de pouvoir recevoir ces informations, M. Perron soutient que le président indépendant lui a imposé, de manière erronée, le fardeau de prouver la pertinence du le taux quantitatif dans le cadre de la procédure disciplinaire.

[119]  Citant les principes de droit administratif, M. Perron soutient que le niveau de l’équité procédurale est significatif, et que ce niveau d’équité exige la divulgation de manière systématique des taux quantitatifs en cas d’accusation disciplinaire portée en vertu de l’alinéa 40k) de la Loi (Khela; Baker).

[120]  Selon M. Perron, ce refus l’aurait privé d’une défense pleine et entière et constitue une violation des principes d’équité procédurale.

[121]  Comme le dit correctement M. Perron, le droit est fixé : le droit de préparer une défense pleine et entière aux accusations vaut pour les procédures disciplinaires (Caisse au para 56; Boudreau aux paras 7-8; Amos c Canada (Procureur général), 2018 CF 1242 au para 77 [Amos]).

[122]  En l’espèce, M. Perron souhaite imposer au Service l’obligation systématique de communiquer des renseignements dont il n’est même pas en possession au moment où la décision d’inculpation est prise. En effet, dans le cadre d’une accusation disciplinaire aux termes de l’alinéa 40k) de la Loi, le Service ne se fie pas sur le chiffre précis du taux quantitatif, mais plutôt sur le résultat final de l’analyse, qu’il soit positif ou négatif.

[123]  Cette question concernant la nécessité de communiquer les taux quantitatifs a reçu une réponse partielle de notre Cour à l’occasion de l’affaire Smith c Canada (Procureur Général), 2002 CFPI 2003 [Smith]. Le demandeur, ayant reçu un rapport d’infraction aux termes de l’aliéna 40k) de la Loi, a demandé au président indépendant d’ordonner au Service de lui communiquer le résultat chiffré de l’analyse d’urine. Le demandeur a émis l’hypothèse que la fumée secondaire expliquait le test positif. Le président a finalement déclaré le demandeur coupable, même si lui et le demandeur n’ont jamais reçu le résultat chiffré.

[124]  Lors de la procédure en contrôle judiciaire, monsieur le juge Pinard a conclu qu’aucune disposition de la Loi ni du Règlement n’obligeait le président à attendre le résultat chiffré requis par un demandeur avant de rendre sa décision. De plus, le juge Pinard a conclu que l’équité procédurale avait été respectée vu que le président avait examiné les deux rapports d’expertise divergents et les observations des parties sur l’impact de la fumée secondaire.

[125]  Dans sa décision en date du 12 septembre 2018, le président indépendant a conclu qu’il n’existait pas de droit d’exiger l’obtention du taux quantitatif d’une façon systématique. Après avoir noté l’enseignement de la jurisprudence Smith, le président indépendant a indiqué que le taux quantitatif précis n’était pas pertinent puisque l’article 69 du Règlement dispose spécifiquement qu’une simple attestation portant que le résultat de l’analyse d’échantillon d’urine est positif établit, peu importe le taux précis et jusqu’à preuve contraire, que le détenu qui a fourni l’échantillon a commis l’infraction en cause.

[126]  Bref, M. Perron ne m’a pas convaincu qu’il était nécessaire de communiquer le taux quantitatif précis d’une façon systématique dans tous les cas, surtout à la lumière de la présomption consacrée par l’article 69 du Règlement. En fin de compte, la « preuve contraire » visée par ce texte ne se rapporte pas à la question de savoir si l'échantillon a été testé positif, mais plutôt celle de savoir si le détenu a « introduit dans son corps une substance intoxicante ».

[127]  Je ne vois aucun manquement à l'équité procédurale dans le cadre des audiences disciplinaires lorsqu’il est exigé des détenus de justifier la nécessité de recevoir des informations qui n’ont pas été prises en compte dans une décision d’inculpation. La portée de la communication d’information dépend de ce dont le détenu a besoin de savoir pour préparer une défense pleine et entière, et c’est à lui d’en faire état dans le cadre d’une audience disciplinaire.

[128]  En fait, l’absence d’obligation de communiquer systématiquement les taux quantificatifs évite des stratégies où le détenu peut tenter d’élaborer un système de défense aléatoire fondé sur la communication du taux précis afin d’éviter une pénalité.

[129]  Je suis d’avis que la décision du tribunal disciplinaire n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire sur ce point, surtout considérant la déférence que l’on doit accorder au président indépendant en matière d’appréciation de la preuve (Crews c Canada (Procureur général), 2003 CF 1144 aux paras 17-24; Hendrickson; Pontbriand au para 2; Barnaby; Chshukina aux paras 19-21).

[130]  Par conséquent, je ne trouve rien de déraisonnable dans la décision du tribunal disciplinaire sur cette question.

C.  Le Tribunal disciplinaire a-t-il commis une erreur de droit en concluant que permettre au demandeur de procéder à une contre-expertise, autrement que par les voies de recours consacrés par la Loi et les Règlements irait au-delà de ce qu’exige l’équité procédurale?

[131]  Le paragraphe 31(1) du Règlement dispose :

31(1) Au cours de l’audition disciplinaire, la personne qui tient l’audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

31(1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

 

a) d’interroger des témoins par l’intermédiaire de la personne qui tient l’audition, de présenter des éléments de preuve, d’appeler des témoins en sa faveur et d’examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision;

 

(a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate’s behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision; and

b) de présenter ses observations durant chaque phase de l’audition, y compris quant à la peine qui s’impose.

(b) make submissions during all phases of the hearing, including submissions respecting the appropriate sanction.

 

[Je souligne.]

 

[Emphasis added.]

[132]  Il faut aussi rappeler que l’article 69 du Règlement reconnaît une simple présomption de culpabilité d’une infraction aux termes du paragraphe 40k) de la Loi « jusqu’à preuve contraire » (Smith).

[133]  Afin de rapporter une preuve contraire, M. Perron a demandé un échantillon d’urine et de le faire analyser par un laboratoire qui n’était pas autorisé par la Directive 566-10. Un résultat contradictoire avec celui du laboratoire autorisé pourrait semer un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé (paragraphe 43(3) de la Loi).

[134]  Le Procureur général soutient qu’il existe déjà dans le Règlement et Directive 566-10 une possibilité de faire procéder à une « seconde analyse » qui vise à sauvegarder les droits des détenus de contester les résultats initiaux.

[135]  Cependant, une seconde analyse comporte des contraintes propres :

i. la seconde analyse doit être faite par un laboratoire certifié par la SAMHSA;

ii. l'échantillon d'urine n'est pas remis au détenu, mais envoyé directement au laboratoire retenu par lui;

iii. quoique la méthode et les paramètres de contrôle de la qualité d’une seconde analyse sont les mêmes que ceux qui s’appliquent à la première analyse, le laboratoire qui effectue la seconde analyse doit utiliser uniquement l’analyse de confirmation pour reconfirmer le résultat primaire;

iv. une seconde analyse ne donnera pas nécessairement la même concentration de drogue, et ce, pour des raisons chimiques et des raisons reliées à la congélation et à l’âge de l’échantillon. Or, les seuils de détection sont inférieurs de la première analyse; et

v. malgré toute objection de la part du détenu, le résultat rapporté qui prendra la forme « reconfirmé » or « aucune reconfirmation » est communiqué directement au Service plutôt qu’au détenu malgré le fait que c'est le détenu qui paie pour la seconde analyse.

[136]  À l’appui de son argument, le Procureur général mentionne la preuve d’expert qui a été déposée lors de l’audience disciplinaire portant que le Programme est fiable, respecte les normes de l’industrie, et que les résultats d’analyse sont fiables hors de tout doute raisonnable. Donc, selon le Procureur général, le président indépendant a eu raison de rejeter la demande de M. Perron de contre-expertise, surtout considérant le fait que M. Perron n’a pas poursuivi la possibilité d’avoir une seconde analyse de l’échantillon.

[137]  Initialement, la gestionnaire du Programme a refusé la demande de M. Perron au motif que seul Dynacare peut faire ce genre d’analyse d’échantillon d’urine. Quelque temps après, elle a modifié sa position pour dire qu’un autre laboratoire peut être retenu à condition qu'il soit certifié par la SAMHSA.

[138]  Toutefois, M. Perron soutient que le paragraphe 31(1) et l’article 69 du Règlement permettent au détenu de présenter des éléments de preuve et cela inclut la possibilité de présenter une contre-expertise de l’échantillon d’urine en l’espèce autrement que ce qui est prévu par les règlements et directives du Service.

[139]  M. Perron soutient que le Service ne peut pas limiter la contre-expertise à son propre laboratoire et à ses propres règles. Selon lui, l’obligation de respecter la procédure de la SAMHSA lors de la contre-expertise n’est pas fondée juridiquement, car cette obligation ne figure que dans les directives internes du Service, et elle est contraire aux règles de preuve reconnues par le Règlement (Martineau no 2 à la p 614).

[140]  De plus, M. Perron fait valoir qu’une demande de « seconde analyse » assujettie aux contraintes du Règlement et de la Directive 566-10 n’est pas équivalente à une contre-expertise – ce n’est pas une contre-expertise de devoir payer pour une seconde analyse dont les résultats complets, y compris les taux quantitatifs, ne peuvent être obtenus.

[141]  Bref, il affirme que le Service demande aux détenus de fermer leurs yeux et de leur faire confiance – ils ont le contrôle de l’analyse, le contrôle de la contre-expertise, et le contrôle du régime d’inspection interne qu’ils gèrent. M. Perron recherche la transparence du Service et il invoque son droit à une défense pleine et entière.

[142]  Il ne fait aucun doute que le détenu qui est accusé d’une infraction disciplinaire a le droit de produire des preuves pour se défendre – un résultat positif de l’analyse d’échantillon d’urine établit, jusqu’à preuve contraire, que le détenu qui a fourni l’échantillon a commis l’infraction en cause (l’article 69 du Règlement) [je souligne].

[143]  La question est plutôt de savoir si le droit à une défense pleine et entière est un droit absolu, et si la réponse est négative, dans quelle mesure le droit limite-t-il la portée des preuves qu’un détenu peut présenter pour sa défense.

[144]  Tout d’abord, le droit à la défense pleine et entière n’a jamais été absolu. Même en matière de droit pénal, la présentation des preuves est limitée par certains critères, et le juge qui préside dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire d’autoriser ou de refuser les éléments de preuve que le défendeur cherche à verser (R c RV, 2019 CSC 41 au para 40; R c Mills, 1999 CanLII 637 (CSC), [1999] 3 RCS 668 au para 61).

[145]  En outre, tel que mentionné déjà, les exigences relatives à l’équité procédurale sont moindres en matière d’infractions disciplinaires en milieu carcéral.

[146]  M. Perron soutient que l’obligation de respecter la procédure de la SAMHSA lors de la contre-expertise n’est prévue que par les directives internes du Service, par aucun texte légal, et elle est contraire aux règles de preuve reconnue par le Règlement.

[147]  J’abonde dans le sens de M. Perron, jusqu’à un certain point.

[148]  Premièrement, bien qu’elle n’a pas la force de loi, la Directive 566-10 peut être une source pertinente quant aux normes applicables en milieu carcéral (p.ex., Gendron c Canada (Procureur Général), 2009 CF 1136 aux paras 4-5; Blackman au para 11).

[149]  Cependant, l’obligation de respecter la procédure de la SAMHSA n’est prévue, ni par le Règlement, ni par la Directive 566-10, et ceci ni pour la première analyse (analyse initiale avec analyse de confirmation) et ni pour la seconde analyse.

[150]  Aux fins du Règlement, l’article 60 définit le « laboratoire » comme « autorisé dans les Directives du commissaire à faire l’analyse des échantillons d’urine ». Aux fins de la réalisation d’analyses d’urine, la Directive 566-10 définit le laboratoire comme « un laboratoire dont le [Service] a retenu les services par contrat pour analyser des échantillons est un laboratoire autorisé aux fins de l'article 60 du [Règlement]. »

[151]  De plus, en ce qui concerne le droit du détenu de demander une seconde analyse en cas de contestation d’un résultat positif, selon l’article 56 de la Directive 566-10, le détenu « dispose de 30 jours civils pour en faire la demande par écrit au coordonnateur du Programme de prise d’échantillons d’urine, lequel communiquera avec le laboratoire pour donner suite à la demande ».

[152]  L’article 56 de la Directive 566-10 ne mentionne que le laboratoire sans faire de distinction entre celui où a été effectuée la première analyse et celui où doit être effectuée la seconde analyse. En fait, aucune des parties ne m’a cité une disposition de la Loi, du Règlement ou des directives imposant spécifiquement l’obligation de ne retenir que des laboratoires certifiés par la SAMHSA dans le contexte du Programme.

[153]  Je considère, donc, que le Service interprète désormais l’article 56 de la Directive 566-10 comme signifiant que le détenu peut exiger que la seconde analyse soit effectuée dans le laboratoire de son choix à condition qu’il soit certifié par la SAMHSA.

[154]  En laissant de côté la question de savoir si la Directive 566-10 doit être modifiée pour rendre cette interprétation claire, il s’agit ici de déterminer si la décision du président indépendant qui avait pour effet d’imposer aux détenus l’obligation d’utiliser exclusivement des laboratoires certifiés par la SAMHSA, et qui interdisait aux détenus de procéder à toute contre-expertise autrement que par le mécanisme d’une seconde analyse entreprise dans le cadre des restrictions déjà relevées, se situent dans les limites de l’équité procédurale en matière d’infractions disciplinaires en milieu carcéral.

[155]  Autrement dit, la décision du président indépendant de refuser la demande de contre-expertise de M. Perron afin de contester les résultats de la première analyse constitue-t-elle une « limite raisonnable […] de présenter des éléments de preuve » en défense dans le cadre d'une audience disciplinaire relative au Programme (paragraphe 31(1) du Règlement)?

[156]  Je réponds par l’affirmative.

[157]  Le Service s’assure de la fiabilité des résultats des analyses effectuées dans le cadre du Programme en ayant recours aux services d’un laboratoire agréé par la SAMHSA, soit un programme mis en place aux États-Unis dans le cadre d’un programme de dépistage des drogues auprès des employés fédéraux afin d’assurer que les résultats des tests soient défendables advenant une contestation judiciaire et pour éliminer la possibilité de résultats faussement positifs.

[158]  Selon la preuve présentée au tribunal disciplinaire, la certification de la SAMHSA reflète la norme la plus élevée de l’industrie et la norme la plus rigoureuse en Amérique du Nord, soit des normes médico-légales strictes appliquées à chaque étape du processus de l’analyse et un programme de chaîne de contrôle juridiquement défendable pour les échantillons testés.

[159]  La Directive 566-10 établit des normes en matière de prise et d’analyse d’échantillons d’urine afin d’assurer l’intégrité du régime disciplinaire et l’intégrité du programme de contrôle de drogues. La compétence exclusive des laboratoires approuvés ne favorise ni le détenu ni le Service. La politique du Service assure que les échantillons d’urine sont analysés par des laboratoires certifiés par la SAMHSA, qui, selon la preuve d’expert, sont reconnus comme étant les modèles d’excellence. Le recours aux laboratoires moins qualifiés pourrait résulter en des analyses moins crédibles.

[160]  À mon avis, ces directives en matière de laboratoire constituent une limite raisonnable au droit de présenter une contre-expertise (paragraphe 31(1) du Règlement ou aux règles de justice naturelle (Williams c Canada (Comité régional des transfèrements), 1993 CanLII 2927 (CAF), [1993] 1 CF 710; Martineau no 2 à la p 614).

[161]  Exiger que tout laboratoire extérieur utilisé en relation avec le Programme, y compris dans le cadre d’une audience disciplinaire, soit certifié par la SAMHSA est une mesure raisonnable afin de maintenir le même degré de fiabilité dans les résultats des analyses. En bref, il faut exclure les résultats des laboratoires dont les protocoles et les procédures d’analyse sont inférieurs ou moins fiables, qui pourraient brouiller les pistes.

[162]  Ceci est important, car le fardeau de la preuve pour déclarer un détenu coupable est au-delà de tout doute raisonnable, et donc le risque d’avoir des résultats d’analyses moins fiables créant un « doute raisonnable » est un risque qui doit être géré avec beaucoup de précaution.

[163]  Quant aux contraintes imposées à la manière dont la seconde analyse est effectuée, je ne vois pas en quoi elles porteraient indûment atteinte à la capacité du détenu qui fait l’objet d’une accusation en vertu de l’alinéa 40k) de la Loi de préparer sa défense.

[164]  Le fait qu’un détenu n’ait pas le plein contrôle de la contre-expertise n’est pas indûment préjudiciable en soi, tant qu’il a été démontré que le processus d’analyse entrepris est conforme aux normes scientifiques. En l’espèce, il ressort des preuves d’experts que les normes de la SAMHSA sont au plus haut niveau et aux normes les plus rigoureuses en matière de dépistage des drogues en Amérique du Nord.

[165]  En fin de compte, l’équité procédurale n’est pas déterminée de manière abstraite et l’on doit tenir compte de l’environnement et du contexte. J’abonde dans le sens du président indépendant lorsqu’il déclare que « les exigences relatives à l’équité procédurale sont moindres en matière d’infractions disciplinaires en milieu carcéral » dans la mesure où le processus disciplinaire doivent être compatibles avec le souci de ne pas « indûment alourdir ou bloquer le processus de l’administration carcérale, vu sa nature et ses besoins spéciaux, par l’imposition de procédures déraisonnables ou impropres » (Cardinal au para 22).

[166]  Ayant également examiné la nature et les objectifs du Programme, ainsi que le nombre d’échantillons d’urine qui sont testés, avec le nombre significatif correspondant de résultats positifs pour le THC acide carboxylique, le président indépendant a déclaré :

S’il fallait permettre à tous les détenus concernés d’exiger que le taux quantitatif leur soit systématiquement fourni et qu’il procède par la suite à une contre-expertise indépendante, le processus disciplinaire risquerait de s’en trouver ralenti d’une manière exceptionnelle, ce qui irait clairement à l’encontre de l’objectif recherché et des règles applicables.

[167]  À la lecture des décisions examinées, je constate que le président indépendant a bien équilibré les deux objectifs primaires, soit la rapidité et l’efficacité de la procédure disciplinaire, et a mené équitablement les procédures, dans le respect des exigences imposées par la Loi et ses règlements (Ayotte aux paras 8, 11; Martineau no 2 à la p 631; Cardinal; Campbell au para 19).

[168]  Comme l’a signalé le juge Denault dans la décision Hendrickson, il n’appartient pas à la Cour d’examiner les éléments de preuves comme il le ferait dans le cadre d’un contrôle d’un tribunal judiciaire ou d’une décision d’un tribunal quasi-judiciaire, mais simplement d’examiner s’il y a effectivement eu violation de l’obligation générale d’agir équitablement.

[169]  Je ne vois aucun manquement à l’équité procédurale dans la décision du président indépendant.

[170]  Une dernière question s’impose. M. Perron soutient que le Service a manqué à ces obligations en refusant de divulguer le taux quantitatif non seulement dans le cadre de la première analyse, mais aussi dans le cadre de la contre-expertise (se référant aux décisions Amos c Canada (Procureur général), 2018 CF 1242 [Amos]; Ayotte; Zanth c Canada (Procureur général), 2004 CF 1113; et Akhlaghi c Canada (Procureur général), 2017 CF 912 sur l’importance de communiquer la preuve).

[171]  Étant donné ma décision sur les questions du taux quantitatif ainsi que l’insistance de M. Perron à déposer des contre-expertises, il va sans dire que mes conclusions concernant la question de la communication du taux quantitatif valent aussi pour la demande d’une seconde analyse.

VIII.  Conclusion

[172]  Pour ces motifs, la demande en contrôle judiciaire est rejetée.

[173]  Il n’est pas controversé entre les parties qu’aucuns dépens ne sont adjugés dans cette affaire.

 


JUGEMENT au dossier T-494-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Sans frais.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-494-19

 

INTITULÉ :

ÉRIC PERRON c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MAI 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 juillet 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Mélanie Martel

Pour le demandeur

Me Marjolaine Breton

Me Guillaume Bigaouette

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martel Savard & Associés

Joliette (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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