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Date : 20051021

Dossier : T-2264-04

Référence : 2005 CF 1436

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 21 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

                                                                DARRIN SMITH

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, Darrin Smith, demande que soit annulée la décision rendue le 24 novembre 2004 par le président indépendant (le président) du tribunal disciplinaire de l'établissement de Kent, décision par laquelle le président reconnaissait le demandeur coupable de possession d'un objet interdit, à savoir un téléphone cellulaire.

[2]                Le demandeur est actuellement un détenu à sécurité maximale de l'établissement Kent. Le 23 septembre 2004, le directeur de l'établissement de Kent a autorisé une perquisition de sa cellule. M. Smith occupait sa cellule depuis environ un mois avant la perquisition. Le demandeur et son compagnon de cellule ont été emmenés au gymnase durant la perquisition effectuée dans leur cellule. Les agents qui ont procédé à la perquisition ont trouvé un chargeur de téléphone cellulaire (le chargeur) et un téléphone cellulaire (le téléphone). Le téléphone a été découvert dans la poubelle. Le chargeur a été découvert dans une armoire à pharmacie.

[3]                Le demandeur et son compagnon de cellule ont été accusés de possession d'un objet interdit, contrairement à l'alinéa 40i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi). À l'audience disciplinaire du 24 novembre 2004, le demandeur a été reconnu coupable de l'infraction et condamné à une amende de 20 $.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[4]                Durant l'audience disciplinaire, le demandeur a nié qu'il savait que le téléphone et le chargeur se trouvaient dans la cellule. Il y avait deux armoires à pharmacie dans la cellule. L'armoire située au-dessus des toilettes était utilisée par les deux détenus. Le demandeur a dit durant son témoignage qu'il ne regardait jamais à l'intérieur de la deuxième armoire, qui était fermée et se trouvait derrière un téléviseur.

[5]                Le président a trouvé « extrêmement difficile » de croire qu'un détenu occupant une cellule durant un mois ne fouillera pas l'armoire à pharmacie fermée qui s'y trouve (affidavit de Cidalia Pashalidis (l'affidavit), pièce A, à la page 17).

[6]                Le demandeur a dit aussi qu'en général il ne ferme pas sa cellule à clé quand il ne s'y trouve pas et que c'est la pratique courante suivie par les détenus. M. Smith a déclaré que, après la perquisition, un autre détenu lui a dit qu'il avait laissé le téléphone dans la cellule de M. Smith avant le confinement aux cellules. Ce détenu s'était semble-t-il trouvé dans la cellule du demandeur pour regarder la télévision de celui-ci et utiliser le téléphone parce que la réception était meilleure dans la cellule du demandeur.

[7]                Le président a estimé que, sauf si le demandeur consentait à révéler le nom de l'autre détenu, il ne pouvait accorder aucun poids au témoignage du demandeur selon lequel l'objet interdit avait été placé dans la cellule par cet autre détenu. Le demandeur a refusé de nommer son codétenu avant de pouvoir conférer avec lui sur la possibilité de révéler son nom.


[8]                Le demandeur a sollicité l'ajournement de l'audience jusqu'à ce qu'il puisse parler au détenu anonyme. Le président a refusé la demande, faisant observer que le demandeur aurait pu discuter de cet aspect avec son codétenu avant l'audience et qu'il aurait pu en discuter aussi au préalable avec son avocat, lequel aurait pu présenter une demande avant la date de l'audience. Le demandeur semble avoir expliqué que, s'il n'avait pas parlé à son codétenu avant l'audience, c'était parce qu'il se trouvait dans une unité à accès très restreint.

[9]                Le président a admis que le demandeur ne fermait pas la cellule à clé quand il ne s'y trouvait pas. Selon lui, si le demandeur avait décidé de laisser sa cellule ouverte, alors il lui incombait de la fouiller régulièrement pour s'assurer qu'il ne s'y trouvait pas d'objets interdits. Le président a pris connaissance d'office de la fréquence des cas de possession d'objets interdits. Selon lui, le fait de quitter une cellule sans la fermer à clé équivalait à faire preuve d'une ignorance volontaire, et le demandeur aurait dû fouiller sa cellule quotidiennement pour voir s'il s'y trouvait des objets interdits (affidavit, pièce A, aux pages 17 et 18).

[10]            Le président a estimé que le demandeur n'était pas crédible quand il disait ne pas avoir connaissance de l'existence du téléphone et du chargeur. Selon lui, le demandeur était en possession du téléphone et du chargeur dès lors que ces objets se trouvaient dans sa cellule, et la connaissance peut être inférée de la possession (affidavit, pièce A, à la page 21). Le président a reconnu que, lorsqu'un détenu dément avoir connaissance d'une chose, tel démenti peut réfuter la présomption de connaissance dans la mesure où il est cru. Puisque le démenti opposé par le demandeur n'a pas été cru dans la présente affaire, le demandeur avait la connaissance requise.


LES OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

[11]            Selon le demandeur, il n'a pas été établi que la cellule avait été fouillée durant le mois où le demandeur l'avait occupée, et la période pendant laquelle le compagnon de cellule de M. Smith avait occupé la cellule n'était pas non plus établie.

[12]            L'avocat du demandeur rappelle aussi à la Cour que, durant l'audience, il avait fait observer au président que celui-ci ne l'avait pas autorisé à présenter des observations avant de rendre son verdict. Le président avait consenti à permettre à l'avocat de présenter des observations et avait accepté de réexaminer l'affaire.

[13]            Les observations du demandeur peuvent être groupées selon deux arguments principaux :

1.          Le président a manqué à l'équité procédurale

[14]            Selon le demandeur, le président a manqué à l'équité procédurale, contrevenant ainsi à l'article 31 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/91-563 (le Règlement), parce qu'il a rejeté l'ajournement sollicité par le demandeur. L'alinéa 31.(1)a) du Règlement est ainsi rédigé :

31. (1) Au cours de l'audition disciplinaire, la personne qui tient l'audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

a) d'interroger des témoins par l'intermédiaire de la personne qui tient l'audition, de présenter des éléments de preuve, d'appeler des témoins en sa faveur et d'examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision; ...

[15]            Selon le demandeur, le refus du président d'étudier les raisons qu'il avait de solliciter un ajournement était excessif et faisait fi du droit reconnu au demandeur par l'alinéa 31(1)a) du Règlement, à savoir le droit, dans des limites raisonnables, de présenter des éléments de preuve et d'appeler des témoins à décharge. Le refus du président constituait aussi un manquement à l'équité procédurale.

2.          Le président a commis une erreur de droit en déclarant le demandeur coupable

[16]            Selon le demandeur, le président a commis une erreur de droit en le déclarant coupable d'une infraction disciplinaire. Le demandeur rappelle à la Cour que la mens rea d'une infraction disciplinaire de possession d'objets interdits est la connaissance, et que l'actus reus est la possession des objets en cause. La mens rea et l'actus reus doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable. Le demandeur soutient que la preuve ne permettait pas de conclure à la connaissance et à la possession, les deux éléments nécessaires à une déclaration de culpabilité. Selon lui, plusieurs déductions raisonnables pouvaient être tirées des faits. On pouvait inférer que le compagnon de cellule de M. Smith avait seul connaissance de l'existence des objets interdits et en avait seul la possession, ou qu'un autre détenu avait placé ces objets dans la cellule à l'insu du demandeur. Vu ces déductions raisonnables, le président ne pouvait pas être convaincu hors de tout doute raisonnable que la culpabilité de l'accusé était la seule déduction raisonnable pouvant être tirée des faits.

[17]            Le demandeur admet que le président était libre de ne pas croire M. Smith, mais il dit qu'il demeurait tenu de faire un examen équitable de la preuve tout entière et de se demander si elle attestait hors de tout doute raisonnable que le demandeur était coupable (McLarty c. Canada, [1997] A.C.F. n ° 808, au paragraphe 10; R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, au paragraphe 2). Le demandeur affirme que les arguments avancés contre lui se résument entièrement à des preuves circonstancielles et que le président ne pouvait pas être persuadé hors de tout doute raisonnable que la culpabilité de l'accusé était la seule déduction raisonnable pouvant être tirée des faits avérés (McLarty, précité, aux paragraphes 10 et 11).

[18]            Le demandeur allégue que, parce qu'il n'a pas étudié la preuve dans son intégralité, le président a en réalité déplacé vers le demandeur la charge de la preuve. Selon le demandeur, cette application incorrecte du critère de la preuve hors de tout doute raisonnable ne saurait tenir car elle équivaut à une application incorrecte du droit. Le demandeur rappelle à la Cour que la norme de contrôle, en ce qui a trait à l'application de critères juridiques, est celle de la décision correcte (Taylor c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n ° 1851, au paragraphe 8).

LES OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR

La norme de contrôle


[19]            Selon le défendeur, pour annuler une décision du président, le juge doit conclure que le président n'a pas observé un principe de justice naturelle ou que la décision est manifestement déraisonnable au regard d'une conclusion de fait (Armstrong c. Canada, [1989] A.C.F. n ° 403 (C.F. 1re inst.) (QL), à la page 7; Lafreniere c. Établissement de Ste-Anne-des-Plaines, [1988] A.C.F. n ° 1162 (C.F. 1re inst.) (QL), aux pages 1 et 2).

[20]            Le défendeur soutient que les audiences conduites par le président d'un tribunal disciplinaire sont de nature administrative, et non de nature judiciaire ou quasi judiciaire. S'agissant d'une décision prise par les fonctionnaires du Service correctionnel du Canada, la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable (Boudreau c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. n ° 2016 (C.F. 1re inst.), aux pages 6 et 7).

1.          Le président n'a pas manqué à l'équité procédurale

[21]            Selon le défendeur, le président avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas accéder à la demande d'ajournement, et sa décision discrétionnaire ne devrait pas être modifiée par une cour de justice, à moins que le pouvoir n'ait été exercé d'une manière non judiciaire (R. c. Johnson (1973) 11 C.C.C. (2d) 101, à la page 105; R. c. Kishayinew 2003 CBR Sask. 39, au paragraphe 23; R. c. Desmond, 2002 CAN-É 31, pages 5 et 6).

[22]            Selon le défendeur, le président a agi raisonnablement quand il a rejeté la demande d'ajournement, et cela parce que le demandeur avait eu amplement le temps, avant l'audience, de débattre le point de savoir s'il devait révéler le nom du codétenu qui, selon le demandeur, avait laissé les objets dans sa cellule.


2.          Le président n'a pas commis d'erreurs de droit

[23]            Le défendeur soutient que le président n'a pas commis d'erreurs lorsqu'il a conclu que le demandeur avait connaissance de l'existence des objets interdits et qu'il en avait la possession. Il dit que le président a bien étudié l'ensemble de la preuve qu'il avait devant lui et que, eu égard à l'ensemble de la preuve, il n'était pas manifestement déraisonnable de conclure que le demandeur était coupable de possession d'objets interdits.

[24]            Lorsqu'il n'existe pas une preuve directe montrant qu'un accusé a connaissance de l'existence d'un objet interdit ou d'une substance illégale, le décideur peut considérer l'ensemble des faits pertinents et accessoires pour savoir si la preuve permet d'inférer que l'accusé avait la connaissance requise (Ryan c. Établissement William Head, [1997] A.C.F. n ° 1290 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 7).

[25]            Le défendeur soutient que, dans une affaire où la preuve de l'occasion est accompagnée d'autres preuves incriminantes, une occasion qui n'exclut pas toute autre possibilité peut suffire (Sa Majesté la Reine c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168, arrêt mentionné dans la décision Bailey c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. n ° 1307 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 14). En l'espèce, le président n'a pas cru l'explication du demandeur et a estimé que le demandeur avait à tout le moins fait preuve d'une ignorance volontaire en ne voyant pas que le téléphone et le chargeur se trouvaient dans sa cellule. Le défendeur allègue que, selon le raisonnement suivi dans l'arrêt Yebes, précité, le président peut dans un tel cas imputer la connaissance au détenu.


ANALYSE

1.          Le président n'a pas abusé de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il a refusé l'ajournement demandé

[26]            Il ressort clairement de la jurisprudence qu'il appartient au juge de première instance de décider s'il convient ou non d'accorder un ajournement (R. c. Desmond, précité, paragraphe 12; R. c. Johnson, précité; R. c. Kishayinew, précité). Ce pouvoir discrétionnaire appelle une retenue élevée.

[27]            Dans la décision Johnson, précitée, la Cour avait estimé que le refus d'un juge de première instance d'accorder un ajournement constituait un abus de son pouvoir discrétionnaire puisque nul ne prétendait que l'accusé avait négligé de faire tout ce qu'il aurait pu pour éviter un ajournement. En l'espèce, le président a indiqué que M. Smith aurait pu discuter avec son avocat de la question du détenu anonyme (affidavit, pièce A, à la page 17). Même si l'on admettait que le détenu n'avait pas eu l'occasion de parler directement à son codétenu, il reste qu'il n'avait pas examiné la question avec son avocat, et cela laissait au président le pouvoir de refuser l'ajournement de l'audience. M. Smith aurait pu prendre des dispositions pour éviter d'avoir à demander un ajournement.


[28]            La décision du président de ne pas ajourner l'audience s'accorde aussi avec le paragraphe 31(1) du Règlement. Le paragraphe 31(1) prévoit que le détenu doit avoir à l'audience une occasion raisonnable d'appeler des témoins. Le demandeur a eu une occasion raisonnable d'informer le tribunal disciplinaire qu'il souhaitait assigner comme témoin le détenu anonyme. Le demandeur n'a tout simplement pas cherché à se prévaloir de cette occasion avant le jour de l'audience.

2.          Le président a commis une erreur en déclarant le demandeur coupable

[29]            Les conclusions de fait du président ne sont pas mises en doute. Ce qui est contesté, c'est plutôt la manière dont le président a appliqué le droit aux faits. La décision du président en la matière est examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (décision Taylor, précitée, au paragraphe 6).

[30]            Le président n'accorde aucun poids à l'argument du demandeur selon lequel le téléphone et le chargeur avaient été placés dans sa cellule par un détenu anonyme. Le président n'a pas cru non plus le demandeur lorsque celui-ci a affirmé qu'il n'avait jamais ouvert la seconde armoire à pharmacie. Toutefois, le président semble admettre qu'il était possible qu'un autre détenu aurait pu entrer dans la cellule avec les objets interdits (et il dit que le demandeur ferait preuve d'une ignorance volontaire dans un tel cas en ne fermant pas sa cellule à clé). Par ailleurs, le président ne semble pas rejeter la possibilité que le compagnon de cellule du demandeur fût le seul détenu qui avait connaissance de l'existence du téléphone et du chargeur et qui en avait la possession. Il semble que le compagnon de cellule du demandeur a lui aussi été accusé de l'infraction de possession d'objets interdits.

[31]            En l'espèce, bien que le demandeur ait eu l'occasion d'avoir la possession des objets, il n'était pas le seul qui ait pu en avoir la possession. Dans l'arrêt R. c. Yebes, précité, la Cour suprême avait jugé que, lorsque la preuve de l'occasion s'accompagne d'autres preuves incriminantes, alors une occasion qui n'exclut pas toute autre possibilité peut suffire. Le point à décider en l'espèce est celui de savoir si la preuve de l'occasion s'accompagne de preuves incriminantes qui permettent de conclure que le demandeur avait la possession des objets.

[32]            Dans l'arrêt Yebes, la Cour suprême se réfère à la décision R. c. Monteleone (1982), 67 C.C.C. (2d) 489 (confirmée : [1987] 2 R.C.S. 154 (C.S.C.)), à la page 493, pour dire qu'une preuve incriminante adéquate, combinée à la preuve de l'occasion, peut conduire à une conclusion défavorable à l'accusé. Dans l'affaire Monteleone, précitée, une affaire d'incendie criminel, la défense avait évoqué d'autres possibilités quant au départ de l'incendie. Le tribunal avait jugé que le fait d'évoquer des possibilités qui ne s'accordent pas avec la preuve fait reposer sur la poursuite un fardeau impossible (décision Monteleone, à la page 494).

[33]            En l'espèce, le président a laissé entendre que l'avocat de M. Smith se limitait à supposer que le compagnon de cellule de M. Smith avait pu placer dans la cellule le téléphone et le chargeur (affidavit, pièce A, à la page 20). Mais dans la présente affaire, contrairement à l'affaire Monteleone, l'avocat du demandeur faisait état de possibilités qui s'accordaient avec la preuve. Il était possible que le compagnon de cellule du demandeur ait eu la possession des objets. Il était aussi possible qu'un autre détenu ait mis les objets dans la cellule.


[34]            Dans la décision Bailey, précitée, la Cour a fait droit à la demande de contrôle judiciaire visant une décision par laquelle le demandeur avait été déclaré coupable de possession d'un stupéfiant, en violation du paragraphe 40(1) de la Loi. Un agent qui avait fouillé M. Bailey avait senti un objet dans sa manche droite. M. Bailey avait été soumis à une fouille à nu, mais rien n'avait été trouvé sur lui. Dix minutes plus tard, un paquet renfermant des stupéfiants était trouvé près de la pièce où la fouille avait eu lieu. La demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que l'occasion qu'avait eue le demandeur d'être en possession du stupéfiant n'était pas exclusive, et il était par conséquent déraisonnable de conclure que M. Bailey était coupable hors de tout doute raisonnable (décision Bailey, paragraphe 19).

[35]            Le raisonnement suivi dans la décision Bailey est applicable ici. M. Smith n'avait pas une occasion exclusive d'être en possession des objets. Les autres possibilités évoquées par le demandeur quant à la manière dont ces objets s'étaient trouvés dans sa cellule s'accordent avec la preuve et sont vraisemblables.


[36]            On pourrait soutenir que la décision Bailey se distingue de la présente affaire. Dans l'affaire Bailey, rien n'avait été trouvé sur la personne du détenu, tandis qu'en l'espèce, les objets ont été trouvés dans la cellule de M. Smith. Toutefois, dans la présente affaire, M. Smith a été deux fois mis hors de cause. Il n'y a pas eu réfutation de la possibilité pour le compagnon de cellule de M. Smith d'avoir été l'unique personne en possession des objets et, comme je l'ai dit, le compagnon de cellule était, je crois, lui aussi accusé de la même infraction.

[37]            M. Smith n'avait pas une occasion exclusive d'être en possession des objets. Selon la jurisprudence, lorsque la preuve de l'occasion s'accompagne d'une autre preuve incriminante, une occasion qui n'exclut pas toute autre possibilité peut suffire, mais il ne semble pas y avoir en l'espèce une autre preuve incriminante qui permette de conclure hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait connaissance de l'existence des objets et qu'il en avait la possession.

[38]            Le président a aussi estimé que l'habitude du demandeur de laisser sa cellule ouverte lorsqu'il n'y était pas équivalait à une ignorance volontaire (affidavit, pièce A, aux pages 17 et 18). Mais la règle de l'ignorance volontaire est une règle de portée limitée, ainsi que le disait la Cour suprême dans l'arrêt Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570, au paragraphe 22 :

[traduction] La règle selon laquelle l'ignorance volontaire équivaut à la connaissance est essentielle et se rencontre partout dans le droit criminel. En même temps, c'est une règle instable parce que les juges sont susceptibles d'en oublier la portée très limitée. Une cour peut valablement conclure à l'ignorance volontaire seulement lorsqu'on peut presque dire que le défendeur connaissait réellement le fait. Il le soupçonnait; il se rendait compte de sa probabilité; mais il s'est abstenu d'en obtenir confirmation définitive parce qu'il voulait, le cas échéant, être capable de nier qu'il savait. Cela, et cela seulement, constitue de l'ignorance volontaire. Il faut en effet qu'il y ait conclusion que le défendeur a voulu tromper l'administration de la justice.


[39]            À mon avis, le président n'a pas bien appliqué la règle de l'ignorance volontaire. Il a pris connaissance d'office de la fréquence des cas de possession d'objets interdits à l'établissement de Kent, mais il ne saurait s'ensuivre que le demandeur avait par là l'obligation de fouiller sa cellule chaque jour pour voir s'il s'y trouvait de tels objets.

[40]            L'analyse ci-dessus montre que la décision du président était déraisonnable. Si le président avait examiné globalement la preuve, il n'aurait pas pu conclure qu'elle attestait la culpabilité du demandeur hors de tout doute raisonnable.

[41]            La conclusion du président ne peut être maintenue, après examen effectué selon la norme de la décision raisonnable. Elle ne peut non plus être maintenue selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Il y avait au moins deux autres possibilités évidentes, qui n'ont pas été expressément rejetées. Puisque l'erreur du président peut être établie aisément, sa décision ne pouvait pas résister à un examen effectué selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

DISPOSITIF

[42]            La déclaration de culpabilité prononcée par le président indépendant sera annulée avec dépens en faveur du demandeur.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : la déclaration de culpabilité prononcée par le président indépendant est annulée avec dépens en faveur du demandeur.

     « Max M. Teitelbaum »     

        Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2264-04

INTITULÉ :               DARRIN SMITH

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :                          LE 21 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Mark A. Redgwell                                             POUR LE DEMANDEUR

Edward Burnet                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark A. Redgwell                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Vancouver (C.-B.)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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