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Date : 20200630


Dossier : IMM-5454-19

Référence : 2020 CF 737

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 30 juin 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

THIRUVALLUVAN KURUSAMY

VIDUSHINI THIRUVALLUVAN

SHEROAN THIRUVALLUVAN

MAATHESH THIRUVALLUVAN

ANOSHKA THIRUVALLUVAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Le demandeur principal [le demandeur] est un citoyen du Sri Lanka qui allègue être exposé à un risque de persécution, ou pire, s’il devait retourner dans son pays. Les tribunaux qui ont entendu sa demande d’asile et son appel ont tous deux conclu que son récit manquait de crédibilité et ont rejeté sa demande. Il en a ensuite demandé le contrôle judiciaire, mais la Cour a rejeté sa demande à l’étape de l’autorisation. Le demandeur a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Un agent d’ERAR a rejeté la demande au motif que les nouveaux éléments de preuve ne dissipaient pas les préoccupations antérieures quant à la crédibilité et ne démontraient pas l’existence de nouveaux risques. Le demandeur demande maintenant à la Cour d’infirmer le rejet de la demande d’ERAR. Après avoir examiné le dossier et les observations, et écouté les observations des avocats, je conclus que la décision est raisonnable. Par conséquent, je rejette la présente demande.

II.  CONTEXTE

[2]  Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka qui a déjà présenté une demande d’asile en Suisse en 1990. Il a parrainé son épouse, qui est également sri-lankaise, et ils ont eu trois enfants qui sont tous nés en Suisse. Toute la famille [les demandeurs] avait un statut temporaire en Suisse.

[3]  Les demandeurs sont retournés au Sri Lanka en 2014; ils affirment qu’ils croyaient que la situation politique s’était améliorée. Le demandeur allègue qu’il a soutenu le Parti de la liberté du Sri Lanka [le SLFP] après son retour au Sri Lanka et qu’en 2016, alors qu’il rendait visite à sa sœur au Canada, [traduction] « un groupe d’opposants politiques accompagné des forces de sécurité » l’a recherché, ce qui a poussé son épouse et ses enfants à chercher refuge dans une autre résidence. Selon le demandeur, les mêmes personnes se sont introduites par effraction chez lui et ont pillé sa résidence, en plus de demander aux voisins où se trouvait sa famille.

[4]  Après son retour du Canada, le demandeur allègue qu’il a été détenu plusieurs fois au Sri Lanka alors qu’il tentait de porter plainte à la police contre les opposants politiques pour vol de véhicule, dommages à sa voiture et menaces d’enlèvement de ses enfants pour rançon. Le demandeur soutient que cela était attribuable à ses liens avec le SLFP.

[5]  En juillet 2016, les demandeurs ont demandé l’asile au Canada. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande de la famille en mars 2017. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR le 2 août 2017. Les deux tribunaux ont rejeté la demande en raison de préoccupations quant à la crédibilité. Par la suite, les demandeurs ont présenté une demande d’ERAR et, le 29 juillet 2019, un agent d’ERAR [l’agent] a rejeté la demande [la décision].

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]  L’agent a fait remarquer que l’allégation du demandeur selon laquelle il était exposé à des risques en raison de son profil politique et de son origine ethnique était fondée sur les mêmes motifs plaidés devant les tribunaux. L’agent a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de nouveaux éléments de preuve pour réfuter leurs conclusions, et a fait remarquer que l’objectif d’un ERAR est d’évaluer les nouveaux risques qui surviennent après l’audition de la demande d’asile, et non pas les risques qui ont déjà été évalués. L’agent a reconnu la preuve selon laquelle les conditions se sont détériorées au Sri Lanka pour les Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET] depuis la décision de la SPR, mais que les nouveaux éléments de preuve ne démontraient pas que le demandeur avait, ou serait perçu comme ayant, le profil d’un Tamoul soupçonné d’avoir des liens avec les TLET. L’agent a également fait remarquer que le demandeur n’avait pas réfuté les diverses conclusions quant à la crédibilité qui avaient été tirées contre lui. Enfin, l’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve documentaires ne laissaient pas entendre que les demandeurs d’asile déboutés de pays où les autorités sri-lankaises sont davantage critiquées (comme le Canada) sont exposés à un plus grand risque que les demandeurs d’asile déboutés d’autres pays.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

[7]  Les demandeurs soulèvent deux questions, soit celles de savoir si l’agent (i) a appliqué le bon critère juridique et s’il (ii) a rendu une décision raisonnable. La norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 10 [Vavilov]). Cette présomption n’a pas été réfutée en l’espèce, puisqu’aucune des exceptions à cette règle ne s’applique (Vavilov, au paragraphe 17).

(i)  Le bon critère juridique

[8]  Les agents d’ERAR doivent apprécier « l’effet que de nouveaux éléments de preuve auraient pu avoir sur ces décisions » (Mikhno c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 385, au paragraphe 23 [Mikhno]). Cela découle de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, qui limite les nouveaux éléments de preuve aux « éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ».

[9]  En l’espèce, l’agent a terminé la décision par les deux paragraphes suivants, qui mettent clairement l’accent sur l’absence d’éléments de preuve liant le demandeur aux TLET :

[traduction]

Après avoir examiné cumulativement les éléments de preuve documentaires, je reconnais que les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET continuent d’être exposées à un risque de mauvais traitements de la part des autorités et d’autres groupes au Sri Lanka. Toutefois, après avoir examiné cumulativement les risques relevés par le demandeur, ainsi que son profil ou, en l’espèce, l’absence de ce profil et examiné les renseignements sur le pays, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment de nouveaux éléments de preuve objectifs démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était ou sera soupçonné d’être un partisan des TLET ou serait perçu comme tel. Je conclus en outre qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant que le demandeur est exposé à un risque de persécution ou à un risque de la part des autorités sri-lankaises en raison de son origine ethnique tamoule ou du fait qu’il serait perçu comme une personne provenant du nord du Sri Lanka. De plus, le demandeur n’a réfuté aucune des préoccupations soulevées par la SPR.

Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le demandeur ainsi que, par extension, son épouse et ses enfants sont exposés tout au plus à une simple possibilité de persécution au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), et j’estime qu’il est peu probable que les demandeurs soient exposés à une menace pour leur vie ou à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la LIPR s’ils retournaient au Sri Lanka.

[Décision, à la page 7; non souligné dans l’original.]

[10]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en analysant la menace de cette façon, car il n’était pas tenu de démontrer qu’il risquait d’être persécuté selon la [traduction] « prépondérance des probabilités ». En fait, il soutient qu’il était exposé à une possibilité raisonnable de persécution éventuelle.

[11]  Je ne suis pas d’accord. L’agent n’a pas déclaré que le demandeur devait démontrer l’existence d’un risque de persécution selon la prépondérance des probabilités. En fait, l’agent a appliqué la norme de la prépondérance des probabilités aux nouveaux éléments de preuve concernant le risque – ou l’absence de risque – qui ont été présentés par le demandeur. Il convient d’examiner les deux paragraphes clés sur lesquels l’avocat du demandeur s’est concentré car, à mon avis, ils fournissent une réponse complète à l’allégation du demandeur selon laquelle l’agent a appliqué le mauvais critère juridique.

[12]  En bref, la conclusion de l’agent au sujet des liens soupçonnés du demandeur avec les TLET est que, même s’il existe des éléments de preuve démontrant l’existence d’un [traduction] « nouveau risque » survenu au Sri Lanka après la décision de la SPR, le demandeur ne sera pas, selon la prépondérance des probabilités, exposé à ce nouveau risque. En d’autres termes, l’agent tire une conclusion de fait concernant la preuve, qu’il énonce correctement au deuxième des deux derniers paragraphes de la décision et il n’a pas mal appliqué le critère relatif à la qualité de réfugié. À l’avant-dernier paragraphe, l’agent déclare en fait que le demandeur n’a pas démontré que sa crainte subjective a un fondement objectif (Ramanathy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 511, au paragraphe 16 [Ramanathy]).

[13]  L’aspect relatif à la [traduction] « simple possibilité » de l’analyse ne devient pertinent qu’après qu’un demandeur a établi une crainte subjective ayant un fondement objectif selon la prépondérance des probabilités (Ramanathy, au paragraphe 16). Dans la décision Ramanathy, le juge Mosley a invoqué les analyses antérieures de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CAF), ainsi que celle du juge O’Reilly, qui a écrit ce qui suit dans la décision Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, au paragraphe 8 :

Ce qu’il faut retenir de l’arrêt Adjei, c’est que la norme de preuve applicable réunit la norme civile habituelle et un seuil spécial qui s’applique uniquement dans le contexte des demandes d’asile. Bien entendu, les demandeurs doivent prouver les faits sur lesquels ils se fondent et la norme de preuve civile constitue la bonne façon d’apprécier la preuve qu’ils présentent à l’appui de leurs assertions de fait. Dans la même veine, les demandeurs doivent convaincre la Commission en bout de ligne qu’ils risquent d’être persécutés. Il s’agit encore là d’une norme de preuve civile. Cependant, étant donné qu’ils doivent démontrer uniquement l’existence d’un risque de persécution, il ne convient pas d’exiger d’eux qu’ils prouvent que la persécution est probable. En conséquence, ils doivent simplement prouver qu’il existe « une possibilité raisonnable », « davantage qu’une possibilité minime » ou « de bonnes raisons de croire » qu’ils seront persécutés.

[Souligné dans l’original.]

[14]  En l’espèce, comme en témoignent les deux derniers paragraphes de la décision, ainsi que tout ce qui les précède, l’agent n’a pas examiné si une [traduction] « simple possibilité de persécution » avait été établie, car le demandeur n’a pas établi qu’il était exposé à un risque objectif ou subjectif en raison de son profil. L’agent a plutôt conclu que la menace ne s’appliquait pas au demandeur compte tenu des éléments de preuve et des observations présentés. Cela est conforme à l’approche adoptée par la Cour dans la décision Nageem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 867, aux paragraphes 24 et 25, qui a été citée par les deux parties. Dans cette affaire, le demandeur avait également fait valoir que le mauvais critère juridique avait été appliqué, et le juge Rennie, alors juge de la Cour fédérale, n’était pas d’accord :

La norme de preuve, ou le fardeau de la preuve comme on l’appelle parfois, applicable lorsqu’il est question d’évaluer le danger et le risque décrits à l’article 96 et aux alinéas a) et b) de l’article 97 est la preuve selon la prépondérance des probabilités. Il s’agit de la norme que la Commission doit appliquer lorsqu’elle évalue la preuve dont elle est saisie. Cette preuve, après avoir été établie selon la prépondérance des probabilités, est ensuite évaluée selon les critères juridiques applicables à la persécution au sens de l’article 96 et à la torture au sens de l’article 97.

Dans la mesure où l’article 96 et une allégation de persécution sont concernés, la Commission a évalué la preuve selon la bonne norme, à savoir, qu’il doit être démontré qu’il existe une probabilité raisonnable, ou davantage qu’une possibilité minime, que le demandeur sera persécuté; Florea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1472, au paragraphe 24.

[15]  En l’espèce, l’agent a respecté la loi. Il n’a pas mal formulé ni mal appliqué le critère juridique.

(ii)  Le caractère raisonnable de la décision

[16]  Lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat des demandeurs s’est concentré sur une lettre d’Amnistie internationale sur les risques, qui est datée du 7 novembre 2017 et intitulée « Sri Lanka : Forced Returns and Passengers from the Sun Sea and Ocean Lady » [la lettre] (signée par Gloria Nafziger, coordonnatrice des réfugiés au sein d’Amnistie internationale), qui traitait, en partie, des demandeurs d’asile qui retournent dans leur pays. L’avocat a confirmé que la lettre était le seul nouvel élément de preuve déposé par le consultant en immigration des demandeurs avec la demande d’ERAR, mais il a fait valoir qu’elle n’avait pas été abordée dans l’analyse de la SAR de la question de savoir s’il y avait un nouveau risque.

[17]  Encore une fois, je ne peux pas souscrire à l’observation. Dans sa demande d’ERAR, le demandeur a fait valoir qu’il serait perçu comme un partisan des TLET et serait persécuté parce qu’il est Tamoul et qu’il retournerait dans un centre d’activité des TLET en tant que demandeur d’asile débouté. L’agent a accepté les éléments de preuve démontrant que les conditions se sont détériorées au Sri Lanka pour les Tamouls soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET, mais il a conclu que cela ne s’appliquait pas au profil du demandeur; il a aussi abordé la question du danger auquel sont exposés les réfugiés de retour dans leur pays comme suit :

[traduction]

Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve démontrant que ces lignes directrices [UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka] ont été révisées depuis l’audition de la demande d’asile du demandeur. J’estime qu’il n’y a pas suffisamment de nouveaux éléments de preuve démontrant que le demandeur correspond ou pourrait être perçu comme correspondant aux profils de risque susmentionnés. Je conclus que les sources documentaires ne laissent pas entendre que les demandeurs d’asile déboutés dans des pays comme le Canada sont exposés à un plus grand risque que les demandeurs d’asile déboutés dans d’autres pays où les autorités sri-lankaises sont moins critiquées par le public.

[Décision, à la page 7; non souligné dans l’original.]

[18]  Pour revenir à la lettre, elle mettait l’accent sur le risque auquel sont exposés les hommes tamouls qui retournent au Sri Lanka et qui [traduction] « sont soupçonnés d’avoir soutenu les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et étaient des passagers du navire Sun Sea ou du navire Ocean Lady ». La lettre ajoutait ce qui suit :

[traduction]

Les personnes renvoyées du Canada et soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET peuvent être détenues, interrogées et arrêtées par le CID et le SIS à leur arrivée à l’aéroport en ce qui a trait aux motifs de leur retour au Sri Lanka, à leurs activités au Canada et à leurs liens possibles avec les TLET. Ces personnes sont à risque en raison de leur retour de l’étranger, car on peut présumer qu’elles ont accès à des ressources financières ou à des relations internationales qui pourraient être exploitées à des fins financières par des groupes paramilitaires tamouls ou des agents de l’État.

[Dossier de demande, à la page 112; non souligné dans l’original.]

[19]  L’expression [traduction] « ces personnes » soulignée ci-dessus laisse clairement entendre que Mme Nafziger, l’auteure de la lettre, parle du groupe de personnes dont il est question à la phrase précédente, à savoir les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET. Les demandeurs n’étaient pas des passagers d’un des navires, et ni le tribunal (SPR ou SAR) ni l’agent n’a relevé d’éléments de preuve laissant entendre que les demandeurs seraient soupçonnés d’avoir soutenu les TLET (encore une fois, voir les deux derniers paragraphes de la décision reproduits ci-dessus, au paragraphe 9 des présents motifs). De plus, je tiens à souligner que rien de plus récent que la lettre de 2017 n’a été produit à l’appui de la demande d’ERAR pour corroborer l’allégation des demandeurs concernant le risque auquel sont exposés les demandeurs d’asile déboutés, que ce soient des éléments de preuve personnalisés ou des documents objectifs (sur le pays).

[20]  Les décisions raisonnables sont fondées sur des analyses intrinsèquement cohérentes et sont « justifi[ées] au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au paragraphe 85). En l’espèce, l’agent a été limité par la présence de faiblesses fondamentales dans la demande d’ERAR, y compris l’absence de nouveaux éléments de preuve convaincants et des observations peu convaincantes, qui comprenaient la méprise du consultant en immigration selon laquelle un ERAR constitue un [traduction] « appel de la décision rendue par la SAR ». Comme il a été déterminé dans la décision Mikhno, au paragraphe 23, « l’ERAR n’est pas un appel ou un réexamen des décisions de la Commission, mais uniquement l’appréciation de l’effet que de nouveaux éléments de preuve auraient pu avoir sur ces décisions ». Bref, j’estime que l’agent a raisonnablement conclu que la demande d’ERAR ne comportait pas suffisamment de nouveaux éléments de preuve.

[21]  Il incombe en tout temps aux demandeurs de produire des preuves à l’appui de leurs allégations (Sufaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 373, au paragraphe 39). La demande d’ERAR comprenait 19 pages d’observations écrites denses, ainsi que des éléments de preuve concernant la situation dans le pays qui précédaient les audiences des tribunaux et revenaient sur des faits qui avaient déjà été tranchés (concernant l’association avec les TLET). Une partie très limitée seulement des observations portait sur la question des réfugiés qui retournent dans leur pays qui était soulevée dans la lettre (voir l’extrait de la lettre ci-dessus, au paragraphe 17 des présents motifs).

[22]  Bref, la question des demandeurs d’asile qui retournent dans leur pays était un argument accessoire soulevé dans les observations. Compte tenu du peu d’attention que le demandeur a accordée à la question, la courte analyse de l’agent était raisonnable, tout comme le fait qu’il se soit concentré sur les éléments essentiels de la preuve et des observations fournies par les demandeurs. L’agent n’avait pas l’obligation d’entreprendre des démarches pour combler une preuve insuffisante (Borbon Marte c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 930, au paragraphe 40). Bien que l’on puisse soutenir que l’agent aurait pu consacrer une plus grande partie de ses motifs à la question des réfugiés qui retournent dans leur pays, à mon avis, les observations et la lettre d’accompagnement ont reçu une attention proportionnelle à leurs mentions dans la demande d’ERAR.

[23]  Même si j’acceptais l’affirmation de l’avocat selon laquelle la question du [traduction] « réfugié qui retourne dans son pays » méritait que l’on s’y attarde davantage dans la décision, la perfection n’est pas la norme (Vavilov, au paragraphe 91). Comme l’ont écrit les juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 94 :

La cour de révision doit également interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus. Elle peut considérer, par exemple, la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l’organisme administratif en question. Cela peut expliquer un aspect du raisonnement du décideur qui ne ressort pas à l’évidence des motifs eux‑mêmes; cela peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence.

[24]  L’agent a répondu aux observations et a renvoyé aux éléments de preuve contenus dans la demande d’ERAR. La décision répondait à la définition du caractère raisonnable, en ce sens qu’elle était justifiée, intelligible et transparente au regard des faits et du droit. Son analyse répondait aux observations du consultant en immigration : ces observations portaient presque exclusivement sur les risques que représentaient le SLFP et les TLET, et comprenaient un paragraphe accessoire sur les réfugiés qui retournent dans leur pays. Il était tout à fait justifié pour l’agent de se concentrer sur les questions clés qui lui avaient été soumises et de s’attarder aux risques associés au retour du Canada à titre de point subsidiaire.

V.  CONCLUSION

[25]  En fin de compte, la demande d’ERAR comportait d’importantes faiblesses. La lacune réside dans la preuve associée à la demande d’ERAR et ses observations, et non pas dans la décision qui en découle; les demandeurs ont présenté très peu de nouveaux éléments de preuve à l’agent. Il était donc justifié pour l’agent de souligner l’absence de lien entre la preuve présentée et l’allégation des demandeurs selon laquelle ils seraient exposés à des risques. Bien que l’avocat des demandeurs ait vaillamment tenté de convaincre la Cour que la décision contenait des erreurs de droit et d’application du droit aux faits, je ne suis toujours pas convaincu que l’agent ait commis des erreurs. À mon avis, la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au paragraphe 85). Par conséquent, ma capacité à intervenir est limitée. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5454-19

LA COUR STATUE que :

  1. la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune;

  3. aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de juillet 2020

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5454-19

 

INTITULÉ :

THIRUVALLUVAN KURUSAMY ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 juin 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 juin 2020

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Idorenyin Udoh-Orok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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