Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200619


Dossier : IMM-4966-19

Référence : 2020 CF 713

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2020

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

FRANCCES CHARLES CALCE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La demanderesse, Francces Charles Calce, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 15 juillet 2019 par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Dans sa décision, la SAR confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle la demanderesse n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  La demanderesse est citoyenne d’Haïti. Dans sa demande d’asile, elle allègue être persécutée en raison des liens étroits de son époux avec un candidat à la présidence aux élections du 25 octobre 2015 et l’Unité nationale pour le développement appliqué.

[3]  Plus particulièrement, elle affirme ce qui suit :

  • (1) le 25 octobre 2015, son époux a été attaqué par des extrémistes du parti politique « Haïti en action » qui ont continué à lui proférer des menaces de mort;

  • (2) le 1er octobre 2016, elle a reçu des menaces de mort de partisans de ce même parti politique et a été informée lors de l’un des deux (2) appels reçus qu’un incident en 2014 impliquant son fils n’était pas un crime ordinaire, mais plutôt une tentative de donner une leçon à elle et son époux;

  • (3) lorsqu’elle s’est réfugiée chez une amie dans une autre ville où elle est demeurée jusqu’au 10 octobre 2016, elle a reçu un appel des mêmes personnes lui indiquant qu’elle ne pouvait les échapper;

  • (4) ayant déjà un visa et billet d’avion pour le Canada, elle a quitté l’Haïti pour le Canada le 11 octobre 2016; et

  • (5) le 8 décembre 2016, alors qu’elle était au Canada, son époux l’a informé que les extrémistes membres du parti politique « Haïti en action » avaient demandé à son ami l’adresse de la maison où se trouvait son époux.

[4]  Le 9 mai 2018, la SPR rejette la demande d’asile au motif que les allégations de la demanderesse ne sont pas crédibles. Elle juge le témoignage de la demanderesse vague, général et empreint de contradictions. Elle détermine que la demanderesse n’a pas démontré que son époux est en danger en Haïti depuis octobre 2015 en raison de son implication politique et qu’elle a été personnellement visée par des menaces. De plus, elle juge que la preuve documentaire produite au soutien de la demande d’asile manque de précision et ne permet pas de corroborer les allégations de la demanderesse.

[5]  La demanderesse porte cette décision en appel devant la SAR. Comme la SPR, la SAR conclut que les allégations de la demanderesse ne sont pas crédibles et qu’elle n’a pas fourni d’éléments de preuve crédibles démontrant qu’elle est personnellement ciblée en raison des activités politiques de son époux. Elle rejette également l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR aurait enfreint les règles d’équité procédurale en ayant fait preuve d’un manque de sensibilité dans l’évaluation de la demande d’asile. La SAR estime que la SPR a été complètement transparente à l’égard de la demanderesse, lui ayant donné toutes les occasions possibles d’étayer sa demande d’asile au moyen d’éléments présentés après l’audience. De plus, elle est d’avis que la SPR a tenu compte des Directives numéro 4 du Président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (13 novembre 1996), qui fournissent un cadre d’analyse qui permet de trancher les demandes d’asile fondées sur le sexe d’une manière compréhensive et sensible. Enfin, la SAR confirme que la demanderesse n’a pas établi qu’elle était exposée à un risque prospectif en Haïti lié à la violence fondée sur le sexe.

[6]  De manière générale, la demanderesse reproche à la SAR d’avoir erré dans l’évaluation de la preuve. Elle lui reproche également de lui avoir imposé le mauvais fardeau de preuve.

II.  Analyse

[7]  La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 143 [Vavilov]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL) au para 4 (CA); Noël c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 281 au para 16).

[8]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Il ne s’agit pas non plus d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Vavilov au para 99).

[9]  La demanderesse soutient qu’elle n’avait pas le fardeau de prouver que la vie de son époux était en danger, seulement qu’elle avait une crainte raisonnable que sa vie à elle soit en danger à cause des activités de son époux. Cet argument est mal fondé. Sa demande d’asile est fondée sur l’allégation qu’elle est menacée et exposée à des risques en raison des activités politiques de son époux. Comme l’a souligné la SAR, les détails expliquant les problèmes de l’époux en Haïti ne sont pas une question futile, mais sont plutôt au cœur de la demande d’asile. La demanderesse n’a pas été en mesure de fournir des détails précis sur les activités de son époux en Haïti depuis octobre 2015 pouvant corroborer l’affirmation qu’il serait toujours ciblé par le parti politique « Haïti en action », qu’il lutte pour le changement et qu’il vivait dans la clandestinité. Elle n’a pas non plus été en mesure d’expliquer pourquoi son époux faisait des allers-retours aux États-Unis s’il a peur pour sa vie et est actuellement recherché. De plus, les contradictions entre le témoignage de la demanderesse, son formulaire de fondement de demande d’asile et l’attestation de son époux quant à ses absences de la maison ont miné la crédibilité de la demanderesse.

[10]  La demanderesse fait valoir que son témoignage était corroboré par sa preuve documentaire. Elle soutient que celle-ci était claire et précise et qu’il était déraisonnable pour la SAR de « minimiser » cette preuve en cherchant ce qu’elle ne dit pas. La demanderesse soutient également qu’il était inéquitable pour la SPR de lui reprocher de ne pas avoir fourni des relevés d’appels téléphoniques alors que la SPR aurait obtenu le consentement de la demanderesse pour qu’elle puisse elle-même les obtenir.

[11]  Contrairement aux prétentions de la demanderesse, il était raisonnable pour la SAR de juger que la preuve documentaire fournie au soutien de la demande était vague et générale et d’y accorder peu de force probante. L’attestation de l’époux ne fournit que peu de détails sur les circonstances précises de la persécution alléguée. Elle ne précise pas le genre ou la fréquence des menaces qu’il a reçues. Elle ne précise pas comment il vit sa clandestinité depuis le mois d’octobre 2015. Bien que l’époux affirme aller se cacher aux États-Unis, il ne fournit aucune autre information sur le sujet. Ensuite, l’attestation du fils de la demanderesse ne fait que répéter le récit de sa mère et soulève d’autres questions concernant la crédibilité du récit. Enfin, le candidat politique qui a signé une attestation après l’audience de la SPR donne très peu d’informations sur les activités politiques de l’époux de la demanderesse et il n’indique pas comment l’époux ou la demanderesse sont ciblés et menacés de mort. Il n’indique pas non plus la source de cette information.

[12]  Par ailleurs, la Cour estime mal fondés et présentés hors contexte les reproches de la demanderesse relativement aux relevés téléphoniques. Lors de l’audience devant la SPR, la demanderesse a affirmé avoir reçu deux (2) appels téléphoniques le 1er octobre 2016, un premier à « 7 heures le soir » et un deuxième à « 2 heures du matin ». Le commissaire de la SPR a alors demandé à la demanderesse s’il verrait les deux (2) appels en question ainsi que plusieurs appels avec son époux s’il obtenait les relevés des appels du téléphone cellulaire de la demanderesse. La demanderesse a indiqué qu’il s’agissait d’appels inconnus. Le commissaire a alors répondu à la demanderesse que l’on verrait quand même que des appels inconnus ont été logés « vers 7 heures le soir, vers 2 heures le matin et entre-temps, avec votre mari » et que même si la demanderesse n’a plus le téléphone, la compagnie de téléphone est en mesure de fournir cette information. Doutant des réponses de la demanderesse, le commissaire a demandé à la demanderesse si elle donnerait son autorisation au gouvernement du Canada de vérifier ses relevés téléphoniques, ce à quoi la demanderesse a répondu oui. Le commissaire lui a alors demandé le numéro de téléphone qu’elle utilisait et la compagnie avec laquelle elle faisait affaire. La demanderesse lui a répondu qu’elle ne s’en rappelait plus. À la fin de l’audience, le commissaire a exprimé des préoccupations au sujet de la crédibilité de la demanderesse. Plutôt que rejeter la demande, il a ajourné le dossier pour une période d’environ quatre (4) mois afin de permettre à la demanderesse de recueillir des éléments de preuve en Haïti qui pourraient corroborer ses allégations concernant les activités et le profil de son époux. Il a aussi demandé à la demanderesse d’obtenir des renseignements plus détaillés, y compris les relevés téléphoniques de la demanderesse et de son époux. À la lumière des échanges qui ont eu lieu devant la SPR, et plus particulièrement à la fin de l’audience, la demanderesse ne peut prétendre qu’elle avait une « attente légitime » que la SPR obtiendrait de son propre chef les relevés d’appels téléphoniques. Au contraire, la SPR voulait permettre à la demanderesse de corroborer son témoignage. L’obtention des relevés d’appels téléphoniques aurait permis à la demanderesse de démontrer que les appels allégués ont bel et bien eu lieu.

[13]  Enfin, la demanderesse reproche à la SAR ainsi qu’à la SPR de lui avoir imposé un fardeau de preuve plus élevé que celui prévu à l’article 96 de la LIPR, soit celui d’une preuve hors de tout doute raisonnable. Ses circonstances personnelles étaient claires et le contexte d’Haïti permet de croire ses allégations. À cet égard, elle s’appuie notamment sur de la preuve objective documentaire démontrant les affrontements violents entre les partisans des différents partis politiques. Elle soutient que la question que devait se poser le tribunal était celle de savoir si dans le contexte d’Haïti, une femme dont l’époux est impliqué en politique et qui a reçu des appels anonymes la menaçant de mort éprouverait une crainte raisonnable pour sa vie et sa dignité.

[14]  Cet argument est également sans fondement. La SAR, tout comme la SPR, n’a pas imposé un fardeau de preuve plus lourd à la demanderesse. C’est plutôt la demanderesse qui n’a pas été en mesure d’établir de manière crédible qu’elle était personnellement ciblée ou menacée en raison des opinions politiques de son époux ou des siennes. Elle n’a pas non plus démontré que son profil particulier de femme en Haïti l’exposait à un risque prospectif. D’ailleurs, lors de l’audience, la demanderesse a déclaré qu’outre les allégations peu crédibles de difficultés en raison des activités politiques de son époux, elle n’était pas en danger pour aucune autre raison en Haïti.

[15]  Le dossier démontre que la conclusion de la SAR est basée sur une évaluation globale de la preuve, prenant en compte l’ensemble des arguments de la demanderesse. La SAR pouvait raisonnablement conclure que les allégations de la demanderesse n’étaient pas crédibles et que la preuve documentaire soumise ne permettait pas non plus de corroborer ses allégations.

[16]  Il importe de rappeler que les conclusions relatives à la crédibilité d’un demandeur d’asile et de l’évaluation de la preuve commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR et celles de la SPR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui serait favorable à la demanderesse (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[17]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-4966-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4966-19

INTITULÉ :

FRANCCES CHARLES CALCE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence À ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 juin 2020

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 19 juin 2020

COMPARUTIONS :

François Kasenda Kabemba

Pour lA DEMANDERESSE

Charles Maher

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

François K. Law Office

Avocat

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.