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Date : 20200625


Dossier : IMM-4584-19

Référence : 2020 CF 726

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2020

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

FAYZAN IBRAHIM MOTALA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, porte sur la décision du 15 juillet 2019 par laquelle un agent d’immigration a refusé la demande de permis d’études du demandeur.

[2]  À la clôture de l’audience, j’ai informé les parties que j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire. Voici les motifs de ma décision.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, Fayzan Ibrahim Motala, est un citoyen de l’Inde âgé de 16 ans. Il a été admis à l’école secondaire Pine Ridge dans la municipalité régionale de Durham, en Ontario, pour l’année scolaire débutant en septembre 2019. Son père a acquitté les frais de scolarité de 14 800 $ et s’est engagé à débourser 10 000 $ pour la nourriture et l’hébergement de son fils. Le demandeur a indiqué, dans sa déclaration d’intention, qu’il résiderait chez sa tante qui habitait dans la région, laquelle, dans les faits, serait sa gardienne.

[4]  Le demandeur a présenté une première demande de visa d’étudiant le 21 novembre 2018. Un agent d’immigration l’a refusée le 10 décembre 2018 parce qu’il n’était pas convaincu, d’une part, que l’objectif d’études était raisonnable et, d’autre part, que le demandeur quitterait le Canada au terme de son séjour autorisé. Le demandeur a présenté une seconde demande de permis d’études le 27 mai 2019.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[5]  Dans sa décision du 15 juillet 2019, l’agent d’immigration a indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de ses études, vu le motif de son séjour. Il a aussi indiqué que les études projetées n’étaient pas raisonnables, compte tenu du degré d’établissement du demandeur au Canada, de ses compétences linguistiques et de ses moyens financiers. En fin de compte, l’agent doutait que le demandeur soit un véritable étudiant.

[6]  Dans les notes qu’il a versées au Système mondial de gestion des cas, lesquelles font partie de la décision contestée, l’agent d’immigration a fourni la brève justification suivante :

[traduction] J’ai examiné la documentation fournie à l’appui de la demande de permis d’études. Voici le résumé de mes principales conclusions. Le demandeur souhaite fréquenter une école secondaire au Canada. Je doute cependant que son but de faire des études secondaires au Canada soit raisonnable, compte tenu des frais de scolarité élevés pour un étudiant international au Canada, de la possibilité de faire des études semblables localement, et de sa situation personnelle, financière et familiale. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le demandeur serait un véritable étudiant qui quitterait le Canada d’ici la fin de son séjour autorisé. La demande est refusée.

IV.  Les questions en litige

[7]  Dans ses observations écrites, le demandeur a soulevé plusieurs points litigieux à l’égard de la décision contestée, notamment une erreur de droit et un manquement à l’équité procédurale. Lorsqu’il a été interrogé à l’audience, il a cependant reconnu que la seule question à trancher en l’espèce consiste à savoir si la décision de l’agent d’immigration était raisonnable.

V.  La norme de contrôle

[8]  Les parties soutiennent ceci, et je suis d’accord avec elles : lorsqu’il s’agit de l’examen des faits relatifs à une demande de permis d’études et des conclusions d’un agent d’immigration sur la question de savoir si l’étranger quittera le Canada au terme de son séjour, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 [Penez], au par. 12; Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690, aux par. 12 et 13). Par ailleurs, aucune des situations permettant de renverser la présomption selon laquelle les décisions administratives sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable n’est présente en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux par. 9 et 10.

[9]  Les agents d’immigration bénéficient d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner les demandes de permis d’études, et la Cour doit faire preuve d’un degré élevé de déférence lorsqu’elle examine leurs décisions en contrôle judiciaire : Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472, au par. 12.

[10]  Lorsque la Cour effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99).

VI.  Analyse

[11]  Je suis d’accord avec le demandeur en l’espèce : l’agent d’immigration a fait des déclarations non étayées et non conformes à la preuve.

[12]  Dans l’affaire Penez (précitée), au par. 18, la Cour a noté que « [la] norme de la décision raisonnable demande également que les constatations de faits et l’ensemble de la conclusion du décideur puissent résister à un examen quelque peu probant » et que « [l]à où les preuves n’ont pas été considérées ou ont été mal comprises, où les constatations ne découlent pas des preuves et où les résultats ne sont pas défendables, une décision ne résistera pas à un tel examen probant ».

[13]  Un agent des visas peut se fonder sur le bon sens et la raison dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, mais cela ne l’autorise pas à rester sourd à la preuve soumise et non contredite : Kavugho‑Mission c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 597, au par. 24. Certes, l’agent n’est pas tenu de fournir des motifs détaillés dans le cadre d’une demande de permis d’études, mais ceux-ci résisteront au contrôle judiciaire tant qu’ils sont suffisants pour expliquer pourquoi la demande a été rejetée : Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 [Yuzer], au par. 20.

[14]  En l’espèce, l’agent d’immigration n’a pas tenu compte de la documentation fournie à l’appui de la seconde demande de permis d’études pour pallier les lacunes de la première demande. Fait notable, l’agent n’a pas tenu compte de la preuve indiquant que le demandeur comptait sur son père pour financer ses études, ni des explications fournies par le demandeur pour motiver son intention d’étudier au Canada. Le demandeur souhaitait améliorer ses compétences linguistiques en anglais dans le but de pouvoir s’inscrire à l’université au Canada par la suite. La preuve indiquait que les compétences linguistiques du demandeur, évaluées au moyen d’un examen de l’IELTS, étaient suffisantes pour lui permettre d’étudier au niveau secondaire. Si l’agent avait des réserves quant à l’évaluation de l’IELTS, il était tenu d’expliquer pourquoi.

[15]  L’agent a indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour, compte tenu de sa situation personnelle, financière et familiale. Toutefois, il n’est pas évident de savoir ce que l’agent entendait par situation personnelle et familiale. En ce qui concerne la situation financière du demandeur, l’agent ne pouvait s’en tenir à une affirmation aussi générale et il était tenu de fournir des motifs précis, surtout compte tenu de la preuve contradictoire indiquant que le père du demandeur allait lui fournir un soutien financier pour son séjour au Canada. Le père du demandeur est propriétaire de biens immobiliers générant des revenus et il possède des fonds considérables dans un compte bancaire. Les frais de scolarité avaient été acquittés à l’avance et des arrangements avaient été faits pour que le demandeur réside chez sa tante. Des fonds suffisants avaient en outre été mis à la disposition du demandeur pour ses frais de subsistance.

[16]  L’agent a par ailleurs formulé un commentaire au sujet du coût élevé du programme d’études et de la possibilité pour le demandeur de suivre des cours à moindres frais localement. Des considérations similaires avaient été invoquées par un agent d’immigration dans l’affaire Yuzer (précitée). Dans cette affaire, la Cour a fait l’observation suivante, au par. 21 :

[…] Le problème que posent les motifs de l’agent est que le simple fait d’affirmer que [TRADUCTION] « des programmes et des cours semblables sont déjà offerts dans la région et à un prix nettement inférieur » ne me permet pas de décider s’il s’agit d’une conclusion de fait raisonnable ou non. Rien n’explique de quelle façon l’agent est arrivé à cette conclusion […] Bien que l’on s’attende à ce que je m’en remette aux connaissances et à l’expérience de l’agent, l’application de la norme de la décision raisonnable ne m’oblige pas à adhérer aveuglément à l’évaluation que fait l’agent […]

[17]  En l’espèce, rien n’explique les raisons qui ont amené l’agent à conclure que le coût du programme d’études était déraisonnable compte tenu de la situation du demandeur. La preuve n’indiquait aucunement que les frais de scolarité épuiseraient les économies du père du demandeur, contrairement à la situation dans l’affaire Onyeka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1067, une décision sur laquelle s’appuie le défendeur. Au contraire, la preuve indiquait que le père du demandeur avait des économies suffisantes et des placements immobiliers rentables, et qu’il était en mesure d’apporter un soutien financier à son fils pendant ses études au Canada. Il se peut que l’agent d’immigration ait estimé que le coût d’une année scolaire dans un établissement secondaire canadien soit déraisonnable pour un étudiant international, mais il s’agissait d’un choix que le demandeur était évidemment prêt à faire et d’un choix que son père était en mesure d’appuyer.

VII.  Conclusions

[18]  Il ne fait aucun doute selon moi que l’agent d’immigration n’a pas adéquatement tenu compte de la preuve dont il disposait. Ses motifs ne se conforment pas au cadre de la norme de la décision raisonnable établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Plus précisément, ses motifs ne permettent pas à la Cour de comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion : Vavilov, au par. 84.

[19]  En conséquence, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire et je renvoie l’affaire pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent d’immigration. Étant donné que l’année scolaire 2019‑2020 s’est terminée avant que la présente demande de contrôle judiciaire puisse être présentée et instruite – et ayant de toute façon été interrompue en raison de la pandémie mondiale –, le défendeur devra prendre tous les moyens raisonnables possibles pour réexaminer la demande de permis d’études avant le début de l’année scolaire 2020‑2021 dans la municipalité régionale de Durham.

[20]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale et je n’en certifie aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4584-19

LA COUR STATUE que :

1)  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un autre agent des visas.

2)  Le défendeur devra prendre tous les moyens raisonnables possibles pour réexaminer l’affaire avant le début de la prochaine année scolaire.

3)  Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de juillet 2020

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4584-19

INTITULÉ :

FAYZAN IBRAHIM MOTALA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONtario)

(par vidéoconférence)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 juin 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 25 juin 2020

COMPARUTIONS :

Donald Greenbaum

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Donald Greenbaum

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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