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Date : 20200408


Dossier : IMM‑2264‑19

Référence : 2020 CF 500

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

SHAOLING CAO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne la décision d’un agent principal de l’immigration (l’agent), datée du 1er mars 2019, dans laquelle l’agent a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par la demanderesse en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Pour les motifs qui suivent, la décision de l’agent est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

[3]  Mme Shaoling Cao (la demanderesse) est une citoyenne de la Chine. En août 2015, la demanderesse est entrée au Canada et a demandé l’asile parce qu’elle affirmait être une adepte du Falun Gong. En février 2016, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande, concluant que la demanderesse n’était pas crédible. En octobre 2016, la demanderesse ne s’est pas présentée à une entrevue avec l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et un mandat d’arrêt a été délivré contre elle. La demanderesse a été arrêtée le 12 décembre 2018 et a eu l’occasion de demander un ERAR, ce qu’elle a fait le 2 janvier 2019.

[4]  Dans sa demande d’ERAR, la demanderesse a présenté une demande sur place, alléguant qu’elle est maintenant menacée par des usuriers en Chine en raison des dettes de jeu de son père. Elle alléguait craindre que les usuriers ne lui fassent du mal pour menacer son père. La demanderesse a également affirmé qu’elle a fait une dépression en raison de ces craintes et de son arrestation par l’ASFC, après quoi elle a décidé de se convertir au christianisme le 23 décembre 2018.

[5]  Le 1er mars 2019, l’agent a rejeté la demande d’ERAR, concluant que la demanderesse n’était exposée à aucun risque au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État, puisque les éléments de preuve sur la situation dans le pays n’établissaient pas que les autorités chinoises ne pouvaient pas aider la demanderesse en ce qui concerne sa crainte présumée des usuriers. L’agent a conclu que la protection de l’État en Chine [traduction« continue d’être adéquate sur le plan opérationnel ». Selon l’agent, étant donné qu’une protection adéquate de l’État serait offerte, cette conclusion a été fatale aux allégations formulées par la demanderesse au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[6]  En ce qui concerne les allégations de dépression de la demanderesse, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve concernant les deux questions clés. Premièrement, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la demanderesse souffre actuellement de dépression. Deuxièmement, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré un manque d’options de traitement en Chine.

[7]  L’agent a également relevé des déclarations dans la demande d’ERAR qui mentionnent des menaces de la part des autorités sri‑lankaises. Après avoir examiné le dossier, l’agent a conclu que ces déclarations avaient probablement été incluses par erreur et ne concernaient pas la demanderesse. Néanmoins, comme la demanderesse avait inscrit [traduction« oui » et [traduction« Chine » en réponse à une question demandant si elle était recherchée par les autorités d’un pays, l’agent a examiné le dossier afin de trouver des éléments de preuve pertinents à l’appui de cette allégation. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas étayé sa réponse à cette question.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[8]  La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable et, en particulier :

  1. l’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation de la demande sur place de la demanderesse?

  2. l’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

  3. l’agent a‑t‑il commis une erreur en présumant que la demanderesse était recherchée par les autorités chinoises?

  4. l’agent a‑t‑il commis une erreur en écartant des documents présentés à l’appui de la demande ou en n’en tenant pas compte, sans les examiner ni fournir des motifs suffisants?

[9]  Avant la récente décision de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], la norme de caractère raisonnable s’appliquait à l’examen d’une décision d’un agent d’ERAR (Azzam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 549 (CanLII), au paragraphe 13). Il n’y a toutefois pas lieu de déroger à la norme de contrôle adoptée dans la jurisprudence, étant donné que l’application du cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Vavilov prévoit l’application de la même norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable.

[10]  Comme l’ont souligné les juges majoritaires dans l’arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). De plus, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

IV.  Analyse

[11]  La demanderesse allègue que l’agent a commis une erreur : (A) en évaluant de façon déraisonnable la demande sur place de la demanderesse en fonction de sa santé mentale, de sa foi chrétienne et de sa crainte présumée à l’égard d’usuriers; (B) en omettant d’évaluer le risque personnel de la demanderesse, en tirant une conclusion déguisée quant à la crédibilité et en omettant de tenir une audience dans le cadre de son analyse de la protection de l’État; C) en présumant que la demanderesse était recherchée par les autorités chinoises; et D) en écartant des documents présentés à l’appui de la demande ou en n’en tenant pas compte, sans les examiner ni fournir des motifs suffisants.

A.  Demande sur place

(1)  Santé mentale

[12]  La demanderesse allègue que l’agent a analysé sa santé mentale sous un mauvais angle. L’agent a conclu qu’elle n’avait pas démontré (i) qu’elle souffrait actuellement de dépression et (ii) qu’elle n’était pas en mesure d’obtenir un traitement en Chine. La demanderesse soutient que l’analyse aurait dû porter sur le risque potentiel associé à son état mental en tant qu’élément de risque. À l’appui de cet argument, la demanderesse cite Nagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 313 [Nagarasa], aux paragraphes 26 à 28, dans lesquels la Cour a soulevé des préoccupations concernant l’examen par un agent d’ERAR d’un demandeur qui avait tenté de se suicider et souffrait de dépression. La demanderesse souligne qu’elle ne prétend pas souffrir actuellement de dépression. En fait, elle prétend avoir déjà souffert de dépression, alors qu’elle était en Chine, en raison des activités de jeu de son père, et craindre que son renvoi en Chine ne déclenche cette dépression.

[13]  La demanderesse soutient également qu’il est probable que sa santé mentale se détériore en raison du stress causé par le renvoi. Elle soutient que l’agent aurait dû tenir compte de la différence entre le préjudice causé par le renvoi et les traitements offerts en Chine (Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1269 (CanLII) [Shah]). Lorsqu’un agent est confronté à des éléments de preuve lui permettant de penser que le renvoi lui‑même créait un risque de suicide, l’agent doit « se demander si faire subir une telle épreuve à la demanderesse en la renvoyant, avec les risques de suicide associés à un tel renvoi, l’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » (Shah, au par. 58).

[14]  Au début, le défendeur fait remarquer que l’argument écrit de la demanderesse mentionne à tort à plusieurs endroits l’expression [traduction« préjudice irréparable », ce qui n’est pas le critère que doit appliquer l’agent qui apprécie le risque au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[15]  Le défendeur soutient que la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir les risques qu’elle allègue. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle souffrait actuellement de dépression. Le défendeur soutient que cette conclusion était raisonnable en raison du manque d’éléments de preuve.

[16]  Le seul élément de preuve objectif était un certificat daté de février 2015 d’un médecin en Chine. L’agent a fait remarquer que ce document constituait un diagnostic préliminaire de [traduction« brève dépression récurrente », et que le médecin avait recommandé à la demanderesse de se reposer et de ne pas se surmener. Le défendeur soutient que la date et le contenu de ce document, ainsi que l’absence d’éléments de preuve établissant que la demanderesse n’a jamais cherché à obtenir un autre traitement en Chine ou au Canada, ont permis à l’agent de conclure de façon raisonnable que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve indiquant qu’elle souffrait actuellement de dépression.

[17]  Le défendeur soutient également que la décision Nagarasa n’est d’aucun secours pour la demanderesse parce que, dans cette affaire, les préoccupations de la Cour concernaient principalement la sensibilité de l’agent aux questions de santé mentale. En fait, pour déclencher l’application des articles 96 et 97 de la LIPR, le défendeur soutient qu’un demandeur devrait démontrer qu’il ne serait pas en mesure de recevoir des soins médicaux en raison d’un motif reconnu par la Convention ou d’un ciblage précis.

[18]  Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement examiné si la demanderesse pouvait obtenir un traitement en Chine. L’agent n’a identifié aucun élément de preuve laissant entendre le contraire; en fait, le certificat de diagnostic présenté par la demanderesse démontre qu’elle a pu obtenir une aide médicale lorsqu’elle a souffert de dépression. Pour ces motifs, le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agent de conclure que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir un traitement en Chine.

[19]  À mon avis, l’agent a examiné de façon raisonnable l’allégation de la demanderesse selon laquelle son renvoi en Chine déclencherait sa dépression, et a analysé la question de savoir si la demanderesse pouvait obtenir un traitement en Chine. Je ne suis pas convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a indûment mis l’accent sur sa santé mentale actuelle ou passée, sans tenir compte du risque associé à un éventuel renvoi en Chine. L’agent n’a relevé que peu d’éléments de preuve indiquant que la demanderesse se verrait refuser un traitement ou des soins pour des motifs reconnus par la Convention. L’agent a également fait remarquer, et je suis d’accord, que le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR exclut les conclusions portant sur le risque qui sont fondées sur l’incapacité d’un pays à fournir des soins médicaux ou de santé.

[20]  En outre, la décision Nagarasa n’est d’aucun secours pour la demanderesse, car on peut faire une distinction entre les faits dans la décision Nagarasa et ceux de la présente affaire. Dans la décision Nagarasa, une question clé concernait l’examen par un agent d’ERAR de la dépression et de la tentative de suicide du demandeur. L’agent avait conclu que [traduction« le risque d’automutilation ou de suicide est hypothétique et peut être contrôlé par les actes du demandeur », mais la Cour a conclu qu’il s’agissait d’une conclusion déraisonnable, car l’automutilation ou le suicide « ne sont pas “contrôlables” par une personne qui songe à s’enlever la vie » (Nagarasa, aux par. 26 à 28). Par contre, l’agent n’a tiré aucune conclusion de ce genre en l’espèce. En fait, l’agent a examiné la question de savoir si la demanderesse pourrait obtenir un traitement lié à la santé mentale en Chine, dans l’éventualité où elle en aurait besoin, et il n’a raisonnablement relevé aucun élément de preuve indiquant qu’elle ne pourrait pas en obtenir un.

(2)  Christianisme

[21]  La demanderesse soutient que l’agent a reconnu sa foi, mais qu’il n’a pas pris en compte le risque potentiel de sa foi chrétienne si elle était renvoyée en Chine. Bien que la demande d’ERAR de la demanderesse ne mentionne pas explicitement un risque de persécution fondé sur sa foi chrétienne, elle affirme qu’elle a préparé ses observations en vue de l’ERAR en se représentant elle‑même. À son avis, cela signifie que l’agent était davantage tenu d’analyser tous les renseignements et facteurs de risque contenus dans la demande de la demanderesse. À l’appui de cet argument, la demande cite la décision rendue par la Cour dans Kovac c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 497 (CanLII), au paragraphe 6.

[22]  Étant donné que l’agent a accepté sa foi chrétienne, la demanderesse soutient que son risque de persécution était [traduction« évident » et [traduction« facile à établir » au regard des éléments de preuve documentaires. À l’appui de son allégation de persécution, la demanderesse cite plusieurs éléments de preuve sur la situation dans le pays qui font état de persécution contre des groupes religieux et, en particulier, de pratiques abusives contre des communautés chrétiennes en Chine. La demanderesse soutient que l’agent a n’a pas tenu compte de la question clé de savoir si elle pourrait pratiquer librement sa religion une fois renvoyée en Chine. En d’autres termes, l’agent n’a pas tenu compte du préjudice que la demanderesse subirait en raison de sa religion si elle était renvoyée en Chine.

[23]  Le défendeur soutient que l’agent n’avait pas à tenir compte des risques auxquels la demanderesse pourrait être exposée en tant que chrétienne en Chine parce que, dans sa demande d’ERAR, il n’était pas allégué qu’elle était exposée à un tel risque. Il incombait à la demanderesse d’exposer ses risques allégués et de fournir des éléments de preuve établissant qu’elle serait exposée à ces risques. Selon le défendeur, bien que la demanderesse ait fourni des éléments de preuve laissant entendre qu’elle avait commencé à fréquenter une église environ trois semaines avant de déposer ses documents en vue de l’ERAR, elle n’a présenté aucune observation laissant entendre (1) qu’elle craignait de pratiquer le christianisme en Chine, (2) qu’elle avait l’intention de continuer à pratiquer le christianisme en Chine, (3) qu’elle avait l’intention de continuer à fréquenter une église, ou (4) qu’elle serait incapable de pratiquer sa foi dans une église parrainée par l’État en Chine. La demanderesse n’a tout simplement fourni aucun fondement sur lequel pouvait s’appuyer l’agent pour conclure que la demanderesse serait persécutée en Chine. Elle a seulement déclaré qu’elle avait récemment commencé à fréquenter une église au Canada.

[24]  Bien que la demanderesse allègue que, à eux seuls, les éléments de preuve sur la situation dans le pays auraient dû suffire à établir son risque de persécution, le défendeur soutient que la situation dans le pays doit être liée à la situation de la demanderesse pour établir un risque personnel. La Cour a déjà fait remarquer que « le fait que la preuve documentaire montre que l’état des droits de la personne est préoccupant dans un pays donné ne signifie pas pour autant qu’une certaine personne y sera exposée à un risque » (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1225 (CanLII) [Li], aux par. 26 et 27; Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808 (CanLII); Rahim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 18 (CanLII)). Dans Li, la demanderesse alléguait que le risque était lié à sa pratique du Falun Gong et du christianisme, mais la Cour a confirmé la décision d’ERAR, notamment parce que le demandeur n’avait pas fourni des éléments de preuve convaincants établissant qu’il serait exposé à un risque en Chine en tant que chrétien.

[25]  De plus, le défendeur fait remarquer que les documents sur la situation en Chine n’établissent pas que tous les chrétiens sont exposés à un risque. Selon le Home Office du Royaume‑Uni, le traitement réservé aux chrétiens en Chine [traduction« est peu susceptible de constituer de la persécution ». Par conséquent, le défendeur soutient que les documents sur la situation dans le pays sont insuffisants. Il incombait à la demanderesse de présenter des éléments de preuve à l’appui des risques allégués, et il était loisible à l’agent de conclure qu’elle ne s’était pas acquittée de ce fardeau.

[26]  À mon avis, la demanderesse n’a pas respecté son obligation, car elle n’a pas fourni un fondement sur lequel pouvait s’appuyer l’agent pour déterminer si elle serait exposée à un risque en Chine en tant que chrétienne. Il était raisonnable pour l’agent de rejeter la demande d’ERAR sans tenir compte de ce risque.

[27]  Il est bien établi qu’il incombe aux demandeurs de faire valoir leurs allégations de risque et que, « [s]i la preuve est insuffisante, le demandeur doit en supporter les conséquences et l’agent n’a aucune obligation de l’en aviser » (Lupsa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 311 (CanLII), aux par. 12 et 13; Perampalam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 909 (CanLII), au par. 17). L’agent ne disposait que de renseignements de base sur la récente conversion de la demanderesse au christianisme.

[28]  Je fais remarquer qu’il incombe aux agents d’ERAR de « prendre en compte les motifs de risques qui ressortent manifestement du dossier, même s’ils n’ont pas été soulevés par le demandeur » (Jama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 668 (CanLII) [Jama], au par. 19; Pastrana Viafara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1526 (CanLII) [Viafara], aux par. 6 et 7). L’agent a reconnu que la demanderesse allègue s’être convertie au christianisme, mais, comme l’a soutenu le défendeur, cette allégation ne crée pas un motif de risque [traduction« évident au regard du dossier ».

[29]  À cette fin, il existe des lacunes dans la preuve qui rendent le motif de risque lié au christianisme suffisamment opaque. Premièrement, l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve indiquant que la demanderesse craignait de pratiquer le christianisme en Chine ou qu’elle avait même l’intention de continuer à pratiquer le christianisme en Chine. Deuxièmement, contrairement aux arguments de la demanderesse, les éléments de preuve sur la situation dans le pays n’ont pas établi de façon concluante que les chrétiens sont persécutés en Chine.

[30]  En ce sens, la présente affaire peut être distinguée de Jama et de Viafara. Dans ces affaires, les profils des demandeurs correspondent à un « motif de risque alarmant » qui est reflété dans les éléments de preuve sur la situation dans le pays (Jama, au par. 24). Dans Jama, le demandeur était « un jeune homme que l’on voulait renvoyer dans un territoire contrôlé par Al‑Shabaab [...] après avoir passé de nombreuses années en Occident », tandis que, dans Viafara, la demanderesse était « la conjointe de fait [d’un] ancien conscrit de l’armée » en Colombie, un groupe fréquemment visé par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Dans les deux affaires, le profil du demandeur correspondait à un motif de risque qui ressortait clairement des éléments de preuve sur la situation dans le pays. Par contre, en l’espèce, la persécution des chrétiens ne ressort pas du tout des éléments de preuve sur la situation dans le pays.

[31]  Par conséquent, je conclus que l’agent n’a commis aucune erreur en ne tenant pas compte du risque auquel la demanderesse pourrait être exposée en Chine en tant que chrétienne. La demanderesse n’a pas soulevé les allégations et les éléments de preuve nécessaires pour analyser l’existence d’un tel risque.

(3)  Crainte alléguée à l’égard d’usuriers

[32]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve documentaires concernant sa crainte alléguée à l’égard d’usuriers, et que l’agent n’a pas analysé cette allégation formulée au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. Plus précisément, elle fait remarquer que, dans le cadre de l’analyse effectuée au titre du paragraphe 97(1), « il faut procéder à un examen personnalisé » (Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31 (CanLII), au par, 7). La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte du risque accru auquel serait exposée la demanderesse et auquel les membres du grand public de la Chine ne sont pas confrontés. Elle soutient que, si l’agent a accepté que la demanderesse soit véritablement menacée par des usuriers, cela permet de conclure qu’elle craint d’être persécutée et serait exposée à une menace à sa vie.

[33]  À mon avis, la demanderesse a mal interprété les conclusions de l’agent. En effet, l’agent a analysé la crainte alléguée de la demanderesse, au titre de l’article 97 de la LIPR, à l’égard des usuriers La principale conclusion de l’agent ne portait pas sur l’existence d’un risque, mais plutôt sur la protection de l’État. La principale conclusion de l’agent est rédigée comme suit :

[traduction]

Puisque je conclus que la demanderesse peut se réclamer d’une protection adéquate de l’État en Chine, je fais remarquer que cette conclusion est fatale aux allégations formulées par la demanderesse au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[34]  Comme le fait remarquer l’agent, une conclusion selon laquelle la protection de l’État est adéquate « empêche le statut de réfugié » (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 367 (CanLII), au par. 18; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Foster, 2016 CF 130 (CanLII), au par. 25; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Neubauer, 2015 CF 260 (CanLII), au par. 23).

[35]  Par conséquent, je conclus que les motifs invoqués par l’agent à l’égard de cette question sont raisonnables.

B.  Protection de l’État

[36]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve sur la situation dans le pays, en tirant une conclusion déguisée quant à la crédibilité et en omettant de tenir une audience.

[37]  La demanderesse invoque des éléments de preuve sur la situation dans le pays qui, selon elle, montrent que les victimes d’usuriers ne peuvent pas se prévaloir de la protection de l’État. Elle souligne l’extrait suivant :

[traduction]

Il y a peu de renseignements sur la protection, ou l’absence de protection, de la police contre la violence perpétrée par des usuriers. Les prêts à l’amiable sont très répandus en Chine, y compris à Fujian, et, « en règle générale, le gouvernement ferme les yeux sur le financement illicite ».

[38]  La demanderesse allègue également que l’agent a tiré une conclusion déguisée quant à la crédibilité et qu’il ne lui a pas offert la possibilité de répondre aux préoccupations concernant la protection de l’État en tenant une audience. Elle soutient que, en l’espèce, une audience était requise au titre de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR).

[39]  La demanderesse soutient que, [traduction« parce que [l’agent] n’était saisi d’aucune preuve » au sujet de la protection de l’État, il incombait à l’agent de tenir une audience. Elle soutient que l’agent a commis une erreur en concluant à l’existence d’une protection adéquate de l’État sans pleinement examiner ou tenir compte de la question de savoir (i) si la demanderesse pourrait, véritablement et de façon durable, se prévaloir de cette protection, ou (ii) s’il existait des éléments de preuve indiquant que la Chine offrait cette protection aux personnes qui se trouvent dans la situation de la demanderesse.

[40]  Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. Le défendeur mentionne la présomption générale selon laquelle un État est en mesure de protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward]). Le défendeur soutient également que, plus particulièrement en l’espèce, il est bien établi qu’il incombe à la demanderesse fournir des éléments de preuve clairs et convaincants établissant que l’État lui offrirait une protection inadéquate si elle voulait s’en prévaloir (Ward; Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 (CanLII), aux par. 18 et 19; Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 762 (CanLII), au par. 10).

[41]  Le défendeur soutient que l’agent a examiné les éléments de preuve sur la situation dans le pays en ce qui concerne la protection de l’État contre les usuriers, et a conclu que la Chine avait une présence policière étendue et qu’il y avait peu d’éléments de preuve permettant de savoir si la police offrait une protection aux personnes victimes de violence de la part d’usuriers. Il incombe à la demanderesse de fournir des éléments de preuve supplémentaires [traduction« clairs et convaincants » indiquant que la police ne serait pas en mesure ou ne serait pas disposée à l’aider.

[42]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la demanderesse n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État. La demanderesse semble avoir mal compris l’obligation à laquelle elle était tenue dans le cadre de l’analyse de la protection de l’État, en particulier lorsqu’elle a affirmé que l’agent avait commis une erreur en n’évaluant pas la question de savoir [traduction« s’il y a des éléments de preuve indiquant que la Chine offre une telle protection aux personnes dans la situation de la demanderesse ». La présomption de protection de l’État exige que la demanderesse, et non l’agent, présente ces éléments de preuve.

[43]  Bien que la demanderesse ait soutenu que les documents sur la situation dans le pays n’étayaient pas l’existence d’une protection adéquate de l’État, je conclus que les éléments de preuve qu’elle cite sont peu concluants et vagues.

[44]  J’ai de la difficulté à comprendre l’argument de la demanderesse concernant la conclusion déguisée quant à la crédibilité et la nécessité d’une audience. La demanderesse ne définit pas la conclusion déguisée quant à la crédibilité, et elle n’explique pas comment les facteurs à l’appui d’une audience, qui sont prescrits à l’article 167 du RIPR, s’appliquent en l’espèce.

[45]  Pour les motifs susmentionnés, les conclusions de l’agent concernant la protection de l’État sont raisonnables.

C.  Présomption selon laquelle la demanderesse était recherchée par les autorités chinoises

[46]  Dans sa décision, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle est ou qu’elle était recherchée par la police, l’armée ou d’autres autorités en Chine. La demanderesse soutient que l’agent n’aurait pas dû examiner la question de savoir si le dossier contenait des éléments de preuve indiquant que les autorités chinoises avaient délivré des mandats ou des assignations contre elle. La demanderesse allègue qu’elle n’a pas laissé entendre que les autorités chinoises avaient délivré une assignation ou un mandat contre elle, de sorte que la raison pour laquelle l’agent a analysé cette question n’est pas claire. La demanderesse prétend que cette analyse est inappropriée et qu’elle a vicié l’évaluation de son risque par l’agent; elle a donc rendu la décision déraisonnable.

[47]  Le défendeur soutient qu’aucune erreur de cette nature n’a été commise. Dans sa demande d’ERAR, la demanderesse a indiqué qu’elle était recherchée par la police ou l’armée en Chine. Compte tenu de cette allégation formulée dans la demande, l’analyse de l’agent était tout à fait appropriée, et la demanderesse ne peut pas reprocher à l’agent d’avoir répondu à une allégation qu’elle a elle‑même formulée dans sa demande.

[48]  Je suis du même avis que le défendeur. Comme le fait remarquer l’agent, la demanderesse a rempli sa demande d’ERAR en cochant [traduction« Oui » à la question de savoir si elle était recherchée par les autorités d’un État, et elle a désigné la Chine comme étant l’État en cause. Toutefois, juste après, dans le formulaire, elle a inclus d’autres déclarations concernant le Sri Lanka. À mon avis, ces renvois au Sri Lanka sont des erreurs d’écriture, car je ne vois rien dans le dossier concernant un risque au Sri Lanka, sans parler de voyages au Sri Lanka. Néanmoins, l’agent a traité le reste des réponses de la demanderesse comme des réponses appropriées et a conclu que la demande n’était pas étayée par le dossier. La demanderesse ne peut pas reprocher à l’agent d’avoir analysé les allégations formulées dans ses propres documents. J’estime que l’analyse de l’agent était raisonnable.

D.  Documents à l’appui

[49]  La demanderesse prétend que l’agent n’a pas tenu compte de façon sélective de certains éléments de preuve cruciaux qui étaient directement liés aux risques allégués, et soutient que les motifs de l’agent sont déraisonnables. Selon la demanderesse, l’approche de l’agent est abusive et témoigne d’un mépris total à l’égard des éléments de preuve.

[50]  Premièrement, en ce qui concerne sa santé mentale, la demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte de son affidavit et des déclarations personnelles de membres de sa famille. Deuxièmement, en ce qui concerne la protection de l’État, la demanderesse prétend que l’agent n’a pas tenu compte des déclarations personnelles de membres de sa famille qui indiquaient que la demanderesse ne pourrait pas se prévaloir de la protection de l’État. Troisièmement, en ce qui concerne sa conversion au christianisme, la demanderesse soutient que l’agent a analysé les éléments de preuve documentaires, mais qu’il n’a pas analysé le risque de persécution si elle était renvoyée en Chine en tant que chrétienne.

[51]  Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement tenu compte de l’affidavit de la demanderesse et des lettres de membres de sa famille. Le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agent de conclure que ces éléments de preuve étaient insuffisants pour établir son état de santé mentale, notamment parce que la demanderesse et sa famille ne sont pas des professionnels de la santé, de sorte que leurs opinions sur sa santé mentale ont très peu de poids. De plus, les déclarations de membres de sa famille ne contiennent que de brefs commentaires sur les cas antérieurs de dépression de la demanderesse, ainsi que sur la possibilité d’une éventuelle dépression. Selon les observations du défendeur, l’agent a de façon raisonnable estimé que cette preuve était insuffisante pour démontrer que la demanderesse souffre actuellement de dépression.

[52]  À mon avis, l’agent a dûment examiné la preuve et les documents à l’appui. Il est bien établi que, même s’il ne mentionne pas chaque élément de preuve dans ses motifs, un agent est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 946 (CAF); Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245 (CanLII), au par. 20).

[53]  Les motifs de l’agent montrent que ces documents ont été examinés, mais qu’ils ont été jugés insuffisants parce qu’ils n’ont pas permis de remédier aux lacunes dans la preuve qui ont été relevées dans les motifs de l’agent. Par exemple, les documents ne laissaient pas entendre que la demanderesse ne serait pas en mesure de recevoir un traitement lié à la santé mentale en Chine. Ils ne laissaient pas non plus entendre que la protection de l’État était inadéquate.

[54]  L’agent a raisonnablement évalué la preuve et a conclu que les documents à l’appui ne suffisaient pas à étayer les allégations de la demanderesse.

V.  Question certifiée

[55]  Les avocats des deux parties ont été invités à proposer des questions aux fins de certification. Ils ont chacun déclaré qu’il n’y avait aucune question à soumettre aux fins de certification et j’en conviens.

VI.  Conclusion

[56]  Pour les motifs qui précèdent, la décision de l’agent est raisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2264‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de juin 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2264‑19

INTITULÉ :

SHAOLING CAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 8 avril 2020

COMPARUTIONS :

Subuhi Siddiqui

POUR LA DEMANDERESSE

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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