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                                                                                                                                  Date: 20010418

                                                                                                                            Dossier: T-1608-97

                                                                                                    Référence neutre: 2001 CFPI 340

Ottawa (Ontario), le 8e jour d'avril 2001

EN PRÉSENCE DU JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE:

                                                   CARICLINE VENTURES LTD.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                                   ZZTY HOLDINGS LIMITED et

                                                              AZIM ZONE INC.

                                                                                                                                    défenderesses

                                                                                                                            Dossier: T-1609-97

ET ENTRE:

                                                   CARICLINE VENTURES LTD.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                                   FARSIDE CLOTHING LTD. et

                                FARSIDE SKATEBOARDS & SNOWBOARDS LTD.

                                                                                                                                    défenderesses


                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]         Le troisième jour de l'instruction, les défenderesses ont présenté, au cours de l'interrogatoire principal de Hafis Devji, des éléments de preuve portant sur des communications entre le témoin et Norman Bishop, du cabinet Bishop & McKenzie, au sujet de la demande d'enregistrement de la marque de commerce « Farside » et d'autres marques. Bishop & McKenzie ont déposé la demande d'enregistrement de la marque « Farside » au mois de juillet 1998, au nom de 575726 Alberta Ltd. ( la société à numéro ).

[2]         Lorsque Hafis Devji a été questionné en contre-interrogatoire au sujet de la connaissance que M. Bishop avait des présentes actions lorsqu'il s'est occupé de la demande d'enregistrement de la marque « Farside » , les défenderesses ont élevé une objection en invoquant un privilège. En effet, Bishop & McKenzie agissent comme procureurs pour toutes les défenderesses dans le présent litige.

[3]         Le seul document relatif à la demande d'enregistrement de la marque « Farside » que les défenderesses avaient produit avant le témoignage de M. Devji était la demande modifiée datée du 22 octobre 1998.


[4]         Par suite du témoignage de M. Devji, la demanderesse a, le 1 février 2001, demandé le dépôt de tout le dossier des défenderesses relatif à la demande d'enregistrement de la marque « Farside » ainsi que les dossiers se rapportant aux autres demandes d'enregistrement de marques de commerce présentées par les défenderesses et par la société à numéro.

[5]         Les défenderesses ont reconnu qu'il y avait eu renonciation au privilège, et l'instruction a été suspendue pendant environ une heure, pour permettre aux défenderesses de localiser et de déposer, à l'intention de l'avocat de la demanderesse, un dossier intitulé « Bishop & McKenzie File for client 575726 Alberta Ltd. » se rapportant aux objets : [TRADUCTION] « marque de commerce » et « Farside » .

[6]         Peu de temps après, l'avocat des défenderesses a repris le dossier en affirmant qu'elles voulaient en retirer les documents se rapportant au litige, lesqules avaient été déposés par inadvertance. La demanderesse n'a pas fait valoir que le dépôt involontaire des documents supplémentaires constituait une renonciation au privilège.

[7]         L'avocate des défenderesses a informé la Cour que Bishop & McKenzie avait constitué un seul dossier concernant la demande d'enregistrement de la marque « Farside » et le présent litige, et qu'avant la communication du dossier à la demanderesse, elle en avait retiré des documents qui ne se rapportaient pas à la demande d'enregistrement de marque de commerce.

[8]         Les parties ont reconnu qu'aucun affidavit de documents n'avait été produit relativement aux documents retirés.


[9]         Les questions en litige

1. Quelle est la portée de la renonciation des défenderesses au privilège? Autrement dit, les défenderesses ont-elles renoncé à leur privilège relativement aux dossiers concernant les demandes d'enregistrement de marque de commerce autres que la marque « Farside » faites par elles ou par la société à numéro?

2. En combinant dans un seul dossier des documents se rapportant au litige et à la demande d'enregistrement de la marque de commerce « Farside » , les défenderesses ont-elles renoncé au privilège relativement à la totalité du contenu du dossier?

3. Si la renonciation ne couvre pas la totalité du dossier combiné, comment les défenderesses doivent-elles procéder au dépôt du dossier pour que la demanderesse puisse évaluer si elles ont bien déposé tous les documents qu'il fallait?

[10]       Première question

Quelle est la portée de la renonciation des défenderesses au privilège? Autrement dit, les défenderesses ont-elles renoncé à leur privilège relativement aux dossiers concernant les demandes d'enregistrement de marque de commerce autres que la marque « Farside » faites par elles ou par la société à numéro?


Au cours de l'instruction, le témoin des défenderesses a, pour clarifier un point, déposé sur des sujets qui auraient autrement été couverts par le privilège. Son témoignage avait trait à la demande d'enregistrement de la marque « Farside » . Or les défenderesses avaient fait d'autres demandes d'enregistrement de marque de commerce, et la demanderesse soutient que ces dernières ont renoncé à leur privilège à l'égard de toutes les demandes d'enregistrement. Je ne partage pas cet avis. Il n'y a eu renonciation au privilège qu'à l'égard de la demande d'enregistrement relative à la marque « Farside » .

[11]       Le privilège relatif aux communications entre un avocat et son client est un élément capital de notre système accusatoire et, en l'espèce, on ne devrait considérer qu'il y a eu renonciation que dans la mesure nécessaire pour que la demanderesse soit traitée équitablement. Les parties conviennent qu'il y a eu renonciation en ce qui concerne le dossier « Farside » . Il ne serait pas indiqué de conclure que les défenderesses ont renoncé au privilège à l'égard d'autres dossiers de demande d'enregistrement de marque de commerce sans rapport avec ce dernier, alors que la renonciation ne porte que sur le privilège afférent au dossier « Farside » . Comme le juge Cory l'a fait observer dans l'arrêt Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, aux p. 474 à 476 :

Les clients qui consultent un avocat doivent pouvoir s'exprimer en toute liberté avec la certitude que ce qu'ils disent ne sera pas divulgué sans leur consentement. Il ne faut pas oublier que le privilège appartient au client et non à l'avocat. Le privilège est essentiel si l'on veut que des avis juridiques judicieux soient donnés dans tous les domaines. Il revêt une grande importance dans presque chaque cas où un avis juridique est sollicité, qu'il s'agisse d'opérations commerciales, de relations familiales, de litiges civils ou d'accusations criminelles. Les secrets de famille, les secrets d'entreprise, les faiblesses et les étourderies doivent parfois être révélés par le client à l'avocat. Sans ce privilège, les clients ne pourraient parler avec franchise à leurs avocats ni leur communiquer l'ensemble des renseignements qu'ils doivent connaître pour conseiller judicieusement leurs clients. Il s'agit d'un élément qui constitue une partie extrêmement importante du fonctionnement du système judiciaire. C'est en raison de l'importance cruciale de ce privilège qu'il incombe à juste titre à ceux qui désirent l'écarter de justifier une mesure d'une telle gravité.

Comme le juge en chef Lamer l'a dit dans l'arrêt R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, à la p. 289:

La protection à première vue des communications entre l'avocat et son client est fondée sur le fait que les rapports et les communications entre l'avocat et son client sont essentiels au bon fonctionnement du système juridique. Pareilles communications sont inextricablement liées au système même qui veut que la communication soit divulguée.


Au départ, le secret professionnel de l'avocat n'était qu'une règle de preuve, qui protégeait les communications uniquement dans la mesure où l'avocat ne pouvait être contraint à témoigner. Il s'agit maintenant d'une règle de fond. Comme le juge Dickson (plus tard Juge en chef) l'a écrit dans Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, à la p. 836: « Une jurisprudence récente a placé la doctrine traditionnelle du privilège sur un plan nouveau. Le privilège n'est plus considéré seulement comme une règle de preuve qui fait fonction d'écran pour empêcher que des documents privilégiés ne soient produits en preuve dans une salle d'audience » .

Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a mis en lumière cet énoncé dans Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, à la p. 875, lorsqu'il s'est penché sur la teneur de cette règle de fond:

De toute évidence la Cour, dans [Solosky] appliquait une norme qui n'a rien à voir avec la règle de preuve, le privilège, puisqu'en rien n'y était-il question de témoignages devant un tribunal quelconque. En fait la Cour, à mon avis, appliquait, sans par ailleurs la formuler, une règle de fond et, par voie de conséquence, reconnaissait implicitement que le droit à la confidentialité, qui avait depuis déjà longtemps donné naissance à une règle de preuve, avait aussi depuis donné naissance à une règle de fond.

Il est, je crois, opportun que nous formulions cette règle de fond, tout comme l'ont fait autrefois les juges pour la règle de preuve; elle pourrait, à mon avis, être énoncée comme suit:

1.              La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consentement du client;

2.              À moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;

3.              Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;

4.              La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement.

Comme la Cour d'appel de la Colombie-Britannique l'a fait remarquer, le secret professionnel de l'avocat est le privilège [traduction] « que la loi a protégé avec le plus d'acharnement et dont elle a le plus hésité à atténuer la portée par des exceptions » . Il s'agit tout bonnement d'un principe d'une importance fondamentale pour l'administration de la justice.


Par conséquent, je suis d'avis que ni les défenderesses ni la société à numéro n'ont renoncé au privilège applicable aux autres dossiers de demande d'enregistrement de marque de commerce. Il n'y a eu renonciation qu'à l'égard du dossier de demande d'enregistrement relatif à la marque « Farside » .

[12]       Deuxième question

En combinant dans un seul dossier des documents se rapportant au litige et à la demande d'enregistrement de la marque de commerce « Farside » , les défenderesses ont-elles renoncé au privilège relativement à la totalité du contenu du dossier?


Il ressort de l'instruction que les procureurs des défenderesses ont constitué un dossier commun pour la demande d'enregistrement de la marque « Farside » et pour le litige dont la Cour est actuellement saisie. La demanderesse prétend que les documents relatifs à la demande d'enregistrement et les documents relatifs au litige appartiennent au même dossier et que, par conséquent, les défenderesses ont, en renonçant au privilège pour ce qui est de la demande d'enregistrement, renoncé également au privilège couvrant les documents relatifs au litige. En l'espèce, c'est le cabinet d'avocats qui a constitué le dossier commun. Rien n'indique que les défenderesses n'aient eu quoi que ce soit à dire au sujet de l'organisation des dossiers. Comme l'expose l'arrêt Smith c. Jones, précité, le privilège appartient au client non à l'avocat. La demanderesse soutient que le simple fait d'avoir versé les documents relatifs au litige dans le dossier de demande d'enregistrement de marque de commerce a eu pour effet d'abolir le privilège lié aux communications entre avocat et client pour ce qui est des documents relatifs au litige. Je ne suis pas de cet avis. Ce n'est pas le dossier où les documents sont versés qui compte, c'est leur pertinence et leur appartenance aux catégories visées par la règle 223(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. Je conclus que la mise au dossier de documents concernant le litige et de documents concernant la marque « Farside » n'a pas fait perdre aux défenderesses leur privilège quant à la totalité du dossier.

[13]       Troisième question

Si la renonciation ne couvre pas la totalité du dossier combiné, comment les défenderesses doivent-elles procéder au dépôt du dossier pour que la demanderesse puisse évaluer si elles ont bien déposé tous les documents qu'il fallait?

Vu ma conclusion voulant qu'il n'y ait pas eu renonciation au privilège quant à tout le dossier, il faut établir un processus équitable permettant le dépôt en bonne et due forme des documents additionnels. Comme ce genre de problèmes se présente habituellement lors de l'instruction, il appartient au juge qui la préside d'établir un processus équitable de dépôt. Je suis donc d'avis qu'il serait équitable que les défenderesses déposent un nouvel affidavit de documents conforme aux règles 223 et 224 des Règles de la Cour fédérale (1998). Les défenderesses devraient se référer au paragraphe 37 de l'argumentation écrite de la demanderesse pour simplifier le dépôt. Si la demanderesse estime, après avoir vu les documents, que d'autres éléments doivent lui être communiqués, je pourrait entendre les observations des parties sur cette question.

[14]       Dépens à suivre.


                                                                ORDONNANCE

[15]       LA COUR REND L'ORDONNANCE SUIVANTE :

1.          La renonciation ne visait que le privilège couvrant les documents relatifs à la marque de commerce « Farside » et non les dossiers des défenderesses et de la société à numéro concernant les autres marques de commerce.

2.          Les défenderesses n'ont pas renoncé au privilège quant à la totalité du dossier commun au litige et à la marque de commerce en y versant des documents relatifs aux deux objets.

3.          Les défenderesses devront produire le dossier relatif à la marque « Farside » conformément à la procédure décrite au paragraphe 13 de la décision.

4.          Dépens à suivre.

        « John O'Keefe »               

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

18 avril 2001

Traduction certifiée conforme

                                    

Ghislaine Poitras, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                          T-1608-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         CARICLINE VENTURES LTD. C. ZZTY HOLDINGS LIMITED ET AL.

NO DU GREFFE :                                          T-1609-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         CARICLINE VENTURES LTD. C. FARSIDE CLOTHING LTD. ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Les 29, 30 et 31 janvier et le 1er février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE EN DATE DU 18 AVRIL 2001

ONT COMPARU :

Keith Mitchell

J. Kevin Wright                                                 pour la demanderesse

Carmen Plante

Melodi Ulku                                                      pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Company                                            pour la demanderesse

Vancouver

Bishop & McKenzie                                          pour les défenderesses

Edmonton

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