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Date : 20200211


Dossier : IMM‑4035‑19

Référence : 2020 CF 231

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2020

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

OGECHI MARYANN LUCY EGWUONWU,

PROMISE EBERE CHINEDU EGWUONWU,

UGWUMSINACHI TREASURE EGWUONW,

ORAJIMETOCHUKWU KIMBERLEY EGWUONWU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision, datée du 8 mai 2019, d’une agente d’immigration [l’agente], dans laquelle a été rejetée la demande de résidence permanente au Canada, demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qu’ils ont présentée au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la Loi].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. Dans sa décision, l’agente a examiné de manière exhaustive l’ensemble de la preuve présentée et des facteurs pertinents. Ses motifs expriment une analyse rationnelle et cohérente, qui rend compte du droit ainsi que de son application aux faits. La décision présente les attributs d’une décision raisonnable. Aucune erreur ne peut être relevée dans la décision de l’agente portant que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la levée des exigences prévues par la Loi.

I.  Le contexte

A.  Les demandes présentées par les demandeurs

[3]  Les demandeurs, une mère (Ogechi), un père (Promise) et leurs deux enfants, sont des citoyens du Nigéria. La famille a également un fils né au Canada. Les demandeurs prétendent que la famille de Promise leur fait courir un risque au Nigéria et qu’Ogechi est bisexuelle. Selon leur récit, la famille de Promise, qui n’a découvert l’orientation sexuelle d’Ogechi qu’après l’arrivée de cette dernière au Canada avec ses deux filles, attribue la maladie et le décès de la mère de Promise ainsi que la mort accidentelle de son cousin à « l’abomination » qu’est l’orientation sexuelle d’Ogechi, laquelle n’a pas subi les rituels de purification exigés par la famille.

[4]  Les demandeurs relatent qu’Ogechi et ses deux filles sont arrivées au Canada en mai 2016, munies d’un visa de visiteur, pour passer des vacances en famille. Promise ne s’est pas joint à elles comme il était prévu, parce que sa mère est tombée malade. Selon les demandeurs, après que la mère de Promise est tombée malade, le prêtre du village a informé la famille que la maladie était causée par une abomination perpétrée par un des leurs. La famille a alors appris du cousin de Promise que ce dernier lui avait révélé qu’Ogechi avait eu, dans sa jeunesse, des relations sexuelles avec des femmes. C’est apparemment de son épouse Ogechi que Promise tenait ces informations, dont il n’avait pas une connaissance directe. La famille de Promise a alors exigé qu’Ogechi et leurs deux filles rentrent au Nigéria pour subir des rituels de purification, y compris une mutilation génitale féminine.

[5]  Les demandeurs relatent également que le cousin de Promise, qui avait divulgué l’orientation sexuelle d’Ogechi, a par la suite été tué dans un accident de voiture. Ils prétendent qu’ils ont été tenus pour responsables de cet accident. Promise a alors décidé de venir au Canada.

[6]  Ogechi et leurs deux filles ont présenté une demande d’asile en juillet 2016, après avoir été informées par Promise des exigences de sa famille. Promise est arrivé au Canada en mai 2017 et a présenté une demande d’asile le 17 août suivant. Le même jour, les demandeurs ont conjointement présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

B.  La décision de la SPR

[7]  Le 6 octobre 2016, la SPR a rejeté la demande d’asile d’Ogechi et de ses deux filles.

[8]  N’ayant pas cru qu’Ogechi était bisexuelle, la SPR a conclu que cette dernière et ses filles n’étaient pas exposées à une possibilité sérieuse de persécution. La SPR a par ailleurs conclu qu’elles disposeraient d’une possibilité de refuge intérieur au Nigéria.

[9]  La SPR a relevé plusieurs exemples de contradictions, d’invraisemblances et d’enjolivement de la preuve, qui défiaient le sens commun. Parmi les autres préoccupations en matière de crédibilité, la SPR a souligné que la preuve d’Ogechi concernant la période qu’elle avait passée au Canada après son arrivée, soi-disant pour des vacances, n’avait aucun sens, tout comme sa preuve quant à la date à laquelle elle a commencé à craindre de vivre au Nigéria. Pour la SPR, la preuve touchant aux circonstances dans lesquelles sa sexualité avait été révélée était incohérente et invraisemblable. Dans l’ensemble, la SPR a conclu que la preuve n’était [traduction« pas logique ».

[10]  Les demanderesses ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR; elles ont demandé à ce qu’une nouvelle preuve soit admise, tout en alléguant une partialité et des conclusions erronées quant à la crédibilité.

C.  La décision de la SAR

[11]  La SAR, qui a confirmé la décision de la SPR, a refusé d’admettre la nouvelle preuve. Ayant procédé à une appréciation indépendante de la preuve au dossier, elle a confirmé les conclusions de la SPR concernant la crédibilité. La SAR a conclu qu’Ogechi n’était pas bisexuelle et que la famille pouvait retourner au Nigéria en toute sécurité.

[12]  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par les demanderesses à l’égard de la décision de la SAR a été rejetée par la Cour.

D.  Les autres instances en matière d’immigration

[13]  Le 18 août 2017, Promise a présenté une demande d’asile. Selon son récit, sa famille le tenait responsable du décès de sa mère ainsi que du tragique accident de son cousin et de la mort de celui‑ci, imputables, selon elle, à l’orientation sexuelle d’Ogechi et au fait qu’il ne la leur avait pas amenée pour subir les rituels de purification. Au moment où l’agente a rendu la décision relative aux considérations d’ordre humanitaire, qui fait l’objet du contrôle, la SPR n’avait pas encore statué sur la demande d’asile de Promise. Cette demande est toujours pendante.

[14]  Comme il a déjà été mentionné, les demandeurs ont présenté en famille, le 17 août 2017, une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Ils ont également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] à la même date. La demande d’asile de Promise est également datée du 17 août 2017, quoiqu’il soit possible qu’elle ait été soumise quelques jours plus tôt et soumise de nouveau avec les frais applicables.

[15]  L’ERAR des demandeurs a été refusé, et l’autorisation de contrôle judiciaire rejetée.

[16]  Le 8 mai 2019, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs a été rejetée.

[17]  Le 16 juillet 2019, les demandeurs ont obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi au Nigéria dont ils faisaient l’objet, en attendant qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire de la décision relative aux considérations d’ordre humanitaire. Lorsqu’il a accordé le sursis, le juge John Norris a fait remarquer qu’une question avait été soulevée à l’égard de la demande d’asile de Promise en instance, dont l’agente n’avait peut‑être pas tenu compte lorsqu’elle a tranché la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[18]  Dans sa décision exhaustive de 15 pages, l’agente a examiné les observations des demandeurs, la preuve documentaire ainsi que les principes pertinents issus de la jurisprudence. La décision est décrite de manière assez détaillée, eu égard aux conclusions énoncées plus loin selon lesquelles elle présente les attributs d’une décision raisonnable.

[19]  L’agente a apprécié la situation personnelle des demandeurs, les difficultés qu’ils alléguaient, leurs rapports médicaux, les conditions qui règnent au Nigéria, leur établissement au Canada et l’intérêt supérieur des enfants [l’ISE]. Elle a précisé que leurs allégations de risque avaient été considérées dans le contexte plus large des difficultés qu’ils invoquaient. Ayant considéré puis soupesé individuellement et cumulativement l’ensemble des facteurs pertinents, l’agente a conclu qu’il n’était pas justifié, au vu des considérations d’ordre humanitaire, de lever les exigences prévues par la Loi dans les circonstances.

A.  L’agente a relevé les conclusions tirées par la SPR et la SAR en matière de crédibilité

[20]  L’agente a noté que la conclusion tirée par la SPR et la SAR — à savoir que l’allégation de bisexualité avancée par Ogechi manquait de crédibilité — constituait un fait avéré. Ayant fait remarquer qu’elle n’était pas liée par les conclusions de la SPR et de la SAR, l’agente leur a néanmoins accordé un poids considérable, car elles avaient été tirées par des décideurs experts et impartiaux ayant examiné la preuve documentaire et les témoignages oraux, et parce que le risque évalué par la SPR et la SAR – lié à la famille de Promise, à la société ainsi qu’aux autorités, et découlant de l’orientation sexuelle et des antécédents d’Ogechi – renvoyait à la même préoccupation décrite comme une difficulté dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs.

[21]  L’agente a considéré les nouveaux documents soumis par les demandeurs, notamment un courriel, des affidavits, des rapports médicaux et le formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] de Promise.

[22]  L’agente a conclu que le courriel adressé par Mme Kosy Felix à Ogechi n’établissait pas que cette dernière était bisexuelle. Il indiquait seulement que Mme Felix était bisexuelle et que l’homophobie persistait au Nigéria.

B.  L’agente a considéré les rapports de la psychologue et de la psychiatre

[23]  L’agente a considéré le rapport de Mme Elena Irina Nica‑Graham, une psychologue, décrivant la santé mentale d’Ogechi, ainsi que le rapport de la Dre J. Pilowski, une psychiatre, traitant de la santé mentale de Promise.

[24]  L’agente a noté que, d’après le rapport de Mme Nica‑Graham, Ogechi souffrait d’un trouble de stress post-traumatique [TSPT] et d’un trouble dépressif majeur de gravité modérée, qu’il lui serait profitable de vivre dans un environnement sûr et prévisible, que l’incertitude liée à son statut d’immigration perpétuait ses symptômes et que, si elle devait retourner au Nigéria et être confrontée aux problèmes qui lui causaient un tel stress, son état risquerait de se détériorer.

[25]  L’agente a noté que, d’après le rapport de la Dre Pilowski, Promise souffrait également de TSPT et d’un trouble dépressif majeur de gravité modérée, qu’il était tourmenté par l’incertitude liée à son statut d’immigration, qu’il se sentait coupable du décès de sa mère, en raison du fait qu’il avait été tenu responsable, qu’il aimerait retourner à son ancienne vie, que son épouse lui inspirait parfois du ressentiment, parce que leur persécution découlait de son orientation sexuelle, et qu’il avait l’impression de ne pouvoir vivre nulle part en sécurité au Nigéria, car la bisexualité et l’homosexualité étaient considérées comme des abominations.

[26]  L’agente a accordé peu de poids aux deux rapports, notant qu’ils avaient été rédigés aux fins de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et que la psychologue et la psychiatre s’étaient vu remettre les affidavits, le formulaire FDA et les exposés circonstanciés des demandeurs respectifs. L’agente a également fait remarquer que les rapports étaient basés sur une visite unique en 2017, que rien n’indiquait qu’Ogechi ou que Promise avait tenté de se faire traiter depuis le diagnostic ou que les traitements n’étaient pas disponibles au Nigéria. L’agente a noté que ni la psychologue ni la psychiatre n’avaient été témoins des faits qui, selon Promise et Ogechi, avaient été la cause de leur état. Elles avaient basé leurs évaluations uniquement sur le récit fourni par ces derniers.

[27]  L’agente a déclaré qu’elle respectait les diagnostics professionnels, mais que les rapports avaient peu de poids, étant donné que les récits sur lesquels la psychologue et la psychiatre avaient fondé leurs rapports avaient été rejetés par la SPR et la SAR qui les avaient jugés dépourvus de crédibilité.

[28]  L’agente a reconnu que l’incertitude liée au statut des demandeurs en matière d’immigration entraînait de la nervosité, de l’anxiété et du stress, mais elle a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que leur retour au Nigéria causerait des difficultés plus importantes que celles inhérentes à un déménagement. Pour l’agente, ce stress et cette anxiété ne suffisaient pas à établir des difficultés justifiant d’octroyer une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire.

C.  L’agente a considéré les conditions dans le pays

[29]  L’agente a reconnu que les homosexuels au Nigéria étaient encore victimes de discrimination et d’hostilité. Cependant, comme la SPR et la SAR ont conclu qu’Ogechi n’était pas bisexuelle, l’agente a jugé qu’ils ne subiraient pas de difficultés. L’agente a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour appuyer la prétention selon laquelle Ogechi était bisexuelle et que les demandeurs seraient exposés à une discrimination ainsi qu’à des préjudices physiques et psychologiques de la part de la famille de Promise, de la société et des autorités nigérianes, parce que le passé sexuel d’Ogechi avait été révélé.

[30]  Faisant remarquer qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire consiste surtout en une appréciation globale, l’agente a ensuite considéré les autres facteurs, y compris l’établissement des demandeurs au Canada et l’ISE.

D.  L’agente a considéré l’établissement des demandeurs au Canada

[31]  L’agente a noté qu’Ogechi, ses deux filles ainsi que son fils né au Canada vivaient ici depuis trois ans, et Promise deux ans. Elle a considéré d’un œil favorable les lettres de soutien d’amis et de membres de l’église décrivant l’intégration des demandeurs au sein de la communauté. L’agente a également noté que ces derniers n’avaient pas de famille immédiate au Canada, qu’Ogechi et Promise avaient vécu la majeure partie de leur vie au Nigéria, où Promise avait une carrière florissante, et qu’ils étaient tous les deux bien instruits. L’agente a exprimé des doutes quant à l’autonomie des demandeurs au Canada, faisant remarquer qu’Ogechi n’avait travaillé que pendant un mois (en novembre 2017) et qu’ils avaient été autrement tous les deux sans emploi depuis leur arrivée, même s’ils avaient des autorisations d’emploi. Selon l’agente, on ne sait pas au juste comment les demandeurs subvenaient à leurs besoins, attendu qu’aucun reçu d’impôt, de bail, de services publics et aucun relevé bancaire ou autre renseignement financier n’avaient été fournis.

E.  L’agente a considéré l’ISE

[32]  Dans leurs observations, les demandeurs ont invoqué l’établissement de leurs enfants au Canada, l’impact qu’auraient sur eux et sur leur éducation les conditions dans le pays ainsi que la discrimination fondée sur le sexe.

[33]  L’agente a conclu que la crainte des demandeurs de voir la famille de Promise forcer leurs filles à subir une mutilation génitale féminine dans le cadre d’un rituel de purification destiné à absoudre la bisexualité d’Ogechi était injustifiée. Elle s’est appuyée à cet égard sur les conclusions de la SPR et de la SAR portant que la bisexualité alléguée par Ogechi n’était pas crédible.

[34]  L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve documentaire objectifs établissant que leurs filles seraient victimes d’une discrimination fondée sur le sexe au Nigéria.

[35]  L’agente a reconnu que les filles des demandeurs avaient entamé leur scolarité au Canada et qu’elles allaient bien sur les plans social et scolaire. Elle a noté que les enfants jouissaient probablement d’une vie équilibrée au Canada, un pays plus riche et plus stable que le Nigéria. Cependant, elle a précisé devoir également examiner l’impact qu’aurait sur la vie de ces enfants leur retour au Nigéria.

[36]  L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les enfants ne pourraient pas poursuivre leurs études au Nigéria. Elle a noté qu’Ogechi et Promise avaient tous deux fait des études postsecondaires dans ce pays; que l’adaptation au système scolaire nigérian ne leur serait pas préjudiciable vu leur jeune âge; compte tenu de leurs antécédents professionnels, que Promise et Ogechi trouveraient du travail au Nigéria et seraient en mesure de subvenir aux besoins de leurs enfants.

[37]  L’agente a conclu qu’elle n’avait pas reçu suffisamment d’éléments de preuve objectifs établissant que les enfants ne pourront pas compter sur leurs parents pour leur subsistance ou sur les autres membres de leur famille en cas de retour au Nigéria, qu’ils n’auront pas accès à des services en matière d’éducation et de santé, ou que leur bien-être sera compromis. L’agente a conclu qu’ils auraient sans doute une belle vie au Canada, mais que le retour au Nigéria ne compromettrait pas leur développement et leur bien-être global.

[38]  L’agente a conclu que l’intérêt supérieur des trois enfants était un facteur important de l’appréciation des considérations d’ordre humanitaire, mais qu’il ne l’emportait pas sur tous les autres au moment de déterminer s’il fallait accorder une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

F.  Le résumé des conclusions relatives aux considérations d’ordre humanitaire

[39]  L’agente a ensuite résumé les conclusions et considérations pertinentes, notamment : le retour au Nigéria n’exposera pas les demandeurs à davantage de difficultés que celles inhérentes au processus de renvoi; le déménagement des enfants et leur rétablissement seront difficiles, mais pas préjudiciables à leur bien-être et à leur développement; il est raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs adultes aient au Nigéria des relations susceptibles de faciliter leur retour dans ce pays. En fin de compte, l’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur situation personnelle justifiait de faire droit à la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

III.  Les questions en litige

[40]  La question en litige est de savoir si la décision est raisonnable. Cela implique d’examiner les questions suivantes soulevées par les demandeurs :

  1. L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’ISE?
  2. L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son traitement des rapports psychologique et psychiatrique?
  3. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en adoptant les conclusions de la SPR et de la SAR en matière de crédibilité?

IV.  La norme de contrôle

[41]  La norme de contrôle présumée est la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 16, [2019] ACS no 65 [Vavilov]).

[42]  Il était bien établi avant l’arrêt Vavilov que les décisions en matière de considérations d’ordre humanitaire, de nature discrétionnaire, étaient soumises à la norme de la décision raisonnable (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux para 57 à 62, 174 DLR (4th) 193 [Baker]; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au para 44, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy]). Cela n’a pas changé.

[43]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fourni des directives détaillées permettant de déterminer si une décision est raisonnable. La Cour a décrit les caractéristiques d’une décision raisonnable et les écueils qui caractérisent une décision déraisonnable.

[44]  Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes, 2019 CSC 67, au para 32, 312 ACWS (3d) 545, le juge Rowe a décrit de manière succincte l’approche que suppose le contrôle selon la norme de la décision raisonnable en conformité avec l’arrêt Vavilov :

La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

V.  Les observations des demandeurs

A.  L’ISE

[45]  Les demandeurs font valoir que l’agente a commis une erreur dans son appréciation de l’ISE, parce qu’elle s’est appuyée à plusieurs reprises sur la présomption erronée selon laquelle toute la famille retournerait ensemble au Nigéria. Les demandeurs soutiennent que cette présomption était imparfaite, étant donné que la demande d’asile de Promise était encore en instance. Bien que l’agente l’ait reconnu, ils soutiennent que cette présomption erronée l’a conduite à faire abstraction de l’impact qu’aurait la séparation de la famille sur les enfants.

[46]  Les demandeurs ajoutent que les motifs de l’agente n’attestent pas qu’elle a suivi l’approche préconisée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Compte tenu de la présomption erronée qu’elle a invoquée, son analyse est lacunaire. Les demandeurs soutiennent que, suivant l’arrêt Vavilov (aux para 96 à 102), les motifs doivent attester une analyse logique et cohérente.

[47]  Les demandeurs font également valoir que l’agente a eu tort de conclure qu’ils n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve établissant que leurs filles feraient face, au Nigéria, à une discrimination fondée sur le sexe. L’agente aurait dû expliquer pourquoi les articles qu’ils avaient soumis ne constituaient pas une preuve suffisante.

B.  Les rapports de la psychologue et de la psychiatre

[48]  Les demandeurs font valoir que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a décidé d’écarter les rapports de la psychologue et de la psychiatre au motif qu’Ogechi et Promise n’avaient pas reçu de traitement de suivi. Ils invoquent la décision Jesuthasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142, aux para 39 à 45, 288 ACWS (3d) 739 [Jesuthasan], et soutiennent que la présente affaire est [traduction« identique ». Dans cette affaire, le juge en chef, qui a pris acte des directives formulées par la Cour suprême du Canada aux para 47 et 48 de l’arrêt Kanthasamy, a conclu que l’agent avait commis une erreur en écartant le rapport du psychologue, au motif qu’il n’y avait pas eu de traitement de suivi, et en faisant fi de l’avis selon lequel le retour de la demanderesse dans son pays natal exacerberait son état.

[49]  Toujours d’après les demandeurs, l’agente a commis une erreur en écartant les rapports, parce que les conclusions de la psychologue et de la psychiatre étaient basées sur des risques que la SPR et la SAR n’avaient pas jugé crédibles. Les demandeurs affirment que, dans l’arrêt Kanthasamy (au para 49), la Cour suprême du Canada a formulé une mise en garde selon laquelle il n’était pas réaliste de s’attendre à ce que des témoins aient assisté à la persécution ou aux difficultés d’un demandeur d’asile et que les rapports médicaux ne devaient pas être écartés pour cette raison.

C.  La crédibilité

[50]  Les demandeurs font en outre valoir que l’agente a commis une erreur en s’appuyant sur les conclusions tirées par la SPR et la SAR concernant la crédibilité. Ils affirment qu’elle n’a pas considéré d’autres éléments de preuve crédibles attestant les difficultés auxquelles ils se heurteraient. Les demandeurs citent l’affidavit de Promise, qui décrit des événements postérieurs aux décisions de la SPR et de la SAR, et ils affirment que l’agente a commis une erreur en concluant que le compte rendu des faits rapporté par Promise à la Dre Pilowski avait été mis en doute par la SPR et la SAR. Ils font valoir que la crédibilité de Promise demeure intacte, attendu que sa demande d’asile n’a pas encore été tranchée.

[51]  Les demandeurs soutiennent en outre que l’agente a commis une erreur en ne fournissant pas de motifs pour sa conclusion portant que leur compte rendu n’était pas crédible (en invoquant Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, aux para 66 et 67, 301 ACWS (3d) 832 [Magonza]).

VI.  Les observations du défendeur

A.  L’ISE

[52]  Le défendeur soutient que l’appréciation par l’agente de l’ISE tient compte des directives formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, selon lesquelles l’agent qui apprécie une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit considérer l’ISE à la lumière de toutes les circonstances.

[53]  Le défendeur soutient que l’agente n’a pas commis d’erreur en ne considérant pas l’impact de la séparation familiale. Il note que les demandeurs n’ont pas fait valoir que leur retour au Nigéria risquerait d’entraîner une séparation de la famille et qu’ils n’ont pas présenté non plus d’observations sur les conséquences découlant d’une telle séparation. Les quatre demandeurs ont présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en tant que membres d’une même famille. L’agente savait que la demande d’asile de Promise n’avait pas encore été tranchée, mais la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire consiste à réclamer une levée des autres exigences de la Loi, y compris une détermination du statut de réfugié. L’agente a fondé sa détermination de l’ISE sur la preuve présentée par les demandeurs ainsi que sur les éléments objectifs.

B.  Les rapports de la psychologue et de la psychiatre

[54]  D’après le défendeur, l’agente a considéré les deux rapports, mais ne leur a raisonnablement accordé que peu de poids, parce que la psychologue et la psychiatre avaient basé leurs rapports sur des comptes rendus que ni la SPR ni la SAR n’avaient jugé crédibles. L’agente a raisonnablement conclu qu’aucun élément de preuve n’attestait que les affections psychologiques reposaient sur le risque allégué ou qu’elles connaîtraient une détérioration.

[55]  Le défendeur soutient qu’une distinction peut être établie d’avec la décision Jesuthasan. Dans cette affaire, les demandeurs avaient soumis une preuve jugée suffisante pour l’emporter sur les conclusions de la SPR et de la SAR concernant la crédibilité. En l’espèce, les demandeurs n’ont fourni aucune preuve à même de réfuter les conclusions en question.

C.  L’agente n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a tiré des conclusions en matière de crédibilité

[56]  Le défendeur note que l’agente a considéré l’affidavit de Promise ainsi que son FDA. L’agente a fait remarquer que les époux avaient tous deux affirmé qu’ils craignaient que la famille de Promise ne fasse du mal à Ogechi et à leurs filles, en raison de l’orientation sexuelle et des antécédents d’Ogechi. La SPR et la SAR ont conclu que cette histoire manquait de crédibilité. Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve indiquant le contraire.

VII.  La décision est raisonnable

[57]  Pour commencer l’examen du caractère raisonnable de la décision de l’agente, il est important de noter l’objet de l’article 25 de la Loi.

[58]  Aux termes de cette disposition, les critères ou obligations prévus par la Loi – suivant lesquels les demandeurs en l’espèce seraient autrement tenus de présenter leur demande de résidence permanente du Nigéria – peuvent être levés en raison de considérations d’ordre humanitaire, « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». Cette levée des exigences légales autrement applicables, très discrétionnaire, est souvent qualifiée d’« exceptionnelle ».

[59]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a formulé des directives à l’intention des décideurs statuant sur des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire. La Cour suprême a expliqué que les éléments justifiant l’octroi d’une mesure spéciale au titre de l’article 25 varieront en fonction des faits et du contexte de chaque affaire. Les agents qui rendent de telles décisions doivent vraiment considérer et soupeser l’ensemble des facteurs et des faits pertinents qui leur sont présentés (au para 25). Suivant un principe clé clairement formulé par la Cour dans l’arrêt Kanthasamy, il faut éviter d’imposer un seuil de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées et « soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » (au para 33) [italique dans l’original].

[60]  Bien qu’elle ait précisé la nécessité de considérer tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents, la Cour suprême a également reconnu, au para 23, que le processus en matière de considérations d’ordre humanitaire n’établit pas un régime d’immigration parallèle et que certaines difficultés liées au fait de quitter le Canada sont inévitables. Elle a ajouté que ces difficultés, en elles-mêmes, ne justifiaient généralement pas l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[61]  La jurisprudence a aussi établi qu’en matière de considérations d’ordre humanitaire, il incombait au demandeur d’étayer par une preuve suffisante que la dispense devrait être accordée (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au para 45, 179 ACWS (3d) 181; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2017 CF 287, au para 23, [2017] ACF no 286 (QL)).

[62]  En l’espèce, les motifs de l’agente montrent qu’elle a considéré tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents, et qu’elle les a soupesés individuellement et cumulativement. Contrairement à ce que font valoir les demandeurs dans leurs observations, ses motifs reflètent son analyse; chaque facteur a été considéré, soupesé, et tous les facteurs ont été appréciés cumulativement afin de déterminer s’il était justifié d’accorder une dispense dans les circonstances.

A.  L’ISE

[63]  Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada énonce les principes fondamentaux en ce qui touche l’obligation pour les agents chargés de rendre des décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire d’examiner l’intérêt supérieur des enfants (au para 75). Ces principes fondamentaux continuent de s’appliquer :

[…] pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. […]

[64]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a réitéré que les agents devaient être réceptifs, attentifs et sensibles à l’intérêt de l’enfant. En l’espèce, l’analyse de l’ISE effectuée par l’agente tient compte des directives de la Cour : considérer ce qui est dans l’intérêt supérieur des enfants; déterminer la mesure dans laquelle cet intérêt serait compromis par l’une ou l’autre décision; enfin, déterminer le poids qui doit être accordé à l’ISE dans le cadre de l’ensemble de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[65]  Dans la présente affaire, l’agente a apprécié l’ISE en se référant aux observations des demandeurs concernant l’établissement des enfants au Canada, l’intégration de leurs filles aux activités de l’école et de l’église, les conditions du Nigéria au regard des enfants, ainsi que l’impact du retour au Nigéria sur leur éducation.

[66]  Comme il a été mentionné plus haut, l’agente a conclu que la preuve présentée était insuffisante pour établir que les enfants ne réussiraient pas à s’intégrer de nouveau au Nigéria, à poursuivre leurs études et à bénéficier de soins de santé, ou qu’ils subiraient autrement des conséquences néfastes.

[67]  L’agente a noté à plusieurs endroits de l’analyse relative à l’ISE que, s’ils retournaient au Nigéria, les enfants seraient avec leurs deux parents et bénéficieraient de leur soutien. Ce n’était pas une supposition ou une présomption erronée, attendu que les demandeurs ont présenté, en famille, une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Ils n’ont soumis ni observation ni élément de preuve donnant même à penser que Promise resterait au Canada et qu’il laisserait sa famille retourner au Nigéria sans lui. Dans les observations, les demandeurs sont tous désignés comme les membres d’une même famille, et non comme des individus. Les demandeurs ont fait valoir qu’il serait dans l’intérêt supérieur de leurs enfants qu’ils restent tous au Canada, où les enfants pourraient bénéficier d’une instruction ainsi que d’autres avantages, et ne subiraient pas de discrimination fondée sur le sexe.

[68]  L’agente a reconnu que la demande d’asile de Promise n’avait pas encore été tranchée. Cependant, elle avait pour tâche de statuer sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs, dont Promise faisait partie intégrante.

[69]  L’agente n’a pas commis d’erreur en n’examinant pas des questions qui n’avaient pas été soulevées par les demandeurs. Comme l’a fait remarquer la Cour dans Nicayenzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 595, au para 16, 242 ACWS (3d) 176 :

[…] Le manque d’éléments de preuve ou l’omission de renseignements utiles à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire se fait au péril du demandeur (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] ACF no 158 (QL), au paragraphe 5). Cela signifie que le décideur n’est nullement tenu d’aider les demandeurs à s’acquitter du fardeau de plaider leur cause ni de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations afin de permettre aux demandeurs de les combler. En d’autres termes, il n’appartient pas au décideur de chercher à obtenir d’autres renseignements pour découvrir des éléments de preuve qui auraient pu être favorables à la thèse défendue par un demandeur (Kisana, précité, aux paragraphes 43 à 45).

[70]  L’argument actuellement avancé par les demandeurs, selon lequel l’agente a commis une erreur en présumant que Promise retournerait avec sa famille au Nigéria et en n’examinant pas l’intérêt supérieur des enfants dans le contexte où Promise resterait au Canada, est infondé et troublant. Premièrement, comme il a déjà été mentionné, les demandeurs – Promise, Ogechi et leurs deux filles – ont conjointement demandé à être dispensés des exigences de la Loi. Promise ne peut à présent laisser entendre qu’il ne fait pas partie de cette demande. Deuxièmement, les demandeurs n’ont présenté aucune observation à l’agente donnant à penser que Promise n’avait pas l’intention de rester auprès de sa famille. Troisièmement, ils ont fait valoir devant l’agente qu’il serait dans l’intérêt supérieur de leurs enfants de rester au Canada. Si Promise et Ogechi ont effectivement cet intérêt à cœur, il est contradictoire de leur part de faire maintenant valoir que Promise voudrait rester au Canada si sa famille retournait au Nigéria, et ce, dans le seul but d’exposer une erreur commise par l’agente.

[71]  Je prends acte de la préoccupation qu’avait soulevée mon collègue, le juge Norris, lors de la requête des demandeurs en sursis à l’exécution de leur mesure de renvoi; cependant, ayant eu la possibilité de consulter l’intégralité du dossier dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, je ne puis relever aucune erreur de la part de l’agente.

[72]  L’observation des demandeurs selon laquelle l’agente a fait abstraction d’un article décrivant la discrimination fondée sur le sexe passe sous silence la conclusion de cette dernière quant à l’insuffisante de la preuve attestant une telle discrimination. L’agente n’est pas tenue de mentionner en particulier chaque article ou autre document qui figure dans le dossier volumineux.

[73]  De plus, l’agente a conclu que l’ISE était un [traduction« facteur important », mais que ce n’était que l’un des nombreux facteurs importants à considérer. Elle a correctement noté, conformément aux arrêts Baker et Kanthasamy, que l’ISE ne l’emportait pas sur tous les autres facteurs pertinents dans une décision relative aux considérations d’ordre humanitaire.

B.  L’agente n’a pas commis d’erreur en attribuant peu de poids aux rapports médicaux

[74]  C’est à l’agente qu’il revient de déterminer le poids à accorder à un rapport psychologique ou psychiatrique. La Cour n’a pas pour rôle de soupeser à nouveau la preuve.

[75]  L’agente n’a pas rejeté le rapport psychologique ou psychiatrique. Elle a apprécié les deux rapports, déterminé le poids qu’il convenait de leur attribuer et énoncé plusieurs motifs pour lesquels ils s’étaient vu accorder peu de poids, notamment : ils étaient basés sur une visite unique et aucune mise à jour n’avait été fournie; l’exposé circonstancié du FDA et les affidavits d’Ogechi et de Promise avaient été fournis à la psychologue et à la psychiatre; les rapports étaient basés sur les comptes rendus d’Ogechi et de Promise qui n’ont pas été jugés crédibles; aucun traitement de suivi n’était mentionné; aucune preuve n’a été fournie pour établir qu’ils ne pouvaient recevoir de traitement au Nigéria.

[76]  Suivant une mise en garde issue de la jurisprudence, le fait de relater des faits à un psychologue ou à un psychiatre ne les rend pas plus crédibles, et le rapport d’un expert n’est pas à même de confirmer les allégations de danger ou de risque (Rokni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 182 (QL), au para 16, 53 ACWS (3d) 371 (CF 1re inst); Danailov c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1019 (QL), au para 2, 44 ACWS (3d) 766 (CF 1re inst); Saha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 304, au para 16, 176 ACWS (3d) 499; Egbesola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 204, au para 12, [2016] ACF no 204 (QL)).

[77]  Comme l’a signalé la Cour dans Bradshaw c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 632, au para 107, 294 ACWS (3d) 372, un agent ne commet pas d’erreur en ne tenant pas compte d’un rapport médical lorsque celui-ci réitère les motifs que le demandeur indique au médecin pour expliquer son stress, son anxiété ou un autre état de santé, et que le médecin en conclut que le demandeur souffre de stress ou d’autres symptômes pour ces motifs‑là. En l’espèce, Mme Nica-Graham a diagnostiqué un TSPT chez Ogechi, parce qu’elle a expliqué que la famille de son mari la menaçait en raison de son orientation sexuelle. La Dre Pilowski a diagnostiqué un TSPT chez Promise, sur la base du récit fait par celui‑ci concernant les répercussions dont sa famille l’aurait menacé du fait de l’orientation sexuelle prétendue d’Ogechi. Le récit concernant l’orientation sexuelle d’Ogechi a été jugé tout à fait dénué de crédibilité par la SPR et la SAR, et il n’existait aucune autre preuve crédible de la bisexualité d’Ogechi. L’agente aurait fait preuve de négligence en n’examinant pas de près les rapports et en ne considérant pas que le récit sur lequel ils reposaient avait été mis en doute.

[78]  L’argument des demandeurs portant que l’affaire Jesuthasan est [traduction« identique » omet le contexte factuel différent. Au paragraphe 42 de cette décision, le juge en chef a conclu que l’agent avait commis une erreur en « semblant rejeter le rapport psychologique sur le seul fondement que [la demanderesse] n’a[vait] pas déposé de preuve démontrant qu’elle a[vait] cherché à suivre un traitement de suivi » [non souligné dans l’original]. En l’espèce, l’agente n’a pas rejeté les rapports, mais leur a attribué peu de poids, ce qu’elle a expliqué par plusieurs motifs, dont un seulement faisait état de l’absence de traitement de suivi.

[79]  Dans Jesuthasan, la demanderesse avait également fourni des éléments de preuve additionnels attestant les difficultés qu’elle invoquait. Dans le cas présent, les demandeurs avancent la même preuve qui n’a pas été jugée crédible pour expliquer leurs difficultés prétendues.

[80]  Les demandeurs s’appuient également sur le paragraphe 49 de l’arrêt Kanthasamy pour faire valoir que l’agente a commis une erreur en écartant les rapports médicaux, au motif que la psychologue et la psychiatre n’avaient pas été témoins des faits décrits et qu’elles avaient fondé leurs avis sur les comptes rendus d’Ogechi et de Promise. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a formulé la mise en garde suivante :

49  […] Un professionnel de la santé mentale n’assiste que rarement aux événements pour lesquels un patient le consulte. La prétention selon laquelle la personne qui demande une dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne peut présenter que le rapport d’expert d’un professionnel qui a été témoin des faits ou des événements qui sous‑tendent ses conclusions est irréaliste et y faire droit entraînerait d’importantes lacunes dans la preuve. De toute manière, un psychologue n’a pas à être expert de la situation dans un pays en particulier pour donner son opinion sur les conséquences psychologiques probables d’un renvoi du Canada.

[81]  L’arrêt Kanthasamy ne permet pas d’affirmer que les récits mis en doute peuvent malgré tout fonder ou étayer une affection diagnostiquée. Dans cet arrêt, la crédibilité des expériences que M. Kanthasamy affirmait avoir vécues au Sri Lanka ou les difficultés potentielles auxquelles il serait exposé en tant que jeune tamoul retournant dans ce pays n’avaient pas soulevé de préoccupation. Il n’en va pas de même du cas présent, où la cause des difficultés prétendues au Nigéria, avancée par les demandeurs, n’a pas été jugée crédible.

[82]  L’arrêt Kanthasamy ne permet pas non plus d’affirmer que les agents doivent accepter les rapports psychologiques ou psychiatriques ainsi que le compte rendu rapporté au médecin sans effectuer d’examen minutieux. L’arrêt Kanthasamy enjoint aux agents qui statuent sur des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire de considérer et de soupeser l’ensemble des facteurs et des faits pertinents. Cela comprend notamment de soumettre la preuve présentée à un examen minutieux.

[83]  L’agente a déclaré qu’elle respectait les avis professionnels de la psychologue et de la psychiatre. Elle n’a pas rejeté le diagnostic en soi; elle a plutôt raisonnablement rejeté la cause prétendue des symptômes qui leur avait été présentée comme le fondement du diagnostic. L’agente a fait remarquer qu’en effet, il se pouvait qu’Ogechi et Promise soient stressés et anxieux en raison de l’incertitude de leur statut d’immigration. Elle a raisonnablement conclu que les rapports n’établissaient pas qu’ils se heurteraient à des difficultés plus importantes que celles inhérentes au processus d’immigration et à leur renvoi éventuel, et que la preuve était insuffisante pour justifier l’octroi d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[84]  À titre d’observation, il semble que de nombreux rapports médicaux soumis pour appuyer une demande, notamment fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, visant l’obtention d’un statut d’immigration, ou des demandes de contrôle judiciaire relatives à des décisions défavorables, décrivent des demandeurs atteints de TSPT. La gravité et les symptômes de cette affection paraissent variables. Il semble s’agir aussi d’un diagnostic fréquent qui repose sur des évaluations uniques. Les décideurs seraient négligents de ne pas examiner attentivement de tels rapports, en particulier ceux basés sur une visite unique et soumis dans le seul but d’appuyer une demande de statut d’immigration au Canada, et non pour procurer au demandeur d’asile le traitement nécessaire au soulagement de ses symptômes.

C.  Les conclusions en matière de crédibilité

[85]  Les observations des demandeurs portant que l’agente a commis une erreur en s’appuyant sur les conclusions de la SPR et de la SAR en matière de crédibilité sont infondées.

[86]  Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur, parce qu’une appréciation distincte de la crédibilité était requise, en particulier pour ce qui était de la nouvelle preuve soumise au sujet de l’orientation sexuelle d’Ogechi et de l’affidavit de Promise. La décision Magonza, aux paragraphes 66 et 67, invoquée par les demandeurs, n’appuie pas leur argument. Dans cette décision, la Cour faisait remarquer :

66  […] Les agents d’ERAR peuvent s’en remettre à des conclusions défavorables auxquelles sont arrivés les décideurs précédents quant à la crédibilité (Perampalam, au paragraphe 20; Ahmed, au paragraphe 36). Cependant, cela ne signifie pas que les agents d’ERAR peuvent ne pas croire chaque élément de preuve présenté par un demandeur pour l’unique motif que celui‑ci a été jugé non crédible par la SPR ou la SAR. Si tel était le cas, la procédure de l’ERAR serait rendue en grande partie inopérante pour une catégorie importante de demandeurs (voir, par analogie, Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 565, au paragraphe 16).

67.  Quand ils importent des conclusions sur la crédibilité formulées dans le cadre d’instances antérieures, les agents d’ERAR doivent expliquer pourquoi ces conclusions influent sur la preuve dont ils sont saisis. En principe, la preuve présentée à l’agent d’ERAR doit être différente de celle dont disposaient la SPR et la SAR. Sa crédibilité devrait donc être appréciée de manière distincte (Perampalam, au paragraphe 42).

[Non souligné dans l’original.]

[87]  L’agente n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur les conclusions de la SPR et de la SAR concernant la crédibilité. L’agente a clairement expliqué qu’elle n’était pas tenue de le faire, mais que, puisque ces conclusions avaient été tirées par des tribunaux composés d’experts impartiaux ayant examiné tous les éléments de preuve, qui portaient sur les faits mêmes dont les demandeurs ont maintenu le récit, et parce que la SPR avait eu l’avantage d’examiner les témoignages oraux, l’agente a accordé un poids considérable aux conclusions relatives à la crédibilité. L’agente a apprécié la preuve additionnelle fournie et expliqué pourquoi elle ne l’a pas jugée crédible. Les autres éléments présentés étaient le courriel de Kosy Felix, les rapports de la psychologue et de la psychiatre, l’affidavit et l’exposé circonstancié du FDA de Promise ainsi que l’affidavit d’Ogechi. L’agente a conclu que le courriel de Kosy Felix ne décrivait pas l’orientation sexuelle d’Ogechi. L’affidavit de Promise et l’exposé circonstancié contenu dans son FDA ne fournissaient aucun nouvel élément de preuve concernant le fondement de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs. Les conclusions précédentes concernant la crédibilité, qui mettaient en doute le récit sous‑jacent de la bisexualité d’Ogechi, repris dans l’affidavit de Promise, ne rendaient pas plus crédible le compte rendu de ce dernier. De même, l’affidavit d’Ogechi reprenait le même compte rendu qui n’avait pas été jugé crédible.

[88]  Contrairement aux observations des demandeurs, l’agente n’a pas commis d’erreur en concluant que le compte rendu de Promise n’était pas crédible. Bien que sa demande d’asile n’ait pas encore été tranchée, son affidavit et l’exposé circonstancié de son FDA (qui sont identiques), imputent toute la persécution dont sa famille serait victime à la bisexualité d’Ogechi, que la SPR et la SAR n’ont pas jugée digne de foi.

[89]  En conclusion, l’agente a raisonnablement conclu, compte tenu de l’ensemble de la preuve et des considérations pertinentes, qu’il n’était pas justifié d’accorder une levée des exigences de la Loi pour des considérations d’ordre humanitaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4035‑19

LA COUR DÉCLARE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4035‑19

 

INTITULÉ :

OGECHI MARYANN LUCY EGWUONWU, PROMISE EBERE CHINEDU EGWUONWU, UGWUMSINACHI TREASURE EGWUONWU, ORAJIMETOCHUKWU KIMBERLEY EGWUONWU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 JANVIER 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 11 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Melissa Keogh

 

POUR Les demandeurs

 

Margherita Braccio

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR Les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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