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Date : 20200622


Dossier : IMM-2709-20

Référence : 2020 CF 716

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 22 juin 2020

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

DAVID ROGER REVELL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Rendus oralement à l’audience, le 19 juin 2020)

I.  Préambule

[1]  Si le demandeur doit être expulsé, cela se fera uniquement lorsque les professionnels du domaine médical spécialisés en épidémiologie jugeront la situation sanitaire du demandeur et des personnes autour de lui sécuritaire, à chaque étape de l’expulsion et de la destination, parce que toutes les précautions sanitaires nécessaires telles qu’elles sont établies en ce moment et/ou telles qu’elles le seront à l’avenir auront été suivies. Alors, selon la date de l’expulsion du demandeur, conformément à l’état de la technique (en ce qui concerne les mesures en constante évolution mises en œuvre au fur et à mesure des changements dans les statistiques des cas de contamination à la COVID‑19), dans les circonstances jugées acceptables et/ou nécessaires par les protocoles médicaux établis, il faudra attendre que la demande sous‑jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur [la demande sous‑jacente] soit jugée avant que la question du renvoi ne puisse être réexaminée.

II.  Motifs

[2]  Le demandeur, monsieur David Roger Revell, sollicite une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévue pour le 23 juin 2020, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue concernant sa demande sous‑jacente.

[3]  M. Revell est un citoyen du Royaume‑Uni [le R.‑U.], âgé de 56 ans, qui est un résident permanent du Canada depuis 1974. Le demandeur réside en ce moment à Provost, en Alberta, où il travaille en tant que technicien de puits de pétrole. Le demandeur a grandi à Kelowna, en Colombie‑Britannique, où il a élevé sa famille et exploité plusieurs entreprises.

[4]  En mars 2008, à Vancouver, le demandeur a été déclaré coupable de possession de cocaïne dans le but d’en faire le trafic, et de trafic de cocaïne, des infractions punissables au titre de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, et pour lesquelles il a été condamné à une peine totale de cinq ans d’emprisonnement.

[5]  À la suite de sa déclaration de culpabilité, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a donné au demandeur l’occasion de présenter des observations expliquant les raisons pour lesquelles le rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité établi au titre du paragraphe 44(1) ne devait pas être déféré pour enquête. L’ASFC a décidé que M. Revell devrait simplement recevoir une lettre d’avertissement concernant son casier judiciaire et les répercussions que tout autre démêlé avec le système judiciaire pénal aurait sur son statut d’immigration au Canada. Toutefois, la lettre n’a jamais été envoyée, et le demandeur n’a pas eu de nouvelles de l’ASFC, en réponse à ses observations.

[6]  En 2013, M. Revell a plaidé coupable à deux accusations de voies de fait, après qu’il eut lancé une télécommande à son ex‑petite amie pendant une dispute, des accusations pour lesquelles il s’est vu infliger une probation et un sursis au prononcé de la peine. Ces accusations n’avaient pas de lien avec la déclaration de culpabilité de 2008. Cette déclaration de culpabilité a amené l’ASFC à réexaminer le rapport d’interdiction de territoire qui était en suspens. À la suite de nouvelles observations de M. Revell, l’ASFC a décidé que les rapports établis au titre du paragraphe 44(1) devraient, cette fois, être déférés pour enquête.

[7]  La demande de M. Revell en vue du réexamen de la décision de déférer l’affaire a été rejetée. Il a ensuite sollicité l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de déférer le rapport pour enquête, en conformité avec le paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi], et de la décision de rejeter la demande de réexamen. L’autorisation a été refusée pour les deux demandes.

[8]  Lors de l’enquête, la Section de l’immigration a conclu que M. Revell était interdit de territoire, en conformité à la fois avec l’alinéa 36(1)a) (grande criminalité) et l’alinéa 37(1)a) (criminalité organisée) de la LIPR (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Revell, [2016] DSI noo44). Par conséquent, il n’était pas en droit d’interjeter appel à la Section d’appel de l’immigration ni de présenter une demande de dispense, fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, des exigences de la Loi. M. Revell a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, mais la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire (Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 905). La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision dans l’arrêt Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262 [Revell CAF], et l’autorisation de former un pourvoi à la Cour suprême a été refusée le 2 avril 2020 (David Roger Revell c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2020 CanLII 25169 (CSC)).

[9]  Parallèlement, le processus de renvoi s’est poursuivi. À la suite d’une entrevue préalable au renvoi tenue en novembre 2019, le renvoi du demandeur a été prévu pour le 13 décembre 2019, mais il a été plus tard annulé en raison de la demande d’autorisation de former un pourvoi présentée à la Cour suprême. Le 23 avril 2020, l’ASFC a communiqué avec le demandeur pour discuter du renvoi, et, le 7 mai 2020, le demandeur a été avisé que la nouvelle date de son renvoi était le 20 juin 2020 (cette date a été changée plus tard pour le 23 juin 2020, parce qu’il y a eu des changements de vols). Le 2 juin 2020, le demandeur a sollicité un report de son renvoi. Le 12 juin 2020, l’ASFC a refusé la demande de report du renvoi. La décision de refuser la demande de report du renvoi est celle faisant l’objet du contrôle dans la demande sous‑jacente [la décision].

[10]  Le demandeur a sollicité un report de son renvoi, compte tenu de la pandémie de la COVID‑19; ainsi, le renvoi du demandeur devrait être reporté [traduction] « jusqu’à ce que la courbe épidémique s’aplanisse au Royaume‑Uni (le R.‑U.) à un niveau qui permette à ce pays de retirer son ordonnance de quarantaine ». Le demandeur soutient qu’un renvoi exécuté en ce moment porterait atteinte à ses droits garantis par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte].

[11]  Le demandeur soutient que le R.‑U. est l’un des pays les plus touchés par la COVID‑19. En raison de l’ordonnance de quarantaine en vigueur dans ce pays, le demandeur devra s’isoler pendant au moins 14 jours au R.‑U. ou être exposé à une amende de 1 000 £. M. Revell affirme qu’il n’a tout simplement pas les moyens de se payer un séjour à l’hôtel ni la livraison de repas dans un tel lieu. Le demandeur n’a ni membre de sa famille ni aucun autre système de soutien au R.‑U., et n’a pas d’endroit où y vivre : mise à part une courte visite de 10 jours en 1990, le demandeur n’est jamais retourné au R.‑U. et toute sa famille, notamment sa conjointe de fait, ses enfants, ses frères et sœurs, et ses petits‑enfants résident au Canada. En d’autres termes, le demandeur serait totalement déraciné du Canada et on s’attendrait à ce qu’il s’établisse à nouveau tout seul, avec peu de moyens, dans un R.‑U. en proie à la pandémie.

[12]  Le critère tripartite à satisfaire dans une requête en vue de l’octroi d’un sursis au renvoi du Canada est bien connu, M. Revell doit démontrer que, selon la prépondérance des probabilités :

1. la demande sous‑jacente soulève une question sérieuse à juger;

2. il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé au Royaume‑Uni;

3. la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi du sursis.

(RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, à la page 348 (CSC) [RJR MacDonald]; R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, au par. 12 [SRC]; Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF) [Toth]; Akyol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, au par. 7 [Akyol].)

[13]  Le critère tripartite est conjonctif, ce qui signifie que M. Revell doit satisfaire à chacun des trois volets du critère (Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112).

[14]  Lorsqu’une requête en vue de l’octroi d’un sursis au renvoi est fondée sur le même risque que celui avancé dans la demande de report du renvoi, il n’y a pas de différence de fond entre les questions relatives aux premier et deuxième volets du critère de l’arrêt RJR; toutefois, la norme appliquée est différente. Selon le premier volet, il suffit que le demandeur démontre que ses arguments ne sont pas futiles, établissant ainsi l’existence d’une question sérieuse (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420, au par. 15 [Mauricette]). Selon le deuxième volet, le demandeur doit toutefois démontrer qu’il subira probablement un préjudice irréparable. Ainsi, la véritable question est celle du préjudice irréparable, car, dès lors qu’une conclusion favorable est tirée relativement au deuxième volet du critère, cela établira le caractère sérieux (c.‑à‑d. non futile) de la question à juger.

[15]  Je me penche maintenant sur le deuxième volet du critère tripartite. M. Revell doit démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il subira un préjudice irréparable s’il est renvoyé au R.‑U. (RJR MacDonald, SRC, Toth et Akyol, précités); toutefois, le préjudice en question est futur et donc incertain : le demandeur est seulement tenu de prouver une probabilité de préjudice, et non la certitude d’un préjudice (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 751, au par. 33). Pour citer mon collègue, le juge Grammond, en définitive, la Cour évalue un risque de préjudice, lequel devrait être établi selon la prépondérance des probabilités :

[traduction]

[15] Il est donc possible d’analyser le préjudice irréparable sous deux angles : le degré de risque et la norme de preuve. Il n’existe aucun seuil ou exigence minimale quant au degré de risque, surtout si le préjudice est très grave, comme la mort. Nous n’exigerions pas que, par exemple, la mort doive être plus probable qu’improbable ou que sa probabilité soit supérieure à 50 p. 100. Nous n’expulserions certainement pas une personne qui fait face à une probabilité de mort de 30 p. 100. Mais un risque minime, ou le risque d’être exposé à un préjudice inhérent au processus de renvoi, ne compterait pas. Quoi qu’il en soit, en l’absence d’une méthode permettant de quantifier de tels risques, il ne sert à rien d’exiger un degré précis de probabilité.

[16] Il ne faut pas confondre le degré de risque avec la norme de preuve de ce risque. En principe, la norme est la même dans toutes les affaires de nature civile : la preuve selon la prépondérance des probabilités. Pour décider ce qui est suffisant pour établir une telle preuve, la nature et la gravité du risque doivent peser dans la balance. Les requêtes en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi portent souvent sur des allégations de risque pour la vie ou l’intégrité physique qui sont bien éloignées des risques qui étaient en cause dans des affaires telles que RJR ou SRC. Il faut également tenir compte des ressources dont dispose le demandeur. Il ne faudrait pas s’attendre à une preuve aussi étoffée que celle que l’on voit, par exemple, dans les litiges commerciaux. De plus, quand le risque résulte d’activités illicites, la preuve de ce risque sera rarement directe et concluante. Les individus qui se livrent à des activités illicites en fournissent rarement une preuve, et encore moins à l’avance. [Non souligné dans l’original.]

(Delgado c Canada (Citizenship and Immigration), 2018 FC 1227)

[16]  Comme la Cour l’a confirmé antérieurement, aucune condition établie ne doit être remplie pour qu’un agent puisse exercer son pouvoir discrétionnaire de reporter un renvoi; par conséquent, lorsque des circonstances impérieuses obligent l’agent à reporter un renvoi, alors le ou la juge exigera que l’agent exerce ce pouvoir discrétionnaire (voir la décision Mauricette, précitée, au par. 23).

[17]  M. Revell soutient que si un sursis à l’exécution de son renvoi n’est pas accordé, il sera exposé à une sérieuse possibilité de risque à sa vie, à sa liberté et à sa sécurité, en raison de laquelle il subira un préjudice irréparable. En outre, le demandeur soutient que le fait de le renvoyer en ce moment serait un traitement exagérément disproportionné, portant atteinte à ses droits garantis par l’article 12 de la Charte.

[18]  Bien que l’agent chargé d’examiner les demandes de report de renvoi ne soit pas compétent pour accorder des réparations au titre de la Charte, il est de droit constant que les décideurs administratifs sont obligés d’exercer leur pouvoir discrétionnaire de manière à respecter la Charte. Cette méthode est mieux résumée par la Cour suprême dans l’arrêt Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32 :

[58] Suivant le précédent établi par la Cour dans Doré et Loyola, la question préliminaire qui se pose est de savoir si la décision administrative fait intervenir la Charte en restreignant les protections que confère cette dernière — qu’il s’agisse de droits ou de valeurs (Loyola, par. 39). Dans l’affirmative, il faut se demander « si — en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel — la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » (Doré, par. 57; Loyola, par. 39). L’incidence sur la protection conférée par la Charte doit être proportionnée eu égard aux objectifs visés par la loi. [Non souligné dans l’original.]

[19]  La Cour souscrit à l’argument du demandeur : compte tenu de la pandémie de la COVID‑19, le demandeur subirait un préjudice irréparable si la mesure de renvoi était exécutée en ce moment.

[20]  À la Cour d’appel fédérale, le demandeur contestait la constitutionnalité de son renvoi. Tandis qu’elle rejetait son appel, la Cour d’appel fédérale a souligné que les arguments soulevés par le demandeur étaient prématurés :

[52] La LIPR prévoit donc plusieurs soupapes de sécurité assurant la conformité du processus d’expulsion dans son ensemble aux principes de justice fondamentale. L’enquête par la Section de l’immigration n’est manifestement pas la dernière étape de ce processus complexe et chacun, y compris le demandeur, a la possibilité de voir ses droits garantis par la Charte entièrement évalués avant d’être renvoyé du Canada. La juge n’a pas commis d’erreur en concluant que M. Revell pourrait répéter ses observations sur lesquelles l’agent d’ERAR n’avait pas compétence pour se prononcer quand il demanderait le report de son renvoi, s’il décidait de le demander, à une étape ultérieure du processus d’expulsion (paragraphe 110 des motifs de la CF).

[…]

[57] Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la juge n’a pas commis d’erreur en rejetant les arguments fondés sur l’article 7 de M. Revell, au motif qu’ils étaient prématurés, et en concluant qu’une décision d’interdiction de territoire ne fait pas jouer l’article 7. Cette conclusion est suffisante pour trancher l’appel. Je me pencherai néanmoins sur les questions énoncées plus haut afin de fournir une réponse complète aux questions certifiées.

(Revell CAF, précité, aux par. 52 et 57.)

[21]  Plus loin dans l’arrêt, la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion tirée par la Cour fédérale selon laquelle les droits à la sécurité du demandeur n’étaient pas mis en cause (à ce moment‑là); toutefois, la Cour d’appel fédérale a aussi souligné la situation précise du demandeur à l’égard de laquelle elle avait une grande compassion :

[77] De toute évidence, il est difficile d’établir le point où les répercussions psychologiques découlant d’une mesure prise par l’État deviennent telles qu’elles atteignent le seuil faisant jouer les droits garantis par l’article 7. Comme l’a indiqué le juge en chef Lamer dans l’arrêt G.(J.), « [t]racer les limites de la protection de l’intégrité psychologique de l’individu contre l’ingérence de l’État n’est pas une science exacte » (au paragraphe 59). Cela dit, je serais enclin à penser que le déracinement d’une personne du pays où elle a passé la majeure partie de sa vie (et toute sa vie d’adulte) et son expulsion vers un pays qu’elle connaît à peine et dans lequel elle n’a pas de relations importantes, où ses perspectives d’emploi sont, au mieux, sombres et où il est très peu probable qu’elle puisse se trouver un jour réunie avec sa famille immédiate dépassent les conséquences normales associées à un renvoi. Les préjudices allégués en l’espèce sont sans doute plus importants que ceux que la Cour suprême a rappelés dans l’arrêt G.(J.) « les tensions et les angoisses ordinaires qu’une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d’un acte gouvernemental » (ibid.). Contrairement à la situation qui a été examinée dans l’arrêt Stables c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, [2013] 3 R.C.F. 240 [Stables], il existe des éléments de preuve qui tendent à montrer que les tensions que M. Revell éprouverait, s’il était renvoyé dans son pays d’origine, seraient bien plus importantes que les conséquences normales d’une expulsion. [Non souligné dans l’original.]

[22]  Conscient de cet énoncé de la Cour d’appel fédérale, il serait difficile pour la Cour de ne pas trouver le contexte actuel d’une pandémie suffisant pour faire pencher la balance en faveur du demandeur. Il est certain, comme l’a souligné l’agent, qu’en l’absence de pandémie, M. Revell aurait toujours l’obligation de se réinstaller au R.‑U. et de rebâtir sa vie à l’étranger, tout seul, avec des moyens limités. Il y aurait là un risque de préjudice inhérent au processus de renvoi, qui en soi ne met pas en cause les droits à la liberté et à la sécurité de la personne visée (Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, au par. 56); toutefois, l’agent n’a pas pris en compte le fait que le contexte est aggravé par la pandémie. C’est une chose de se réinstaller dans un pays que le demandeur ne connaît pas, c’en est une tout autre de le faire alors que le monde est complètement bouleversé par la COVID‑19. Un tel contexte mènerait très certainement à un grave danger pour le demandeur, et, peut‑être, pour d’autres personnes autour de lui, si sa quarantaine n’est pas respectée, en raison des voyages proposés par avion et des endroits où il pourrait se trouver.

[23]  En ce qui concerne le dernier volet du critère tripartite pour l’octroi d’un sursis au renvoi, la Cour conclut de toute évidence que la prépondérance des inconvénients milite en faveur d’accorder le sursis. M. Revell ne semble pas constituer un danger imminent pour le public au Canada ni présenter un risque de fuite; comme l’agent l’a fait observer en ce qui concerne sa réinsertion sociale et comme cela a été précisé. La Cour souligne à juste titre que le demandeur a collaboré à chaque étape du processus de renvoi. Il est évident que le préjudice personnel qui lui serait infligé s’il était renvoyé au R.‑U. l’emporte de loin sur tout intérêt public qui pourrait être évoqué dans le cadre de son renvoi du Canada à l’heure actuelle, si l’on tient compte des statistiques actuelles des cas de la COVID‑19 au R.‑U. et du nombre de décès.

III.  Conclusion

[24]  Si le demandeur doit être expulsé, cela se fera uniquement lorsque les professionnels du domaine médical spécialisés en épidémiologie jugeront la situation sanitaire du demandeur et des personnes autour de lui sécuritaire, à chaque étape de l’expulsion et de la destination, parce que toutes les précautions sanitaires nécessaires telles qu’elles sont établies en ce moment et/ou telles qu’elles le seront à l’avenir auront été suivies. Alors, selon la date de l’expulsion du demandeur, conformément à l’état de la technique (en ce qui concerne les mesures en constante évolution mises en œuvre au fur et à mesure des changements dans les statistiques des cas de contamination à la COVID‑19), dans les circonstances jugées acceptables et/ou nécessaires par les protocoles médicaux établis, il faudra attendre que la demande sous‑jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur soit jugée avant que la question du renvoi ne puisse être réexaminée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2709-20

LA COUR STATUE que la présente requête est accueillie à condition que la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente du demandeur puisse être réexaminée avant la question du renvoi.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de juillet 2020

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2709-20

INTITULÉ :

DAVID ROGER REVELL c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

REQUÊTE INSTRUITE PAR TÉLÉCONFÉRENCE, LE 19 JUIN 2020, ENTRE MONTRÉAL (QUÉBEC), TORONTO (ONTARIO), ET VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

jugement et motifs :

Le juge SHORE

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 22 juin 2020

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

Lorne Waldman

Steven Blakey

Peter Larlee

 

Pour le demandeur

 

Banafsheh Sokhansanj

Helen Park

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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