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     IMM-4808-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 SEPTEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE CULLEN

ENTRE

     TATIANA TOCJEVA,

     requérante,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

         VU LA DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision en date du 2 décembre 1996 dans laquelle la section du statut de réfugié [SSR], de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention;

         Vu que la requérante demande que la décision du tribunal soit annulée, et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal de composition différente de la SSR pour qu'il en décide;

         IL EST PAR LES PRÉSENTES ordonné que la demande soit accueillie, et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal de composition différente de la SSR pour qu'il procède à un nouvel examen concernant la question du viol allégué et le risque de persécution par l'armée. Le tribunal doit apprécier la crédibilité de l'incident.

                         B. Cullen

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     IMM-4808-96

ENTRE

     TATIANA TOCJEVA,

     requérante,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 2 décembre 1996 dans laquelle la section du statut de réfugié [SSR], de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

         La requérante demande que la décision du tribunal soit annulée, et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal de composition différente de la SSR pour qu'il en décide.

LES FAITS

         La requérante est citoyenne bulgare. Elle est venue au Canada le 3 mars 1993 et, peu de temps après, elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. La revendication du statut de réfugié présentée par la requérante a été entendue en même temps que celle de son mari, Valeri Yordanov Tochev, le 24 juin 1996. À l'audition, ni l'un ni l'autre des revendicateurs n'a été représenté par avocat. La requérante et son mari sont actuellement séparés, et le sont depuis octobre 1993.

         Le tribunal a rejeté la revendication du statut de réfugié présentée par la requérante et ce, pour les raisons suivantes.

         En premier lieu, le tribunal n'a accepté ni le témoignage de la requérante sur le mauvais traitement infligé par les autorités militaires en Bulgarie avant qu'elle ne vienne au Canada, ni son allégation selon laquelle elle serait persécutée par les autorités militaires bulgares si elle y était renvoyée. Le tribunal a effectivement reconnu que la requérante avait peut-être été interrogée sur les endroits où se trouvait son mari (parce que le mari avait quitté son poste civil dans l'armée sans permission), mais il a conclu que cela aurait été parfaitement normal dans les circonstances. Le tribunal a en outre conclu que même si la requérante avait violé les règles liées à l'obtention d'un emploi dans l'armée et serait poursuivie pour cette raison, une telle poursuite n'équivalait pas à de la persécution.

         En second lieu, compte tenu de la preuve documentaire et du bon sens, le tribunal a conclu que la crainte du mari quant à la vengeance de la part des Turcs en Bulgarie manquait de crédibilité. En conséquence, la partie de la revendication de la requérante qui reposait sur la revendication du mari sur ce point a également été rejetée.

         Le tribunal a interrogé la requérante pour savoir si elle avait des indices permettant de croire que l'armée la recherchait. Il ressort des motifs écrits du tribunal que, selon le témoignage de la requérante, plusieurs mois après son départ de la Bulgarie, deux personnes avec des accents turcs et en civil sont venues à la maison de ses parents et ont demandé à la voir.

         En troisième lieu, le tribunal n'a pas cru que la requérante avait été violée par l'un de ces deux hommes qui avaient demandé à la voir à la maison de ses parents. Le tribunal croyait que le récit de l'incident du viol allégué était censé se rapporter à la vengeance des Turcs contre le mari de la requérante. Parce que le tribunal n'a pas cru le récit de la vengeance des Turcs donné par le mari, il a donc conclu que le récit du viol fait par la requérante n'était pas fondé. Le tribunal a conclu que même si la requérante avait, dans les faits, été violée, un tel viol n'aurait nullement été relié à la situation de son mari, mais aurait été plutôt un incident violent isolé.

         La raison additionnelle pour laquelle le tribunal n'a pas cru l'incident du viol est que cet incident ne figurait pas dans le formulaire de renseignements personnels initial de la requérante [FRP], inclus avec sa revendication du statut de réfugié. La requérante a témoigné qu'il n'y figurait pas parce que le récit avait été préparé en la présence de son mari et son premier avocat, qu'elle ne savait pas comment son mari réagirait à ce renseignement et qu'elle avait peur de ce que son mari pourrait dire à ses enfants à son sujet. Le tribunal a alors demandé à la requérante pourquoi cet incident ne figurait pas dans son second récit, qui n'avait pas été préparé en la présence de son mari. Il ressort des motifs écrits du tribunal que la requérante a répondu qu'elle avait parlé à son avocat du viol.

         Le second récit susmentionné a été inscrit comme pièce "C-6" à l'audition. Voici ce qui est dit à la page 14 de ce

récit :

             [TRADUCTION] Le 18 octobre 1992, j'ai été convoquée au poste de police pour parler à l'agent Mladenov concernant ma plainte. J'ai reçu une convocation. On m'a expliquée qu'en tant que militaire de Rakovski Military Academy récemment renvoyé, la protection de mes droits relevait de la police militaire et non de la police ordinaire.
             J'ai pris alors la décision de quitter la Bulgarie. Le 23-10-92, j'ai été violée par un membre de la police militaire pendant que je me trouvais seule à la maison. On a proféré des menaces en disant qu'une autre police militaire ferait la même chose à moins que je ne sois plus coopérative avec l'armée dans l'avenir. On a fouillé mon appartement pour chercher mon passeport. Par la suite, j'ai reçu de l'assistance médicale...

                     [non souligné dans l'original]

         Il ressort de la transcription de l'audition que la requérante a dit que deux personnes en civil étaient venues à la maison de ses parents pour la rechercher après son départ de la Bulgarie. Il y est également dit que la requérante a déclaré que d'autres personnes dans la région, avec des accents turcs, se renseignaient sur les endroits où elle-même et son mari se trouvaient.

DISCUSSION

         La première conclusion du tribunal sur les épreuves que la requérante a connues aux mains des autorités militaires repose sur l'appréciation de la crédibilité de celle-ci. Normalement, la Cour répugne à toucher aux conclusions de la SSR relativement à la crédibilité.

         Pour ce qui est des conclusions du tribunal selon lesquelles les peines auxquelles s'exposerait la requérante en Bulgarie pour avoir quitté son poste civil dans l'armée sans permission équivalent à la poursuite et non à la persécution, encore une fois, je ne trouve aucune raison d'intervenir.

         Toutefois, je crois que l'appréciation par le tribunal de l'incident du viol allégué connaît de sérieux problèmes. Bien qu'il semble que le tribunal ait reconnu que le viol allégué avait été commis par des militaires, il est également évident que le tribunal comprenait que le viol avait été commis par des Turcs et se rapportait à la violence ethnique et à la persécution découlant d'une telle violence.

         L'appréciation par le tribunal de l'incident du viol allégué connaît un second problème sérieux, savoir que le fait pour le tribunal de ne pas croire l'incident repose en partie sur l'idée que cet incident ne figurait pas dans le second récit joint au FRP de la requérante. Le tribunal a donc fait une appréciation défavorable de la crédibilité de la requérante, et il a cru qu'elle avait inventé l'histoire [TRADUCTION] "sur place", pour ainsi dire. Toutefois, le dossier indique clairement que l'incident du viol figurait dans le second récit. L'appréciation par le tribunal de l'incident repose donc sur une conclusion de fait erronée tirée sans tenir compte du dossier dont le tribunal était saisi. Cette erreur est importante en l'espèce, parce qu'elle porte aussi atteinte à la crédibilité de la requérante.

         Il faut se rappeler que, selon la transcription de l'audition, le tribunal a accepté le FRP de la requérante, et le récit y figurant, comme témoignage sous serment dès le début de l'audition. Le tribunal ne saurait accepter quelque chose comme témoignage sous serment et puis prend une décision comme si des parties de ce témoignage n'existent pas.

CONCLUSION

         La requérante ne s'est pas fait représenter à l'audition de sa revendication du statut de réfugié. Peut-être, si elle avait été représentée par avocat à l'audition, il aurait été plus facile pour le tribunal de ne pas oublier le témoignage pertinent. Le traitement au hasard réservé par le tribunal à une partie du témoignage portant sur le fond de la question de persécution, ce qui a fait que le témoignage pertinent avait été méconnu, constitue une erreur de fait commise sans tenir compte du dossier devant le tribunal.

         Il est évident, compte tenu du dossier et des motifs écrits du tribunal, que le tribunal a commis des erreurs de fait qui ont conduit à une mauvaise interprétation de l'incident du viol allégué. En raison de ces conclusions de fait erronées, le tribunal n'a pas examiné s'il existait un risque raisonnable de persécution pour la requérante compte tenu de l'incident du viol allégué. La requérante n'a pas allégué qu'elle avait été violée par un Turc, comme le tribunal cru qu'elle avait allégué ce fait. La requérante n'a pas allégué qu'elle avait été violée par quelqu'un. Elle a allégué qu'elle avait été violée par un membre de la police militaire, et que la police militaire était l'autorité à laquelle elle devait s'adresser pour être protégée.

         S'il s'avère que le récit de la requérante à cet égard est crédible, alors il ne serait certes pas raisonnable de conclure que le viol est une forme acceptable de poursuite relativement à des lois d'application générale.

         À mon avis, la question du risque de persécution par les autorités militaires n'a pas été abordée par le tribunal. L'appréciation par le tribunal de la crédibilité de la requérante relativement au viol allégué ne saurait être confirmée, puisqu'elle repose sur des conclusions de fait erronées et ne tient pas compte du témoignage pertinent.

         L'intimé n'a présenté aucune observation écrite en l'espèce, sauf une lettre adressée par son avocat à celui de la requérante, laquelle lettre est datée du 5 septembre 1997. Une partie de la lettre est ainsi rédigée :

         [TRADUCTION]
         En premier lieu, l'intimé reconnaît qu'il existe une erreur dans la décision de la section du statut de réfugié relative à l'incident du viol de la requérante. Le tribunal a conclu que la personne impliquée dans cet incident parlait le turc et était liée à la crainte alléguée de la requérante découlant de ce que son mari s'occupait de débaptiser les Turcs. Il ressort toutefois de la transcription que la personne qui avait violé la requérante était un officier militaire. (Dossier p. 370).
         Dans l'appréciation de la preuve du viol, le tribunal a invoqué deux autres motifs de rejet de ce viol sur lequel reposait la revendication du statut de réfugié. Le premier était celui de la crédibilité. Le second était que cet incident était un incident violent isolé. (Motifs, p. 5). L'intimé a l'intention de défendre cette décision en se fondant sur ce dernier motif.

         Cette lettre ne constituait pas des observations de l'intimé et ne se caractérisaient pas comme telles, mais les arguments invoqués peuvent être tranchés par un tribunal de composition différente de la SSR. L'avocat de la requérante était au courant des arguments invoqués dans la lettre.

         L'espèce est renvoyée à un tribunal de composition différente de la SSR pour qu'il procède à un nouvel examen au sujet du viol allégué et du risque de persécution par l'armée. Le tribunal doit apprécier la crédibilité de cet incident. En

conséquence, la présente demande est accueillie.

                                 B. Cullen

                                     J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 11 septembre 1997

Traduction certifiée conforme

                         Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-4808-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :              TATIANA TOCJEVA

                                 c.

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 9 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

EN DATE DU                      11 septembre 1997

ONT COMPARU :

Kirk J. Cooper                      pour la requérante

Sally Thomas                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Kirk J. Cooper                      pour la requérante

Toronto (Ontario)

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

                             pour l'intimé


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