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Date : 202000619


Dossier : T‑1667‑19

Référence : 2020 CF 712

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2020

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

DALVIR S. SANGHA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Dalvir Sangha, le demandeur, demande à la Cour d’examiner le refus d’un délégué du ministre du Revenu national (ministre) d’annuler l’impôt imposé pour les années d’imposition 2017 et 2018 sur les cotisations excédentaires qu’il a effectuées à son compte d’épargne libre d’impôt (CELI). Le refus est énoncé dans une lettre du 2 octobre 2019 (la décision) adressée à M. Sangha.

[2]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, parce que la décision présente des lacunes sur les plans de l’analyse et de la justification. Le délégué du ministre a omis d’évaluer raisonnablement les éléments de preuve versés au dossier et les observations présentées par M. Sangha dans sa demande de renonciation aux conditions énoncées dans la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) (la LIR) nécessaires à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. L’examen approfondi de la demande par le délégué s’est limité à un énoncé superficiel selon lequel M. Sangha a fait une série de cotisations excédentaires malgré la mise en garde qu’il avait reçue au sujet du statut de son CELI. L’énoncé a indûment simplifié les événements qui ont donné lieu à l’imposition de l’impôt sur les cotisations excédentaires et, à lui seul, il ne constitue pas une explication adéquate du refus du ministre.

[3]  À titre préliminaire et avec le consentement des parties, l’intitulé de la cause en l’espèce est modifié de façon à désigner la bonne partie défenderesse, soit le procureur général du Canada.

I.  Aperçu

[4]  Le contexte de la demande de M. Sangha à la Cour est simple. Le litige se rapporte à un certain nombre de cotisations versées à un CELI et de retraits de celui‑ci effectués par M. Sangha en 2016, 2017 et 2018 qui ont donné lieu à des montants excédentaires dans son CELI en 2017 et en 2018. L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a imposé un impôt mensuel de 1 % sur les montants excédentaires conformément à l’article 207.02 de la LIR.

[5]  La séquence des cotisations et des retraits est importante dans mon analyse de la question de savoir si la décision était raisonnable. Voici les dates et les événements pertinents :

  • - En 2016, M. Sangha a versé une cotisation de 81 000 $ dans son CELI. Ses droits de cotisation à un CELI pour 2016 étaient de 44 592 $, ce qui a donné lieu à une cotisation excédentaire au compte au 31 décembre 2016. Par conséquent, M. Sangha n’avait pas de droits de cotisation pour 2017.

  • - En mars 2017, M. Sangha a déposé 10 000 $ dans son CELI.

  • - En avril 2017, M. Sangha a retiré tout le solde de son CELI.

  • - Le 1er juin 2017, l’ARC a envoyé une lettre à M. Sangha pour l’informer de ses cotisations excédentaires à son CELI pour 2016 (la lettre de juin 2017). La lettre indiquait notamment que, s’il continuait de verser des cotisations excédentaires [traduction] « à l’avenir », il pourrait être assujetti à un impôt de 1 % pour chaque mois où l’excédent demeurerait dans le CELI.

  • - En septembre 2017, M. Sangha a versé 35 000 $ dans son CELI, ce qui a donné lieu à une cotisation excédentaire de 35 000 $ au 31 décembre 2017.

  • - La cotisation excédentaire est demeurée dans le CELI jusqu’en août 2018, lorsque M. Sangha a retiré le montant excédentaire.

[6]  L’ARC a établi des cotisations fiscales sur le CELI pour les années d’imposition 2017 et 2018, qui indiquent chacune l’excédent CELI dans le compte par mois et le calcul de l’impôt, des intérêts et des pénalités imposés à l’égard des montants excédentaires.

[7]  M. Sangha a présenté une première demande de renonciation à l’impôt, aux intérêts et aux pénalités sur l’excédent CELI le 28 avril 2019 (la première demande de renonciation). Il s’est appuyé sur la lettre de juin 2017 pour faire valoir qu’il ne devrait pas avoir à payer d’impôt sur le CELI avant juillet 2017. M. Sangha a accepté [traduction] « l’entière responsabilité de tous les frais après juin 2017 ». Il a reconnu avoir déposé 35 000 $ dans son CELI en septembre 2017, mais il a expliqué qu’il ne savait pas qu’il devait attendre jusqu’en 2018 pour verser d’autres cotisations.

[8]  La première demande de renonciation a été refusée par l’ARC le 15 juillet 2019 (premier refus). L’agent de l’ARC a fondé le refus sur le fait que M. Sangha avait versé la cotisation excédentaire au CELI en septembre 2017, après avoir reçu la lettre de juin 2017.

[9]  Le 22 juillet 2019, M. Sangha a envoyé une deuxième demande de renonciation à l’ARC (deuxième demande de renonciation). Il a souligné qu’il avait retiré tous les fonds de son CELI en mai 2017 (la référence devrait être avril 2017) et qu’entre mai et août 2017, le solde de son CELI était à zéro. M. Sangha s’est de nouveau appuyé sur la lettre de juin 2017 et sur le fait qu’elle indiquait que les cotisations futures pourraient entraîner l’imposition de l’impôt sur l’excédent CELI. M. Sangha a reconnu avoir déposé 35 000 $ dans un CELI en septembre 2017, mais il a soutenu que le ministre devrait néanmoins exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par la LIR d’annuler tout l’impôt figurant dans les cotisations au CELI de 2017 et de 2018. En terminant, M. Sangha a souligné que le différend avec l’ARC lui causait un stress malheureux compte tenu de sa mauvaise santé.

II.  La décision visée par le contrôle

[10]  La décision a été rendue en réponse à la deuxième demande de renonciation. Après avoir examiné les renseignements présentés et les faits en l’espèce, le délégué du ministre a conclu que M. Sangha avait continué de verser des cotisations à son CELI en 2017, après avoir été avisé de ses cotisations excédentaires de 2016 par la lettre de l’ARC de juin 2017. Le représentant du ministre a confirmé qu’aucune circonstance ne justifierait l’annulation de l’impôt prélevé sur l’excédent CELI pour 2017 et 2018, et que la cotisation initiale de l’ARC était correcte. Je résume plus en détail la décision au paragraphe 25 du présent jugement dans le cadre de mon analyse.

III.  La question en litige et la norme de contrôle

[11]  La seule question à trancher dans la présente demande est de savoir si la décision était raisonnable.

[12]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada (CSC) ont établi que la norme de contrôle de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle d’une décision administrative sur le fond, sous réserve de certaines exceptions précises, « lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit l’exige » (Vavilov, au par. 10). Il n’y a aucune raison de déroger à la norme de contrôle présumée en l’espèce (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au par. 27 (Postes Canada)). Le contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable est également conforme à la jurisprudence antérieure à Vavilov (Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd. c Canada (Revenu national), 2018 CAF 136, au par. 22; Weldegebriel c Canada (Procureur général), 2019 CF 1565, au par. 5 (Weldegebriel)).

[13]  Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont donné des indications pour aider les cours de révision dans l’application de la norme de la décision raisonnable. J’ai suivi ces indications lors de mon examen; j’ai fait preuve de retenue tout en procédant à un contrôle rigoureux de la décision contestée afin d’établir si celle‑ci est intrinsèquement cohérente et justifiée (Vavilov, aux par. 12 à 15, 85, 86 et 99; voir aussi Postes Canada, aux par. 28 et 29). Un tel examen respecte le rôle distinct des décideurs administratifs (Vavilov, au par. 13) et souligne l’importance des motifs et de la justification donnés par le décideur de sa décision (Vavilov, aux par. 86 et 95).

IV.  Analyse

[14]  Je remarque d’abord que l’un des arguments de M. Sangha dans la présente demande remet en question les cotisations de l’ARC établies sur le CELI pour 2017 et 2018. Il soutient que les cotisations étaient erronées et qu’en fait, il ne devrait pas être assujetti à un impôt sur les cotisations excédentaires pour l’une ou l’autre des années. Je suis d’accord avec la position du défendeur selon laquelle cet argument soulève une question de compétence. Comme je l’ai expliqué à l’audience, les cotisations sous‑jacentes établies par l’ARC, y compris les calculs établissant les cotisations excédentaires, ne sont pas assujetties à l’examen de la Cour. La seule question dont je suis saisie est le refus du délégué du ministre d’accorder à M. Sangha une renonciation discrétionnaire de l’impôt imposé sur les cotisations excédentaires. Dans la mesure où M. Sangha soutient que la décision était déraisonnable parce que les cotisations sous‑jacentes étaient erronées, je n’ai pas tenu compte de cet argument, car il s’agit d’une contestation indirecte des cotisations établies sur le CELI pour 2017 et 2018.

[15]  Les autres observations formulées par M. Sangha peuvent être résumées ainsi :

  • a) La décision a fait fi, de façon déraisonnable, de la lettre de juin 2017. M. Sangha s’appuie sur deux aspects de la lettre : (1) un énoncé selon lequel, s’il avait versé des cotisations excédentaires à son CELI, il devrait retirer immédiatement l’excédent; et (2) une mise en garde selon laquelle, s’il continuait de verser des cotisations supérieures à ses droits de cotisation disponibles pour l’avenir, l’ARC pourrait lui réclamer un impôt de 1 % pour chaque mois où l’excédent demeurera dans son CELI. M. Sangha affirme avoir retiré tous les montants, et non seulement l’excédent de son CELI, avant la réception de la lettre de juin 2017.

  • b) La cotisation excédentaire de septembre 2017 était une erreur de bonne foi et tenait compte du fait que M. Sangha avait mal compris la loi applicable, l’obligeant à attendre jusqu’en janvier 2018 pour verser des cotisations supplémentaires à son CELI.

  • c) Le fait que le délégué du ministre n’ait pas tenu compte de la grave maladie de M. Sangha et du stress qu’il a subi en raison de la cotisation de l’impôt sur le CELI rend la décision déraisonnable.

[16]  Les observations du défendeur reposent en grande partie sur le cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov à l’égard du contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le défendeur soutient que la décision était intrinsèquement cohérente et justifiée à la lumière des renseignements dont disposait le délégué du ministre et souligne l’importance du dossier et la portée du paragraphe 207.06(1) de la LIR (Vavilov, aux par. 83, 86 et 90). Le défendeur soutient que le délégué du ministre a analysé le dossier, notamment la lettre de juin 2017 et le premier refus, en tenant compte des deux conditions relatives à la renonciation énoncées au paragraphe 207.06(1) et qu’il a raisonnablement conclu que M. Sangha avait à maintes reprises cotisé en trop à son CELI. Il a été mis en garde contre les conséquences des cotisations excédentaires, et pourtant, il a cotisé davantage de fonds en septembre 2017. De plus, il a permis que ces fonds demeurent dans le CELI jusqu’en août 2018.

[17]  J’ai attentivement examiné les observations du défendeur par rapport aux dispositions pertinentes de la LIR, au dossier dont disposait le délégué du ministre, au cadre de la CSC et à la décision. Même si les observations du défendeur étaient exhaustives et très habiles, j’estime qu’elles ne sont pas convaincantes et je conclus que la décision n’était pas raisonnable, car elle est dépourvue d’analyse et de justification.

[18]  Les dispositions de la LIR en fonction desquelles le délégué du ministre a rendu la décision établissent le contexte juridique pour mon examen des observations des parties (Vavilov, au par. 108). L’impôt sur l’excédent CELI a été établi par l’ARC en vertu de l’article 207.02 de la LIR. La demande d’une renonciation discrétionnaire de l’impôt sur le CELI de M. Sangha a été présentée en vertu du par. 207.06(1).

[19]  Le paragraphe 207.06(1) de la LIR confère au ministre l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans les cas suivants :

  1. a) Le contribuable convainc le délégué du ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable;

  2. Le montant excédentaire dans le CELI est retiré sans délai par le contribuable.

[20]  Pour faciliter la consultation, les dispositions de l’article 207.02 et du paragraphe 207.06(1) de la LIR sont reproduites intégralement à l’annexe A du présent jugement.

[21]  Les éléments de preuve dont disposait le délégué du ministre ont établi que M. Sangha avait commencé l’année d’imposition 2017 en ayant versé des cotisations excédentaires à son CELI, auxquelles il a ajouté des cotisations en mars 2017. Il a retiré tous les fonds de son CELI en avril 2017. M. Sangha a ensuite reçu la lettre de juin 2017. Malgré la mise en garde figurant dans la lettre de juin 2017, M. Sangha a versé une cotisation de 35 000 $ à son CELI en septembre 2017, ce qui a donné lieu à une cotisation excédentaire de 35 000 $. Il a maintenu la cotisation excédentaire dans son CELI jusqu’en août 2018.

[22]  Les cotisations au CELI de 2017 et de 2018 indiquent que l’impôt sur le CELI prévu à l’article 207.02 a été imposé à l’égard des montants mensuels excédentaires suivants :

Janvier et février 2017 :

30 908 $

Mars et avril 2017 :

40 908 $

De mai à août 2017 :

0 $

De septembre à décembre 2017 :

35 000 $

De janvier à août 2018 :

15 816,03 $

De septembre à décembre 2018 :

0 $

[23]  Les observations de M. Sangha dans la deuxième demande de renonciation portent sur (1) la lettre de juin 2017 et ses répercussions sur les cotisations excédentaires au CELI de janvier à avril 2017; et (2) le fait que sa cotisation de septembre 2017 est la conséquence d’une erreur raisonnable.

[24]  Le délégué du ministre est tenu d’appliquer les conditions de la renonciation énoncées au paragraphe 207.06(1) à la trame factuelle de l’affaire en particulier (Vavilov, aux par. 125 et 126) et tenir compte valablement des préoccupations centrales soulevées par le contribuable : en l’espèce, les arguments soulevés par M. Sangha dans sa deuxième demande de renonciation (Vavilov, aux par. 94 et 127).

[25]  Par conséquent, je passe maintenant à la décision. Le délégué du ministre a mentionné la deuxième demande de renonciation de M. Sangha, en indiquant seulement [TRADUCTION] « vous avez déclaré avoir cotisé à votre CELI par erreur, mais vous avez retiré l’excédent ». Le délégué a confirmé qu’un représentant distinct de l’ARC qui n’était pas impliqué dans le premier refus a tenu compte de la situation de M. Sangha, mais a conclu que la demande de renonciation ne pouvait être accordée. Outre un certain nombre de paragraphes généraux qui fournissent des renseignements de base sur le CELI, les paragraphes clés de la décision sont les suivants :

[traduction]

Après un examen approfondi des renseignements fournis et des faits de votre dossier, nous avons conclu que vous avez continué à verser des cotisations excédentaires à votre CELI en 2017, après avoir été informé par l’ARC des cotisations excédentaires versées à votre CELI en 2016.

[…]

Nous devons confirmer qu’après avoir examiné les documents que vous nous avez envoyés et les renseignements dont nous disposons, aucune circonstance ne justifie l’annulation de l’impôt sur vos cotisations excédentaires au CELI.

[26]  Mon rôle n’est pas de substituer ma propre décision à celle du délégué du ministre ni d’examiner la décision au regard d’une norme de perfection (Vavilov, aux par. 83 et 91). Par conséquent, je m’abstiens de faire des commentaires sur l’issue définitive de la deuxième demande de renonciation de M. Sangha. Toutefois, j’estime que les motifs donnés par le délégué du ministre comportent des lacunes fondamentales. Je souligne que ma conclusion n’exige pas qu’un délégué du ministre rédige de longs motifs, mais elle exige une analyse, qui peut être brève, du cadre juridique applicable, des éléments de preuve importants et des observations versées au dossier qui permettent au lecteur de comprendre la justification du délégué quant à l’issue de l’affaire.

[27]  Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont insisté sur l’importance des motifs fournis par un décideur, affirmant que « le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision ». (Vavilov, au par. 83; voir aussi les par. 91 à 98). La décision effectivement rendue en l’espèce n’explique pas le raisonnement du délégué du ministre. La raison du refus de renoncer à l’impôt sur le CELI est expliquée dans un énoncé : les cotisations continues de M. Sangha après la réception de la lettre de juin 2017. Le délégué du ministre n’a pas traité de trois questions importantes, dont la première est une erreur déterminante. Plus précisément, le délégué n’a pas tenu compte de l’observation de M. Sangha au sujet des répercussions de la lettre de juin 2017 et de son retrait antérieur de tous les montants de son CELI. Deuxièmement, le délégué du ministre n’a pas expliqué pourquoi l’observation de M. Sangha au sujet de l’erreur raisonnable du contribuable n’était pas convaincante. Enfin, le délégué n’a pas mentionné les conditions du paragraphe 207.06(1) ni leur application à la situation de M. Sangha.

[28]  Le délégué du ministre a mentionné en termes généraux la lettre de juin 2017, mais il n’a pas fait de distinction entre les cotisations excédentaires versées (et retirées) par M. Sangha avant juin 2017 et la cotisation subséquente de septembre 2017, ce sur quoi M. Sangha met évidemment l’accent de façon importante. Le délégué semble avoir considéré que la cotisation excédentaire de septembre 2017 de M. Sangha teintait toutes ses opérations, avant et après la lettre, le plaçant dans la catégorie de « surcotisant » récidiviste. La décision ne comporte aucune analyse au sujet de la mise en garde dans la lettre de juin 2017 sur l’imposition possible future de l’impôt sur le CELI. M. Sangha s’appuie sur l’énoncé prospectif de l’ARC pour faire valoir que l’impôt imposé sur ses cotisations excédentaires avant juin devrait être annulé. Le délégué du ministre a fait fi de cet argument. Cette omission fragilise considérablement la position du défendeur selon laquelle la décision est pleinement justifiée. Le contribuable a l’impression que le ministre n’a pas tenu compte des renseignements fournis par l’ARC.

[29]  Le défendeur soutient que le délégué du ministre n’était pas tenu d’examiner les cotisations excédentaires individuelles, mais qu’il s’est concentré à juste titre sur la série de cotisations excédentaires de M. Sangha. À mon avis, afin de justifier adéquatement le refus de renoncer à toute partie de la taxe imposée pour ce motif, le représentant du ministre devait expliquer à M. Sangha pourquoi la cotisation de septembre 2017 a influé sur les opérations qu’il avait effectuées avant la lettre de juin 2017.

[30]  Deuxièmement, le représentant du ministre n’a pas répondu à l’observation de M. Sangha au sujet de l’erreur raisonnable et de la cotisation de septembre 2017. Le défendeur soutient que l’argument de M. Sangha concernant l’erreur commise de bonne foi n’est pas suffisant en soi pour justifier une renonciation, d’autant plus que M. Sangha a été mis en garde contre les conséquences d’autres cotisations excédentaires au CELI (Weldegebriel, aux par. 10 et 15; Dimovski c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 721, au par. 17). Je reconnais l’observation du défendeur au sujet de la jurisprudence existante et l’insistance de la Cour sur le fait que, dans le système canadien d’autocotisation, l’incompréhension de la loi par un contribuable n’est généralement pas une erreur raisonnable au sens du par. 207.06(1). Je reconnais également que la décision mentionne les cotisations excédentaires continues de M. Sangha après réception de la lettre de juin 2017. La mention a peut‑être pour but de réfuter la caractérisation par M. Sangha de sa cotisation de septembre 2017 comme étant de bonne foi, mais j’estime que le lien entre les observations de M. Sangha, l’énoncé du délégué et la jurisprudence n’est pas évident (Vavilov, au par. 97, citant Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431, au par. 11).

[31]  Le défendeur soutient que le délégué du ministre s’est appuyé sur les directives figurant dans le manuel sur les comptes d’épargne libre d’impôt de l’ARC à l’intention des décideurs au sujet de l’application pratique du par. 207.06(1). Le manuel de l’ARC énonce les principaux facteurs dont un délégué doit tenir compte, notamment si le contribuable est un cotisant excédentaire pour la première fois ou s’il est un cotisant excédentaire récidiviste; si les cotisations excédentaires ont été retirées sans délai; et s’il y a eu des circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté du contribuable et pouvant indiquer que l’obligation de payer l’impôt est attribuable à une erreur raisonnable de sa part.

[32]  Je reconnais que le délégué du ministre s’est appuyé sur le manuel de l’ARC pour en arriver à la décision. Toutefois, rien n’indique dans la décision que les facteurs énoncés dans le manuel ont été évalués en tenant compte des circonstances et des observations de M. Sangha.

[33]  Enfin, le délégué du ministre n’a pas mentionné les deux conditions nécessaires à une renonciation de l’impôt sur le CELI (paragraphe 207.06(1) de la LIR). Le défendeur s’appuie sur le fait que le premier refus énonce les deux conditions et soutient que je dois examiner le caractère raisonnable de la décision en tenant compte du dossier. Bien que je sois d’accord avec le défendeur pour dire que le dossier est essentiel à l’examen d’une décision administrative, la décision elle‑même doit contenir suffisamment de motifs pour que le lecteur puisse comprendre l’effet des éléments de preuve et des documents versés au dossier sur l’issue de l’affaire. En l’espèce, il n’y a aucune mention dans la décision du premier refus ni aucune mention ni explication des conditions énoncées au paragraphe 207.06(1).

[34]  Je suis convaincue que M. Sangha a démontré que la décision n’était pas raisonnable. J’estime que la décision ne témoigne pas d’une évaluation cohérente du droit applicable et des faits et observations importants contenus au dossier et que le refus du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire n’était ni intelligible ni justifié. Le lecteur doit établir sa propre chaîne d’analyse pour expliquer le refus. Les enseignements de l’arrêt Vavilov font clairement ressortir l’importance d’examiner les motifs fournis par un décideur administratif et mettent en garde la cour de révision de ne pas fournir de motifs supplémentaires pour étayer le résultat de la décision en question (Vavilov, au par. 96) :

[96] … Autoriser une cour de révision à agir ainsi reviendrait à permettre à un décideur de se dérober à son obligation de justifier, de manière transparente et intelligible pour la personne visée, le fondement pour lequel il est parvenu à une conclusion donnée. Cela reviendrait également à adopter une méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui serait axée uniquement sur le résultat de la décision, à l’exclusion de la justification de cette décision. Dans la mesure où des arrêts comme Newfoundland Nurses et Alberta Teachers ont été compris comme appuyant une telle conception, cette compréhension est erronée.

V.  Conclusion

[35]  La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La deuxième demande de renonciation de l’impôt présentée par M. Sangha relativement à ses cotisations excédentaires à un CELI pour les années d’imposition 2017 et 2018 doit être renvoyée à un autre délégué du ministre pour nouvel examen.

[36]  À l’audience, M. Sangha a semblé demander à la Cour de lui adjuger les dépens qu’il a formulés en termes de dommages‑intérêts. Toutefois, sous réserve d’une exception rare et limitée, qui ne s’applique pas en l’espèce, on ne peut demander des dommages‑intérêts dans un contrôle judiciaire (Canada (Procureur général) c Oshkosh Defense Canada Inc., 2018 CAF 102, au par. 33). Néanmoins, je ne vois aucune raison de s’écarter de la règle générale de l’adjudication des dépens en faveur de la partie qui a gain de cause et, compte tenu des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, j’accorde à M. Sangha le montant de 350 $ au titre des dépens.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1667‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre délégué du ministre en vue d’un nouvel examen.

  2. L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada y soit désigné à titre de défendeur.

  3. Les dépens, d’une valeur de 350 $, sont accordés à M. Sangha.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de juillet 2020

Maxime Deslippes


Annexe A

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)

Income Tax Act, R.S.C., 1985, c. 1 (5th Supp.)

Impôt à payer sur l’excédent CÉLI

Tax payable on excess TFSA amount

207.02 Le particulier qui a un excédent CÉLI au cours d’un mois civil est tenu de payer pour le mois, en vertu de la présente partie, un impôt égal à 1 % du montant le plus élevé de cet excédent pour le mois.

207.02 If, at any time in a calendar month, an individual has an excess TFSA amount, the individual shall, in respect of that month, pay a tax under this Part equal to 1% of the highest such amount in that month.

Renonciation

Waiver of tax payable

207.06 (1) Le ministre peut renoncer à tout ou partie de l’impôt dont un particulier serait redevable par ailleurs en vertu de la présente partie par l’effet des articles 207.02 ou 207.03, ou l’annuler en tout ou en partie, si, à la fois :

207.06 (1) If an individual would otherwise be liable to pay a tax under this Part because of section 207.02 or 207.03, the Minister may waive or cancel all or part of the liability if

a) le particulier convainc le ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable;

(a) the individual establishes to the satisfaction of the Minister that the liability arose as a consequence of a reasonable error; and

b) sont effectuées sans délai sur un compte d’épargne libre d’impôt dont le particulier est titulaire une ou plusieurs distributions dont le total est au moins égal au total des sommes suivantes :

(b) one or more distributions are made without delay under a TFSA of which the individual is the holder, the total amount of which is not less than the total of

(i) la somme sur laquelle le particulier serait par ailleurs redevable de l’impôt,

(i) the amount in respect of which the individual would otherwise be liable to pay the tax, and

(ii) le revenu, y compris le gain en capital, qu’il est raisonnable d’attribuer, directement ou indirectement, à la somme visée au sous‑alinéa (i).

(ii) income (including a capital gain) that is reasonably attributable, directly or indirectly, to the amount described in subparagraph (i).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1667‑19

 

INTITULÉ :

DALVIR S. SANGHA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par téléconférence entre Vancouver (Colombie‑Britannique) et Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 juin 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE :

Le 19 juin 2020

 

COMPARUTIONS :

Dalvir S. Sangha

 

le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Kieran Meehan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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