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Date : 20020327

Dossier : T-788-01

Référence neutre :2002 CFPI 348

Ottawa (Ontario), le mercredi 27 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                   NLHA'7KAPMX CHILD AND FAMILY SERVICES

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                              - et -

                                                         CRAIG ALLAN LOCKHART

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Craig Allan Lockhart, le défendeur en l'instance, est un ancien employé de la demanderesse Nlha'7kapmx Child and Family Services (NCFS). L'emploi de M. Lockhart s'est terminé le 5 juillet 2000. M. Lockhart a alors déposé une plainte de congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (Code). Cette plainte a été entendue par un arbitre désigné en vertu de l'article 242 du Code.

[2]                 L'arbitre, dans une décision datée du 3 avril 2001, a conclu que le congédiement de M. Lockhart était injuste. L'arbitre a enjoint à la NCFS de payer à M. Lockhart la somme de 15 500 $, moins les retenues légales. Afin de permettre à M. Lockhart de [traduction] « se blanchir » , l'arbitre a également ordonné :

[traduction]

En vertu de l'alinéa 242(4)c), je peux « prendre toute autre mesure » qui soit équitable. Je peux ordonner toute autre réparation pour contrebalancer les effets du congédiement. Je note que le plaignant ne souhaite pas être réintégré. Son but consiste à se blanchir et à obtenir quelques revenus qu'il a perdus. Il n'est pas du tout certain que, si l'employeur avait réintégré le plaignant et demandé au MEF une réintégration de la délégation, le plaignant aurait été en mesure de travailler avec les enfants dans le besoin. Cependant, il est clair également qu'il a été injustement congédié. Afin de « le blanchir » , j'ordonne que la présente décision soit affichée sur tous les tableaux d'affichage de l'employeur. À la demande de M. Lockhart, l'employeur paiera une annonce d'une demi-page indiquant qu'une décision de congédiement injuste a été rendue en vertu du Code canadien du travail dans laquelle M. Lockhart s'est vu accorder 15 500 $.

En résumé, j'ordonne que la Nlha'7kampx Child and Family Services Society paie 15 500 $ d'ici le 15 avril 2001. J'ordonne également que, dans les 30 jours de la demande écrite de M. Lockhart à Nita Walkem, l'employeur paie pour une annonce d'une demi-page dans tous les journaux communautaires locaux dans un rayon de 70 km de Lytton et de Merritt.

[3]                 La NCFS présente, en l'espèce, la demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre.

LES FAITS


[4]                 La NCFS est un organisme sans but lucratif qui offre différents services, y compris des services de protection, aux enfants autochtones. La NCFS est financée par le ministère des Affaires indiennes afin de desservir six bandes autochtones dans la région de Lytton et de Spences Bridge en Colombie-Britannique.

[5]                 En vertu de lettres de délégation accordées par le ministère des Enfants et de la famille de la Colombie-Britannique (MEF) qui autorise des personnes à travailler en tant qu'agent de protection de l'enfance, deux gestionnaires de cas sont employés par la NCFS. M. Lockhart, qui détient un baccalauréat en service social, a reçu une telle lettre de délégation et a été employé comme l'un des deux gestionnaires de cas pour la NCFS à compter du 2 septembre 1997 jusqu'à ce qu'il soit suspendu de ses fonctions le 21 avril 1999.

[6]                 Le 21 avril 1999, M. Lockhart a été arrêté et accusé de deux chefs d'agression sexuelle et de deux chefs de contacts sexuels. La plaignante était sa fille. Le jour suivant, le directeur de la protection de l'enfance au MEF, a écrit à la directrice déléguée de la NCFS, Nita Walkem, l'avisant qu'en raison des accusations criminelles, la délégation de M. Lockhart serait suspendue indéfiniment en attendant le résultat des accusations. Le 27 avril 1999, Mme Walkem a informé M. Lockhart que le conseil d'administration de la NCFS avait décidé de le suspendre sans salaire jusqu'à ce que les affaires criminelles soient résolues.


[7]                 Par la suite, le 11 mai 1999, la Couronne a sursis aux deux accusations d'agression sexuelle. La Couronne a sursis aux deux accusations de contacts sexuels le 10 avril 2000, au début du procès. Toutefois, la fille de M. Lockhart est, par la suite, demeurée en garde préventive et un ordre du tribunal interdisait toujours à M. Lockhart de communiquer avec elle.

[8]                 Le jour même où l'on a sursis aux accusations, M. Lockhart a demandé d'être réintégré dans son emploi. Le 5 juillet 2000, M. Lockhart a reçu une lettre de Mme Walkem, dont voici la teneur intégrale :

[traduction]

La présente est pour vous aviser que vos services ne sont plus requis de la part de notre organisme, en raison du fait que votre délégation a été retirée par le directeur et que, sans ladite délégation, vous ne seriez pas en mesure d'exécuter les tâches pour lesquelles vous avez été engagé.

J'ai été informée qu'il y avait un arrêt des procédures relativement aux accusations déposées contre vous. Il n'y a pas eu d'acquittement, ce qui signifie qu'il existe une possibilité que lesdites accusations soient de nouveau déposées au tribunal.

[9]                 Peu de temps après, M. Lockhart a déposé sa plainte de congédiement injuste.

[10]            L'audience d'arbitrage s'est tenue le 28 mars 2001. Les seuls témoins qui ont été entendus étaient Mme Walkem de la NCFS, M. Lockhart et son épouse. L'arbitre a rendu sa décision le 3 avril 2001.

[11]            Par lettre datée du 14 mai 2001, les avocats de la NCFS ont demandé à ce que l'audience soit rouverte afin d'entendre des éléments de preuve nouveaux. L'arbitre a répondu par lettre datée du 15 mai 2001, rejetant cette demande, indiquant en partie :


[traduction]

Je suis dessaisi de l'affaire. J'ai accordé aux deux parties tout le temps nécessaire afin de présenter leur preuve et/ou pour retenir les services d'un avocat afin de les instruire concernant les questions pertinentes. Je ne crois pas avoir la compétence pour rouvrir ma décision.

  

LA DÉCISION DE L'ARBITRE

[12]            L'arbitre a noté que, en ce qui a trait à l'arrêt des procédures relativement aux accusations criminelles au procès, le procureur a avisé le juge qui présidait le procès comme suit :

[traduction]

Monsieur le juge, j'ai regardé mes notes, pendant la pause du dîner, et j'ai examiné ce dossier. Je pense que la Couronne a une obligation continue selon laquelle la norme en matière d'inculpation doit être satisfaite tout au long du processus. À mon avis, cela comprend toute la période précédant le procès et durant celui-ci.

Au début du présent procès, j'avais le sentiment que ce dossier était près de la limite et, après avoir entendu le témoignage de la plaignante dans cette affaire, je suis d'avis que la norme en matière d'inculpation n'est plus satisfaite concernant ce dossier. Je vais imposer un arrêt des procédures.

Je n'entre pas dans les problèmes que je vois dans le dossier. J'ai eu de nombreuses rencontres avec Mlle - j'exagère. J'ai eu des rencontres avec Mlle Lockhart concernant son témoignage. J'ai noté certains changements dans le témoignage au fil du temps. Aujourd'hui, je remarque les problèmes de mémoire à l'égard de l'incident.

En prenant cette décision, je tiens compte du fait que Mlle Lockhart a été contre-interrogée potentiellement pendant plusieurs heures, un processus qu'elle considère très stressant, et le résultat à la fin de la journée, étant donné le témoignage que j'ai entendu et étant donné mon sentiment au sujet de la défense dans cette affaire, consiste en ce qu'il y aurait un acquittement. Pour ces motifs, j'impose un arrêt des procédures.

[13]            L'arbitre a ensuite écrit ce qui suit :

[traduction]


La position de l'employeur consiste en ce que M. Lockhart ne pourrait être réintégré, parce qu'il ne possédait pas une délégation provenant du ministère. Il faut remarquer que l'employeur n'a fait aucun effort afin de réintégrer le plaignant. Je conclus que le plaignant a été injustement congédié, parce que l'employeur aurait dû écrire à Ross Dawson et au MEF demandant qu'une délégation soit réexpédiée, parce qu'ils avaient l'intention de réengager le plaignant s'il recevait sa délégation. Si le ministère refusait de rétablir sa délégation, l'employeur aurait alors pu avoir un motif valable pour mettre fin à l'emploi de M. Lockhart, parce qu'il ne pourrait pas être autorisé par le MEF à faire son travail. Les motifs pour justifier la cessation d'emploi pourraient alors avoir été réduits à néant du fait que le plaignant ne pouvait pas obtenir une délégation, laquelle constituait une exigence de son emploi, et qu'aucune autre tâche ne puisse être disponible chez l'employeur. Le ministère aurait bien pu enquêter les allégations de façon indépendante pour voir s'il y avait de la vérité dans lesdites allégations.

Je suis en désaccord avec l'autre motif de l'employeur de ne pas le réintégrer. Le retrait d'une accusation en ce qui a trait à une agression sexuelle et un arrêt des procédures en ce qui a trait à des contacts sexuels ne signifie pas toujours que les événements ne se sont pas produits. À l'audience, il n'y a eu absolument aucune preuve d'un comportement inconvenant ou d'acte du plaignant envers sa fille. L'employeur a l'obligation de prouver que le plaignant a mal agi. Le fait de simplement indiquer que les raisons du congédiement consistaient en ce qu'il y avait eu un arrêt des procédures et que les accusations criminelles pouvaient être déposées de nouveau n'est pas suffisant pour justifier la cessation d'emploi. Je conclus, en vertu de l'alinéa 242(3)a), que le congédiement était injuste, parce qu'il n'y avait aucune preuve de mauvaise action. Je remarque également qu'il n'y avait aucune preuve que l'employeur ait enquêté de façon indépendante au sujet de ces sérieuses allégations d'abus sexuel. Si j'avais entendu, et cru, un témoignage selon lequel M. Lockhart avait fait quelque chose de sexuel à sa fille, j'aurais confirmé le congédiement. Je suis d'accord avec Mme Walkem que les enfants passent en premier pour sa société et qu'elle doit croire ce que les enfants lui disent, même lorsqu'ils parlent contre un employé. Le problème consiste en ce qu'il n'y a aucune preuve que la fille était une enfant, du contenu de ce qu'elle a dit, de l'identité de la personne à qui elle l'a dit et de la véracité de ce qu'elle a dit. Il serait évidemment injuste de mettre fin à l'emploi de travailleurs sociaux simplement parce que leur nom est mentionné par un enfant sans enquête concernant la véracité de ce que l'enfant a dit.

De même, il serait injuste de mettre fin à l'emploi d'un travailleur social, parce que sa fille a fait de fausses accusations de nature sexuelle. Il n'a lieu de mettre fin à l'emploi d'un employé que lorsqu'il existe une preuve de mauvaise action sérieuse.

[14]            En plus de ce qui précède, l'arbitre a noté ce qui suit :

·            Au moment de l'audience, cela faisait presque un an que l'arrêt des procédures était enregistré dans l'instance criminelle et aucune accusation criminelle ou action civile n'avait été déposée.


·            Mme Walkem a exprimé clairement, dans sa lettre de cessation d'emploi et dans son témoignage à l'audience, que la raison pour laquelle on mettait fin à l'emploi de M. Lockhart consistait en l'absence de délégation du MEF et le fait que ce soit un arrêt des procédures, et non un acquittement, qui a été enregistré par le tribunal criminel.

·            M. Lockhart n'a pas eu l'occasion de présenter sa version des faits à la NCFS.

·            La fille de M. Lockhart était membre d'une première nation qui avait conclu que M. Lockhart [traduction] « avait fait quelque chose de mal » et qui avait [traduction] « conclu que la fille avait besoin d'être protégée de son père » .

·            M. Lockhart ne cherchait pas à être réintégré.

[15]            En fin de compte, l'arbitre a conclu que la suspension de M. Lockhart, entre la date des accusations et celle de l'arrêt des procédures, était juste, au motif que le MEF avait retiré la délégation de M. Lockhart. Toutefois, après qu'il y ait eu un arrêt des procédures concernant les accusations, le défaut de la NCFS de demander sa réintégration aux fins de déterminer s'il était en mesure d'obtenir sa délégation du ministère a rendu sa cessation d'emploi injuste.


QUESTIONS EN LITIGE

[16]            La NCFS soulève quatre questions en rapport avec la décision de l'arbitre. Les voici :

1.          Est-ce que la décision de l'arbitre, relativement à un congédiement injuste, était manifestement déraisonnable en raison de toutes les circonstances et, en particulier, en raison du défaut de conclure que le fait que M. Lockhart a continué à faire l'objet d'une ordonnance de garde préventive, même après l'arrêt des procédures relativement aux accusations, constituait un motif valable pour sa cessation d'emploi?

2.          Est-ce que la Cour peut, en se prononçant sur la question précédente, considérer des faits qui n'ont pas été spécifiquement mentionnés dans la lettre mentionnant le refus de réintégrer M. Lockhart dans son emploi, mais qui ont été présentés à l'arbitre?

3.          Subsidiairement, la décision devrait-elle être annulée et l'affaire renvoyée à l'arbitre pour qu'il entende les éléments de preuve nouveaux en ce qui a trait à savoir si la délégation de M. Lockhart aurait été rétablie par le MEF?

4.          Est-ce que M. Lockhart peut demander une modification de la décision et la substitution de dommages-intérêts additionnels aux annonces ordonnées?


ANALYSE

(i) Norme de contrôle

[17]            Il est bien établi, et ce n'est pas remis en cause en l'instance, que la norme de contrôle pour modifier une décision de congédiement injuste ou d'allocation d'une indemnité par un arbitre désigné en vertu de l'article 242 du Code, est celle de la décision manifestement déraisonnable. La norme a été confirmée dans plusieurs décisions de la Cour, notamment : Fraser c. Banque de Nouvelle-Écosse (2000), 186 F.T.R. 225 (1re inst.); Gauthier c. Banque du Canada (2000), 191 F.T.R. 219 (1re inst.); Roe c. Rogers Cablesystems Ltd. (2000), 4 CCEL (3d) 170 (C.F. 1re inst.); Bande indienne de Lac La Ronge c. Laliberté (2000), 192 F.T.R. 100 (C.F. 1re inst.) et Nation Wayzhushk Onigum c. Kakeway, 2001 CFPI 819; [2001] A.C.F. no 1167 (C.F. 1re inst.).

[18]            Afin de déterminer si une décision est manifestement déraisonnable, la Cour doit se demander si la preuve, appréciée raisonnablement, est incapable d'étayer la conclusion du tribunal.

(ii) Est-ce que la conclusion de congédiement injuste était manifestement déraisonnable?


[19]            En plus de soulever, en général, le caractère raisonnable de la décision de l'arbitre, la deuxième question soulevée par la NCFS attaque essentiellement le caractère raisonnable de la décision de l'arbitre à cause de son défaut de prendre correctement en considération le fait que la fille de M. Lockhart faisait l'objet de l'ordonnance de garde préventive. Je crois qu'il est plus convenable de traiter de cette question dans le contexte d'une évaluation générale quant à savoir si la décision de l'arbitre était manifestement déraisonnable.

[20]            Comme cela a été mentionné plus haut, les motifs justifiant le congédiement de M. Lockhart fournis dans la lettre de cessation d'emploi consistaient en ce qu'il ne possédait aucune délégation du MEF et que l'instance criminelle s'était terminée par un arrêt des procédures et non un acquittement. Les deux motifs ont été examinés par l'arbitre.

[21]            En ce qui concerne le retrait de la délégation de M. Lockhart, la NCFS admet que M. Lockhart ne pouvait obtenir une délégation du MEF sans être réintégré par la NCFS, parce que M. Lockhart avait besoin d'un poste avec la NCFS pour qu'une demande de délégation soit faite. Il est admis que la NCFS n'a demandé aucune délégation pour M. Lockhart.

[22]            L'arbitre a noté ces faits et il a conclu que la NCFS ne pouvait pas invoquer l'absence de délégation alors qu'elle n'avait pas pris les mesures nécessaires afin d'obtenir la délégation ou pour au moins savoir si une délégation serait accordée. Dans les termes de l'arbitre, la NCFS [traduction] « aurait pu et aurait dû demander à réengager le plaignant [M. Lockhart] afin de déterminer s'il était en mesure d'obtenir sa délégation du ministère » .


[23]            Il n'était pas, à mon avis, manifestement déraisonnable pour l'arbitre de conclure que l'employeur ne pouvait pas invoquer l'absence de délégation, alors que ses actes empêchaient toute détermination par le MEF à savoir s'il y avait lieu de délivrer une délégation.

[24]            Quant au deuxième motif justifiant la cessation d'emploi, le fait que M. Lockhart n'ait pas été acquitté et que seul un arrêt des procédures avait été enregistré, la preuve consistait à que l'avocate de la Couronne, en sursoyant aux accusations, a noté qu'elle croyait que, de toute façon, cela finirait par un acquittement. À la lumière de ce qui précède, vu que les accusations n'ont pas été réintroduites, vu l'absence de preuve de comportement non convenable de la part de M. Lockhart envers sa fille et vu l'absence de preuve attestant que la NCFS aurait mené une enquête indépendante concernant les allégations, la décision de l'arbitre n'était pas manifestement déraisonnable.

[25]            Le motif le plus solide de la part de la NCFS au sujet du caractère déraisonnable, consistait en ce que l'arbitre a fait défaut de considérer et de conclure que le fait que la propre fille de M. Lockhart faisait l'objet d'une ordonnance préventive était incompatible avec le fait que celui-ci occupe un poste qui exige de lui qu'il mette des enfants en garde préventive. On a invoqué des décisions comme celle de Banque de Commerce Canadienne Impériale c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431 (C.A.F.) pour soutenir que le congédiement était justifié lorsque la conduite d'un employé causait un préjudice potentiel aux opérations de l'employeur et lorsque la conduite d'un employé révélait un manque de caractère ou de jugement.


[26]            En toute déférence, il y a, concernant les faits en l'espèce, un certain nombre de difficultés avec l'observation de la NCFS.

[27]            Premièrement, il est clair que l'arbitre a tenu compte de l'existence de l'ordonnance préventive en ce qu'il a mentionné spécifiquement les éléments de preuve selon lesquels la première nation de Lytton [traduction] « avait conclu que la fille avait besoin de protection vis-à-vis de son père » et que M. Lockhart s'était plaint au sujet des parents de famille d'accueil de sa fille.


[28]            Deuxièmement, les motifs de l'arbitre expriment explicitement que, tant dans la lettre de cessation d'emploi que lors de l'audience, la NCFS invoquait l'absence de délégation et l'absence d'acquittement pour justifier la cessation d'emploi. Il est difficile de conclure que la décision de l'arbitre soit manifestement déraisonnable pour n'avoir pas considéré un motif qui ne lui a pas été présenté. Relativement à ce dernier point, il y a le fait que l'instance qui nous occupe est de la nature d'un contrôle judiciaire et non d'un appel. La jurisprudence stipule qu'on ne peut soulever de nouveaux arguments lors d'une demande de contrôle judiciaire. Voir : Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Canadian Assn. of Internet Providers, 2001 C.A.F. 4 au par. 12; Toussaint c. Canada (Conseil canadien des relations du travail), [1993] A.C.F. no 616 (C.A.F.); A.G.T. Ltd. c. Graham, [1997] A.C.F. no 1679 (C.F. 1re inst.); Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des Anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233 (C.A.F.).

[29]            Troisièmement, et en fin de compte, les circonstances entourant l'ordonnance préventive devraient être examinées. À cet égard, aucun dossier n'a été présenté à la Cour quant à savoir quelle preuve a été présentée à l'arbitre. J'ai donc procédé sur la base que la preuve présentée à notre Cour par les parties, qui n'a fait l'objet d'aucune objection au motif qu'il s'agirait d'éléments de preuve nouveaux, a été présentée à l'arbitre.


[30]            À la date du congédiement, le 5 juillet 2000, la preuve concernant l'ordonnance préventive est la suivante. M. Lockhart a été accusé le 21 avril 1999 et le 3 mai 1999, il a consenti à une ordonnance accordant au directeur des Services à l'enfance, à la famille et à la communauté la garde provisoire de sa fille et une audience en protection a été fixée au 8 juin 1999. M. Lockhart affirme qu'il comprenait que c'était une ordonnance temporaire jusqu'à ce que les accusations criminelles soient réglées. Le 8 juin 1999, l'audience en protection avait débuté et elle a été ajournée jusqu'au 27 juillet 1999 pour une conférence de cas. Cela s'est ensuivi d'une série de conférences de cas et, le 13 janvier 2000, une ordonnance provisoire additionnelle a été rendue, M. Lockhart ne prenant pas position à ce sujet. Au 12 septembre 2000, après la cessation d'emploi de M. Lockhart, la situation consistait en ce que chaque côté s'est vu ordonner de faire une divulgation de la preuve qui sera déposée. Le 18 septembre 2000, une autre conférence de cas a été fixée pour le 8 novembre 2000 et l'opération de la divulgation a été suspendue.

[31]            Il est admis, comme en a témoigné Mme Walkem, que M. Lockhart a perdu la garde de sa fille au moment où les accusations ont été portées, ce qui est normal, puisque les accusations découlaient d'une plainte de la fille. Il est clair, à partir des faits déjà mentionnés, qui proviennent des réponses faites par M. Lockhart lors de son réinterrogatoire écrit de la part de la NCFS que la NCFS a présenté à la Cour, qu'à la date du congédiement, qu'aucune décision au fond n'avait été rendue par la Cour provinciale de la Colombie-Britannique dans l'instance en matière de protection. La situation est demeurée la même jusqu'au moment de l'audience devant l'arbitre.

[32]            En l'absence d'un interrogatoire indépendant concernant ces allégations de la part de la NCFS, le seul forum à avoir examiné les allégations, c'était le tribunal criminel, où un arrêt des procédures a été enregistré, parce que l'avocate de la Couronne avait le sentiment que le témoignage de la fille ne satisfaisait pas à la norme en matière d'inculpation et qu'ainsi, il en résulterait probablement un acquittement.

[33]            Dans ces circonstances, je ne peux pas conclure qu'il était manifestement déraisonnable de la part de l'arbitre de ne pas avoir conclu que la simple existence d'une ordonnance en matière de protection de l'enfance justifie la cessation d'emploi.


[34]            L'arbitre a conclu essentiellement qu'il serait injuste de mettre fin à l'emploi d'un travailleur social simplement à cause de l'allégation d'un enfant, sans aucune enquête quant à la véracité des propos de l'enfant. L'ordonnance de protection provisoire, provisoire dans le sens qu'elle ne découle pas d'une décision sur le fond des allégation, n'avait pas un effet suffisant, sur le plan de la preuve, pour dire que la conclusion de l'arbitre, selon laquelle M. Lockhart a été injustement congédié, ne pouvait pas s'appuyer sur la preuve.

[35]            Conclure autrement équivaudrait à donner de la valeur aux allégations non corroborées simplement parce qu'elles ont conduit à une ordonnance de confidentialité sur consentement, dans des circonstances où la seule enquête concernant ces allégations s'était terminée par un arrêt des procédures criminelles.

(iii) Est-ce que la Cour peut considérer l'effet de l'ordonnance de confidentialité alors qu'elle n'avait pas été invoquée dans la lettre de cessation d'emploi?        

[36]            Assumant, sans décider, que la NCFS aurait eu le droit de revendiquer devant l'arbitre des motifs de congédiement non mentionnés au moment dudit congédiement, j'ai conclu que la preuve devant l'arbitre au sujet de l'ordonnance préventive n'a pas été de nature à rendre sa conclusion déraisonnable. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner plus en détail cette question.


(iv) La décision devrait-elle être annulée et renvoyée à l'arbitre pour qu'il entende les éléments de preuve nouveaux?

[37]            La preuve que la NCFS désire voir considérée par l'arbitre consiste en ce que le 4 mai 2001, pour la première fois, dans une conversation avec un représentant du MEF, Mme Walkem s'est fait dire que le MEF possédait une discrétion pour rétablir des délégations et que le fait que la fille de M. Lockhart demeurait en garde préventive aurait probablement disqualifié ce dernier quant au rétablissement de sa délégation, sous réserve d'un examen complet de son dossier.

[38]            La NCFS admet qu'elle n'a fait aucun effort pour obtenir ces renseignements avant l'audience, parce qu'elle n'était pas au courant de la discrétion et des politiques du MEF relatives au rétablissement d'une délégation.

[39]            La NCFS affirme que l'arbitre avait un pouvoir inhérent de rouvrir l'audience afin de recevoir ces éléments de preuve nouveaux et que son défaut de ce faire constitue un déni de justice naturelle. M. Lockhart affirme que l'arbitre n'a pas commis d'erreur en ne rouvrant pas l'audience pour examiner une preuve non concluante.


[40]            Assumant, encore une fois sans décider, que l'arbitre avait compétence pour rouvrir l'audience, alors qu'il était dessaisi de l'affaire, je conclus qu'il n'y a pas d'erreur susceptible de révision, parce que la preuve proposée ne satisfaisait pas aux critères relatifs à l'admissibilité d'éléments de preuve nouveaux.

[41]            L'arrêt de principe concernant l'admissibilité d'éléments de preuve nouveaux en appel est Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, dans lequel les critères suivants sont énoncés à la page 775 :

1.          On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles.

2.          La déposition doit être pertinente, en ce sens qu'elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

3.          Elle doit être plausible, en ce sens qu'on puisse raisonnablement y ajouter foi.

4.          Elle doit être telle que si l'on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu'avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.


[42]            Considérant une requête pour produire de nouveaux éléments de preuve en appel, le juge Sharlow de la Cour d'appel fédérale a écrit ce qui suit dans l'arrêt Chippewas of Nawash First Nation c. Canada (Minister of Fisheries and Oceans) 2002 C.A.F. 22, aux paragraphes 20 et 21 :

[traduction]

En examinant la présente requête, je dois prendre en considération la question de savoir si les éléments de preuve auraient pu, avec diligence raisonnable, être découverts avant la fin du procès, si les éléments de preuve sont crédibles et si les éléments de preuve sont presque concluants en appel : Frank Brunckhorst Co. c. Gainers Inc. et al., [1993] A.C.F. no 874 (C.A.F.) (QL). Je comprends que le troisième critère signifie simplement que l'on puisse raisonnablement penser que les éléments de preuve nouveaux, si l'on y ajoute foi, peuvent influer sur le résultat du procès : Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759.

Même si les trois critères ne sont pas satisfaits, je peux permettre que les éléments de preuve soient présentés, si les intérêts de la justice l'exigent : Glaxo Wellcome plc c. Ministre du Revenu national, (1998) 225 N.R. 28 (C.A.F.), Amchem Products Inc. et al. c. Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) (1992), 192 N.R. 390 (C.S.C.).

[43]            En l'espèce, la NCFS a invoqué le retrait de la délégation de M. Lockhart pour justifier sa cessation d'emploi. Vu l'importance déclarée d'une telle délégation, il me semble que la diligence raisonnable aurait exigé que la NCFS se soit renseignée concernant la discrétion et les politiques du MEF relativement au rétablissement d'une délégation avant l'audience devant l'arbitre. Le témoignage de Mme Walkem selon lequel [traduction] « je n'avais aucun moyen de connaître la position du MEF avant l'audience » n'est pas convaincant. La preuve me convainc que le premier critère relatif à l'admissibilité d'éléments de preuve nouveaux n'a pas été satisfait.


[44]            Quant au quatrième critère, selon lequel on peut penser que les éléments de preuve nouveaux auraient influé sur le résultat ou qu'ils seraient presque concluants relativement à la question du congédiement injuste, les éléments de preuve proposés n'indiquaient pas que M. Lockhart aurait été disqualifié d'un rétablissement de délégation mais que, sous réserve d'un examen complet du dossier, ce serait probablement le cas. La mise en garde, selon laquelle le résultat ne suivrait pas automatiquement, mais qu'un examen complet de la situation serait nécessaire, est importante.

[45]            De plus, étant donné que la décision de l'arbitre repose exclusivement sur le fait que le MEF n'était pas autorisé à baser sa décision sur l'absence de délégation, en raison du défaut de la NCFS de redemander un rétablissement, et que ce qui serait probablement arrivé suite à une demande de rétablissement aurait été une enquête indépendante relativement aux allégations, on n'aurait pas pensé, à mon avis, que les éléments de preuve proposés auraient influé sur la décision de l'arbitre. Les éléments de preuve proposés indiquaient qu'il y aurait eu un examen complet de la situation.

[46]            Étant donné que les éléments de preuve auraient pu être produits lors de l'audience et qu'ils n'auraient probablement, en aucun cas, influé sur le résultat, je ne peux pas trouver d'erreur susceptible de révision dans le défaut de l'arbitre de permettre les éléments de preuve nouveaux. Comme l'a dit l'arbitre, dans sa réponse à la demande de rouvrir l'audience, il avait donné aux parties tout le temps nécessaire afin de présenter leur preuve et d'obtenir une opinion juridique concernant les questions pertinentes.


(v) Est-ce que la décision peut être modifiée comme le demande M. Lockhart?

[47]            M. Lockhart demande, au lieu de la publication, l'attribution d'une lettre de recommandation de la NCFS, une ordonnance interdisant à la NCFS de discuter de son emploi ou de sa situation personnelle avec tout employeur potentiel et une indemnité additionnelle pour remédier à sa blessure et à son humiliation. Au cas où la Cour ne serait pas prête à émettre une telle ordonnance, M. Lockhart demande que l'affaire soit retournée à l'arbitre concernant ces points.

[48]            Il y a des difficultés fondamentales avec cette position.

[49]            Premièrement, M. Lockhart n'a déposé aucune demande de contrôle judiciaire pour contester la décision de l'arbitre au sujet de la réparation. Bien que la NCFS ait mis en cause la validité de l'ordonnance de publication, une fois que M. Lockhart a décidé qu'il ne désirait plus exercer son option d'exiger la publication, cette question est devenue sans objet. La NCFS ne met plus en cause cet aspect de la décision.

[50]            L'arbitre a refusé la demande de M. Lockhart pour une lettre de référence et il n'a pas accordé de dommages-intérêts pour blessure et humiliation. Si M. Lockhart visait le contrôle de la décision pour des motifs différents de ceux soulevés par la NCFS, il aurait dû déposer sa propre demande. Voir : Larsson c. Canada, [1997] A.C.F. no 1044 (C.A.F.).


[51]            Deuxièmement, au sujet de la compétence de notre Cour et de son pouvoir de modifier le remède accordé, les dommages-intérêts ne sont pas disponibles relativement à des demandes de contrôle judiciaire et le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7 ne permet pas à la Cour d'exercer la compétence de l'arbitre en vertu du Code.

[52]            Il n'y a donc pas de fondement pour modifier la décision arbitrale tel que demandé.

[53]            Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

(vi) Dépens

[54]            Les dépens suivent normalement l'issue de la cause et je suis convaincue que M. Lockhart devrait se voir adjuger ses dépens relativement à la présente demande.

[55]            Quant à l'échelle desdits dépens, M. Lockhart demande qu'ils lui soient attribués sur une base procureur-client, parce qu'autrement, il devra [Traduction] « lui-même payer » , dans le sens que le montant qu'il recouvrera de la NCFS sera réduit en raison de l'argent qu'il a dû payer en honoraires d'avocat relativement à la présente instance.

[56]            Une attribution de dépens sur une base procureur-client est exceptionnelle et, en général, nécessite une faute au cours de l'instance. Ce n'est pas le cas en l'espèce.


[57]            La discrétion pour augmenter les montants du tarif ne doit pas être exercée à la légère. Compte tenu des facteurs énumérés dans l'article 400 des Règles de la Cour fédérale (1998), en particulier du montant en cause, et en prenant en considération l'article 407 des Règles, M. Lockhart doit voir ses dépens, à défaut d'entente, taxés conformément à la partie la plus élevée de la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

ORDONNANCE

[58]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          La demanderesse paiera au défendeur ses dépens relativement à la présente instance, à défaut d'entente, à être taxés conformément à la partie la plus élevée de la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

  

                                                                                                                                  « Eleanor R. Dawson »      

                                                                                                                                                                 Juge                    

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                            T-788-01

INTITULÉ :                                           NLHA'7KAPMX CHILD AND FAMILY SERVICES

c. CRAIG ALLAN LOCKHART

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 13 MARS 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 27 MARS 2002

   

COMPARUTIONS :

J. GEOFFREY HOWARD                                              POUR LA DEMANDERESSE

NIKKI HUNTER                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING, LAFLEUR, HENDERSON, S.R.L.     POUR LA DEMANDERESSE    

VANCOUVER                                   

HUNTER & HUNTER                       POUR LE DÉFENDEUR

VANCOUVER

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