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Dossier : IMM‑1744‑20

Référence : 2020 CF 671

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2020

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

ABEER QITA

demanderesse

et

CONSEIL DE RÉGLEMENTATION DES CONSULTANTS EN IMMIGRATION DU CANADA (LE)

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le 30 mars 2020, Mme Abeer Qita (la demanderesse) a déposé un avis de requête, en application de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), dans lequel elle sollicitait les mesures de réparation suivantes :  

1.  Une ordonnance annulant l’ordonnance rendue le 6 mars 2020 par le protonotaire Kevin Aalto et autorisant que la demande de contrôle judiciaire, dont le numéro dossier de la Cour est le T‑168‑20, soit une instance poursuivie conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, pour laquelle il n’est pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de la Cour;

2.  Une ordonnance établissant les nouveaux délais pour les étapes à prévoir dans le cadre d’une telle demande de contrôle judiciaire, dont le numéro de dossier de la Cour est le T‑168‑20;

3.  Une ordonnance enjoignant au défendeur, le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, de remettre à la demanderesse et à la Cour des copies certifiées conformes du dossier du tribunal;

4.  L’adjudication des dépens afférents à la présente requête;

5.  Toute autre mesure de réparation que la Cour peut estimer équitable et appropriée.

I.  LE CONTEXTE

[2]  Les détails qui suivent sont tirés des actes de procédures produits au présent dossier – notamment les dossiers de requête produits relativement à la requête de la demanderesse et l’affidavit souscrit par la demanderesse le 30 mars 2020 – et du répertoire des inscriptions enregistrées.

[3]  La demanderesse est une consultante en immigration. Elle a fait l’objet d’une procédure disciplinaire devant le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada (le défendeur). Dans une décision datée du 20 janvier 2020, le Comité de discipline du défendeur a conclu que la demanderesse avait commis plusieurs manquements au Code d’éthique professionnelle du défendeur.

[4]  Le 3 février 2020, la demanderesse a déposé devant la Cour une demande de contrôle judiciaire de cette décision, dans le dossier numéro T‑168‑20.

[5]  Dans une lettre datée du 6 février 2020, l’avocat du défendeur a informé la demanderesse que les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 (les Règles en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés), régissaient sa demande de contrôle judiciaire et qu’en conséquence, il fallait poursuivre l’instance au moyen d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le défendeur a invité la demanderesse à apporter les modifications nécessaires à son avis de demande et à constituer le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) comme défendeur en vertu des Règles en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés.

[6]  La demanderesse a déposé une requête informelle le 21 février 2020, dans laquelle elle sollicitait les mesures suivantes :

[traduction]

IL EST DEMANDÉ AU DÉFENDEUR DE BIEN VOULOIR ACCORDER À LA DEMANDERESSE LA PERMISSION DE MODIFIER LE DOSSIER NO T‑186‑20

POUR

LE NO IMM‑168‑20

L’OBJECTION SUSMENTIONNÉE A ÉTÉ SOULEVÉE PAR LE DÉFENDEUR, POUR QUE LES NUMÉROS DE DOSSIER SOIENT MODIFIÉS COMME SUIT :

DE T‑168‑20 À IMM‑168‑20

IL EST DEMANDÉ AU DÉFENDEUR DE BIEN VOULOIR NOUS ACCORDER LA PERMISSION.

J’ESPÈRE OBTENIR LA PERMISSION.

[sic]

[7]  Le 6 mars 2020, le protonotaire Aalto a rendu l’ordonnance suivante :

1.  La demanderesse est autorisée à modifier la présente demande, afin que le numéro de dossier T‑168‑20 soit modifié pour un numéro IMM dans le système du greffe de la Cour.

2.  Tous les délais prévus pour les dossiers IMM s’appliqueront à la présente demande, dont la date d’introduction est celle de la présente ordonnance.

[8]  Comme je l’ai précisé ci-dessus, le 30 mars 2020, la demanderesse a déposé un avis de requête dans lequel elle sollicitait une ordonnance annulant l’ordonnance du protonotaire Aalto.

[9]  La demanderesse a déposé au soutien de son avis de requête, un affidavit dans lequel elle affirmait qu’elle ne saisissait pas les conséquences qu’entraînait sa demande informelle de convertir sa demande de contrôle judiciaire. Elle a précisé en outre qu’elle s’était fiée à l’interprétation de la jurisprudence que le défendeur avait donnée dans sa lettre du 6 février 2020, et qu’il l’avait induite en erreur. Elle affirme par ailleurs que le défendeur [traduction] « a probablement induit en erreur le protonotaire Aalto ».

[10]  Le 2 avril 2020, la Cour a, par voie de directive, ordonné à l’avocat de la demanderesse de signifier l’avis de requête au défendeur ainsi qu’au ministère de la Justice, dont les avocats agissent pour le ministre.

[11]  L’avocat de la demanderesse a confirmé la signification de l’avis de requête au défendeur et au ministre le 2 avril 2020 et le 7 avril 2020, respectivement, par courriel.

[12]  Le 16 avril 2020, l’avocat du ministre a produit son dossier de réponse relativement à la requête.

[13]  Le 17 avril 2020, l’avocat du défendeur a déposé son dossier de réponse. Ce dossier comprenait l’affidavit de Christine Le Dressay, auxiliaire juridique. Plusieurs pièces étaient jointes à cet affidavit, dont une copie de l’avis de demande et une copie de la demande informelle produite par la demanderesse.

[14]  La demanderesse a déposé ses observations en réplique le 23 avril 2020.

II.  LES OBSERVATIONS

A.  Les observations de la demanderesse

[15]  La demanderesse s’appuie sur Philipos c Canada (Procureur général), [2016] 4 RCF 268 (CAF), pour affirmer que la Cour, ayant plénitude de compétence, devrait « annuler » l’ordonnance du protonotaire Aalto. Elle explique dans ses observations en réplique, qu’elle ne cherchait pas à interjeter appel de l’ordonnance ni à la faire annuler sur le fondement des articles 51 et 399 des Règles, respectivement.

[16]  Elle fait valoir que sa situation – notamment le fait qu’elle n’avait pas cherché à obtenir les conseils d’un avocat, sa méconnaissance de la jurisprudence et le caractère irrégulier de la lettre du défendeur à l’origine de la mesure de réparation finalement accordée par le protonotaire Aalto – justifie que la Cour exerce pleinement sa compétence.

[17]  La demanderesse fait valoir, en réplique, que la jurisprudence n’est pas fixée sur la question de savoir si les décisions du Comité de discipline du défendeur sont assujetties à la Loi et aux Règles en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés.

[18]  Elle affirme également dans ses observations en réplique que si la Cour devait traiter sa requête comme s’il s’agissait d’un appel visé par l’article 51 des Règles, les circonstances liées à la pandémie de COVID‑19 justifient une prorogation du délai.

B.  Les observations du défendeur

[19]  Le défendeur fait valoir que la requête devrait être rejetée, étant donné que l’article 399 des Règles ne s’applique pas aux faits de l’espèce, et que si la demanderesse cherche à interjeter appel de l’ordonnance du protonotaire Aalto, sa demande d’appel est tardive, compte tenu du délai prescrit par l’article 51 des Règles.

C.  Les observations du ministre

[20]  Le ministre fait valoir qu’il n’est pas opportun pour lui d’être constitué partie à l’instance et il demande à la Cour de rendre une ordonnance le mettant hors de cause. Il fait valoir par ailleurs qu’il n’existe aucune raison d’annuler l’ordonnance du protonotaire Aalto parce que la demanderesse n’a pas établi qu’elle satisfait aux exigences énoncées à l’article 399 des Règles.

III.  L’ANALYSE

[21]  Dans la présente requête, la demanderesse sollicite une ordonnance annulant l’ordonnance par laquelle le protonotaire  Aalto a converti la présente instance en une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire régie par la Loi. Dans la demande qu’elle a initialement produite, la demanderesse sollicitait un contrôle judiciaire visé par la partie V des Règles.

[22]  Même si la demanderesse affirme qu’elle n’invoque pas les articles 51 et 399 des Règles, respectivement, la Cour ne peut en faire abstraction étant donné que la demanderesse sollicite l’annulation ou la modification de l’ordonnance du protonotaire Aalto.

[23]  L’article 399 des Règles permet à la Cour d’annuler ou de modifier une ordonnance, dans certaines circonstances. L’article 399 dispose :

Annulation sur preuve prima facie

Setting aside or variance

399 (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

399 (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

(a) ex parte; or

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding, if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

Annulation

Setting aside or variance

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

(b) where the order was obtained by fraud.

Effet de l’ordonnance

Effect of order

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation ou la modification d’une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification.

(3) Unless the Court orders otherwise, the setting aside or variance of an order under subsection (1) or (2) does not affect the validity or character of anything done or not done before the order was set aside or varied.

[24]  À mon avis, les circonstances décrites par la demanderesse ne sont pas visées par l’article 399 des Règles.

[25]  La demanderesse elle‑même a présenté une demande informelle visant à convertir sa demande de contrôle judiciaire « ordinaire » en une demande de contrôle judiciaire en matière d’« immigration ». Une telle demande est assujettie aux Règles en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, prises en vertu de la Loi.

[26]  La demanderesse n’a pas établi l’existence de motifs, permettant d’annuler ou de modifier l’ordonnance du protonotaire, prévus au paragraphe 399(1) des Règles.

[27]  La demanderesse n’a pas établi non plus l’existence d’un motif, permettant d’annuler ou de modifier l’ordonnance du protonotaire, prévu au paragraphe 399(2) des Règles.

[28]  Rien dans la preuve ne démontre que la demanderesse a appris l’existence de « faits nouveaux » survenus après la date à laquelle le protonotaire a rendu son ordonnance, qui en justifierait l’annulation ou la modification.

[29]  La preuve ne démontre pas non plus que l’ordonnance en cause a été obtenue par fraude.

[30]  L’ordonnance du protonotaire emporte comme conséquence pour la demanderesse l’obligation d’obtenir l’autorisation de la Cour pour qu’il soit donné suite à sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi. L’obligation d’obtenir une autorisation n’est pas un facteur prévu à l’article 399 des Règles qui justifie l’annulation ou la modification de l’ordonnance du protonotaire.

[31]  Dans ses observations, le défendeur soulève la possibilité que la demanderesse cherche à interjeter appel de l’ordonnance du protonotaire Aalto, mais il affirme que le délai d’appel est prescrit.

[32]  Selon l’article 51 des Règles, il peut être interjeté appel de l’ordonnance d’un protonotaire dans les dix jours suivant la date de l’ordonnance. L’article 51 dispose :

[33]  Il ressort clairement du dossier que la demanderesse n’a pas interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire Aalto dans le délai prescrit de dix jours. Il n’est pas clair, dans la présente requête, qu’elle demande une prorogation du délai pour interjeter appel.

[34]  Dans Alberta c Canada (2018), 2018 CAF 83, au paragraphe 44, la Cour d’appel fédérale a repris comme suit le critère applicable à l’octroi d’une prorogation de délai, lequel est énoncé dans Canada (Procureur général) c Hennelly (1999), 244 NR 399 (CAF), [1999] ACF 846 :

Dans Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.) (Hennelly), la Cour a énuméré quatre questions pertinentes quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour permettre la prorogation de délai en vertu de l’article 8 des Règles :

(1) Le requérant a‑t‑il démontré une intention constante de poursuivre l’instance?

(2) L’instance est‑elle bien fondée?

(3) Le défendeur subit‑il un préjudice en raison du retard?

(4) Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[35]  La demanderesse, c’est‑à‑dire la requérante, a démontré une intention constante de poursuivre l’instance dans laquelle elle sollicitait le contrôle judiciaire de la décision du défendeur. L’ordonnance en cause ne l’a pas privée de ce recours.

[36]  Toutefois, j’estime qu’un appel d’une ordonnance sollicitée par la demanderesse elle‑même est sans fondement.

[37]  Aucun préjudice n’est causé au défendeur; il est toujours partie à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire convertie.

[38]  La demanderesse n’invoque que la situation actuelle en lien avec la COVID‑19 pour justifier la présentation tardive d’un appel de l’ordonnance du protonotaire Aalto.

[39]  Je tiens à faire remarquer que dans l’affidavit qu’elle a produit au soutien de son avis de requête, la demanderesse affirme que le protonotaire Aalto a mal compris les faits lorsqu’il a examiné sa requête informelle visant à convertir sa demande de contrôle judiciaire « générale » en une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en matière d’« immigration ».

[40]  Or, si la demanderesse reproche au protonotaire d’avoir commis une telle erreur, la voie de recours qu’elle doit exercer est un appel de l’ordonnance. Elle fait valoir dans le cadre de la présente requête qu’elle ne cherche pas à obtenir une prorogation du délai pour interjeter appel. À mon avis, les mesures qu’elle a prises ne concordent pas avec ses observations et son témoignage.

[41]  Compte tenu des facteurs pertinents pour l’octroi d’une prorogation de délai et des observations et témoignage de la demanderesse, j’estime qu’il est peu probable qu’une requête en prorogation du délai pour interjeter appel de cette ordonnance soit accueillie.

[42]  Enfin, je fais miennes les remarques de la Cour d’appel fédérale dans Curtis c Banque de la Nouvelle-Écosse (le 3 mai 2019), 19‑A‑18, où la Cour a rejeté une requête en prorogation du délai pour le dépôt d’un avis d’appel, après avoir examiné les facteurs pertinents. Au paragraphe 4, la Cour a précisé que [traduction] « le caractère définitif des décisions judiciaires constitue un principe important; les délais ne sont pas capricieux ».

[43]  Selon la demanderesse, la Cour est [traduction] « pleinement compétente » pour accorder la réparation demandée. Elle s’appuie sur l’arrêt Philipos, précité, de la Cour d’appel fédérale.

[44]  Dans Philipos, précité, la Cour d’appel était saisie d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance autorisant l’appelant à réintroduire l’appel dont il s’était désisté. Le juge Stratas, dans des motifs qu’il a rendus au nom de la Cour d’appel fédérale en tant que juge siégeant seul, a énoncé le critère à satisfaire pour réintroduire une instance qui a fait l’objet d’un désistement, et y donner suite. Selon lui, un « événement d’une importance fondamentale » doit s’être produit.

[45]  Même si les faits dans Philipos, précité, se distinguent de ceux de l’espèce, les observations du juge Stratas sont utiles dans les cas où la Cour est priée d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’exempter une partie de l’application des Règles.

[46]  La Cour jouit du pouvoir discrétionnaire de gérer ses propres procédures (voir les art. 53, 55 et 56 des Règles).

[47]  À mon avis, la demanderesse n’a pas établi l’existence d’un « événement d’une importance fondamentale » qui permettrait à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de passer outre aux règles pertinentes.

[48]  La demanderesse a elle‑même sollicité la conversion de sa demande de contrôle judiciaire en une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en matière d’« immigration ». Au moment du dépôt de sa requête informelle, elle n’a présenté aucun élément de preuve permettant d’établir qu’on l’avait induite en erreur. Elle a plutôt affirmé dans l’affidavit qu’elle a produit au soutien de la présente requête qu’elle ne saisissait pas les conséquences de sa requête informelle.

[49]  La demanderesse pouvait consulter un avocat avant le dépôt de sa demande initiale de contrôle judiciaire et avant la présentation de sa requête informelle. Elle ne l’a pas fait. À mon avis, la demanderesse a l’obligation de se conformer aux pratiques et aux procédures de la Cour.

[50]  L’alinéa 46(1)i) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, dispose :

Règles

Rules

46 (1) Sous réserve de l’approbation du gouverneur en conseil et, en outre, du paragraphe (4), le comité peut, par règles ou ordonnances générales :

46 (1) Subject to the approval of the Governor in Council and subject also to subsection (4), the rules committee may make general rules and orders

[…]

[…]

i) permettre à un juge ou à un protonotaire de modifier une règle ou d’exempter une partie ou une personne de son application dans des circonstances spéciales;

(i) permitting a judge or prothonotary to vary a rule or to dispense with compliance with a rule in special circumstances;

[…]

[…]

[51]  Les Règles ne constituent pas de « simples lignes directrices » qu’une partie peut ignorer : voir Abi‑Mansour c Canada (Passeport), 2015 CF 363. Dans cette décision, la Cour fédérale a déclaré au paragraphe 32 que « [l]es Règles sont donc des instruments minutieusement élaborés ayant force de loi qui s’appliquent de manière égale à toutes les parties qui comparaissent devant la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale, y compris les parties qui se représentent elles‑mêmes [sic] […] ».

[52]  Dans Canada c Hamer Gauge & Tool Co. Ltd., (1985), 3 WDCP 280, la Cour a fait observer que les règles de pratique qui établissent les pratiques et les procédures conformément à l’article 46 ne peuvent l’emporter sur une loi fédérale. En l’espèce, la « loi fédérale » est la Loi.

[53]  La Loi assujettit les demandes de contrôle judiciaire de toute mesure prise relativement à la Loi à l’obtention d’une autorisation. Voir le paragraphe 72(1) qui dispose :

Demande d’autorisation

Application for judicial review

72 (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure – décision, ordonnance, question ou affaire – prise dans le cadre de la présente loi est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72 (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is, subject to section 86.1, commenced by making an application for leave to the Court.

[54]  Dans ses observations, la demanderesse s’appuie sur Watto c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2018 CF 890, pour dire que le défendeur ne répond pas à la définition d’« office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales.

[55]  Dans Watto, précité, le demandeur était un consultant en immigration inscrit auprès du défendeur qui a fait l’objet d’une plainte. Il a opposé plusieurs objections préliminaires lors de son audience disciplinaire. Le défendeur les a rejetées et sa décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. La compétence de la Cour fédérale pour entendre le contrôle judiciaire a été examinée à titre de question préliminaire, et la Cour a conclu qu’elle avait compétence.

[56]  Or, la demanderesse s’appuie sur les remarques suivantes de la Cour pour mettre en doute la compétence une fois de plus :

[14]  Comme la Cour d’appel fédéral l’a fait valoir, le fait que le CRCIC tire son pouvoir de réglementer les professionnels de l’immigration de la désignation de l’organisation par le ministre en application du paragraphe 91(5) de la LIPR est suffisant pour l’assujettir à la compétence des Cours fédérales. Toutefois, la Cour n’explique pas en détail pourquoi elle a également conclu que les décisions du CRCIC, un ordre professionnel autoréglementé, sont des « questions » assujetties à la LIPR au sens du paragraphe 72(1) de cette loi et, par conséquent, sont assujetties au processus judiciaire plus restrictif qui y est énoncé.

[sic]

[57]  À mon avis, ces remarques sont de nature incidente et ne permettent pas de régler les questions soulevées dans la présente requête.

[58]  Dans Zaidi c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2018 CAF 116, la Cour d’appel fédérale a reconnu que le défendeur est un « office fédéral ».

[59]  Elle a fait remarquer, au paragraphe 6 de cet arrêt, que pour déterminer si un organisme est un « office fédéral », « […] la Cour doit examiner (1) la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme exerce; (2) la source de cette compétence ou de ce pouvoir […] ».

[60]  Elle a aussi précisé qu’une Cour doit déterminer si les pouvoirs exercés par l’organisme sont de nature publique ou privée.

[61]  Dans Zaidi, précité, la Cour d’appel fédérale a jugé que la décision sous‑jacente visée par le contrôle, c’est‑à‑dire sa conclusion sur la question de savoir si l’appelant ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques d’enregistrement à titre de consultant en immigration, était « au cœur même du mandat du CRCIC consistant à agréer les personnes aptes à exercer la profession ». Elle a conclu que le pouvoir du défendeur prend sa source dans une loi fédérale, c’est‑à‑dire la Loi, et qu’il est de nature publique.

[62]  Dans Zaidi, précité, la Cour d’appel fédérale a toutefois conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre un appel en l’absence d’une question certifiée.

[63]  À mon avis, la demanderesse n’affirme pas nécessairement que le défendeur n’est pas un « office fédéral », mais plutôt que le contrôle de sa décision n’est pas subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation exigé au paragraphe 72(1) de la Loi. Or, en optant pour une demande de contrôle judiciaire qui relève de la partie V des Règles, la demanderesse a reconnu que le défendeur est un « office fédéral » parce que ces demandes de contrôle judiciaire ne visent que les décisions rendues par ces organismes.

[64]  À mon avis, dans Zaidi, précité, la décision de la Cour d’appel fédérale de décliner compétence pour entendre l’appel en l’absence d’une question certifiée signifie que le contrôle d’au moins certaines décisions du défendeur est assujetti à la demande d’autorisation visée au paragraphe 72(1) de la Loi.

[65]  La Cour d’appel fédérale a expressément fait observer que le défendeur avait le pouvoir de réglementer la profession des consultants en immigration. J’estime que le pouvoir de prendre une mesure disciplinaire fait partie de ce processus de réglementation. En l’espèce, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision disciplinaire.

[66]  À mon avis, lorsque le défendeur rend une décision en vertu du pouvoir que la Loi lui confère, le contrôle judiciaire de cette décision relève du paragraphe 72(1) de la Loi, c’est‑à‑dire qu’il est subordonné au dépôt d’une demande d’une autorisation.

[67]  J’estime qu’en décidant dans Zaidi, précité, de décliner compétence pour entendre l’appel dans en l’absence d’une question certifiée, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur une question de droit.

[68]  Dans Apotex Inc. c Allergan Inc., 2012 CAF 308, la Cour d’appel fédérale a précisé que selon le principe du stare decisis, « le juge doit suivre l’enseignement des décisions rendues par les tribunaux supérieurs ». Compte tenu de cette directive, je suis liée par la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans Zaidi, précité, selon laquelle le défendeur est un « office fédéral ».

[69]  Il s’ensuit qu’en l’espèce, le contrôle de la décision du défendeur est assujetti à la demande d’autorisation visée au paragraphe 72(1) de la Loi.

[70]  Il reste à trancher la question concernant l’opportunité pour le ministre d’être constitué partie à la présente instance.

[71]  Selon la directive donnée le 2 avril 2020, le ministre a eu la possibilité de présenter des observations.

[72]  Le ministre a eu la possibilité de présenter des observations concernant la requête de la demanderesse, et il l’a fait.

[73]  Selon lui, comme il n’est pas une partie dont la présence est nécessaire en l’espèce, il ne devrait pas être constitué partie à l’instance. J’adhère à son point de vue. Le ministre ne sera donc pas constitué partie à la présente instance.

IV.  Conclusion

[74]  En conclusion, j’estime que rien ne justifie l’octroi de la réparation sollicitée par la demanderesse : ni celle visée à l’article 399 des Règles ni la prorogation du délai pour interjeter appel de l’ordonnance du protonotaire. Par conséquent, la requête sera rejetée.

[75]  Le défendeur sollicite les dépens afférents à la présente requête. Conformément au paragraphe 400(1) des Règles, les dépens relèvent entièrement du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[76]  Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’adjuge au défendeur des dépens de l’ordre de 250 $, TPS et débours compris.


ORDONNANCE dans le dossier no IMM‑1744‑20

LA COUR ORDONNE : La requête est rejetée, et les dépens, fixés à 250 $ – TPS et débours compris – sont adjugés au Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada.

« E. Heneghan »

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de juin 2020.

Linda Brisebois, LL.B.



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