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Date : 20200617


Dossier : IMM-5093-19

Référence : 2020 CF 700

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2020

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

TOMILAYO DUROJAYE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La demanderesse, Tomilayo Durojaye, est citoyenne du Nigéria. Elle entre au Canada le 21 décembre 2017 en provenance des États-Unis et présente une demande d’asile.

[2]  Au soutien de sa demande d’asile, la demanderesse allègue craindre des membres du culte Ogboni et de la société secrète Oro. Elle explique que son refus d’épouser un membre du culte Ogboni a mené à cinq (5) incidents : (1) en septembre 2012, des membres du culte Ogboni ont menacé sa mère lorsque celle-ci a été incapable de leur dire où se trouvait la demanderesse; (2) en juin 2013, la résidence de la demanderesse a été vandalisée; (3) en décembre 2014, la demanderesse a reçu des appels menaçant des Ogbonis; (4) durant la même période, sa mère a été attaquée et menacée de mort à moins qu’elle ne retrouve la demanderesse; et (5) lorsqu’elle s’est enfuie du domicile familial en janvier 2015, les personnes qui vénèrent l’Oro, un homme masqué ne pouvant être vu par les femmes, ont menacé d’offrir la demanderesse à titre de sacrifice à leur Dieu, parce qu’elle a accidentellement vu l’Oro lors d’une cérémonie sacrée en cours. En mars 2015, la demanderesse quitte le Nigéria pour les États-Unis. Malgré son départ, les membres du culte continuent de la rechercher.

[3]  Le 23 novembre 2018, la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette la demande d’asile pour des motifs de crédibilité. Elle conclut ainsi en soulignant des contradictions, omissions et lacunes dans le témoignage de la demanderesse, les documents qu’elle a déposés en preuve et les formulaires d’immigration qu’elle a remplis au point d’entrée. De plus, la SPR n’accorde aucune valeur probante aux documents présentés par la demanderesse.

[4]  Le 29 juillet 2019, la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejette l’appel de la demanderesse. Comme la SPR, elle conclut que la demanderesse n’est pas crédible. La SAR accepte les contradictions, lacunes et omissions identifiées par la SPR dans les aspects principaux de son récit, notamment à l’égard de : (1) son défaut d’avoir mentionné l’implication des membres du culte Ogboni dans son rapport à la police suite au vandalisme de sa maison en 2013; (2) son défaut d’avoir signalé dans son formulaire IMM 5669 son changement d’adresse et d’emploi durant la période qui a conduit à son départ du Nigéria; et (3) son défaut d’avoir demandé l’asile aux États-Unis. Tout en reconnaissant qu’il faut demeurer prudent face aux déclarations faites au point d’entrée, la SAR rejette également l’argument de la demanderesse que ses réponses aux agents frontaliers, quant aux motifs de son départ du Nigéria, ne pouvaient être utilisées contre elle parce qu’elles avaient été données sans le bénéfice des services d’un interprète et sans avoir été enregistrées. Quant aux documents déposés par la demanderesse, la SAR juge que les documents n’ont pas suffisamment de force probante pour contrer les conclusions préalables de manque de crédibilité. Enfin, elle détermine que la demanderesse n’a pas démontré un lien avec le culte ou la société secrète qu’elle craint.

[5]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Elle reproche à la SAR d’avoir erré dans l’évaluation de sa crédibilité et d’avoir rejeté de manière déraisonnable les documents déposés au soutien de sa demande d’asile.

II.  Analyse

[6]  La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 143 [Vavilov]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL) au para 4 (CA); Noël c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 281 au para 16).

[7]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Il ne s’agit pas non plus d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Vavilov au para 99).

[8]  Contrairement aux arguments de la demanderesse, la Cour est d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse s’était contredite en expliquant pourquoi le rapport de police et son affidavit ne mentionnaient pas expressément qu’elle soupçonnait les Ogbonis d’avoir vandalisé sa maison en 2013. Dans son témoignage, la demanderesse affirme l’avoir déclaré aux policiers. Cependant, lorsqu’elle est interrogée sur son omission de le mentionner dans sa plainte à la police, elle explique que c’est parce qu’elle ne voulait pas que ça lui cause des problèmes, vu les liens de la police avec les Ogbonis. La SAR, comme la SPR, ont jugé que cette contradiction minait la crédibilité de la demanderesse.

[9]  Par ailleurs, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le défaut de demander l’asile aux États-Unis démontrait une absence de crainte subjective chez la demanderesse. Même si la demanderesse a raison en soulignant que le défaut de demander l’asile ne constitue pas en soi un élément déterminant, le défaut de revendiquer en temps utile peut constituer un facteur important dans l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur d’asile (Kayode c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 495 au para 29; Dawoud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1110 au para 41). Il était loisible à la SPR et la SAR de juger non satisfaisantes les explications fournies par la demanderesse.

[10]  La demanderesse reproche également à la SAR d’avoir rejeté de manière déraisonnable les affidavits de sa mère et de son époux. Selon elle, ces documents confirmaient les allégations principales de la demande d’asile. La SPR et la SAR ont considéré cette preuve, toutefois, elles ont jugé que ces documents n’avaient pas suffisamment de valeur probante pour contrer les conclusions défavorables quant à la crédibilité des allégations de la demanderesse. Aucun des affidavits n’appuie le témoignage de la demanderesse selon lequel les Ogbonis seraient à l’origine de l’incident de vandalisme en 2013. Or, il est bien établi que les conclusions relatives à la crédibilité peuvent influer sur le poids accordé à la preuve documentaire à l’appui (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 au para 26; Moshood c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 504 aux para 22-23).

[11]  Enfin, la demanderesse fait valoir que la SAR a erré en lui reprochant certaines de ses réponses dans son formulaire IMM 5669. La demanderesse soutient qu’il était raisonnable de ne pas avoir indiqué l’adresse où elle s’est réfugiée avant de quitter le Nigéria puisqu’il ne s’agissait pas d’une adresse permanente. De plus, même si elle avait quitté son poste en janvier 2015, il était néanmoins raisonnable d’indiquer qu’elle avait travaillé dans une bibliothèque jusqu’en mars 2015 puisque le lien d’emploi n’avait pas été rompu. Elle ajoute que le document a été rempli sans interprète, avocat et/ou explication. Enfin, elle reproche à la SAR de ne pas avoir pris en considération le contexte particulier du point d’entrée. Elle juge qu’il est incohérent pour la SAR de lui reprocher les réponses qu’elle a données dans son formulaire et d’indiquer par la suite que la SPR devait demeurer prudente face aux déclarations faites par la demanderesse aux agents frontaliers quant à ses motifs de départ du Nigéria.

[12]  La Cour ne peut souscrire aux arguments de la demanderesse.

[13]  La SAR rejette les explications de la demanderesse parce qu’elle est d’avis que les questions dans le formulaire étaient suffisamment précises que l’information aurait dû être fournie par la demanderesse. Elle note également que la demanderesse avait déclaré être capable de lire l’anglais dans son formulaire de Fondement de demande d’asile [FDA]. Enfin, elle estime que la SPR doit demeurer prudente face aux déclarations faites au point d’entrée parce que celles-ci ont un but différent de celles faites dans le cadre d’une audience devant la SPR. Elle conclut, toutefois, qu’il n’y a pas lieu d’accorder beaucoup d’importance à la conclusion de la SPR concernant les contradictions entre ce que la demanderesse avait déclaré aux agents frontaliers au point d’entrée et ce qu’elle a déclaré dans son FDA, étant d’avis que la décision de la SPR comprenait plusieurs autres raisons justifiant le rejet de la demande d’asile.

[14]  La Cour reconnait que le raisonnement de la SAR peut sembler incohérent dans une certaine mesure puisque le formulaire IMM 5669 a été rempli le même jour que la demanderesse a eu son entrevue avec les agents frontaliers. Cependant, la Cour est d’avis que la SAR a tenu compte du contexte particulier du point d’entrée lorsqu’elle a considéré les réponses fournies par la demanderesse. Les omissions soulevées concernaient des éléments clés du récit de la demanderesse. Celle-ci a d’ailleurs déclaré dans son FDA qu’elle était en mesure de bien lire et de bien comprendre le contenu du formulaire et les documents qui y sont joints en attestant que tous les renseignements qu’elle a fournis sont complets, vrais et exacts. Son FDA comprend également un récit circonstancié de trois (3) pages rédigé en anglais à simple interligne. La Cour n’est pas convaincue que le raisonnement de la SAR est déraisonnable. Ceci étant dit, même si la Cour était d’avis que le raisonnement de la SAR est incohérent sur ce point, il n’y a pas matière à intervention puisque la décision de la SAR comprend d’autres raisons pour justifier le rejet de la demande d’asile.

[15]  Il importe de rappeler que les conclusions relatives à la crédibilité d’un demandeur d’asile commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. Bien que la demanderesse ne soit pas d’accord avec les conclusions de la SAR et celles de la SPR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui serait favorable à la demanderesse (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[16]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-5093-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5093-19

INTITULÉ :

TOMILAYO DUROJAYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence entre ottawa (Ontario) et MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 juin 2020

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 17 juin 2020

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

Pour la demanderesse

Daniel Latulippe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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