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Date : 20041214

Dossier : T-371-03

Référence : 2004 CF 1718

ENTRE :

                                                    FOURNIER PHARMA INC. et

LABORATOIRES FOURNIER S.A.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                  LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

CIPHER PHARMACEUTICALS LIMITED

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

_Motifs d'ordonnance confidentiels rendus le 9 décembre 2004_

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                Le fénofibrate est un hypolipémiant. Il s'agit d'un régulateur du métabolisme lipidique qui réduit le taux sanguin des lipoprotéines de basse densité (le mauvais cholestérol) et qui augmente celui des lipoprotéines de haute densité (le bon cholestérol). Le brevet canadien qui concerne le procédé de fabrication de la substance active (le fénofibrate) a expiré. Il est possible que des formulations contenant du fénofibrate soient brevetées.


LA DEMANDE ET LES PARTIES

[2]                Laboratoires Fournier S.A. est propriétaire du brevet canadien no 2,219,475 (le brevet 475) et Fournier Pharma Inc. est le titulaire exclusif d'une licence pour ce brevet (collectivement appelées Fournier). Fournier a, en vertu du règlement applicable, obtenu l'autorisation de commercialiser différentes formulations de fénofibrate au Canada. Les capsules de fénofibrate de Fournier commercialisées sous la marque LIPIDIL MICRO sont disponibles au Canada en doses de 67 mg et de 200 mg depuis mars 1995, et ses comprimés de fénofibrate en doses de 100 mg et de 160 mg de marque LIPIDIL SUPRA le sont depuis mai 2000.

[3]                Le brevet_475 figure - sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, et ses modifications (le Règlement) - sur la liste des brevets relatifs au fénofibrate LIPIDIL SUPRA de Fournier en doses de 100 mg et de 160 mg. Le brevet_475 concerne des compositions du médicament fénofibrate à libération immédiate pour administration par voie orale en doses spécifiques.

[4]                Cipher Pharmaceuticals Limited (Cipher) a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès du ministre de la Santé (le ministre) par laquelle elle sollicite un avis de conformité (AC) pour ses capsules de fénofibrate de 100 mg et de 160 mg (les capsules de Cipher). Dans sa présentation, Cipher compare ses capsules aux comprimés de LIPIDIL SUPRA de Fournier. Conformément au Règlement, Cipher a signifié un avis d'allégation à Fournier portant que les capsules de Cipher ne contreferont pas le brevet_475.


[5]                Fournier a présenté, en application du Règlement, une demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Cipher pour ses capsules de fénofibrate de 100 mg et de 160 mg avant l'expiration du brevet_475. Le ministre est chargé de l'application du Règlement. Le ministre n'a pas présenté d'observations et il n'était pas représenté à l'audience.

LA NATURE DU RECOURS


[6]                Comme je l'ai déjà signalé, le recours à l'origine de la présente instance a été introduit en application du Règlement. Plusieurs arrêts de la Cour d'appel fédérale traite de l'historique de ce règlement et du régime qu'il établit, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de reprendre ces propos ici. Voir : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.); Novartis AG et al. c. Abbott Laboratories Ltd. et al. (2000), 7 C.P.R. (4th) 264 (C.A.F.). Essentiellement, les questions de non-contrefaçon et de validité intéressant le titulaire d'un brevet (la première personne) et la personne sollicitant un AC du ministre (la deuxième personne) sont d'abord soulevées dans un avis d'allégation - que la seconde personne signifie à la première personne - dans lequel la seconde personne fait ses allégations et fournit un énoncé du droit et des faits invoqués à l'appui de celles-ci. La première personne peut s'opposer et demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à la seconde personne avant l'expiration du brevet.

[7]                Cipher (la deuxième personne) souhaite distribuer au Canada une formulation contenant du fénofibrate et à cette fin elle la compare avec la formulation de Fournier (la première personne) déjà approuvée par le ministre. Cipher a signifié, en application de l'article 5 du Règlement, un avis d'allégation à Fournier relativement au brevet_475 qui figure sur la liste de brevets que cette dernière a soumise en application de l'article 4 du Règlement. L'avis d'allégation de Cipher ne concerne que le LIPIDIL SUPRA de Fournier. C'est en réponse à cet avis d'allégation que Fournier a présenté sa demande en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement.

[8]                Le recours prévu à l'article 6 du Règlement n'est pas assimilable à une action par laquelle le tribunal est appelé à décider de la validité d'un brevet et à se prononcer sur la contrefaçon. Il s'agit d'une procédure de contrôle judiciaire expéditive, qui vise à faire déterminer s'il est loisible au ministre de délivrer l'avis de conformité demandé. Elle ne sert que des fins administratives : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.). Le tribunal doit déterminer si les allégations de la seconde personne sont suffisamment étayées pour justifier une conclusion, à des fins administratives (la délivrance d'un avis de conformité), portant que le brevet du demandeur ne serait pas contrefait si le produit de la seconde personne est commercialisé : Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.).


[9]              Du simple fait qu'il exerce le recours prévu à l'article 6, le demandeur peut obtenir l'équivalent d'une injonction interlocutoire sans avoir à satisfaire à l'un ou l'autre des critères qu'un tribunal appliquerait en temps normal avant d'interdire la délivrance d'un avis de conformité : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1998), 80 C.P.R. (3d) 368 (C.S.C.); Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (2001), 11 C.P.R. (4th) 539 (C.A.F.). Le Règlement autorise le tribunal à décider sommairement, sur le fondement de la preuve produite, si les allégations sont fondées. Le recours prévu à l'article 6 ne fait pas appel à la fonction juridictionnelle et la décision qui en résulte n'a pas l'autorité de la chose jugée. Le breveté n'est aucunement privé des recours qui lui sont normalement ouverts en vue de faire respecter ses droits. Si un examen au fond des questions de validité ou de contrefaçon est nécessaire, il pourra procéder suivant la voie ordinaire en introduisant une action : Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (C.A.F.); SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2001), 14 C.P.R. (4th) 76 (C.F. 1re inst.), conf. par (2002), 21 C.P.R. (4th) 129 (C.A.F.); Novatis A.G. c. Apotex Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 450 (C.A.F.)

L'AVIS D'ALLÉGATION


[10]            L'avis d'allégation de Cipher est reproduit dans son intégralité à l'annexe A des présents motifs. Pour l'essentiel, Cipher y allègue qu'elle ne contrefait aucune des revendications 1 à 13 ou 17 à 20 du brevet 475. Les revendications 14 à 16 sont des revendications de procédé. L'avis d'allégation s'appuie sur une interprétation téléologique du brevet et précise les éléments essentiels des revendications pertinentes :

- le fénofibrate dans une formulation à « libération immédiate » ;

- le fénofibrate sous forme « micronisée » ;

- le fénofibrate micronisé sur un « support ou véhicule inerte hydrosoluble » .


[11]            Dans l'avis d'allégation, Cipher énonce sa position relativement à l'absence de contrefaçon. Tout d'abord, elle dit que les capsules de Cipher ne sont pas des formulations à libération immédiate. Se reportant à la divulgation du brevet, Cipher soutient que « libération immédiate » équivaut à une vitesse de dissolution supérieure à 10 % en cinq minutes, à 20 % en dix minutes, à 50 % en vingt minutes et à 75 % en trente minutes (profil de dissolution) lorsqu'elle est mesurée à l'aide d'une méthode particulière décrite dans le brevet 475. Deuxièmement, elle dit que le fénofibrate dans le produit de Cipher n'est pas micronisé. Selon Cipher, compte tenu de la définition qui figure dans la divulgation, l'expression « forme micronisée » est une substance sous forme particulaire, la dimension des particules étant égale ou inférieure à 20 Fm (un Fm est un millionième de mètre et est habituellement appelé micron). Troisièmement, elle dit que les capsules de Cipher ne contiennent aucun support sous forme particulaire ni aucun support recouvert de fénofibrate micronisé. Sur ce point, Cipher se reporte à la définition de « support inerte hydrosoluble » dans la divulgation et affirme que le support doit être sous la forme d'une particule recouverte d'au moins une couche de fénofibrate micronisé. Son produit ne contient ni de particule ni cette couche.

[12]            Bref, Cipher indique dans son avis d'allégation que ses capsules ne sont pas des compositions de fénofibrate à libération immédiate, qu'elles ne sont pas micronisées et qu'elles ne contiennent aucun support sous forme particulaire ni aucun support recouvert de fénofibrate micronisé. Selon l'avis d'allégation, le produit de Cipher contient du fénofibrate non micronisé (ingrédient médicinal ou actif) et d'autres excipients (ingrédients non actifs ou non médicinaux) qui sont mélangés ensemble pour former, une fois refroidis, une phase ou une pâte homogène.

[13]            Cipher allègue de plus que la formulation de son produit fait l'objet d'une divulgation et d'une revendication dans le brevet américain no 5,545,628 de Deboeck et al. (le brevet Deboeck) et que toute contestation constituerait un abus de procédure parce que la formulation en question est divulguée dans un brevet antérieur au brevet 475.


[14]            Elle prétend enfin qu'étant donné que les capsules de Cipher ne contrefont pas la revendication 1, elles ne contrefont pas non plus les revendications 2 à 13 du brevet 475, qui sont des revendications dépendantes. La revendication 17 est une revendication indépendante qui concerne une suspension de fénofibrate sous forme micronisée contenant des particules dont la dimension est inférieure à 20 Fm, dans une solution de polymère hydrophile (composé ou composés chimiques ayant de l'affinité pour l'eau, c.-à-d. qui se dissolvent ou forment un gel dans l'eau). Comme le fénofibrate dans le produit de Cipher n'est pas sous forme micronisée et n'existe pas sous la forme de particules, les capsules de Cipher ne contrefont pas la revendication 17 et ne peuvent contrefaire les revendications 18 à 20, qui sont dépendantes de la revendication 17.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]            Sur le plan juridique, il s'agit de déterminer si l'allégation de non-contrefaçon de Cipher est fondée. Sur le plan factuel, il s'agit de déterminer si, suivant une interprétation adéquate du brevet 475, les capsules de Cipher :

a)          sont une composition de fénofibrate à libération immédiate;

b)          contiennent du fénofibrate sous forme micronisée;

c)          contiennent au moins une couche de fénofibrate micronisé sur un véhicule inerte hydrosoluble.

LE BREVET 475


[16]            Le brevet 475, qui concerne les comprimés de fénofibrate de 100 mg et de 160 mg (LIPIDIL SUPRA) et dont la date de priorité est le 17 janvier 1997, a été déposé en français le 11 décembre 1997 et il a été délivré le 9 juillet 2002. Le brevet a été traduit. Les parties ont utilisé la traduction anglaise qui fait partie du dossier. Le brevet 475 est intitulé « Composition pharmaceutique de fénofibrate présentant une biodisponibilité élevée et son procédé de préparation » . Il décrit le fénofibrate comme étant un médicament connu qui, en raison de sa faible hydrosolubilité, est mal absorbé dans le tube digestif. Cela a un effet sur sa biodisponibilité (la vitesse et le degré d'absorption par l'organisme).

[17]            Le brevet 475 décrit, au titre de l'état antérieur de la technique, un procédé breveté selon lequel le fénofibrate est co-micronisé avec un tensio-actif solide (composé chimique qui diminue la tension superficielle des liquides - utilisé pour aider les médicaments insolubles à se dissoudre dans un solvant), ce qui améliore la dissolution du fénofibrate et augmente ainsi sa biodisponibilité. Le breveté déclare qu'il est toujours nécessaire d'améliorer la biodisponibilité pour obtenir un profil de dissolution avoisinant les 100 %. Le brevet fournit des renseignements sur « un nouveau procédé de préparation d'une composition pharmaceutique par pulvérisation d'une suspension sur un support inerte hydrosoluble » . Le brevet 475 concerne des formulations à libération immédiate de fénofibrate dans des formes posologiques orales particulières.

[18]            Comme nous l'avons déjà signalé, le brevet comporte 20 revendications, dont 3 (14 à 16) sont des revendications de procédé. Les revendications 1 et les revendications dépendantes 2 à 13 concernent une composition de fénofibrate à libération immédiate alors que les revendications 17 à 20 décrivent une suspension de fénofibrate sous forme micronisée dans une solution de polymère hydrophile. Les revendications du brevet 475 figurent à l'annexe B. Par souci de commodité, le texte de la revendication 1 est également reproduit ci-dessous :

1. Composition de fénofibrate à libération immédiate comprenant :


a)              un support inerte hydrosoluble recouvert d'au moins une couche contenant le fénofibrate micronisée avec une taille inférieure à 20 Fm, un polymère hydrophile et éventuellement un tensio-actif, ledit polymère hydrophile représentant au moins 20 % en poids du poids de l'élément a);

b)             éventuellement une ou plusieurs phase(s) ou couche(s) externe(s).

[19]            Ainsi, la composition de fénofibrate à libération immédiate de la revendication 1 comporte trois ingrédients :

a)          un véhicule inerte insoluble;

b)          au moins une couche de fénofibrate micronisé de moins de 20 Fm;

c)          un polymère hydrophile représentant au moins 20 % en poids.

LA PREUVE

[20]            Fournier et Cipher ont chacune soumis les affidavits d'un expert en formulation et d'un représentant de leur société. Tous les auteurs des affidavits ont été contre-interrogés. Ni l'une ni l'autre des parties n'a mis en doute les qualifications et les compétences des témoins experts proposés.

[21]            Fournier s'est appuyé sur le témoignage de deux témoins :

(1)         Le président de Fournier Pharma Inc., M._Graham Jobson, a souscrit un affidavit le 12 mai 2003. M._Jobson décrit le contexte procédural dans lequel s'inscrit la présente affaire et fournit des renseignements en ce qui concerne les comprimés de fénofibrate LIPIDIL SUPRA que Fournier commercialise au Canada.


(2)         M._Arthur H. Goldberg, qui a souscrit un affidavit le 10 mai 2003 et un affidavit supplémentaire le 26 août 2003, est le président et le principal conseiller de Pharmaceutical Development Group, Inc. à Melo Park en Californie. Il fournit divers services d'expert-conseil aux membres de l'industrie pharmaceutique. M._Goldberg a obtenu un doctorat en chimie pharmaceutique de l'Université du Michigan en 1968. Pendant approximativement 35 ans, il a occupé des postes de professeur dans différentes universités et il compte environ 30 années d'expérience dans l'industrie pharmaceutique. Il est l'inventeur désigné dans 14 brevets (dont 5 concernent des nouvelles formes posologiques) et il est l'auteur de 25 écrits, dont plusieurs traitent de la vitesse de dissolution et de l'absorption gastro-intestinale des médicaments.

[22]            Cipher s'est aussi appuyée sur le témoignage de deux témoins :


(1)         M._Ian W. French, président et conseiller scientifique en chef de Cipher Pharmaceuticals Limited, a souscrit un affidavit le 25 juin 2003. M._French a obtenu un doctorat en biochimie de l'Université de Toronto en 1963. Il compte plus de 35 années d'expérience dans l'industrie pharmaceutique. En plus du poste qu'il occupe chez Cipher, il préside Pharma Medica Research Inc et y exerce la fonction de directeur de l'exploitation depuis 1997. Depuis 1993, il préside de plus IWF Consulting Services Ltd. M._French fournit des renseignements généraux sur divers sujets : la procédure d'approbation des drogues au Canada; la formulation pharmaceutique; le brevet_475; l'avis d'allégation; et la procédure établit par le Règlement. Il décrit également le fénofibrate de Cipher et son processus de fabrication. Il n'a pas été appelé à témoigner en tant que témoin expert.

(2)         M._Christopher T. Rhodes, qui a souscrit un affidavit le 26 juin 2003, est un professeur de sciences pharmaceutiques appliquées à l'Université de Rhode Island et il agit comme consultant auprès de l'industrie pharmaceutique. Il a obtenu son doctorat de l'Université de London en 1964. En plus des fonctions qu'il occupe à l'université comme professeur et chercheur et de ses activités départementales, il agit comme consultant auprès d'organismes gouvernementaux et divers autres organismes en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest. Il a mené des recherches approfondies sur le développement et l'évaluation des produits pharmaceutiques et la procédure d'approbation réglementaire auxquels ils sont assujettis. Il a aussi publié plus de 250 documents de recherche, articles de synthèse, chapitres d'ouvrages et autres documents portant sur une variété de sujets, notamment les suspensions et d'autres systèmes de dispersion de médicaments, les propriétés des délitants et la conception et l'évaluation d'essais de dissolution et de biodisponibilité.       


LIBÉRATION IMMÉDIATE

La position de Cipher

[23]            Cipher prétend que l'expression « libération immédiate » dans la revendication 1 du brevet 475 doit être interprété par rapport au profil de dissolution qui est précisé dans la divulgation de même que dans la revendication 12 du brevet 475. Le fénofibrate contenu dans les capsules de Cipher se dissout beaucoup plus lentement que ce qui est spécifié dans le profil de dissolution à cause de la dureté de l'enrobage de la capsule de gélatine. Selon le témoignage de M. Rhodes, il faut de cinq à dix minutes à l'enveloppe de gélatine pour fondre et se rompre et pendant ce temps, seule une petite quantité du principe actif, si tant est qu'il y en ait, peut se dissoudre.

[24]            Cipher soutient que pour interpréter cet aspect de la revendication, la question qui se pose est la suivante : quel problème le brevet vise-t-il à résoudre? La divulgation indique, en termes exprès, qu'il existe un besoin pour améliorer la biodisponibilité du fénofibrate afin d'atteindre, dans des temps très courts, un niveau proche de 100 % (ou, en tout cas, supérieur aux limites [du profil de dissolution]. Il existe une présomption fondée sur le principe de la différenciation des revendications, mais elle est réfutable. En l'espèce, on peut s'appuyer tant sur l'intention de l'inventeur que sur les principes d'interprétation des revendications.

La position de Fournier

[25]            Fournier soutient qu'un formulateur expérimenté ne considérerait pas l'expression « libération immédiate » comme se limitant au profil de dissolution dont il est fait mention dans la revendication 12 du brevet 475. Un formulateur expérimenté considérerait qu'une formulation est à libération immédiate si elle ne contient rien qui retarde la dissolution du principe actif une fois le produit ingéré. Fournier fait valoir que le produit de Cipher ne contient rien qui puisse retarder la libération du fénofibrate une fois que l'enveloppe de la capsule de gélatine est dissoute.

[26]            De plus, Fournier affirme que la description figurant à la revendication 12 (revendication dépendante) du brevet 475 ne peut être utilisée pour interpréter la revendication 1 (revendication générale). Elle ajoute qu'en matière d'interprétation des revendications il est établi depuis longtemps qu'il faut donner à chacune des revendications d'un brevet un sens qui lui est propre. Enfin, alors que Cipher allègue que l'enveloppe de gélatine dure de sa capsule retarde la libération du fénofibrate, Fournier, quant à elle, indique que l'ouvrage Modern Pharmaceutics, dont la publication a été codirigée par M. Rhodes, donne un exemple de dissolution d'une capsule de gélatine à une vitesse supérieure à 10 % en 5 minutes.

Analyse


[27]            Il y a consensus en ce qui concerne la norme de preuve applicable dans une instance introduite sur le fondement de l'article 6 du Règlement. Comme en font foi les quelques décisions auxquelles je me réfère - mais il en existe une multitude - , il est bien établi que les allégations de non-contrefaçon sont réputées vraies et que le demandeur doit réfuter, par une preuve prépondérante, toutes les allégations qui, si elles étaient maintenues, permettraient au ministre de délivrer un AC : Merck Frosst Canada Inc., précité; SmithKline Beecham Inc., précitée. Il incombe au demandeur d'établir que les allégations ne sont pas étayées par la preuve présentée : Hoffman-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 67 C.P.R. (3d) 484 (C.F. 1re inst.), conf. par (1996), 70 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.).

[28]            Dans les observations supplémentaires qu'elles ont versées au dossier après la publication de l'arrêt Compagnie Pharmaceutique Procter & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) 2004 CAF 393, les parties ont convenu que la décision de la Cour d'appel fédérale ne [traduction] « modifie pas l'état du droit en ce qui concerne le fardeau de la preuve relativement aux allégations de contrefaçon » . Je n'ai pas tenu compte des observations supplémentaires de Cipher dans la mesure où elle y reprend des arguments qu'elle avait déjà fait valoir.


[29]            La première étape de l'analyse consiste à interpréter les revendications du brevet comme l'aurait fait la personne versée dans l'art dont relève l'invention. Les parties ont convenu que, pour les besoins de l'instance, cette personne est le formulateur expérimenté de produits pharmaceutiques. Comme je l'ai déjà dit, les revendications 2 à 13 sont des revendications dépendantes qui renvoient à la revendication 1. Dans Canamould Extrusions Ltd. et al. c. Driangle Inc. (2003), 25 C.P.R. (4th) 343 (C.F. 1re inst.), conf. par (2004), 30 C.P.R. (4th) 129 (C.A.F.), j'ai résumé un certain nombre de principes énoncés dans les arrêts connexes Free World Trust c. Électro Santé Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 168 (C.S.C.), et Whirlpool Corporation c. Camco Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 129 (C.S.C.). Mes commentaires sont pertinents en l'espèce et les parties reconnaissent que cette jurisprudence constitue la principale source du droit applicable.

Avant d'examiner les questions de validité et de contrefaçon, il faut interpréter le brevet. Pour ce faire, il convient de se reporter au jour de sa publication. La Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi), et une interprétation en fonction de l'objet (ou interprétation téléologique) favorisent le respect de la teneur des revendications, ce qui favorise à son tour tant l'équité que la prévisibilité. En énonçant la portée du monopole, les revendications servent d'avis au public pour qu'il sache jusqu'où il peut aller en toute impunité. La teneur d'une revendication doit être interprétée de façon éclairée et en fonction de l'objet. On ne doit interpréter les revendications ni littéralement ni sur la base de notions imprécises telles que l' « esprit de l'invention » . Plus on recherche l' « esprit » et l' « essentiel » de l'invention, moins les revendications remplissent leur fonction à l'égard du public. Les brevets sont, au sens de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, des « règlements » et, à ce titre, ils méritent d'être interprétés de la façon qui est le plus susceptible d'assurer l'atteinte de leurs objectifs. L'interprétation de l'intention de l'inventeur manifestée dans la revendication du brevet doit être celle d'une personne versée dans l'art dont relève l'invention. La personne ordinaire versée dans l'art particulier dont relève le brevet n'est ni un grammairien ni un étymologiste et elle ne se livre pas à une analyse minutieuse et verbale du document.

L'article 27 de la Loi régit le contenu des mémoires descriptifs. En contrepartie du monopole, l'inventeur a l'obligation de divulguer son invention. Il n'est pas obligé de revendiquer un monopole sur tous les éléments nouveaux, ingénieux et utiles divulgués dans le mémoire descriptif. La règle habituelle est que l'inventeur renonce à tout ce qui n'est pas revendiqué. On peut tenir compte du mémoire descriptif pour comprendre la signification d'un mot utilisé dans une revendication, mais pas pour augmenter ou diminuer la portée de la revendication telle qu'elle est libellée et donc comprise. Les revendications et la divulgation doivent être interprétées avec un esprit désireux de comprendre. On doit interpréter les mots choisis par l'inventeur conformément au sens que celui-ci voulait leur donner et de façon à favoriser l'atteinte de son objectif, que le libellé des revendications l'ait exprimé expressément ou tacitement. Cela étant, si l'inventeur s'est mal exprimé ou a autrement créé une limitation non nécessaire causant des difficultés, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Le public est en droit de se fonder sur les termes utilisés pour autant qu'il les interprète de façon juste et informée.

[30]            De plus, il importe de rappeler qu'il est possible d'avoir recours à la divulgation pour comprendre le sens des termes ambigus des revendications, mais qu'il ne faut pas l'utiliser pour limiter des revendications qui, selon une interprétation raisonnable, ne sont pas ainsi restreintes : Dableh c. Ontario Hydro (1996), 68 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.); Apotex c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), appel accueilli en partie sur un autre point, (2000), 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.), conf. par (2002), 21 C.P.R. (4th) 499 (C.S.C.). Lorsque certaines revendications sont étendues et d'autres limitées, les restrictions de la revendication limitée ne peuvent pas être considérées comme faisant partie de la revendication étendue pour éviter l'invalidité ou la contrefaçon. Le principe de la différenciation constitue une présomption réfutable. Cette présomption est particulièrement forte lorsque la restriction en litige est la seule différence importante entre une revendication indépendante et une revendication dépendante et qu'une des parties soutient que la restriction dans la revendication dépendante devrait être considérée comme faisant partie de la revendication indépendante : Halford c. Seed Hawk Inc. (2004), 246 F.T.R. 1 (C.F.).

[31]            L'interprétation des revendications est du ressort exclusif du juge [de première instance] : Dableh, précité. La preuve d'expert peut être admise pour expliquer la signification des termes utilisés : Free World Trust, précité. MM. Rhodes et Goldberg ont tous deux présenté des éléments de preuve concernant le sens de l'expression « libération immédiate » , qui n'est pas définie dans le brevet.

[32]            M._Rhodes croit qu'un formulateur expérimenté de produits pharmaceutique interpréterait l'expression « libération immédiate » conformément au profil de dissolution. Il indique que l'expression concerne des produits dont la dissolution est tellement rapide qu'elle est presque « immédiate » . Il se réfère à l'objet déclaré du brevet, à la divulgation, aux figures 1 et 2 ainsi qu'à la revendication 12 et il conclut [traduction] « qu'on indique clairement [au formulateur expérimenté] que l'inventeur accorde beaucoup d'importance à la dissolution très rapide (c.-à-d. immédiate) » (affidavit de M. Rhodes, par. 128 et 129).

[33]            M._Goldberg soutient qu'un formulateur expérimenté estimerait qu'une forme orale solide d'une composition pharmaceutique constitue une composition à libération immédiate si la composition ne contient pas de mécanisme permettant à la forme posologique de retarder l'absorption du médicament. Un formulateur expérimenté [traduction] « considérerait que la composition pharmaceutique est une composition à libération immédiate si la dissolution du principe actif n'est pas progressive ou retardée » (affidavit de M. Goldberg, par. 12 et 43).


[34]            Malgré les arguments que Cipher a fait valoir avec vigueur, l'expression « libération immédiate » qui figure dans la revendication 1 ne devrait pas être interprétée de manière à incorporer le profil de dissolution dans la revendication 12. Une telle approche s'écarte, selon moi, de la jurisprudence. Je comprends que la divulgation englobe le profil de dissolution, mais le libellé de la divulgation est à cet égard identique à celui qui figure dans la revendication 12. Conclure autrement aurait pour effet de rendre la réclamation 12 redondante. La revendication indépendante 12 ne peut être incorporée à la revendication dépendante 1 pour la limiter.

[35]            Aucune autre preuve n'a été soumise en ce qui concerne la signification de l'expression « libération immédiate » et, par conséquent, je retiens l'interprétation qu'en a donnée M._Goldberg, à savoir qu'une composition pharmaceutique est une composition à « libération immédiate » si elle ne contient pas un mécanisme ayant pour effet de retarder ou de contrôler la libération ou l'absorption du médicament. Ayant statué sur la question de l'interprétation que doit recevoir l'expression « libération immédiate » , je vais maintenant examiner l'allégation de Cipher portant que sa capsule n'est pas un produit à « libération immédiate » .

[36]            M. Rhodes soutient que la formulation de la capsule en gélatine dure ne peut se dissoudre rapidement. Il explique qu'une dissolution in vitro montrera qu'il existe un temps mort (le temps requis pour que l'enveloppe de gélatine fonde et se rompe de façon à permettre au contenu de la capsule d'être libéré). Ce temps mort varie entre cinq et dix minutes. Durant cette période, seule une petite quantité du médicament, si tant est qu'il y en ait, peut se dissoudre.


[37]            M. Goldberg, pour sa part, est d'avis que le produit de Cipher ne contient aucun ingrédient qui retarderait ou contrôlerait l'absorption du fénofibrate par l'organisme. Par exemple, un revêtement pourrait être utilisé pour retarder la libération du médicament jusqu'à ce que ce dernier se trouve dans l'intestin. M. Goldberg allègue que les excipients utilisés dans le produit de Cipher et la méthode de fabrication du produit ne retarderont ni ne contrôleront la dissolution du fénofibrate une fois que les capsules de Cipher seront ingérées.

[38]            Essentiellement, je dois déterminer si le produit de Cipher doit contenir un ingrédient qui contrôle la libération du médicament pour que la libération soit retardée (comme le soutient Fournier) ou s'il est suffisant que la capsule en gélatine dure, à cause de son enveloppe, retarde la libération du principe actif de sorte que le produit de Cipher ne puisse être considéré comme étant à « libération immédiate » .

[39]            Compte tenu de la preuve, j'accepte la thèse de M. Rhodes. Le témoignage de M._Goldberg ne réfute aucunement celui de M._Rhodes à ce sujet. La position de M._Goldberg consiste simplement à dire que les capsules de Cipher ne contiennent pas d'excipients permettant de retarder ou de contrôler la dissolution du fénofibrate. Pour contredire la thèse de M._Rhodes, un seul exemple tiré de l'ouvrage Modern Pharmaceutics est donné, lequel dit-on est un exemple de dissolution d'une capsule de gélatine à une vitesse supérieure à 10% en cinq minutes. Ces renseignements ont été présentés à M._Rhodes en contre-interrogatoire et, comme on pouvait aisément s'y attendre, il n'a pu les commenter, et ce, pour plusieurs raisons. En effet, on ne lui a montré qu'une page extraite d'un article qu'il n'a ni révisé ni lu et il n'avait pas en main les données sur lesquelles cet article se fonde. Il a maintenu sa position selon laquelle une capsule en gélatine dure retarderait nécessairement la dissolution du fénofibrate.

[40]            Aucun des experts n'a traité de cet exemple en détail. Dans les circonstances, il ne peut servir à discréditer la preuve soumise par M._Rhodes. L'exemple en question ne fait que suggérer l'existence d'une capsule en gélatine dure (relativement à une drogue autre que le fénofibrate) qui libère l'ingrédient actif qu'elle contient plus rapidement que ne l'indique M._Rhodes. Fournier doit établir, par une preuve prépondérante, que les allégations de Cipher sur l'absence de contrefaçon ne sont pas fondées. La figure 2 du brevet_475 (qui compare la dissolution des comprimés de LIPIDIL à celle d'un certain nombre d'autres drogues contenues dans des capsules de gélatine) étaye le point de vue de M._Rhodes.

[41]            Je conclus que Fournier n'a pas établi selon la prépondérance de la preuve que les allégations de Cipher portant que ses capsules de fénofibrate ne sont pas des capsules à « libération immédiate » ne sont pas fondées. La capsule en gélatine dure constitue le mécanisme par lequel, après son ingestion, la libération et l'absorption du fénofibrate sont retardés.

[42]            Cela suffit pour trancher le litige étant donné que Fournier doit, suivant la prépondérance de la preuve, réfuter toutes les allégations qui, si elles n'étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer un AC : Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 328 (C.F. 1re inst.), conf. par (1995), 64 C.P.R. (3d) 450 (C.A.F.); SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 99 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001), 10 C.P.R. (4th) 338 (C.A.F.). Toutefois, par souci d'exhaustivité, je vais brièvement examiner les autres questions.


LE FÉNOFIBRATE MICRONISÉ

[43]            L'expression « sous forme micronisée » est définie dans le brevet 475 comme étant « une substance se trouvant sous une forme particulaire, la dimension des particules étant inférieure ou égale à environ 20 Fm » .

[44]            Cipher est d'avis que, dans la revendication 1, cette expression renvoie au fénofibrate qui se présente sous une forme micronisée au début du procédé de formulation. Au paragraphe 77 de son affidavit, M. Rhodes relève plusieurs références concernant l'utilisation de fénofibrate micronisé au début du procédé de formulation et fait remarquer l'absence de telles références (à la taille des particules de fénofibrate) en ce qui concerne le produit fini.

[45]            Fournier soutient le contraire et réitère que l'expression renvoie à la composition finie. Selon le témoignage de M. Goldberg, un formulateur expérimenté saurait que les revendications du brevet 475 renvoie à la taille des particules dans la composition formulée.

[46]            La revendication 1 du brevet 475 constitue une revendication à l'égard de la formulation ou de la composition finie. Malgré les arguments à l'effet contraire que Cipher a fait valoir avec vigueur, le fénofibrate sous forme micronisée désigne donc le principe actif à base de fénofibrate dans le produit final.


[47]            Cipher soutient en outre que même si, comme je l'ai effectivement conclu, son interprétation se révèle incorrecte, il reste que son produit final ne contient pas du fénofibrate sous une forme particulaire inférieure à 20 Fm

[48]            Fournier fait référence au témoignage de M. Goldberg, qui a indiqué que la micronisation du fénofibrate dans le produit de Cipher peut résulter du procédé de fabrication. Elle prétend qu'étant donné que le procédé de formulation de Cipher comporte la fusion à haute température des particules de fénofibrate avec plusieurs types d'excipients, des noyaux de fénofibrate commenceront à se former lorsque le mélange refroidit sous le point de fusion du fénofibrate. À mesure que le mélange refroidit, un plus grand nombre de noyaux se formeront et le fénofibrate « précipitera » , ce qui produira des particules de fénofibrate sous forme micronisée dans le produit final.


[49]            À mon avis, Cipher a très bien réussi à discréditer la théorie de M. Goldberg. En contre-interrogatoire, M. Goldberg a admis que pour qu'il y ait précipitation, il faut qu'il y ait sursaturation (trop de soluté - en l'occurrence du fénofibrate) ou surfusion. Rien n'indique qu'il y ait surfusion ou sursaturation dans le procédé de Cipher. M. Goldberg ne sait pas si le fénofibrate dans un mélange fondu forme éventuellement une solution sursaturée. Il reconnaît qu'il ne dispose d'aucune donnée sur l'analyse de solubilité du fénofibrate à mesure que sa température diminue. Il a fourni des données sur la solubilité d'un autre médicament dans son affidavit supplémentaire, mais a concédé que les données ne peuvent être extrapolées d'un médicament à un autre parce que la solubilité est spécifique à un médicament et à un solvant ou à une solution donnés.

[50]            M. Rhodes ne souscrit pas à la conclusion M. Goldberg. Selon lui, le produit de Cipher ne présenterait pas une biodisponibilité acceptable à moins que le fénofibrate ne soit dissout (et non précipité) dans le produit final; le produit contient un tensio-actif qui pourrait solubiliser (dissoudre) des médicaments hydrophobes comme le fénofibrate et même si la solution devient sursaturée, il est possible qu'elle soit métastable et qu'il n'y ait pas de précipitation.

[51]            On ne dispose d'aucune preuve indiquant que même s'il y avait précipitation du fénofibrate, celui-ci formerait des particules micronisées de taille inférieure à 20 Fm. M. Goldberg estime que le fénofibrate précipitera au cours du refroidissement pour former des particules dont la taille moyenne sera inférieure à 20 Fm. Il soutient que c'est ce qui se produira à cause de la grande différence de solubilité, mais il admet ne pas savoir quelle est la différence de solubilité. Sa théorie relative à la taille des particules ne se base sur aucune expérience ni aucune publication scientifique et il avoue qu'il est possible que le fénofibrate précipite en particules plus grosses que 20 Fm.


[52]            L'argumentation de Fournier repose exclusivement sur la théorie de M. Goldberg. Ni données ni preuve ne viennent appuyer cette théorie. M. Rhodes a relevé plusieurs lacunes dans la théorie de M. Goldberg. Fournier n'a pas établi suivant la prépondérance de la preuve que l'allégation de Cipher - à savoir que le fénofibrate dans son produit n'est pas micronisé et n'est pas sous forme particulaire ni sous forme de particules de taille précise, mais que le fénofibrate non micronisé dans son produit est fondu avec d'autres excipients pour former, lors du refroidissement, une pâte ou une phase homogène - n'était pas fondée.

SUPPORT OU VÉHICULE INERTE HYDROSOLUBLE

[53]            En procédant à un examen approfondi des arguments des parties et de leurs soumissions sur la question du support inerte hydrosoluble, je divulguerais des renseignements sur les caractéristiques et la démarche scientifiques relatives aux capsules de Cipher. Or ces renseignements sont protégés en vertu d'une ordonnance de confidentialité datée du 23 mars 2003. Je vais donc traiter de cette question en termes généraux.

[54]            Le terme « support inerte hydrosoluble » est défini dans le brevet 475 de la façon suivante :

On entend, dans le cadre de la présente invention par « support inerte hydrosoluble » tout excipient, généralement hydrophile, pharmaceutiquement inerte, cristallin ou amorphe, sous une forme particulaire, ne conduisant pas à une réaction chimique dans les conditions opératoires utilisées, et qui est soluble dans un milieu aqueux, notamment en milieu acide gastrique. Des exemples de tels excipients sont les dérivés des sucres, tels que lactose, saccharose, de l'amidon hydrolysé (malto-dextrine), etc. Des mélanges sont aussi appropriés. La dimension particulaire unitaire du support inerte hydrosoluble peut être par exemple comprise entre 50 et [sic] 500 microns.


[55]            Cipher soutient que le terme renvoie à un excipient ou à des excipients présentant les caractéristiques suivantes : a) pharmaceutiquement inertes; b) sous forme particulaire, de taille supérieure à 50 Fm; c) généralement hydrophiles; et d) hydrosolubles (non insolubles ou pratiquement insolubles dans l'eau) (affidavit de M. Rhodes, par. 68-70).

[56]            Cipher prétend qu'aucun des composés dans ses capsules ne correspond à cette définition. Le fénofibrate n'est pas un excipient inerte (il est de fait le principe actif) et il est pratiquement insoluble dans l'eau. Les autres excipients utilisés dans la formulation soit ne se dissolvent pas de la façon appropriée soit ne se présentent pas sous une forme particulaire dans les capsules de Cipher (affidavit de M. Rhodes, par. 108).

[57]            Fournier offre une interprétation différente. L'entreprise affirme qu'un « support inerte hydrosoluble » dans la revendication 1 du brevet 475 est : a) généralement hydrophile; b) a la capacité d'attirer l'eau dans la forme posologique et d'en faciliter l'intégration; et c) est suffisamment soluble pour faciliter la désintégration de la forme posologique dans un milieu aqueux, tel que les sucs gastriques (les liquides produits dans l'estomac) (affidavit de M. Goldberg, par. 16).


[58]            Je conviens, comme l'a soutenu Cipher, que l'interprétation de Fournier est passablement « tordue » et qu'elle a pour effet d'ajouter des fonctions qui ne sont pas prévues dans le brevet_475. Je suis toutefois d'avis qu'au bout du compte les capsules de Cipher ne satisfont pas aux éléments de l'une ou l'autre des interprétations proposées, de sorte qu'encore une fois Fournier n'a pas établi suivant la prépondérance de la preuve que les allégations de Cipher ne sont pas fondées.

[59]            M. Rhodes énumère un certain nombre de problèmes que pose la « structure en couches » proposée par M. Goldberg comme étant la base du véhicule inerte hydrosoluble. Aucune donnée scientifique publiée et fiable ne confirme l'existence d'une structure à plusieurs couches contenant ces excipients particuliers. M. Rhodes s'est de fait dit étonné que bon nombre des prémisses scientifiques sur lesquelles se base M. Goldberg pour sa « structure en couches » théorique - telles que la non-interaction entre les excipients - ne sont pas étayées par les données scientifiques contenues dans le Handbook of Pharmaceutical Excipients. Il n'y a aucune donnée qui montre qu'une structure en couches de ces excipients particuliers se formerait, compte tenu de leurs propriétés chimiques (affidavit de M. Rhodes, par. 110 à 115).

[60]            Fournier a soutenu que Cipher doit s'en tenir aux allégations figurant dans son avis d'allégation. Je comprends sa position et je conviens qu'il en est ainsi. Toutefois, c'est le témoin expert de Fournier qui a fait entrer en jeu d'autres éléments du brevet_475 et Cipher est en droit de répondre.

[61]            Compte tenu de la preuve, j'accepte la position de M._Rhodes. Il me paraît évident que la « structure en couches » proposée par M._Goldberg se fonde sur des spéculations étayées, mais qu'elle ne s'appuie pas sur suffisamment de données scientifiques - M. Goldberg n'a fourni aucune donnée en ce qui concerne la solubilité des excipients utilisés dans les capsules de Cipher et il n'a mené aucune expérience pour vérifier l'existence de telles données. Lorsqu'on lui a présenté, en contre-interrogatoire, des références scientifiques qui contredisaient des parties essentielles de sa thèse, M._Goldberg n'a pas réussi à fournir des données ou des explications contraires. De plus, la thèse de M. Goldberg, du moins en partie, semble s'appuyer sur la théorie d'après laquelle le fénofibrate entraînera la précipitation du mélange de Cipher, théorie que j'ai déjà rejetée.

[62]            Je conclus, suivant la prépondérance de la preuve, que Fournier n'a pas établi que l'allégation de Cipher portant que ses capsules ne contiennent pas de « support inerte hydrosoluble » n'est pas fondée. Ni la composition ni la structure chimiques des capsules de Cipher ne correspondent aux interprétations de ce terme proposées par les parties.

ABUS DE PROCÉDURE

[63]            L'argument fondé sur l'abus de procédure n'a pas été sérieusement débattu à l'audience. De fait, il a expressément été reconnu qu'il s'agissait d'un faux-fuyant. Je n'ai pas l'intention d'en dire plus à ce sujet.


CONCLUSION

[64]            Fournier n'a pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, que l'allégation de non-contrefaçon de Cipher en ce qui concerne la revendication 1 du brevet_475 n'est pas fondée. Les revendications 2 à 13 sont des revendications dépendantes qui se rapportent à la revendication 1. Par conséquent, Fournier n'a pas démontré que l'allégation de Cipher, qui concerne ces revendications, n'est pas fondée. Pour les motifs susmentionnés, Fournier n'a pas établi que l'allégation de non-contrefaçon de Cipher portant que ses capsules ne contiennent pas de fénofibrate sous forme micronisée n'est pas fondée. Fournier n'a donc pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, que l'allégation de non-contrefaçon de Cipher en ce qui concerne la revendication 17 n'est pas fondée. Les revendications 18 à 20 étant dépendantes de la revendication 17, Fournier n'a pas démontré que l'allégation de Cipher qui concerne ces revendications est sans fondement. La demande de Fournier sera par conséquent rejetée.

DÉPENS


[65]            Cipher a eu gain de cause et Fournier sera condamnée à lui payer les dépens de la présente instance. J'ai entendu les parties à ce sujet au tout début de l'audience. Elles se sont mutuellement accusées de s'être fondées sur des spéculations. Cipher sollicite des dépens majorés parce que Fournier a tardé à présenter sa requête en vue de contre-interroger de nouveau M._Rhodes et à interjeter appel de la décision rendue à ce sujet (requête à l'égard de laquelle Cipher s'est vu adjuger les dépens). Ni l'une ni l'autre des parties n'a demandé qu'un montant forfaitaire soit attribué au titre des dépens.

[66]            Ayant pris en compte les observations des avocats et les facteurs pertinents du paragraphe 400(3) des Règles, soit les facteurs figurant aux alinéas a), c), g), i) et k), dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je vais adjuger les dépens, ceux-ci devant être taxés selon l'échelon supérieur de la colonne III du tarif B.

[67]            Tant les avocats de Fournier que ceux de Cipher ont demandé que je donne des directives à l'officier taxateur sur certains articles. Ils ont plus particulièrement demandé que je donne des directives en ce qui concerne l'évaluation :

-          des dépens afférents à la présence d'un deuxième avocat au contre-interrogatoire et à l'audience;

-          des honoraires raisonnables afférents à la préparation des affidavits des experts;

-          des frais de déplacement raisonnables des avocats ayant participé aux contre-interrogatoires;

-          des débours raisonnables reliés au témoignage des experts.


Les parties s'étant entendues sur l'objet de la demande de directives, je n'ai aucune raison de ne pas l'accueillir. Une ordonnance sera donc rendue à cet égard.

             « Carolyn A. Layden-Stevenson »

Juge

Ottawa (Ontario)

14 décembre 2004

Traduction certifiée conforme

Chantal Desrochers, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-371-03

INTITULÉ :                                       FOURNIER PHARMA INC. et al

                                                                                                                                     demanderesses

- et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ &

CIPHER PHARMACEUTICALS LTD.

                                                                                                                                            défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Les 9 et 10 novembre 2004

OBSERVATIONS

SUPPLÉMENTAIRES :                   Les 3 et 7 décembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

_Motifs d'ordonnance confidentiels rendus le 9 décembre 2004_

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 décembre 2004

COMPARUTIONS :

David M. Reive/Angela Furlanetto        Pour les demanderesses             

Shonagh McVean/Joseph Briante         Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dimock Stratton s.r.l.

Toronto (Ontario)                                                                     Pour les demanderesses

Gilbert's s.r.l.

Toronto (Ontario)                                                                      Pour la défenderesse


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                Shonagh McVean/Joseph Briante

Sous-procureur général                        Gilbert's s.r.l.

du Canada                                           The Flatiron Building

49 Wellington Street East

Toronto (Ontario) M5E 1C9

Pour le défendeur                                 Pour le défendeur

Le ministre de la Santé                         Cipher Pharmaceuticals Ltd.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                                                              Date : 20041214

                          Dossier : T-371-03

ENTRE :

FOURNIER PHARMA INC. et al

                                                      demanderesses

- et -

LE MINISTRE DE LA SANTÉ &

CIPHER PHARMACEUTICALS LTD.

                                                                                   

                                                               défendeurs

                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                               


ANNEXE A

des

Motifs de l'ordonnance rendus le 14 décembre 2004

[Motifs d'ordonnance confidentielle rendus le 9 décembre 2004]

par la juge Carolyn Layden-Stevenson

dans

FOURNIER PHARMA INC. et

LABORATOIRES FOURNIER S.A.

c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

CIPHER PHARMACEUTICALS LIMITED

T-371-03

[Traduction]

Objet : Avis d'allégation et énoncédétaillépour du fénofibrate

Forme posologique :    capsules

Concentration :             100 mg et 160 mg

             Voie d'administration : orale

Cipher Pharmaceuticals Ltd. (Cipher) signifie par la présente à Foumier-Pharma Inc. (Fournier) le présent avis d'allégation et énoncé détaillé conformément aux alinéas 5(3)b) et 5(3)c) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement).

Le brevet canadien no 2,219,475 (le brevet 475) a été inscrit, à la demande de Foumier, par le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le Ministre) au registre des brevets en ce qui concerne les produits LIPIDIL SUPRA de Fournier en comprimés de 100 mg et de 160 mg.

Cipher a déposé auprès du Ministre une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour son fénofibrate dans les concentrations suivantes : capsules de 100 mg et de 160 mg pour administration par voie orale (les produits de Cipher). Dans sa PADN Cipher compare les produits de Cipher avec les comprimés de 100 mg et de 160 mg de LIPIDIL SUPRA commercialisés au Canada par Fournier (DIN 02241601 et 02241602, respectivement).

En application de l'alinéa 5(1)a) et du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), Cipher allègue qu'aucune revendication pour le médicament fénofibrate ou pour l'utilisation de ce médicament ne serait contrefaite advenant la fabrication, l'utilisation, la construction ou la vente des produits de Cipher.

La présent allégation se fonde sur les considérations juridiques et factuelles suivantes :

a) les revendications 1 à 13 et 17 à 20 du brevet 475 sont des revendications pour le médicament ou pour son utilisation;


b) les revendications 1 à 13 et 17 à 20 ne sont pas contrefaites parce que les éléments essentiels de ces revendications ne font pas partie des produits de Cipher.

A.          Les revendications pertinentes sont les revendications 1 à 13 et 17 à 20

Dans le brevet 475, les revendications pour le médicament et pour son utilisation sont les revendications 1 à 13 et 17 à 20. Les autres revendications, soit les revendications 14 à 16, sont des revendications de procédé et ne sont pas assujetties à la procédure prévue par le Règlement.

B.          Absence de contrefaçon des revendications pertinentes

La formulation des produits de Cipher est divulguée et revendiquée dans le brevet américain 5,545,628 des inventeurs Deboeck et al. (correspondant à la demande de brevet canadien 2 210 985) (la formulation de Deboeck). La formulation spécifique des produits de Cipher sera fournie en vertu d'un accord de confidentialité ou d'une ordonnance conservatoire.

En bref, la formulation de Deboeck est une composition non micronisée de fénofibrate. Elle est préparée par fusion du fénofibrate non micronisé (sans spécification paticulière relative à la dimension des particules) et des excipients, notamment des glycérides polyglycolysés, pour former une solution fondue homogène qui est ensuite versée dans des capsules de gélatine dure.

Le titulaire du brevet 475, les Laboratoires Fournier, S.A., a expressément différencié la formulation de Deboeck de la formulation du brevet 475. Dans une décision du bureau des brevets américains datée du 29 juin 1999 concernant la demande de brevet 09/005,128 (qui a été délivré sous le numéro 6,074,670 et qui correspond au brevet 475), l'examinateur du brevet qui a rejeté la demande pour cause dvidence s'est notamment référé au brevet américain 5,545,628 délivré à Deboeck et al. Dans sa réponse déposée le 17 novembre 1999, le breveté a indiqué ce qui suit :

La formulation de Deboeck prévoit l'ajout d'agents stabilisants à une solution fondue très spécifique de fénofibrate et de glycérides polyglycolysés. La quantité de glycérides polyglycolysés (tels que le tensio-actif de type poloxamère) est très analogue à la quantité de fénofibrate. Pour ce qui est de la formulation visée par la demande, la quantité de tensio-actif est beaucoup plus faible que celle de fénofibrate (p. ex. par un ordre de grandeur). Ainsi, les ratios des divers constituants dans la formulation de Deboeck diffèrent de ceux de la présente invention.

La formulation de Deboeck prévoit une solution fondue de fénofibrate dans des glycérides. Cela exclut nécessairement la forme micronisée de fénofibrate décrite à la revendication 1. De fait, Deboeck explique :

[A] il est nécessaire d'avoir une formulation de fénofibrate qui évite l'utilisation de la co-micronisation.

Deboeck, colonne 2, lignes 4 et 5.


La formulation de Deboeck scarte donc expressément de l'invention actuellement revendiquée. [Non souligné dans l'original.]

Ces déclarations selon lesquelles l'invention aussi visée par le brevet 475 se différencie sur le plan de la brevetabilité de la formulation de Deboeck ont été faites par la même personne morale, les Laboratoires Fournier, S.A., en ce qui concerne le brevet américain correspondant. Il s'agit donc d'aveux contre intérêt.

Il y aurait abus de procédure si Fournier scartait de cette caractérisation du brevet 475 de même que de la formulation de Deboeck pour tenter de faire valoir des droits afférents au brevet 475. Dans les circonstances, tout recours de cette nature serait objectivement sans fondement et pourrait donner ouverture à une poursuite au Canada ou aux États-Unis.

Plus précisément, la formulation de Cipher ne contrefait pas le brevet 475 étant donné qu'elle ne contient pas les éléments essentiels des revendications pertinentes du brevet 475, comme il est exposé plus en détail ci-dessous.

i.           Absence de contrefaçon de la revendication 1

La revendication 1 du brevet 475 est une revendication indépendante visant une « composition de fénofibrate à libération immédiate » . La revendication 1 prévoit également « un support inerte hydrosoluble recouvert d'au moins une couche de fénofibrate sous forme micronisée avec une taille inférieure à 20 Fm » .

Selon une interprétation téléologique de la revendication 1, « à libération immédiate » , « sous forme micronisée » et « support inerte hydrosoluble » sont des éléments essentiels, dont la signification doit également être interprétée en fonction de l'objet. Pour ce qui est de la divulgation du brevet 475, aucun de ces éléments essentiels ne sont présents dans les produits de Cipher : le fénofibrate dans les produits de Cipher n'est pas une formulation « à libération immédiate » , n'est pas sous « forme micronisée » et n'est pas un « support inerte hydrosoluble » .

·            Absence de fénofibrate « à libération immédiate » dans les produits de Cipher

Le premier élément essentiel de la revendication 1 est la formulation « à libération immédiate » du fénofibrate. La signification de l'expression « à libération immédiate » est donnée à la page 3 de la divulgation :

Il existe donc un besoin pour améliorer la biodisponibilité du fénofibrate afin d'atteindre, dans des temps très courts, un niveau proche de 100 % (ou, en tout cas, supérieur aux limites suivantes : 10 % en 5 minutes, 20 % en 10 minutes, 50 % en 20 minutes et 75 % en 30 minutes dans un milieu constitué de 1200 ml d'eau additionnée de 2 % de Polysorbate 80 ou de 1000 ml d'eau additionnée de lauryl sulfate de sodium 0,025 molaire, avec une vitesse de rotation de la palette de 75 t/min).


Autrement dit, l'inventeur du brevet 475 a indiqué qu'il était nécessaire d'améliorer la vitesse de dissolution et la biodisponibilité du fénofibrate de façon à obtenir une dissolution presque complète en un très court laps de temps (niveau de dissolution supérieur à 10 % en cinq minutes, à 20 % en dix minutes, à 50 % en vingt minutes et à 75 % en trente minutes, tel que mesuré conformément à la méthode de la palette tournante décrite dans le passage reproduit ci-dessus). Cette description concorde avec la grande vitesse de libération du fénofibrate illustrée aux figures 1 et 2 de la divulgation du brevet 475.

Le fénofibrate contenu dans les produits de Cipher se dissout beaucoup plus lentement. Ce n'est pas une formulation à libération immédiate. Sa vitesse de dissolution n'est pas égale ou supérieure à 10 % en cinq minutes, à 20 % en dix minutes, à 50 % en 20 minutes et à 75 % en 30 minutes, telle que mesurée à l'aide de la méthode décrite dans le passage reproduit ci-dessus. Pour cette seule raison, la fabrication, l'utilisation, la construction ou la vente par Cipher des produits de Cipher ne contrefont pas la revendication 1 du brevet 475.

·            Absence de fénofibrate micronisédans les produits de Cipher

Le deuxième élément essentiel de la revendication 1 concerne la « forme micronisée » du fénofibrate. Le fénofibrate « sous forme micronisée » est défini à la page 6 de la divulgation comme « une substance se trouvant sous une forme particulaire, la dimension des particules étant inférieure ou égale à environ 20 Fm » . En d'autres termes, la « forme micronisée » désigne une substance sous forme particulaire, dont les particules ont une dimension égale ou inférieure à 20 Fm.

Le fénofibrate dans les produits de Cipher n'est pas micronisé. Il ne se présente pas sous forme particulaire. Il ne se présente pas non plus sous la forme de particules ayant une dimension spécifiée. Le fénofibrate non micronisé dans les produits de Cipher est plutôt fondu avec d'autres excipients pour former, en refroidissant, une phase ou une pâte homogène. La fabrication, l'utilisation, la construction ou la vente par Cipher des produits Cipher ne contrefont donc pas la revendication 1 du brevet 475.

·            Absence de support inerte hydrosoluble dans les produits de Cipher

Le troisième élément essentiel de la revendication 1 concerne le fénofibrate micronisé sur un « support inerte hydrosoluble » . Le « support inerte hydrosoluble » est défini à la page 6 de la divulgation :

On entend, dans le cadre de la présente invention par « support inerte hydrosoluble » tout excipient, généralement hydrophile, pharmaceutiquement inerte, cristallin ou amorphe, sous une forme particulaire, ne conduisant pas à une réaction chimique dans les conditions opératoires utilisées, et qui est soluble dans un milieu aqueux, notamment en milieu acide gastrique. Des exemples de tels excipients sont les dérivés de sucres, tels que lactose, saccharose, de l'amidon hydrolysé (malto-dextrine), etc.


Selon cette définition, le support doit avoir la forme d'une particule (forme particulaire) et être « recouvert » d'au moins une couche de fénofibrate micronisé. Dans les produits de Cipher, du fénofibrate non micronisé et d'autres ingrédients sont fondus ensemble pour former, en refroidissant, une phase ou une pâte homogène. Les produits de Cipher ne renferment aucun support sous forme particulaire, ni aucun support qui est recouvert de fénofibrate micronisé. La fabrication, l'utilisation, la construction ou la vente par Cipher des produits Cipher ne contrefont donc pas la revendication 1.

ii.           Absence de contrefaçon des revendications 2 à 13

Les revendications 2 à 13 du brevet 475 sont des revendications dépendantes, qui incorporent soit des éléments de la revendication 1 ou des éléments d'une revendication qui est elle-même dépendante de la revendication 1. Les produits de Cipher ne contrefont pas la revendication 1. Par conséquent, la fabrication, l'utilisation, la construction ou la vente par Cipher de ses produits ne contrefont pas les revendications 2 à 13, qui incorporent tous les éléments de la revendication 1.

iii.          Absence de contrefaçon des revendications 17 à 20

La revendication 17 est une revendication indépendante qui vise une suspension de fénofibrate sous « forme micronisée » avec des particules dont la taille est inférieure à 20 Fm, dans une solution de polymère hydrophile. Comme nous l'avons déjà signalé, le fénofibrate dans les produits de Cipher ne se présente pas sous forme micronisée et n'existe pas sous la forme de particules. Le fénofibrate non micronisé dans les produits de Cipher est plutôt fondu avec les autres ingrédients pour former, en refroidissant, une phase ou une pâte homogène. La fabrication, l'utilisation, la construction ou la vente par Cipher de ses produits ne contrefont donc pas la revendication 17.

En outre, les revendications 18 à 20 du brevet 475 sont toutes dépendantes de la revendication 17. Les éléments de la revendication 17, dont la nécessité que le fénofibrate soit sous « forme micronisée » , sont donc incorporés dans les revendications 18 à 20. Les produits de Cipher ne contrefont pas la revendication 17. Par conséquent, la fabrication, llaboration, l'utilisation ou la vente par Cipher des produits de Cipher ne contrefont pas les revendications 18 à 20.

Pour les raisons susmentionnées, les revendications 1 à 13 et 18 à 20 ne sont pas contrefaites par suite de la fabrication, de l'utilisation, de la construction ou de la vente par Cipher de ses produits et rien ne permet à Fournier de demander une ordonnance d'interdiction sur le fondement de l'article 6 du Règlement.

lam W. French, Ph.D., président et directeur scientifique

cc.         David Reive

Dimock Stratton Clarizio


ANNEXE B

des

Motifs de l'ordonnance rendus le 14 décembre 2004

[Motifs d'ordonnance confidentielle rendus le 9 décembre 2004]

par la juge Carolyn Layden-Stevenson

dans

FOURNIER PHARMA INC. et

LABORATOIRES FOURNIER S.A.

c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉet

CIPHER PHARMACEUTICALS LIMITED

                                                                      T-371-03

                                                               REVENDICATIONS

1.       Composition de fénofibrate à libération immédiate comprenant :

(a)                 un support inerte hydrosoluble recouvert d'au moins une couche contenant le fénofibrate sous forme micronisée avec une taille inférieure à 20 μm, un polymère hydrophile et éventuellement un tensio-actif; ledit polymère hydrophile représentant au moins 20 % en poids du poids de l'élément a); et

(b)           éventuellement une ou plusieurs phase(s) ou couche(s) externe(s).

2.       Composition selon la revendication 1, dans laquelle le tensio-actif est présent avec le fénofibrate et le polymère hydrophile.

3.       Composition selon la revendication 1 ou 2, dans laquelle le polymère hydrophile est de la polyvinylpyrrolidone.

4.       Composition selon la revendication 2 ou 3, dans laquelle le fénofibrate et le tensio-actif sont comicronisés.

5.       Composition selon l'une quelconque des revendications 2 à 4, dans laquelle le tensio-actif est du laurylsulfate de sodium.


6.       Composition selon l'une quelconque des revendications 1 à 5, dans laquelle le polymère hydrophile est présent en plus de 25 % en poids.

7.       Composition selon l'une quelconque des revendications 1 à 6, dans laquelle le rapport pondéral fénofibrate/polymère hydrophile est compris entre 1/10 et 4/1.

8.       Composition selon l'une quelconque des revendications 1 à 7, dans laquelle le rapport pondéral fénofibrate/polymère hydrophile est compris entre 1/2 et 2/1.

9.       Composition selon l'une quelconque des revendications 1 à 8, dans laquelle par rapport au poids de l'élément a), le support inerte hydrosoluble représente de 10 à 75 % en poids, le fénofibrate représente de 5 à 50 % en poids, le polymère hydrophile représente de 20 à 60 % en poids, le tensio-actif représente de 0 à 10 % en poids.

10.       Composition selon l'une quelconque des revendications 1 à 9, dans laquelle par rapport au poids de l'élément a), le support inerte hydrosoluble représente de 20 à 50 % en poids, le fénofibrate représente de 20 à 45 % en poids, le polymère hydrophile représente de 25 à 45 % en poids, le tensio-actif représente de 0,1 à 3 % en poids.

11.       Composition selon l'une quelconque des revendications 1 à 10, dans laquelle la dimension particulaire unitaire du support inerte hydrosoluble est comprise entre 50 et 500 microns.

12.       Composition de fénofibrate à libération immédiate selon l'une quelconque des revendications 1 à 11, présentant une dissolution d'au moins 10 % en 5 minutes, 20 % en 10 minutes, 50 % en 20 minutes et 75 % en 30 minutes, telle que mesurée conformément à la méthode de la palette tournante à 75 t/min selon la Pharmacopée Européenne, dans un milieu de dissolution constitué d'eau avec 2 % en poids de polysorbate 80 ou 0,025M de lauryl sulfate de sodium.


13.       Composition selon l'une quelconque des revendications 1 à 12, sous forme de comprimé.

14.       Procédé de préparation d'une composition selon l'une quelconque des revendications 1 à 13, comprenant les étapes de :

(a)           préparation d'une suspension de fénofibrate sous forme micronisée avec une taille inférieure à 20 μm, dans une solution de polymère hydrophile et éventuellement de tensio-actif;

(b)           application de la suspension de l'étape (a) sur un support inerte hydrosoluble par pulvérisation;

(c)           éventuellement: enrobage des granulés ainsi obtenus par une ou plusieurs phase(s) ou couche(s).

15.       Procédé selon la revendication 14, dans lequel l'étape (b) est mise en oeuvre dans un granulateur à lit fluidisé.

16.       Procédé selon la revendication 14 ou 15, comprenant, en outre, une étape de compression des produits obtenus à l'étape (b) ou (c).

17.       Suspension de fénofibrate sous forme micronisée avec une taille inférieure à 20 μm, dans une solution de polymère hydrophile et éventuellement de tensio-actif en solution dans un solvant et dans laquelle la concentration en féno-fibrate est de 1 à 40 % en poids, la concentration en polymère hydrophile est de 5 à 40 % en poids, et la concentration en tensio-actif est de 0 à 10 % en poids.

18.       Suspension de fénofibrate selon la revendication 17, dans laquelle la concentration en fénofibrate est de 10 à 25 %.

19.       Suspension de fénofibrate selon la revendication 17 ou 18, dans laquelle la concentration en polymère hydrophile est de 10 à 25 %.

20.       Suspension de fénofibrate selon la revendication 17, 18 ou 19, dans laquelle la concentration en tensio-actif est inférieure à 5 % en poids.


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