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Date : 20010907

Dossier : IMM-6231-99

                                                                                          Référence neutre : 2001 CFP1 1003

ENTRE :                                                                                                   

LAKICEVIC, PREDRAG

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Hansen

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (SSR) en date du 9 décembre 1999, par laquelle la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur a été rejetée.

[2]                 Le demandeur, un citoyen de Yougoslavie, a revendiqué le statut de réfugié en raison de sa nationalité et de son objection de conscience au service militaire. Avant son arrivée au Canada, il a vécu dans la partie sud de la Serbie près de la frontière du Kosovo.


[3]                 Selon le Formulaire de renseignements personnels rempli par le demandeur et selon son témoignage à l'audience, il a servi dans l'armée yougoslave de septembre 1988 à septembre 1989. Lorsque le conflit a éclaté en Bosnie-Herzégovine en 1991, il a été rappelé sous les drapeaux. Comme il ne voulait pas participer à la guerre, il ne s'est pas présenté et il s'est caché parce que la police militaire [traduction] « pouvait arriver à votre porte et vous emmener » . De 1991 à 1993, le demandeur dit qu'il a échappé à la police militaire en se déplaçant de ville en ville. Il a aussi travaillé pendant ce temps dans un restaurant de Leskovac, sa ville natale, pour des périodes plus ou moins longues.

[4]                 En 1993, le demandeur a fui la Yougoslavie et il a vécu en Afrique du Sud pendant une année. Il n'a pas revendiqué le statut de réfugié en Afrique du Sud parce qu'il espérait que la situation s'améliorerait et qu'il pourrait retourner en Yougoslavie, ce qu'il a fait en 1994. Peu après son retour à Leskovac, ses amis lui ont dit que la police militaire était toujours à sa recherche. Afin d'y échapper, il s'est de nouveau déplacé de ville en ville tout en retournant travailler au restaurant de Leskovac à différentes reprises.


[5]                 En juillet 1995, alors que [traduction] « on rassemblait l'armée pour le Kosovo » , le demandeur s'est enfui en Grèce et il y est resté cinq mois, sans y revendiquer le statut de réfugié. Il est ensuite retourné dans sa ville natale au début de 1996. De 1996 à 1998, il a travaillé au bureau de poste de Leskovac, en s'éloignant pour de plus ou moins longues périodes de peur d'être arrêté par la police militaire. Il s'est aussi rendu en Allemagne et en Italie en 1996, mais dans ni l'un ni l'autre de ces pays, il n'a revendiqué le statut de réfugié.

[6]                 Le demandeur déclare qu'en 1997 il a été arrêté et détenu pendant deux mois pour s'être soustrait à ses obligations militaires. Il a été libéré sur versement d'un pot-de-vin, puis il a aussitôt entamé des préparatifs pour se rendre au Canada. Sur la foi d'une offre de travail temporaire comme musicien dans un restaurant de Toronto, il a obtenu un visa valide jusqu'en août 1998.

[7]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 16 février 1998. Il dit qu'en premier lieu, lorsqu'il est venu au Canada, il avait l'intention d'attendre la fin des troubles dans son pays pour ensuite y retourner. Cependant, en quatre mois, la situation en Yougoslavie s'était détériorée et son appartement ainsi que son automobile avaient été détruits sous les bombardements. Le demandeur a formulé pour la première fois son intention de revendiquer le statut de réfugié en juillet 1998. Il se définit comme un objecteur de conscience qui ne veut pas retourner en Yougoslavie de peur d'être enrôlé dans l'armée et d'être persécuté à cause de ses opinions.

[8]                 La SSR a rejeté la revendication du demandeur en ces termes :

[...] le revendicateur ne s'est pas déchargé du fardeau de preuve qui lui incombait d'établir la véracité de ses allégations [...]


Malgré la crainte exprimée par le revendicateur à l'égard d'une participation à la guerre, il semble être demeuré dans sa petite ville et y avoir travaillé pendant des périodes prolongées. Il est rentré dans son pays d'origine au moment où le conflit faisait encore rage en Bosnie. Il a réussi à obtenir un passeport en 1998 et à quitter le pays sans problème. Il n'a jamais été aperçu par la police militaire et a réussi à se soustraire aux arrestations. En se fondant sur ces faits [...] le tribunal a évalué la crédibilité du revendicateur à la lumière de critères tels que le raisonnement et le sens commun et il conclut que le revendicateur n'est pas crédible. La revendication du statut de réfugié de ce dernier, pour des raisons de conscience valables, n'a aucun fondement.

[9]                 La SSR a fondé sa conclusion concernant la crédibilité du demandeur uniquement sur des constatations d'invraisemblance, non sur des incohérences ou des contradictions dans les éléments de preuve produits par celui-ci.

[10]            Le demandeur est en désaccord avec chacune des conclusions d'invraisemblance énoncées par la SSR, soutenant qu'elles découlent d'une mauvaise interprétation des faits et qu'elles ne reposent pas sur la preuve documentaire. Ne seront considérées aux présents motifs que trois des questions soulevées par le demandeur puisque celles-ci sont déterminantes pour le résultat de la demande de contrôle judiciaire.

[11]              Dans ses motifs, le tribunal a estimé peu vraisemblable que le demandeur ait pu échapper si longtemps à la police militaire tout en travaillant dans sa ville natale. Le tribunal s'est exprimé comme suit :

Les antécédents du revendicateur en matière d'emploi démontrent qu'il a travaillé au bureau de poste de Leskovac, sa ville natale, de janvier 1996 à février 1998. De plus, le revendicateur a témoigné qu'il a travaillé pendant trois ans dans l'industrie de la restauration, de 1989 à 1992, en 1993 (jusqu'à mai 1993) et de mai 1994 à juillet 1995, et ce, dans sa ville natale. Leskovac est une petite ville de 100 000 habitants. Le revendicateur a déclaré que tout le monde se connaissait dans cette petite ville. Si tel est le cas, on se demande comment le revendicateur a pu échapper à l'oeil très vigilant de la police militaire.


L'avocat du demandeur fait valoir que cette conclusion ne repose sur aucun élément de preuve et qu'il est tout à fait vraisemblable que le demandeur ait pu échapper à la police militaire.

[12]            J'accepte cet argument. Dans ses motifs, le tribunal a omis de tenir compte de l'explication du demandeur selon laquelle il s'esquivait en se déplaçant de ville en ville pour éviter d'être arrêté quand il apprenait d'amis et de voisins que la police militaire était à sa recherche. De même a-t-il pris des jours de congé non payé pour aller se cacher pendant les périodes de recrutement actif. Le tribunal n'a pas non plus examiné la preuve documentaire concernant le grand nombre d'objecteurs de conscience et de déserteurs qui ont évité le service militaire en entrant dans la clandestinité. Même si la SSR a le droit de s'appuyer sur le raisonnement et le sens commun pour apprécier la crédibilité, elle doit examiner l'ensemble de la preuve et énoncer les raisons pour lesquelles elle rejette une explication à première vue vraisemblable. En l'espèce, rejeter les éléments de preuve soumis par le demandeur uniquement pour cause d'invraisemblance constitue à mon avis une erreur susceptible de révision.

[13]            La seconde conclusion d'invraisemblance que conteste le demandeur porte sur la version qu'il a donnée de son départ de Yougoslavie en 1993. D'après son témoignage, il n'a pas été interrogé à la frontière [traduction] « parce qu'il y avait une telle confusion... beaucoup de gens prenaient la fuite » . Le tribunal a dit à ce propos :

Il n'a fait l'objet d'aucun contrôle à la frontière ni n'a-t-il été interrogé au sujet de son départ du pays, alors que ce dernier était en guerre. Le tribunal ne peut accepter, à titre d'explication raisonnable, la réponse du revendicateur selon laquelle il y avait eu confusion et que plusieurs personnes prenaient la fuite, d'autant plus que sa ville, Leskovac, était située non loin de la Bosnie.

[14]            Le tribunal était manifestement dans l'erreur au sujet de la distance séparant la ville de Leskovac de la Bosnie. Comme l'a fait remarquer l'avocat du demandeur, Leskovac est près de la frontière est de la Yougoslavie alors que la Bosnie est située près de la frontière ouest du pays. L'avocat du défendeur a reconnu l'erreur du tribunal tout en maintenant que l'emplacement de Leskovac n'était pas important pour la décision qui a finalement été rendue. Bien que l'emplacement de la ville elle-même ne soit pas un élément important, le fait de s'appuyer sur un élément erroné pour conclure que le témoignage du demandeur n'est pas digne de foi constitue cependant une erreur susceptible de révision.


[15]            Le demandeur fait aussi valoir que la conclusion du tribunal selon laquelle sa crainte de la conscription n'était pas digne de foi, était fondée sur une mauvaise interprétation des éléments de preuve qu'il a présentés. Le tribunal n'a pas cru à la peur d'être appelé sous les drapeaux éprouvée par le demandeur, en partie parce que, malgré cette peur, il avait obtenu « un passeport en 1998 grâce à une lettre du tribunal indiquant qu'il n'avait jamais été déclaré coupable de quoi que ce soit » . Même si, plus tôt durant l'audience, le demandeur avait dit qu'il avait obtenu, en 1993, un certificat du tribunal pour obtenir son passeport et son visa, il a précisé que, pour son départ en 1998, il avait simplement renouvelé le passeport qu'il avait déjà pour ses voyages antérieurs. Le tribunal a manifestement commis une erreur concernant le certificat en question. Le fait que le tribunal n'a pas indiqué de quelle preuve il a déduit que le demandeur a obtenu un passeport sans aucune difficulté constitue un autre sujet de préoccupation.

[16]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision rendue le 9 décembre 1999 est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué.

                                                                              « Dolores M. Hansen »             

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 7 septembre 2001

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


Date : 20010907

Dossier : IMM-6231-99

Référence neutre : 2001 CFP1 1003

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2001

En présence de Madame le juge Dolores M. Hansen

ENTRE :                                                                                                  

LAKICEVIC, PREDRAG

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

VU la demande de contrôle judiciaire et d'annulation de la décision en date du 9 décembre 1999, par laquelle la Section du statut de réfugié a rejeté la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur;


APRÈSavoir pris connaissance des documents déposés et avoir entendu les arguments des parties;

ET VUles motifs de l'ordonnance prononcés en ce jour;

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 9 décembre 1999 est annulée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué.

2. Aucune question n'est certifiée.

      « Dolores M. Hansen »             

Juge

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                IMM-6231-99

INTITULÉ :                               LAKICEVIC, PREDRAG c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 22 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Madame le juge Hansen

DATE DES MOTIFS :             le 7 septembre 2001

COMPARUTIONS :

John Guoba                                                          POUR LE DEMANDEUR

Mielka Visnic                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter J. Wuebbolt                                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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