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Date : 20200618


Dossiers : IMM-3541-19

IMM-3544-19

IMM-5418-19

Référence : 2020 CF 705

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2020

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

AKINO NICHOLAS MCLEISH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Akino McLeish [M. McLeish], présente trois demandes de contrôle judiciaire connexes [les demandes], qui contestent la conclusion selon laquelle il est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et la mesure d’expulsion en résultant.

[2]  Les présents motifs se rapportent aux trois demandes.

[3]  La première demande conteste le « rapport au titre de l’article 44 » établi par l’agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’agent] aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], qui recommandait que M. McLeish soit déféré pour enquête.

[4]  La deuxième demande conteste la décision rendue par la déléguée du ministre au nom du ministre, aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi. La déléguée du ministre a pris en compte le rapport de l’agent ainsi que les documents et les éléments de preuve sur lesquels l’agent s’était fondé et, suivant son opinion selon laquelle M. McLeish était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi pour grande criminalité, elle a déféré M. McLeish à la Section de l’immigration [la SI] pour enquête.

[5]  La troisième demande conteste la décision rendue par la SI. La SI a conclu que M. McLeish était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la Loi et a pris une mesure d’expulsion à son encontre.

[6]  M. McLeish soutient que les décisions sont déraisonnables parce que l’agent, et la déléguée du ministre, ont omis de prendre en compte ou d’apprécier de façon raisonnable les motifs d’ordre humanitaire présentés par M. McLeish, particulièrement l’intérêt supérieur de ses deux enfants.

[7]  Ces demandes portent essentiellement sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’agent et de la déléguée du ministre de déférer un étranger ou un résident permanent pour enquête aux termes de l’article 44 et sur la façon dont la jurisprudence prédominante devrait être appliquée.

[8]  Pour les motifs qui suivent, les demandes sont rejetées. La jurisprudence a établi que l’agent et le délégué du ministre ont un pouvoir discrétionnaire limité pour déterminer si un étranger ou un résident permanent doit être déféré pour enquête. L’agent ou le délégué du ministre n’est pas tenu de prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire, particulièrement lorsque l’interdiction de territoire découle d’une grande criminalité. Toutefois, lorsque l’agent et le délégué du ministre exercent leur pouvoir discrétionnaire limité pour prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire dans le contexte de la justification de leur recommandation de déférer ou non un étranger ou un résident permanent à la SI, la prise en compte des motifs d’ordre humanitaire doit être raisonnable. En l’espèce, dans son rapport, l’agent a repris sans les apprécier les motifs d’ordre humanitaire présentés par M. McLeish. La justification de la recommandation de l’agent et du renvoi à la SI par la déléguée du ministre reposait sur les antécédents de violence, d’usage d’armes et d’infractions liées aux stupéfiants de M. McLeish et ses déclarations de culpabilité au criminel. La recommandation de l’agent est raisonnable, comme l’est la décision de la déléguée du ministre. La décision de la SI est aussi raisonnable puisqu’elle est fondée sur la conclusion que M. McLeish, comme il l’a admis, a été reconnu coupable d’infractions qui tombent sous le coup de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

I.  Contexte

[9]  M. McLeish est un citoyen de la Jamaïque âgé de 28 ans. Il a obtenu le droit d’établissement au Canada à l’âge de 11 ans, en tant que résident permanent, grâce au parrainage de son père. M. McLeish a été pendant de longues périodes sous la protection de la Société d’aide à l’enfance en étant placé dans plusieurs foyers d’accueil et dans un foyer de groupe.

[10]  M. McLeish a eu une jeunesse difficile, sans encadrement parental, et a commencé à commettre des actes criminels pendant sa jeunesse et à l’âge adulte.

[11]  En janvier 2013, M. McLeish a été reconnu coupable d’infractions liées aux armes à feu et a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans assortie d’une période de probation. En juin 2017, il a été reconnu coupable de possession d’une substance désignée (la cocaïne) en vue d’en faire le trafic et de possession d’une arme à autorisation restreinte. Ces infractions ont été commises pendant qu’il était en probation. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans et du temps lui a été alloué pour la période passée en détention présentencielle.

[12]  En décembre 2017, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a fait savoir à M. McLeish qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était interdit de territoire au Canada en raison de ses déclarations de culpabilité au criminel. M. McLeish a été invité à remplir un formulaire et à présenter des observations supplémentaires, s’il y a lieu, quant aux raisons pour lesquelles une mesure de renvoi ne devrait pas être prise à son encontre. Il a formulé des observations accompagnées de pièces jointes et a demandé de ne pas être déféré pour enquête en raison de sa situation personnelle, y compris des motifs d’ordre humanitaire.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

A.  Le rapport et la recommandation de l’agent au titre du paragraphe 44(1)

[13]  Le rapport de l’agent consiste en un formulaire type et compte plusieurs rubriques. Au départ, il fait état de renseignements de base sur M. McLeish, y compris sa description physique, son statut d’immigrant, son adresse, son état civil et les membres de sa famille au Canada et à l’extérieur du Canada.

[14]  Le rapport énumère ensuite les déclarations de culpabilité de M. McLeish donnant et ne donnant pas lieu à un rapport et fournit des précisions quant aux infractions dont il a été accusé, avec des renvois aux rapports de police.

[15]  L’information relative aux peines qui ont été imposées figure sous la rubrique [traduction] « Potentiel de réadaptation ». En janvier 2013, M. McLeish a été condamné à une peine de trois ans, du temps lui ayant été alloué pour les 17 mois passés en détention présentencielle, et il a été mis en liberté en juin 2013, tout en faisant l’objet d’une période de probation de 36 mois. En avril 2016, pendant qu’il était encore en probation, M. McLeish a été arrêté et mis en détention. En avril 2017, il a plaidé coupable à deux de quatre chefs d’accusation : trafic de cocaïne et possession d’une arme à autorisation restreinte. Il a été condamné à deux ans d’emprisonnement pour l’une des déclarations de culpabilité et à six mois devant être purgés concurremment pour l’autre. En raison du temps qui lui a été alloué pour la période passée en détention présentencielle, il a dû demeurer en détention pendant 119 jours supplémentaires.

[16]  Sous la rubrique [traduction] « Degré d’établissement », l’agent a souligné que M. McLeish avait fréquenté plusieurs écoles au Canada, qu’il avait terminé ses études secondaires grâce à un programme d’autoformation et qu’il lui restait un semestre à compléter pour achever un programme d’études au Collège Fanshawe.

[17]  L’agent a aussi énuméré les emplois occupés par M. McLeish depuis 2011 et a souligné sa tendance à démissionner peu après avoir commencé un emploi. Au moment où il a formulé ses observations, M. McLeish était sans emploi et recevait de l’aide sociale.

[18]  L’agent a pris note de l’affirmation de M. McLeish selon laquelle il versait de 500 à 1 000 $ chaque mois pour subvenir aux besoins de ses deux enfants et de sa petite amie. Il a précisé que M. McLeish avait plusieurs dettes, mais qu’il ne possédait aucun bien et n’avait pas d’emploi. Le demandeur a reçu de l’aide sociale jusqu’à ce qu’il en soit exclu le 31 mai 2018.

[19]  Sous la rubrique [traduction] « Motifs d’ordre humanitaire et autres renseignements », l’agent a souligné que M. McLeish avait vécu dans plusieurs foyers d’accueil jusqu’à l’âge de 16 ans. Le demandeur a par la suite emménagé chez son voisin et sa fille, qu’il considère comme étant sa sœur.

[20]  L’agent a pris note de l’observation de M. McLeish selon laquelle il faisait office de père et de partenaire aimant auprès de ses enfants et de sa petite amie et il représente le seul modèle masculin pour ses enfants et les enfants de la fille de son voisin.

[21]  L’agent a souligné que les deux enfants de M. McLeish sont nés pendant qu’il était en détention. Il a rappelé l’observation de M. McLeish selon laquelle il était conscient des torts qu’il avait causés à sa famille et de l’importance de la structure familiale, qui lui a fait défaut.

[22]  L’agent a aussi pris note de l’observation de M. McLeish selon laquelle il reçoit de l’aide professionnelle dans les domaines des capacités parentales, des relations interpersonnelles et de la gestion des créances et il suit d’autres programmes de perfectionnement des compétences.

[23]  L’agent a rappelé la déclaration de M. McLeish selon laquelle s’il était renvoyé du Canada, il croit qu’il mourrait à cause de l’absence d’un système de soutien en Jamaïque et des piètres conditions de vie dans ce pays.

[24]  L’agent a ajouté que M. McLeish avait de longs antécédents de trafic de substances désignées et qu’il n’avait fait l’objet d’aucune mesure d’exécution de la loi ni reçu de lettre d’avertissement après sa première déclaration de culpabilité, en 2013.

[25]  Sous la sous-rubrique [traduction] « Intérêt supérieur de l’enfant », l’agent a inscrit l’information tirée du formulaire, en particulier le nom et l’âge des enfants, et le fait que ceux-ci résident à l’heure actuelle avec leurs deux parents.

[26]  Sous la rubrique [traduction] « Potentiel de réadaptation », l’agent a décrit les infractions commises par M. McLeish ainsi que les déclarations de culpabilité et les peines d’emprisonnement qu’il a reçues, sa tendance à quitter ses emplois, son observation selon laquelle il obtenait de l’aide professionnelle et suivait des programmes de perfectionnement des compétences, et son affirmation selon laquelle il avait contacté le Collège Fanshawe en vue de l’achèvement de son programme d’études.

[27]  Sous la rubrique [traduction] « Recommandation et raisonnement », dans laquelle l’agent est invité à prendre en compte, notamment, la question de savoir s’il s’agissait d’infractions commises avec violence, les peines ayant été imposées, l’existence ou non de comportements criminels répétitifs et le potentiel de réadaptation, l’agent a affirmé au départ que l’enfance et la jeunesse de M. McLeish n’avaient pas été [traduction] « idéales ». Il a souligné que, selon de l’information extraite du rapport présentenciel de M. McLeish, de juin 2017, dans sa jeunesse, ce dernier avait eu des comportements agressifs, rebelles, manipulateurs et menaçants et avait vendu des stupéfiants pour subvenir à ses besoins après avoir fugué de foyers de groupe.

[28]  L’agent a souligné que M. McLeish avait passé beaucoup de temps en détention pendant sa jeunesse, notamment pour des infractions commises avec violence. Il a aussi mentionné ses déclarations de culpabilité et périodes de détention à l’âge adulte, y compris qu’il était en probation lorsqu’il a été arrêté en 2016 et détenu avant le procès.

[29]  L’agent a pris en considération [traduction] « la séquence ininterrompue d’arrestations et de périodes de détention [de M. McLeish] depuis 2006 », ses antécédents de violence, de possession d’armes et de stupéfiants, et le fait que sa dernière déclaration de culpabilité remontait à moins d’un an avant le rapport. Il a ajouté qu’il ne semblait pas que M. McLeish ait été accusé d’autres infractions depuis lors et a affirmé [traduction] « [q]uoi qu’il en soit, je recommande, en tant qu’agent, que [M. McLeish] soit déféré pour enquête ».

[30]  L’agent a aussi souligné que M. McLeish était un résident permanent de longue date, mais qu’il ne bénéficiait pas d’un droit d’appel en raison de la peine qui lui avait été imposée. (Cela renvoie à l’article 64 de la Loi, selon lequel les personnes interdites de territoire pour grande criminalité ne peuvent pas interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration).

B.  La décision de la déléguée du ministre

[31]  La déléguée du ministre a exposé sa décision que M. McLeish devait être déféré pour enquête sous la rubrique [traduction] « Décision du délégué du ministre » à la fin du rapport de l’agent. Dans la sous-rubrique [traduction] « Raisonnement », la déléguée du ministre a souligné qu’elle avait examiné le rapport attentivement et qu’elle souscrivait à la recommandation de l’agent.

[32]  La déléguée du ministre a souligné la séquence ininterrompue d’arrestations et de périodes de détention de M. McLeish depuis 2006 et que les rapports de police faisaient état d’incidents très graves. Elle a déclaré [traduction] « Je ne crois pas qu’une lettre d’avertissement puisse dissuader le client de se livrer à d’autres activités criminelles ».

C.  La décision de la Section de l’immigration — Conclusion d’interdiction de territoire et mesure d’expulsion

[33]  La SI a tenu une audience et a rendu sa décision le 23 août 2019. M. McLeish a répondu aux questions de la SI et a reconnu qu’il était un citoyen de la Jamaïque et un résident permanent du Canada. Il a admis ses déclarations de culpabilité pour possession de cocaïne dans le but d’en faire le trafic et de possession d’une arme à autorisation restreinte et le fait qu’il n’avait pas fait appel de ces déclarations de culpabilité.

[34]  La SI était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. McLeish était interdit de territoire au Canada suivant l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Elle a souligné l’emprisonnement maximal et les peines imposés à M. McLeish pour ses déclarations de culpabilité et a conclu que l’alinéa 36(1)a) s’appliquait.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[35]  La principale question est celle de savoir si la recommandation de l’agent et la décision de la déléguée du ministre, qui était fondée sur le rapport et sur la recommandation de l’agent, sont raisonnables.

[36]  La décision de la SI voulant que M. McLeish soit interdit de territoire au Canada découle du renvoi de M. McLeish devant la SI par la déléguée du ministre et repose sur le fait que ce dernier a admis ses déclarations de culpabilité et sur l’application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

[37]  Le rapport de l’agent est considéré comme faisant partie des motifs de la déléguée du ministre (Burton c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2018 CF 753 au par. 16, 295 ACWS (3d) 825).

[38]  La norme de contrôle qui s’applique au rapport et à la recommandation de l’agent et à la recommandation de la déléguée du ministre est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au par. 10, [2019] ACS no 65 [Vavilov]).

[39]  Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fourni des directives exhaustives quant à ce qui constitue une décision raisonnable et quant au contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Les caractéristiques d’une décision raisonnable demeurent la justification, la transparence et l’intelligibilité (aux par. 99 et 100). 

[40]  Dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux par. 105 à 110).

[41]  À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait du décideur (Vavilov, au par. 125).

IV.  Les observations du demandeur

[42]  M. McLeish souligne que la lettre reçue de l’ASFC en date du 14 décembre 2017 l’invitait à formuler des observations quant aux raisons pour lesquelles il ne devrait pas être déféré pour enquête, y compris son degré d’établissement, le soutien qu’il reçoit de sa famille et de sa communauté, et les difficultés que causerait son renvoi du Canada. Il affirme que l’information demandée, les rubriques du formulaire de l’ASFC, et les rubriques du rapport de l’agent reflètent les « facteurs Ribic » (Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4, 1986 CarswellNat 1357 [Ribic]) qui visaient à guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire. Il faut en conclure, soutient-il, que les motifs d’ordre humanitaire devraient être pris en compte quand il s’agit de décider de le déférer pour enquête ou non.

[43]  M. McLeish fait remarquer qu’il a formulé des observations exhaustives, y compris au sujet de l’intérêt supérieur de ses enfants [ISE], soulignant que sa présence au sein de la famille était nécessaire et qu’il prenait une part active à la vie de ses enfants. Il a aussi fourni, entre autres documents d’appui, le rapport intitulé A Study on Criminal Deportation, Jamaica (Étude sur l’expulsion de criminels en Jamaïque), qui fait état des conséquences négatives de l’expulsion sur la famille de la personne expulsée.

[44]  M. McLeish affirme que l’ASFC lui a demandé de formuler des observations ou que lui-même a formulé des observations pour une seule raison, soit pour la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire parce que l’ASFC connaissait déjà les renseignements factuels se rapportant à ses déclarations de culpabilité au criminel. Si ces faits étaient déterminants, l’ASFC ne devrait pas demander d’observations sur d’autres éléments.

[45]  M. McLeish soutient que l’ASFC n’a pas rempli son engagement; l’agent, et la déléguée du ministre, n’ont pas tenu compte ou ont rejeté d’importants motifs d’ordre humanitaire, particulièrement l’ISE, sans fournir d’explication. Il soutient, de façon plus générale, que l’appréciation effectuée par l’agent n’était pas raisonnable et que la décision de la déléguée du ministre n’était pas raisonnable.

[46]  En dépit de son argument voulant que l’ASFC ait entrepris l’examen des motifs d’ordre humanitaire, M. McLeish souligne qu’il ne s’agit pas ici de savoir si les motifs d’ordre humanitaire devraient être pris en compte. Il reconnaît que les agents ont un pouvoir discrétionnaire limité aux termes de l’article 44 et qu’ils ne sont pas tenus de prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire pour décider si un étranger ou un résident permanent devrait être déféré pour enquête (Melendez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1363 au par. 34, [2017] 3 RCF 354 [Melendez]; McAlpin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 422 aux par. 65 et 70, [2018] 4 RCF 225, [McAlpin]).

[47]  En premier lieu, M. McLeish affirme que l’agent a pris en compte certaines de ses observations d’ordre humanitaire, dans plusieurs rubriques du rapport, mais a rejeté des motifs importants, particulièrement l’ISE, sans donner d’explication, et plus généralement, n’a pas effectué d’appréciation raisonnable. Il invoque les principes énoncés par le juge en chef dans la décision McAlpin au par. 70, voulant que dans les cas où des motifs d’ordre humanitaire sont pris en compte par un agent, l’évaluation de ces motifs devrait être raisonnable. De plus, lorsque les motifs sont rejetés, l’agent doit fournir une explication.

[48]  Après un examen plus approfondi de la décision McAlpin au par. 77, M. McLeish reconnaît que le principe invoqué – soit que l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire par l’agent doit être raisonnable – ne s’applique que dans les cas où le raisonnement applicable à la recommandation comprend la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire. M. McLeish soutient maintenant également que l’agent a bel et bien tenu compte de motifs d’ordre humanitaire dans la rubrique [traduction] « Recommandation et raisonnement ». Il réitère que l’évaluation de l’agent n’était pas raisonnable et que d’importants motifs d’ordre humanitaire ont été omis ou rejetés sans explication.

[49]  M. McLeish soutient qu’une grande partie de la rubrique [traduction] « Recommandation et raisonnement » reflète des motifs d’ordre humanitaire – particulièrement, le renvoi à sa jeunesse qui n’avait pas été [traduction] « idéale », ses placements dans des foyers d’accueil et des foyers de groupe, le renvoi à son rapport présentenciel, qui soulignait ses comportements agressifs et manipulateurs, ses fugues des foyers de groupe et le fait qu’il s’était livré au trafic de stupéfiants pour survivre. Il souligne l’affirmation de l’agent selon laquelle aucune nouvelle accusation n’avait été portée au cours des neuf mois qui ont suivi sa mise en liberté et soutient qu’il s’agit d’un facteur se rapportant à son potentiel de réadaptation. M. McLeish prétend une fois de plus que cela renvoie à un facteur Ribic, qui guide l’exercice des pouvoirs discrétionnaires quant aux motifs d’ordre humanitaire.

[50]  À titre subsidiaire, M. McLeish soutient que s’il ne ressort pas clairement que des motifs d’ordre humanitaire ont été pris en compte dans le contexte de la rubrique « Recommandation et raisonnement », la recommandation n’est alors pas intelligible ou transparente. Par conséquent, la Cour devrait conclure que la recommandation de l’agent et la décision de la déléguée du ministre ne sont pas raisonnables.

V.  Les observations du défendeur

[51]  Le défendeur soutient que le rapport de l’agent établi aux termes du processus en vertu de l’article 44 ne vise que l’appréciation de faits qui sont facilement et objectivement vérifiables concernant l’enquête. Il n’y a pas d’obligation d’examiner des questions complexe liées à la preuve ou à la crédibilité ou d’apprécier des questions de droit. Il incombe à l’agent de se faire une opinion quant à la question de savoir si un étranger ou un résident permanent est interdit de territoire (Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319 aux par. 33 à 37, [2017] 3 RCF 492 [Sharma]). Le défendeur soutient que l’agent a fait exactement ce qu’il devait faire; l’agent s’est fait une opinion, puis a établi le rapport et la recommandation, et la déléguée du ministre a établi que la recommandation était fondée.

[52]  En ce qui concerne l’argument avancé par M. McLeish voulant qu’il avait été invité à formuler des observations, que l’ASFC n’a pas pris en compte, le défendeur affirme que l’ASFC a produit un formulaire type, invitant les personnes visées à formuler des observations sur plusieurs questions afin d’assurer l’équité procédurale (Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 862 au par. 11, 308 ACWS (3d) 609 [Lin]).

[53]  Le défendeur affirme que ni l’agent ni la déléguée du ministre n’étaient tenus de prendre en compte les observations d’ordre humanitaire de M. McLeish, particulièrement étant donné que celui-ci était interdit de territoire pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) (McAlpin, aux par. 73 à 76).

[54]  Le défendeur soutient que l’agent a pris note des observations de M. McLeish dans le rapport, mais conteste le nouvel argument avancé par ce dernier selon lequel le raisonnement et la recommandation de l’agent comportaient des motifs d’ordre humanitaire. Il affirme que l’agent n’a fait état que de renseignements factuels et s’est concentré sur les déclarations de culpabilité au criminel et les antécédents criminels de M. McLeish pour se faire une opinion selon laquelle M. McLeish devrait être déféré pour enquête.

[55]  Le défendeur reconnaît que si le raisonnement avait inclus la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire, il aurait fallu procéder à une appréciation raisonnable de ceux-ci et exposer les raisons du rejet d’importants motifs.

VI.  Les dispositions législatives pertinentes

Grande criminalité

Serious criminality

36 (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants

36 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a terms of imprisonment of more than six months has been imposed;

[…]

[…]

Perte de statut et renvoi

Loss of Status and Removal

Constat de l’interdiction de territoire

Report on Inadmissibility

Rapport d’interdiction de territoire

Preparation of report

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

44 (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Suivi

Referral or removal order

44 (2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger, il peut alors prendre une mesure de renvoi.

44 (2) If the Minister is of the opinion that the report in well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

VII.  La jurisprudence applicable

[56]  L’ambiguïté quant à l’étendue du pouvoir discrétionnaire des agents et des délégués du ministre de déférer un étranger ou un résident permanent pour enquête aux termes des paragraphes 44(1) et (2) a été dissipée, dans une grande mesure, par de récentes décisions de la Cour. Même si la Cour d’appel fédérale n’a pas statué de façon définitive sur la question spécifique de savoir si les motifs d’ordre humanitaire devraient être pris en compte à ce stade et, le cas échéant, dans quelle mesure, les arrêts Sharma et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Bermudez, 2016 CAF 131, [2017] 1 RCF 128 [Bermudez] renfermaient des directives à cet égard. Comme l’a souligné le juge en chef dans la décision McAlpin, au par. 63, les observations de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sharma, même si elles sont incidentes, « devraient l’emporter sur toute jurisprudence contradictoire de la Cour ».

[57]  Plus récemment, le juge Barnes a certifié des questions spécifiques dans les décisions Lin et Surgeon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1314, 311 ACWS (3d) 810 [Surgeon], qui, si elles sont examinées par la Cour d’appel, apporteront des directives supplémentaires ou une certitude.

[58]  Comme il a été mentionné, M. McLeish soutient que la question qui se pose n’est pas tant celle de l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’agent ou du délégué du ministre de prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire, que celle de savoir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon raisonnable. Même si M. McLeish ne demande pas la révision de la jurisprudence, pour entreprendre l’analyse de ses arguments et établir si la recommandation de l’agent et la décision de la déléguée du ministre sont raisonnables, il faut mettre les dispositions pertinentes de la Loi dans le contexte approprié et prendre en compte l’évolution de la jurisprudence.

[59]  La Loi prévoit clairement qu’une personne est interdite de territoire au Canada dans certaines circonstances, notamment si elle a été reconnue coupable d’infractions criminelles graves. La Loi définit ces infractions à l’alinéa 36(1)a) comme étant celles qui sont assujetties à une peine d’emprisonnement d’au moins dix ans (c.‑à‑d. de dix ans et plus) et celles pour lesquelles l’intéressé a reçu une peine d’emprisonnement de plus de 6 mois (même lorsque l’emprisonnement maximal applicable n’est pas de dix ans et plus).

[60]  La Loi définit à l’article 44 le processus à suivre avant que ne soit rendue une décision d’interdiction de territoire à l’encontre d’un étranger ou d’un résident permanent, Dans l’arrêt Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262, 311 ACWS (3d) 378 [Revell], la Cour d’appel, au par. 5, a souligné que la Loi prévoyait « un régime complet pour l’examen d’allégations d’interdiction de territoire concernant un résident permanent et pour l’exécution des décisions qui s’ensuivent ». La Cour d’appel décrit le régime en question aux par. 6 à 12.

[61]  La Cour d’appel a notamment pris note que si un résident permanent perd son statut et redevient un étranger, des recours s’offrent encore à lui s’il souhaite rester au Canada, dont la présentation d’une demande de levée de l’interdiction de territoire pour des motifs d’ordre humanitaire aux termes de l’article 25 de la Loi (voir les par. 7 à 9).

[62]  Plus récemment, dans la décision Lin aux par. 10 à 13, le juge Barnes a aussi décrit le processus aux termes de l’article 44. Il a souligné qu’en vertu du paragraphe 44(1), il suffit que l’agent chargé du dossier se fasse une opinion à l’égard de la question de savoir si un résident permanent est interdit de territoire. Selon cette opinion, l’agent « peut » établir un rapport énonçant les faits et les observations pertinents. Le juge Barnes a souligné que, pour respecter son obligation d’équité procédurale, l’ASFC utilise un formulaire de demande type invitant l’intéressé à formuler des observations sur plusieurs facteurs, comme l’âge, la durée de résidence au Canada, la provenance du soutien familial et les responsabilités à cet égard, les conditions dans le pays d’origine, le degré d’établissement, les antécédents criminels, les antécédents en matière de non‑respect des conditions et l’attitude actuelle. Si le délégué du ministre estime que le rapport est bien fondé, il « peut » déférer l’étranger ou le résident permanent pour enquête.

[63]  Dans la décision Melendez, le juge Boswell a défini des principes relatifs à l’étendue du pouvoir discrétionnaire des agents et des délégués du ministre, dont ceux-ci : bien que le délégué du ministre puisse prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire en vertu de son pouvoir discrétionnaire, il n’est aucunement tenu de le faire, et dans les cas où des motifs d’ordre humanitaire sont « portés à [son] attention » par un résident permanent, il doit se pencher sur ces motifs d’une manière qui soit raisonnable compte tenu des circonstances de l’affaire, et s’il les écarte, il devrait brièvement indiquer pourquoi.

[64]  Comme il est mentionné ci-après, les principes énoncés dans la décision Melendez ont été raffinés, et certains ont été remplacés.

[65]  Dans l’arrêt Sharma, la Cour d’appel fédérale a analysé l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’agent aux termes de l’article 44, mais n’a pas tiré de conclusion définitive puisque celle‑ci n’aurait eu aucune incidence sur l’issue de l’affaire.

[66]  Dans l’arrêt Sharma, la question clé consistait à savoir si, selon l’obligation d’équité procédurale, le demandeur devait recevoir copie du rapport établi aux termes de l’article 44. Dans l’examen de la portée de l’obligation d’équité procédurale et de l’application de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, le juge de Montigny a examiné l’étendue du pouvoir discrétionnaire.

[67]  Les remarques du juge de Montigny reflètent l’opinion suivant laquelle le pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre de prendre en compte les motifs d’ordre humanitaire est limité si l’interdiction de territoire repose sur des motifs de grande criminalité, même dans le cas des résidents permanents. Le juge de Montigny a fait observer que le délégué du ministre se préoccupe surtout de la sécurité et non pas des motifs d’ordre humanitaire, qui peuvent être examinés dans le cadre d’autres demandes, en soulignant au par. 23 :

[23]  [...] Au bout du compte, toutefois, les agents et le ministre ou son délégué doivent toujours garder à l’esprit l’intention du législateur de faire de la sécurité une priorité essentielle (voir les alinéas 3(1)h) et i) de la LIPR). La justification qui suit, présentée par la Cour dans l’arrêt Cha à l’appui d’un pouvoir discrétionnaire restreint, semble s’appliquer avec une force égale aux étrangers comme aux résidents permanents :

[37]  Je ne peux concevoir que le législateur ait mis autant de soins pour préciser, aux articles 36 et 44 de la Loi, de manière objective, les cas où les auteurs de certaines infractions bien définies commises au Canada doivent être renvoyés du pays, pour ensuite offrir la possibilité à un agent d’immigration ou à un représentant du ministre de permettre à ces personnes de rester au Canada pour des motifs autres que ceux prévus par la Loi ou le Règlement. Il n’appartient pas à l’agent d’immigration, lorsqu’il décide d’établir ou non un rapport d’interdiction de territoire pour des motifs visés par l’alinéa 36(2)a), ou au représentant du ministre lorsqu’il y donne suite, de se pencher sur des questions visées par les articles 25 (motif d’ordre humanitaire) et 112 (examen des risques avant renvoi) de la Loi […].

[68]  Dans l’arrêt Sharma, la Cour d’appel était aussi directement invitée à examiner la portée du pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 44, ce qui dépassait le cadre de la question certifiée. Le juge de Montigny a souligné, au par. 46, que les guides de l’ASFC, bien que non contraignants, comportaient des facteurs donnant à penser que les agents et les délégués du ministre « ne sont pas astreints à vérifier simplement une déclaration de culpabilité et/ou une période d’emprisonnement ».

[69]  Le juge de Montigny a fait remarquer que le demandeur avait été invité à formuler des observations et que ces observations et les informations figurant dans le dossier avaient été prises en compte. Il a conclu que le fait de déterminer l’étendue du pouvoir discrétionnaire d’un agent n’aurait aucune incidence sur l’issue de l’affaire et a conclu au par. 48 qu’il était « donc préférable de laisser à un autre jour l’examen de cette question et, en particulier, celle de savoir si une personne en cause a droit à une analyse des considérations d’ordre humanitaire en bonne et due forme au stade du rapport d’interdiction de territoire ».

[70]  La Cour d’appel semble avoir laissé la porte entrouverte à des arguments futurs voulant que les motifs d’ordre humanitaire doivent être examinés à l’étape du rapport aux termes de l’article 44. Toutefois, la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Bermudez laisse entendre que les motifs d’ordre humanitaire ne devraient être analysés que lorsque la Loi le prévoit expressément et ne devraient pas se greffer à d’autres dispositions ou à toutes les étapes du processus d’immigration.

[71]  Dans l’arrêt Bermudez, au par. 33, le juge Boivin a souligné que l’exercice du pouvoir discrétionnaire au chapitre des motifs d’ordre humanitaire était exceptionnel et qu’il y avait très peu de références à ce pouvoir discrétionnaire dans la Loi, ajoutant que la principale disposition en la matière est l’article 25.

[72]  Le juge Boivin a fait remarquer que l’article 25 permet aux personnes autorisées par la Loi d’examiner des motifs d’ordre humanitaire selon des « facteurs […] expressément définis » et nuls autres, en expliquant, au par. 38 :

[38]  L’article 25 de la LIPR comprend des délégations précises de l’autorité du ministre à une catégorie limitée de personnes leur permettant d’exercer le pouvoir discrétionnaire fondé sur des motifs humanitaires selon des facteurs clairement et expressément définis. Il s’ensuit que des non-citoyens, qu’ils soient étrangers ou résidents permanents, n’ont pas le droit de voir ajoutés par interprétation des motifs d’ordre humanitaire à chaque disposition de la LIPR, dont l’application pourrait mettre en péril leur statut : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Varga, 2006 CAF 394, [2006] A.C.F. n° 1828 (QL), au par. 13; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539; Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, au par. 47. En d’autres termes, l’article 25 de la LIPR « n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle » (Kanthasamy, aux par. 23 et 85).

[Non souligné dans l’original.]

[73]  Le juge Boivin a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne s’appliquent pas en ce qui concerne l’article 108, la disposition en litige dans cette affaire, soulignant que « [s]i le législateur avait voulu que les motifs d’ordre humanitaire fussent pris en compte dans le processus de perte de l’asile, il aurait employé des termes exprès. Il ne l’a pas fait ».

[74]  Dans la décision McAlpin, le juge en chef a examiné les orientations données dans les arrêts Sharma, Bermudez, et Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2006] ACF n491 [Cha], ainsi que les différents objectifs des articles 44 et 25 de la Loi. Cette démarche a amené le juge en chef à reformuler les principes énoncés dans la décision Melendez quant à l’étendue des pouvoirs discrétionnaires de l’agent et du délégué du ministre aux termes des paragraphes 44(1) et (2) dans le contexte d’allégations de criminalité et de grande criminalité formulées à l’encontre de résidents permanents. Le juge en chef a énoncé les principes en ces termes au par. 70 :

[70]  […] En maintenant le cadre adopté par le juge Boswell, je résumerais cette jurisprudence comme suit :

1. Dans les affaires mettant en cause des allégations de criminalité et de grande criminalité de la part de résidents permanents, il existe des jurisprudences contradictoires à savoir si les agents d’immigration et les délégués du ministre ont un pouvoir discrétionnaire en vertu des paragraphes 44(1) et (2) de la LIPR, respectivement, qui va au-delà de simplement déterminer et relater les faits essentiels qui sous-entendent une opinion selon laquelle un résident permanent au Canada est interdit de territoire, ou selon laquelle un rapport de l’agent est bien fondé.

2. En tout état de cause, le pouvoir discrétionnaire pour tenir compte des motifs d’ordre humanitaire en vertu des paragraphes 44(1) et (2) dans de tels cas est très limité, en admettant qu’il existe.

3. Bien qu’un agent ou un délégué du ministre puisse disposer d’un pouvoir discrétionnaire limité pour tenir compte des motifs d’ordre humanitaire dans de tels cas, il ne lui incombe nullement de le faire.

4. Toutefois, dans les cas où les motifs d’ordre humanitaire sont pris en compte par un agent ou un délégué du ministre pour expliquer le raisonnement d’une décision qui est prise en vertu des paragraphes 44(1) ou (2), l’évaluation de ces facteurs devrait être raisonnable, compte tenu des circonstances de l’affaire. Dans les cas où ces facteurs sont rejetés, une explication doit être fournie, ne serait-ce que de nature très brève.

5. Dans ce contexte particulier, une évaluation raisonnable est celle qui tient au moins compte des motifs d’ordre humanitaire les plus importants qui ont été relevés par la personne présumée être interdite de territoire, même en énonçant seulement ces facteurs, pour démontrer qu’ils ont été pris en compte. L’omission de mentionner tout motif d’ordre humanitaire qui a été relevé, quand il faudrait prendre en compte tous les motifs d’ordre humanitaire qui ont été soulevés, peut très bien être déraisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[75]  La décision McAlpin maintient clairement le principe énoncé dans la décision Melendez voulant que l’agent ou le délégué du ministre ne sont pas tenus de prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire pour établir si un résident permanent doit être déféré pour enquête. Elle est aussi compatible avec le libellé clair de l’article 44, qui ne mentionne pas expressément les motifs d’ordre humanitaire, contrairement aux quelques autres dispositions de la Loi (par exemple, l’article 67, qui s’applique à un appel interjeté à l’égard d’une décision de la SI) qui, elles, les mentionnent.

[76]  La grande différence entre les décisions Melendez et McAlpin tient à l’approche adoptée par le juge Boswell dans la décision Melendez selon qui, lorsque des motifs d’ordre humanitaire sont « portés à l’attention » du décideur, ces derniers doivent être pris en compte de manière raisonnable. Dans la décision McAlpin, au par. 77, le juge en chef a établi une distinction nette entre le fait de prendre note des motifs d’ordre humanitaire présentés par un résident permanent dans le rapport de l’agent, y compris sous la rubrique type [traduction] « Motifs d’ordre humanitaire et autres renseignements », et leur prise en compte lorsque l’agent formule sa recommandation et son raisonnement. Lorsque l’agent apprécie des motifs d’ordre humanitaire dans le raisonnement lié à sa recommandation, son appréciation doit être raisonnable, et il doit fournir une explication, ne serait-ce que très brève, lorsqu’il rejette des motifs importants. Autrement dit, lorsque le raisonnement de l’agent montre que des motifs d’ordre humanitaire ont influencé sa décision, dans un sens ou dans l’autre, l’appréciation des motifs pertinents doit être raisonnable.

[77]  Dans la décision McAlpin au par. 77, le juge en chef a souligné que l’exigence de procéder à une appréciation raisonnable des motifs d’ordre humanitaire ne s’applique que lorsque les motifs sont pris en compte dans le raisonnement lié à la recommandation. Il a statué :

77  En ce qui concerne les principes 4 et 5 énoncés au paragraphe 70 ci-dessus, il convient de souligner qu’ils s’appliquent à la justification d’une décision prise en vertu des paragraphes 44(1) ou (2). À mon avis, si un agent ou un délégué du ministre ne renvoie pas aux motifs d’ordre humanitaire dans cette partie du rapport ou de l’évaluation, on ne peut pas prétendre que ces motifs ont été pris en compte pour tirer la conclusion prévue par ces dispositions. Il en est ainsi, même si ces motifs sont énumérés dans la première partie du formulaire d’évaluation de l’agent qui exige que des motifs d’ordre humanitaire soient relevés, comme ce fut le cas en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[78]  Dans la décision Lin, le juge Barnes a examiné la jurisprudence, y compris les arrêts Cha et Sharma et la décision McAlpin, et a conclu, au par. 20 :

Pour ces raisons, je conclus que l’étendue du pouvoir discrétionnaire pouvant être exercé à l’égard des demandeurs en l’espèce n’est pas plus grande que celle décrite dans l’arrêt Cha, précité, c’est‑à‑dire que les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes contestées n’entrent pas en ligne de compte. Il est loisible à l’agent et au délégué de réfléchir à des faits « clairs et ne prêtant pas à controverse » concernant les motifs d’interdiction de territoire, et vraisemblablement de prendre en compte des observations sur ceux‑ci. Mais l’obligation légale ne va pas plus loin. (Non souligné dans l’original.)

VIII.  La recommandation de l’agent, la décision de la déléguée du ministre et la décision de la Section de l’immigration sont raisonnables

[79]  En l’espèce, le rapport de l’agent reprenait ou relatait les observations d’ordre humanitaire formulées par M. McLeish de façon sommaire, avec d’autres informations, sous les rubriques qui s’appliquaient (comme il est indiqué précédemment aux par. 13 à 33). L’agent n’a pas apprécié les observations en fonction de leur crédibilité ou du poids à leur accorder. Il n’a pas non plus apprécié ou soupesé les observations concernant, par exemple, la relation de M. McLeish avec sa petite amie et ses enfants, son désir d’améliorer ses compétences et ses capacités parentales, ou ses perspectives d’emploi, en fonction des autres informations concernant sa grande criminalité. Comme il est souligné dans la décision Lin, il revient à l’agent d’énoncer les faits et les observations pertinents, ce qu’il a fait (Lin, aux par. 10 à 13).

[80]  Comme il est mentionné précédemment, la jurisprudence qui prévaut établit que l’agent ou le délégué du ministre n’est pas tenu de prendre en compte des motifs d’ordre humanitaire, mais lorsqu’ils le font, dans le contexte de la formulation d’une recommandation, leur examen doit être raisonnable (McAlpin, aux par. 70 et 77). Dans la décision McAlpin, au par. 77, le juge en chef a souligné que même lorsque des motifs d’ordre humanitaire sont énumérés dans d’autres sections du rapport de l’agent, mais qu’ils ne le sont pas dans le raisonnement, « on ne peut pas prétendre que ces motifs ont été pris en compte pour tirer la conclusion prévue par ces dispositions ».

[81]  La précision apportée par le juge en chef et l’accent mis sur « le raisonnement » montrent qu’il faut davantage qu’une simple énumération des observations – comme ce fut le cas en l’espèce – pour conclure que les motifs d’ordre humanitaire faisaient partie du raisonnement.

[82]  L’autre argument de M. McLeish – voulant que l’agent a bel et bien pris en compte les motifs d’ordre humanitaire dans le raisonnement lié à la recommandation, mais ne l’a pas fait de façon raisonnable et qu’il n’a pas expliqué pourquoi des motifs importants avaient été rejetés – repose sur une interprétation du raisonnement conçue pour correspondre au principe étroit qui se dégage de la décision McAlpin. Une simple lecture de la rubrique [traduction] « Recommandation et raisonnement » n’étaye pas l’interprétation de M. McLeish.

[83]  Comme il a été mentionné, l’agent a exposé les observations d’ordre humanitaire dans le corps du rapport, sous les rubriques [traduction] « Motifs d’ordre humanitaire et autres renseignements » et [traduction] « Degré d’établissement » sans autre commentaire. Il n’a pas mentionné ces motifs, ni aucun autre, sous la rubrique [traduction] « Recommandation et raisonnement », sinon pour répéter que M. McLeish avait été sous la responsabilité de la Société d’aide à l’enfance. Aucune mention n’est faite de sa relation avec sa petite amie, de son observation selon laquelle il est un père aimant qui procure un soutien financier et émotionnel à ses enfants, de son observation voulant qu’il reçoit de l’aide professionnelle ou de ses craintes quant à un retour en Jamaïque, où il n’a pas de famille ni de système de soutien.

[84]  Contrairement à l’observation de M. McLeish selon laquelle il comportait des motifs d’ordre humanitaire, le raisonnement portait essentiellement sur des renseignements factuels concernant le comportement de M. McLeish quand il était jeune, les crimes violents qu’il a commis pendant sa jeunesse et la poursuite de ses activités criminelles à l’âge adulte. Il ne saurait être interprété comme une appréciation de motifs d’ordre humanitaire quels qu’ils soient en fonction de sa grande criminalité. Même si M. McLeish soutient que l’affirmation de l’agent selon laquelle [traduction] « [q]uoi qu’il en soit, je recommande, en tant qu’agent, que [M. Akino McLeish] soit déféré pour enquête » donne à penser qu’il a pondéré des motifs, elle ne fait que renvoyer à la phrase précédente qui souligne qu’il n’y a eu aucune nouvelle accusation depuis sa mise en liberté, qui n’est intervenue que neuf mois plus tôt. Le raisonnement repose sur ses antécédents de violence et de possession d’armes, ses infractions relatives aux stupéfiants et ses déclarations de culpabilité au criminel. Comme il est souligné dans la décision McAlpin, aux par. 6 et 65, le législateur a accordé la priorité à la sûreté et à la sécurité publique, et il est loisible à l’agent et au délégué du ministre d’accorder beaucoup d’importance à ces facteurs, particulièrement dans les cas de grande criminalité.

[85]  L’approche suivie par l’agent semble être la même que celle qui est décrite dans la décision McAlpin. Dans la décision McAlpin, au par. 80 – le juge en chef a pris note que l’agent avait énuméré des motifs d’ordre humanitaire et d’autres renseignements personnels sous la rubrique [traduction] « Motifs d’ordre humanitaire et autres renseignements », mais que ces motifs n’étaient pas mentionnées dans le raisonnement. Il a précisé, aux par. 82 et 83 :

[82]  Toutefois, dans la section 9 du formulaire d’examen, sous la rubrique [TRADUCTION] « Recommandation et raisonnement », l’agent n’a fait nulle mention de ces motifs ni d’autres motifs d’ordre humanitaire en exposant le raisonnement de sa recommandation que M. McAlpin soit renvoyé pour enquête. On peut raisonnablement déduire de l’absence de toute discussion au sujet de motifs d’ordre humanitaire, dans la dernière section de la Recommandation initiale de l’agent, que l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir compte de ces motifs en formulant la recommandation.

[83]  Étant donné que l’agent n’était pas tenu de prendre en compte ces motifs d’ordre humanitaire, et étant donné qu’il n’a pas, en fait, tenu compte des motifs d’ordre humanitaire en expliquant le raisonnement de sa décision de recommander M. McAlpin pour enquête, l’allégation de M. McAlpin ne peut pas être maintenue. En bref, contrairement à son allégation, l’agent ne s’est pas livré à une évaluation partielle d’une partie des motifs d’ordre humanitaire qu’il avait relevés, sans évaluer ceux que M. McAlpin affirme être les motifs d’ordre humanitaire les plus convaincants dans son cas, et sans expliquer la façon dont les motifs d’ordre humanitaire ont été soupesés avec d’autres motifs pertinents. L’agent a plutôt décidé simplement de ne prendre en compte aucun de ces motifs. En l’absence de toute obligation de l’agent ou du délégué de tenir compte de ces motifs, cela n’était pas déraisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[86]  Comme dans la décision McAlpin, l’agent n’a pas pris en compte le moindre motif d’ordre humanitaire pour rendre sa décision, et il n’était pas tenu de le faire, particulièrement en raison de la grande criminalité du demandeur.

[87]  L’autre argument de M. McLeish selon lequel il est difficile de savoir si le raisonnement de l’agent tenait compte de motifs d’ordre humanitaire, ce qui amène un manque de transparence, n’est pas fondé. L’agent a clairement expliqué les raisons pour lesquelles M. McLeish était déféré pour enquête, comme l’a aussi expliqué la déléguée du ministre.

[88]  Je comprends la préoccupation de M. McLeish voulant qu’il ait inutilement pris la peine de répondre à l’invitation de l’ASFC de formuler des observations, y compris des motifs d’ordre humanitaire, si l’agent n’est pas tenu de prendre en compte toutes les observations pour décider s’il doit le déférer pour enquête. Comme il est mentionné dans la décision Lin, l’invitation à présenter des observations vise à respecter le principe d’équité procédurale en donnant au résident permanent ou à l’étranger la possibilité de fournir des renseignements quant à sa situation. Dans les cas qui s’y prêtent, les observations peuvent amener un agent à conclure qu’une lettre d’avertissement devrait être rédigée. En l’espèce, l’agent s’est concentré sur les déclarations de culpabilité au criminel et les comportements passés de M. McLeish, ce qui a mené à l’opinion raisonnable qu’il devrait être déféré pour enquête.

[89]  L’argument de M. McLeish selon lequel l’ASFC l’a invité à présenter des observations sur des éléments qui reflètent les facteurs Ribic, ce qui donne à penser que des motifs d’ordre humanitaire devraient être pris en compte, ne tient pas compte du fait que ces facteurs (tels qu’ils ont été modifiés dans des jugements subséquents) sont soulevés dans le contexte d’un appel à l’égard d’une décision de la SI qui autorise expressément la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire (article 67 de la Loi). En l’espèce, M. McLeish n’a pas de droit d’appel devant la SAI parce que son interdiction de territoire repose sur une grande criminalité.

[90]  Les observations formulées par M. McLeish montrent que ce dernier souhaite obtenir une deuxième chance de demeurer au Canada et d’adopter un mode de vie différent dans l’intérêt de ses enfants. Une demande présentée aux termes de l’article 25 de la Loi pourrait permettre de mieux analyser ses observations d’ordre humanitaire, qu’il a formulées à l’appui d’une issue différente, s’il y est autorisé. (Sharma, au par. 37; Lin, au par. 18; Revell, au par. 48).

[91]  Pour conclure, l’agent n’a pas commis d’erreur en se concentrant sur les antécédents de violence et les déclarations de culpabilité au criminel de M. McLeish. Le raisonnement suivi par l’agent est clairement énoncé et communique à M. McLeish les raisons pour lesquelles il a recommandé qu’il soit déféré pour enquête. De la même façon, la déléguée du ministre a clairement fait savoir que sa décision de déférer M. McLeish pour enquête reposait sur sa séquence ininterrompue d'arrestations et d’infractions graves décrites dans les rapports de police. La recommandation et la décision sont raisonnables parce qu’elles traduisent toutes les deux une analyse rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti.

[92]  La décision de la SI est aussi raisonnable. M. McLeish a admis ses déclarations de culpabilité. La SI a souligné les peines maximales applicables aux infractions pour lesquelles M. McLeish avait été reconnu coupable et les peines qui ont été imposées, a conclu que l’alinéa 36(1)a) de la Loi s’appliquait et, par conséquent, a conclu que M. McLeish était interdit de territoire au Canada.

[93]  La Cour souligne que M. McLeish a retiré sa demande de dépens si ses demandes étaient accueillies.


JUGEMENT dans les dossiers IMM-3541-19, IMM-3544-19 et IMM-5418-19

LA COUR STATUE que :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

  2. Aucune question à certifier n’a été proposée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de juillet 2020

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-3541-19, IMM-3544-19, IMM-5418-19

 

INTITULÉ :

AKINO NICHOLAS MCLEISH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er juin 2020

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 juin 2020

 

COMPARUTIONS :

Steven Tress

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Tress

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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