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Date : 20050429

Dossier : IMM-3272-04

Référence : 2005 CF 585

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                            

ENTRE :

RUBEN DARIO GOMEZ ACEVEDO

et DAVID GOMEZ RESTREPO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision en date du 11 mars 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés ou des personnes à protéger au sens de la Convention au motif qu'il existe une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Colombie.


LES FAITS

[2]                Le demandeur principal (le demandeur) est un ressortissant colombien de 42 ans qui craint d'être victime d'extorsion de fonds par des forces paramilitaires s'il retourne en Colombie. Il affirme qu'on lui fera payer cher son refus de collaborer voire même qu'il pourrait être assassiné s'il ne cède pas aux demandes d'extorsion. Le demandeur a un fils de 15 ans qui revendique également le statut de réfugié au Canada.

[3]                Le demandeur prétend qu'il possédait et exploitait une entreprise de photographie lorsqu'il vivait dans la ville de Caldas, en Colombie. Au milieu de l'année 1999, il a commencé à recevoir des demandes de paiement pour sa protection de la part de membres des forces paramilitaires. Il n'a jamais payé les exacteurs et n'a jamais subi de mesures de représailles. Il a toutefois décidé de fermer son entreprise en mars 2001 afin d'éviter d'autres demandes d'extorsion; à la même époque, il a été approché dans la rue par des membres des forces paramilitaires qui lui ont réclamé leur dû. Le demandeur a signalé l'incident aux autorités, lesquelles lui ont conseillé de quitter la Colombie ou à tout le moins la ville de Caldas.


[4]                Le demandeur et son fils se sont rendus en Espagne en avril 2001 pour y passer trois semaines de vacance et à leur retour en Colombie, ils ont déménagé dans la ville d'Itagui. Selon le témoignage du demandeur, il avait alors peur de travailler au grand jour comme photographe. Il n'avait par conséquent pas de numéro de téléphone officiel où il pouvait être contacté en tant que photographe. Le demandeur acceptait plutôt de travailler comme photographe pour des clients qui lui avaient été recommandés et en qui il avait toute confiance. Le demandeur n'a fait l'objet d'aucune menace d'extorsion à Itagui, de mai 2001 à avril 2002. Le demandeur prétend qu'en février 2002 trois hommes, qu'il présume être des membres des forces paramilitaires, se sont dirigés vers son fils dans la rue. Ce dernier a réussi à prendre la fuite et n'a pas été blessé. À la suite de cet incident, le demandeur et son fils ont quitté la Colombie pour le Canada le 29 avril 2002 et ont fait une demande d'asile à leur point d'entrée.

LA DÉCISION

[5]                La Commission a rejeté la demande d'asile du demandeur au motif qu'il existait une PRI dans la ville d'Itagui, en Colombie. La Commission n'a pas mis en doute la crédibilité du demandeur, ni examiné si le demandeur et son fils craignaient avec raison d'être persécutés dans leur ville natale de Caldas, en Colombie avant qu'ils ne déménagent à Itagui.

[6]                Pour conclure qu'il existait une PRI, la Commission s'est basée sur le fait que le demandeur avait vécu à Itagui sans incident de mai 2001 à avril 2002. Elle a estimé que le demandeur avait travaillé au grand jour comme photographe, qu'il n'avait pas vécu « en se cachant » et qu'il avait trouvé du « travail auprès de diverses entreprises » .


[7]                La Commission a examiné la preuve documentaire relative aux activités paramilitaires en Colombie. Elle a noté que les forces paramilitaires étaient toutes puissantes à travers le pays et qu'elles avaient pour habitude d'extorquer des fonds de la part de propriétaires d'entreprise. Toutefois, étant donné que le demandeur n'avait pas participé à des activités politiques ou communautaires et qu'il n'était plus propriétaire d'une entreprise, la Commission a estimé qu'il était improbable que les forces paramilitaires le repèrent dans une autre région.

[8]                À l'audience, le demandeur a témoigné que son cousin, un barbier qui vivait à Itagui, avait été assassiné en décembre 2003 car il avait été incapable de verser la somme demandée par les forces paramilitaires pour sa protection. La Commission a estimé que les circonstances entourant le décès du cousin du demandeur étaient très différentes de celles relatées par ce dernier. Le demandeur avait reçu des demandes pendant un certain nombre d'années, mais il n'avait jamais subi de représailles, que ce soit à Caldas ou à Itagui. En revanche, son cousin avait été tué par balle immédiatement après avoir refusé de payer les exacteurs. La Commission a conclu que le décès du cousin du demandeur ne constituait pas un élément pertinent dans l'évaluation du risque couru par celui-ci.


[9]                Enfin, la Commission a estimé qu'il n'y avait rien d'inquiétant dans l'épisode des trois hommes ayant approché le fils du demandeur en février 2002. Selon elle, il n'y avait aucune raison de croire que ces hommes faisaient partie des forces paramilitaires ou avaient l'intention de faire du mal à son fils de quelque manière que ce soit. La Commission a conclu que les demandeurs pouvaient retourner vivre à Itagui avec la même liberté qu'auparavant et qu'il était raisonnable pour eux de le faire étant donné que le demandeur principal y avait de la famille ainsi que des relations d'affaires.

QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en effectuant une analyse rétrospective plutôt que prospective de la PRI?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant des preuves pertinentes?

ANALYSE

Question no 1

La Commission a-t-elle commis une erreur en effectuant une analyse rétrospective plutôt que prospective de la PRI?

[11]            Les demandeurs soutiennent que le critère à appliquer pour déterminer s'il existe une PRI doit être de nature prospective, et non rétrospective; ils allèguent également que la Commission a commis une erreur en justifiant l'existence d'une PRI adéquate par l'absence de persécutions à Itagui.


[12]            La Cour convient que l'analyse de l'histoire d'un réfugié est prospective et que la Commission doit décider si le revendicateur fait face à un risque sérieux de persécution en cas de retour dans son pays natal. Voir : Nimaleswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 559 (C.F.), au paragraphe 17. Pour faire cette analyse prospective, la Commission doit nécessairement examiner l'information relative aux événements appartenant à un passé récent. En l'espèce, la Commission a examiné les expériences antérieures du demandeur à Itagui de même que la preuve documentaire concernant l'activité des forces paramilitaires en Colombie. Il s'agissait d'une preuve pertinente et la Commission n'a pas commis d'erreur en examinant ces éléments.

[13]            Cependant, après examen de la décision, il est clair que la Commission a commis une erreur dans son appréciation des faits. L'une de ses principales conclusions est que le demandeur n'avait eu aucun problème avec les forces paramilitaires à Itagui de mai 2001 à avril 2002, alors qu'il travaillait au grand jour comme photographe. Or la preuve indique que le demandeur ne travaillait pas pour une entreprise mais qu'il exerçait ses activités professionnelles discrètement et de manière clandestine pour ne pas se faire repérer. La Cour est d'avis que la Commission est parvenue à une conclusion de fait manifestement déraisonnable à ce sujet. Il s'agissait d'un fait significatif car il peut expliquer la raison pour laquelle le demandeur n'avait fait l'objet d'aucune menace d'extorsion de fonds à Itagui.


Question no 2

La Commission a-t-elle commis une erreur en ignorant des preuves pertinentes?

[14]            Les demandeurs allèguent que la Commission disposait d'une preuve documentaire considérable indiquant que les possibilités de refuge intérieur ne sont pas réalistes en Colombie car les forces paramilitaires sont toutes puissantes dans le pays. Ils prétendent que la Commission a commis une erreur en omettant d'expliquer pourquoi cette preuve documentaire, qui va à l'encontre de sa conclusion, n'a pas été acceptée. Ils prétendent également que la Commission a omis de considérer que leur demande ne résultait pas d'une participation à la vie communautaire ou politique, mais plutôt à la vie économique dans le cadre d'une activité commerciale.

[15]            La partie pertinente de la décision de la Commission dans cette affaire se lit comme suit :

Les documents qu'a en main le tribunal portent sur les possibilités de refuge intérieur pour les citoyens colombiens. Les commentaires qu'ils contiennent ne sont pas unanimes, mais il en ressort clairement que les groupes paramilitaires, pris tous ensemble, sont très nombreux et étendent leur influence à lchelle du pays. Toutefois, le tribunal s'en remet, dans les circonstances de l'espèce, aux commentaires formulés par des représentants du service aux réfugiés de l'Ambassade canadienne à Bogota : [traduction] « les FARC et les AUC (le plus important groupe paramilitaire) jouissent tous deux d'un large pouvoir d'action partout en Colombie, mais la grande majorité des personnes menacées et déplacées ne présente [pour ces groupes] qu'un intérêt limité une fois qu'elles ont mis fin à leurs activités sociales ou politiques et qu'elles ont quitté leur région » . Le service aux réfugiés ajoute : [traduction] « pour démontrer ne pas pouvoir se prévaloir d'une possibilité de refuge intérieur, un demandeur [d'asile] doit convaincre l'agent responsable de l'entrevue qu'il a joué un rôle prépondérant dans le conflit, de manière à inciter fortement les FARC ou les AUC à le retrouver dans un pays aussi vaste » . Le tribunal ne dispose d'aucune preuve établissant que le demandeur principal exerçait en Colombie des activités de nature sociale ou politique.

[16]            Le dossier indique que la Commission disposait de preuves importantes, pertinentes et crédibles auxquelles elle ne s'est pas reportée dans sa décision. Plus particulièrement, ces preuves indiquaient que :


1.          il est difficile d'échapper à la toute-puissance des guérilleros et des forces paramilitaires en Colombie. Ceux-ci disposent d'un important réseau de contacts. Il est « virtuellement impossible » de déménager;

2.          les guérilleros et les membres des forces paramilitaires ont pour habitude de poursuivre d'une région à l'autre de la Colombie toute personne qui a fait l'objet de menaces, et ce, même si cette personne n'a aucun lien avec le monde politique; et

3.          Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) rapporte que, en général, la notion de PRI ne devrait pas être appliquée dans l'examen des demandes d'asile de personnes originaires de la Colombie.

[17]            L'omission de la Commission de prendre en considération cette preuve importante, pertinente et crédible, qui vient contredire sa propre conclusion selon laquelle le demandeur n'a pas « joué un rôle suffisamment prépondérant dans le conflit » pour que les guérilleros ou des membres des forces paramilitaires le poursuivent à travers le pays, constitue une erreur de droit. Voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), le juge Evans (tel était alors son titre), aux paragraphes 27et 28.

CONCLUSION

[18]            La Cour conclut que :

1.          la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable en estimant que le demandeur travaillait au grand jour comme photographe à Itagui;

2.          la Commission a commis une erreur de droit en omettant de se reporter à des preuves importantes, pertinentes et crédibles qui contredisaient sa conclusion relativement à un aspect important de la PRI.

[19]            Pour ces motifs, la présente demande est accueillie. Aucun des avocats n'a soulevé de question aux fins de certification. Aucune question ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

La présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission en date du 11 mars 2004 soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

                           « Michael A. Kelen »           

        Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3272-04

INTITULÉ :                                         RUBEN DARIO GOMEZ ACEVEDO ET AL.

demandeurs

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                         défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MARDI 19 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                         LE VENDREDI 29 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

John W. Grice                                       POUR LES DEMANDEURS

Laden Shahrooz                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

Date : 20050429

Dossier : IMM-3272-04

ENTRE :

RUBEN DARIO GOMEZ ACEVEDO ET AL.

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                             

               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                         ET ORDONNANCE

                                                                             


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