Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19990416

     Dossier : IMM-1024-98

ENTRE :

     KANGGUAN WANG,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par Kangguan Wang (le demandeur) en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire et notamment l'annulation de la décision qui lui a été communiquée par une lettre datée du 20 février 1998 et par laquelle l'agente des visas a rejeté la demande de visa qu'il avait présentée afin d'entrer au Canada à titre de résident permanent.

B.      ÉNONCÉ DES FAITS

[2]      Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine, âgé de 43 ans. Il est né à Changle dans la province de Fujian, où il a vécu jusqu'en 1990. Il a obtenu un diplôme d'études secondaires en 1975, il a travaillé dans des restaurants et, en 1984, il a reçu un certificat pour avoir complété avec succès un programme de formation professionnelle d'une année à la Fuzhou Civic Cook General School. Il a déclaré qu'après avoir obtenu son certificat de l'établissement d'enseignement en restauration, il a été chef principal du restaurant d'un hôtel de Changle jusqu'en 1990.

[3]      Arrivé aux États-Unis en 1990, le demandeur a présenté une demande de statut de réfugié qui a été rejetée. Il demeure depuis lors dans ce pays, sans statut juridique. Il travaille au même restaurant chinois, à New York, depuis 1991. Il y est chef de cuisine depuis 1993.

[4]      Dans sa demande de visa d'immigrant au Canada dans la catégorie de parents aidés, le demandeur a mentionné " chef de cuisine " comme profession envisagée. En février 1998, il a été interrogé au consulat général du Canada à Détroit par une agente des visas qui lui a accordé soixante points d'appréciation, dont quatre pour le facteur " personnalité ". Il n'a donc pas obtenu les soixante-cinq points d'appréciation normalement requis en vertu de l'alinéa 10(1)b) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié ( le Règlement) des personnes qui revendiquent le statut de résident permanent dans la catégorie de parents aidés.

[5]      Me Leahy, l'avocat du demandeur, a analysé un grand nombre d'erreurs que l'agente des visas auraient, selon lui, commises en rendant sa décision. À mon avis, les plus importantes sont de nature procédurale. Ensemble, ces erreurs constituent un manquement au principe d'équité procédurale et elles ont tellement influencé le processus décisionnel qu'il faut annuler le rejet de la demande de visa. Je traiterai brièvement de chacun de ces vices de procédure.

C.      QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

1.      Appréciation des études

[6]      L'agente des visas a accordé dix points d'appréciation au demandeur pour le facteur " études " prévu à l'annexe 1 du Règlement. En se fondant sur les renseignements disponibles, l'agente des visas a conclu que le sous-alinéa 1c)i) du premier facteur s'appliquait au demandeur en tant que personne qui a complété une année d'un programme d'études postsecondaires qui exigeait un diplôme d'études secondaires. Elle a refusé de lui donner les treize points accordés en vertu du sous-alinéa 1c)ii) aux personnes ayant complété un programme d'études postsecondaires pour lequel un diplôme d'études secondaires qui " rend le titulaire admissible à des études universitaires dans le pays où il a été obtenu " est requis (sous-alinéa 1b )(ii)).

[7]      Il semble que, sur la foi d'un document délivré par l'Ambassade du Canada à Beijing, l'agente des visas ait déclaré que le diplôme secondaire du demandeur ne le rendait pas admissible à l'université parce qu'il ne s'était pas présenté aux concours nationaux qui déterminent, en Chine, si une personne est admise à l'université.

[8]      À mon avis, l'agente des visas a commis une injustice de nature procédurale en s'appuyant sur un document qu'elle n'avait pas préalablement fourni au demandeur pour qu'il fasse ses commentaires. De plus, il semble y avoir une certaine confusion au sujet de la question de savoir si le diplôme d'études secondaires du demandeur le rendait " admissible " à des études universitaires, en ce sens que ce diplôme aurait pu lui permettre de se présenter aux concours nationaux sur lesquels les différentes universités se basent à l'heure actuelle pour admettre les candidats.

[9]      Si l'agente des visas a eu raison d'affirmer qu'il est possible que le diplôme d'études secondaires décerné au demandeur ne le rende pas admissible à des études universitaires, il faut informer les personnes en provenance de la Chine qui demandent un visa d'inclure avec leur demande les documents dont les agents des visas ont besoin pour décider si leurs compétences les rendent admissibles à de telles études. La liste de contrôle fournie au demandeur ne spécifiait pas qu'il devait joindre d'autres documents à sa demande, à part ses diplômes.

2. Appréciation de l'expérience

[10]      Me Leahy a prétendu que la manière dont l'agente des visas a évalué l'expérience du demandeur et a tiré la conclusion que ce dernier ne possédait pas d'expérience comme chef de cuisine constitue une injustice de nature procédurale.

[11]      Premièrement, lorsque l'agente des visas a questionné le demandeur au sujet de son expérience en tant que " chef principal " en Chine, elle lui a dit qu'elle avait entre les mains un document aux termes duquel il était clair qu'en Chine ce poste était seulement offert aux personnes qui avaient travaillé cinq ans comme " chef intermédiaire ". Étant donné que le demandeur lui avait dit avoir déjà travaillé dans des restaurants, mais pas comme chef, elle a conclu qu'il n'avait pas, comme il le prétendait, les qualifications requises pour être employé en tant que " chef principal " immédiatement après l'obtention de son certificat de l'établissement d'enseignement en restauration. L'agent des visas a déclaré que le demandeur a alors changé sa version des faits et déclaré qu'il avait effectivement été chef dans des restaurants avant de commencer le programme de formation professionnelle.

[12]      L'agente des visas a encore une fois manqué a son devoir de traiter le demandeur équitablement en ne fournissant pas le document sur lequel elle s'est fondée au demandeur afin qu'il puisse, par exemple, formuler des commentaires relativement à l'exactitude de la traduction de l'original du document chinois. Même si l'agente des visas avait raison de mettre en doute la crédibilité de M. Wang à la suite de sa réaction au document, il demeure qu'elle a commis une irrégularité procédurale en omettant de lui communiquer ce document.     

[13]      Par contre, je rejette l'argument de Me Leahy suivant lequel il était déraisonnable que l'agente des visas tente de déterminer si le demandeur possédait les qualifications requises en Chine pour être employé comme " chef principal ". Ces renseignements sont nécessaires pour évaluer la crédibilité du demandeur lorsqu'il allègue avoir occupé un tel poste. Le fait qu'une personne puisse se qualifier plus rapidement au Canada pour un poste de même niveau n'est pas pertinent pour le cas à l'étude.

[14]      Deuxièmement, Me Leahy a allégué que les questions que l'agente des visas a posées à M. Wang au sujet de son expérience de travail à New York étaient injustes. Par exemple, après que le demandeur a répondu à l'agente des visas qui lui avait demandé comment il préparerait un certain plat figurant sur le menu qu'il avait présenté, cette dernière semble avoir considéré, selon ses notes, que la réponse du demandeur avait peu de valeur probante quant à la nature des tâches qu'il devait accomplir dans son travail parce qu'il s'agissait [Traduction] " d'un plat de crevettes très simple ". Il est assurément injuste de poser une question à laquelle il est impossible de répondre de façon à fournir la preuve que cette question vise à recueillir et de qualifier ensuite la réponse obtenue d'insatisfaisante. C'est la question et non la réponse qui posait un problème.

[15]      L'agente des visas a conclu d'après les réponses données par le demandeur au sujet de ses " tâches quotidiennes " au restaurant pour lequel il travaille actuellement qu'il n'accomplit pas suffisamment de tâches parmi celles qui sont énumérées pour la profession de chef de cuisine dans la Classification nationale des professions (CNP) pour posséder l'expérience requise par la profession qu'il envisage. À mon avis, l'agente des visas pouvait tirer cette conclusion en se fondant sur la façon dont le demandeur a répondu à ses questions.

[16]      Par contre, je suis d'accord avec Me Leahy pour dire que les questions posées par l'agente n'étaient pas suffisamment claires pour qu'elle obtienne les renseignements désirés. Par exemple, ses questions portaient surtout sur les " tâches quotidiennes " du demandeur au restaurant, ce qui pourrait expliquer pourquoi il n'a pas fourni de renseignements en ce qui concerne les autres tâches qu'il accomplissait et qui, sans être quotidiennes, sont incluses dans la description de la profession de chef de cuisine de la CNP.

[17]      Il est primordial que les agents des visas n'oublient pas qu'il est tout aussi important de veiller à ce que les candidats compétents se voient délivrer un visa que de rejeter ceux qui ne satisfont pas aux critères de sélection prévu par la loi. Les tribunaux peuvent donc scruter les questions des agents des visas pour vérifier si elles sont formulées de façon à permettre raisonnablement d'obtenir les renseignements pertinents de personnes qui ne parlent peut-être pas bien l'une ou l'autre des langues officielles du Canada ou qui sont issues de cultures dans lesquelles les entretiens de citoyens ordinaires avec les fonctionnaires constituent une expérience intimidante et ne se prêtent pas à un exposé franc et libre de leur situation.

D.      CONCLUSION

[18]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande de visa du demandeur est renvoyée à un agent des visas différent pour qu'il rende une nouvelle décision. Quant aux autres observations faites au nom du demandeur dans la présente affaire, je ne me prononce pas.

[19]      Étant donné que Me Leahy n'a pas réussi à me convaincre que les questions qu'il a proposées satisfont au critère prévu par le paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, savoir qu'il s'agit de " questions graves de portée générale ", je n'ai certifié aucune question aux fins d'un appel.

[20]      Compte tenu des facteurs prévus par la règle 400(3) des Règles de la Cour fédérale de 1998, DORS/98-106, je rejette la prétention de Me Leahy suivant laquelle les dépens devraient être adjugés au demandeur. Je tiens absolument à préciser que, même si j'ai accueilli la présente demande pour les motifs exposés, je ne partage pas l'opinion défavorable exprimée par Me Leahy dans ses observations écrites au sujet de la compétence et de l'intégrité de l'agente des visas en cause.

     " John M. Evans "

                                             J.C.F.C.

TORONTO (ONTARIO)

LE 16 AVRIL 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-1024-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          KANGGUAN WANG
                         - et -
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                         ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :              LE MERCREDI 27 JANVIER 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

ÉBAUCHE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE EVANS

DATE DE L'ÉBAUCHE DES MOTIFS :      LE VENDREDI 16 AVRIL 1999
ONT COMPARU :                  M e Timothy Leahy
                             Pour le demandeur
                         M e Marissa Bielski
                             Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Timothy Leahy
                         Avocat
                         408-5075, rue Yonge
                         Toronto (Ontario)
                         M2N 6C6
                             Pour le demandeur
                         Morris Rosenberg
                         Sous-procureur général du Canada
                             Pour le défendeur
                                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                              Date : 19990416
                                              Dossier : IMM-1024-98
                                         Entre :
                                         KANGGUAN WANG,
                                              demandeur,
                                         - et -
                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
                                              défendeur.
                                        
                                        
                                                                                          
                                        
                                              MOTIFS DE L'ORDONNANCE
                                        
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.